Foot-ball et règle du jeu

 

Comment échapper aux événements planétaires ? Cette équipe de foot-ball de coupe du monde, sympathique et républicaine a fait que, depuis 1998, et encore plus en 2006, moi qui n'avait jamais bien compris le plaisir qu'on pouvait prendre à martyriser une pauvre boule de cuir à grands coups de pied, je me mettais à suivre les matches de cette équipe, et même de certaines autres, comprenant enfin que derrière cette vaine agitation, il y avait un esprit, la mise en œuvre d'une intelligence, au service d'une stratégie, un sens moral, qui pouvait être cité en exemple aux jeunes, une fraternité, un peu plus virile qu'humaine, mais fraternité quand même. Je finissais par m'enthousiasmer de certaines passes astucieuses ou artistiques, par souhaiter la victoire de ceux que tout le monde admirait, et admire toujours, malgré le fameux coup de boule planétaire de son chef.

 

Pourtant, je comprends aussi pourquoi ce sport ne m'a jamais plu, même lorsque j'étais en âge d'y jouer. Comme beaucoup d'autres sports. Les plus hautes autorités politiques, morales et intellectuelles ont tendance à en glorifier les règles et l'esprit, voire à en faire une sorte de paradigme de la morale républicaine. Là, je ne suis pas d'accord.

 

Que penser d'un jeu qui consiste à "vaincre" des adversaires, à "leur mettre la pâtée", comme on l'entend souvent dire, voire pire encore, et à se réjouir des fautes des autres ? J'attendrais de la morale républicaine, comme de toute autre, qu'elle incite, au contraire, à la fraternité, à la bienveillance, à se réjouir du succès de l'autre. On dira que c'est le lot de la compétition, l'important étant que cette compétition soit loyale, et c'est dans la loyauté que résiderait la gloire du jeu. Soit, si vous y tenez.

 

Mais alors, est-ce loyal, de pousser l'adversaire à commettre des fautes ? Non pas seulement des fautes techniques, comme perdre la balle, ou la toucher de la main, Mais des fautes morales, comme gêner, frapper, insulter d'autres joueurs, etc. Je trouve tout-à-fait immoral cette stratégie perverse qui consiste à faire faire des fautes par d'autres pour en profiter soi-même.

 

Immorale, encore, cette habitude de considérer (au nom de quoi ?) certaines fautes tantôt comme "pas graves", tantôt comme dignes d'être sanctionnées. Immoral, le fait qu'une faute profite à celui qui la dénonce. Immoral, le fait qu'une faute non vue ou non réclamée par la "victime" ne soit pas sanctionnée. Je ne vois pas comment tout cela peut être donné en exemple aux enfants comme modèle de comportement citoyen.

 

On dira encore qu'il est normal qu'une faute ne soit poursuivie et sanctionnée que s'il y a une plainte. Sinon, on tomberait dans une sorte de régime taliban, où des experts de la loi poursuivraient de leur zèle fanatique de pauvres pécheurs qui ne nuisent à personne. Je maintiens quand même que la valeur de la loi doit être placée au-dessus de l'intérêt particulier, qu'elle ne doit pas en dépendre. La présence d'une plainte n'est pas une raison suffisante pour la sanction, sinon à quoi servirait la justice ? Les excès ne sont pas propres aux talibans, le particulier aussi peut poursuivre de façon abusive. Inversement, l'absence de plainte n'est pas une raison suffisante d'absolution. Qui défendra la loi si la victime est trop faible pour se plaindre ? Si c'est une souris écrasée par un lion ? un paysan par la mafia ? L'absence de plainte n'est évidemment pas l'absence de crime. L'arbitre n'a rien vu ? Personne ne réclame le penalty ? Parfait, le cirque continue ! Non, ce n'est pas un bon exemple pour les enfants.

 

 

 

Juillet 2006

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