La faute des autres

 

 

 

 

Encore un sondage qui montre le pessimisme des Français ! (Enquête du German Marshall Fund of United States, signalée par le Monde du 7 décembre 2006 et consultable sur www.gmfus.org) "Incontestablement, les Français font une déprime, commente Patrick Messerlin, directeur du Groupe d'Economie Mondiale (GEM) à l'Institut d'études politiques de Paris".

 

Le sondage portait, dans six pays européens et aux Etats-Unis, sur la déréglementation du commerce mondial, l'immigration, l'aide aux pays en voie de développement, et la mondialisation de l'économie en général.

 

Le pessimisme est le péché des temps modernes. Déprime, manque d'agressivité, déficit de confiance en soi, sont la cause de tous nos maux qui, en retour, alimentent et justifient le pessimisme, la perte de confiance, etc. Ceux qui en sont victimes sont, certes, à plaindre, mais sont aussi coupables d'une sorte d'abandon de poste et, finalement, c'est un peu à cause d'eux que tout va mal.

 

Les résultats ne sont pas si négatifs que l'interprétation globale le laisse croire : les Français sont parmi les moins satisfaits de leur économie, néanmoins, le pourcentage des satisfaits passe de 12% à 20% de 2005 à 2006 ; 64% sont globalement favorables au commerce international ; 65% pensent que le gouvernement agit efficacement pour aider à la formation et à la reconversion des personnels touchés par les suppressions d'emplois ; c'est en France que les travailleurs immigrés sont le moins perçus comme une menace pour les salaires (39% pour les travailleurs non qualifiés et 27% pour la main d'œuvre spécialisée, contre, respectivement, 69 et 52% en Allemagne) ; 50% des Français pensent que les immigrés apportent une valeur ajoutée à l'économie.

 

Le supposé "pessimisme" des Français est donc, à tout le moins, à pondérer et à juger diversement selon les domaines abordés : le commerce en soi est une valeur, le gouvernement fait ce qu'il peut, les étrangers ne sont pas une menace.

 

Les craintes portent plutôt sur la concurrence chinoise (70%), les effets des investissements étrangers sur l'emploi (jugés plutôt négatifs à 58%). Le "pessimisme" concerne aussi la qualité et la variété des produits alimentaires (72% pensent que celles-ci seront diminuées par la compétition avec les grands groupes). Pour finir, et comme le titre le Monde, les Français sont plus favorables au maintien de barrières douanières (à 66%) que la plupart des autres populations sondées. Ils pensent aussi que c'est aux entreprises qui licencient de supporter l'effort de redéploiement des employés.

 

Autrement dit, ils ne sont pas entièrement d'accord avec les remèdes préconisés par les docteurs de l'économie : ceux-ci voudraient, en effet, moins de barrières douanières, moins de charges pour les entreprises (même et peut-être surtout celles qui licencient), et moins d'action de l'Etat (même jugée efficace). Voila en quoi consiste le "pessimisme".

 

L'économie politique se veut une science. Une science qui étudie la réalité sociale et donne aux gouvernants, politiques et économiques , les outils pour diriger au mieux les barques des entreprises et des états dans les flots tumultueux de l'économie mondiale. Les théorêmes de l'économie inspirent et justifient les actions des dirigeants. Inversement, les actions des dirigeants – inspirées ou non par la science économique - sont justifiées par les théorêmes de l'économie politique. On est prié d'accorder foi à ces justifications. D'abord, parce qu'elles prétendent résulter d'une étude de la "réalité", et que les contredire serait mettre en doute la science elle-même, ensuite, et surtout, parce que le manque de foi serait une trahison, un abandon, un crime de "pessimisme". Le professeur Raymond Barre en appelait, naguère, au principe de réalité et au désir de survie pour convaincre ses auditoires de la justesse de ses analyses et de l'efficacité de ses remèdes. Les discours de pouvoir de l'économie politique construisent ainsi un supposé syndrôme psychologique du simple doute engendré par sa seule invraisemblance et ses incohérences. Douter de ses certitudes ne relève pas, pour elle, d'une clairvoyance saine, mais d'une maladie dont les victimes ne sont pas totalement innocentes.

 

 

 

Décembre 2006

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