Règle, autorité, transgression et liberté

 

 

 

 

 

La nouvelles droite, et son leader français en tête, M. Sarkozy, veulent restaurer les règles et l'autorité. Ce dernier se flatte aussi (voir "Philosophie magazine" d'avril 2007, et derniers discours de campagne électorale) d'être libre et de s'être construit par la transgression des règles. Curieuses contradictions et confusion des idées.

 

D'abord la "restauration". Mythe habituel d'un temps passé dans lequel la société et les hommes étaient meilleurs (plus forts, plus moraux, plus riches, plus courageux, plus fidèles, etc.), et vers lequel il faut retourner. Idée romantique d'un âge d'or, d'un paradis perdu à regagner. Cette idée s'accompagne généralement de celle d'une faute que nous expions en nous retrouvant éloignés de cet Eden. La faute française est celle de Mai 1968 et des 35 heures, qui ont déclenché notre déclin et que nous ne sommes pas près de finir de payer. Mythe traditionnel de la droite et de l'extrème droite, de Georges Sorel à Nicolas Baverez, de la décadence et du déclin, desquels il faut se redresser.

 

Pourquoi "mythe" ? dira-t-on. N'est-ce pas une réalité ? Il y a, dans toute évolution, des traits d'amélioration, qui donnent naissance à des mythes de progrès, et des traits de détérioration, qui donnent naissance à des mythes de décadence. La transformation d'observations, plus ou moins objectives, en destin univoque, c'est cela qui constitue le mythe.

 

Les règles. Elles s'opposent, en principe, à l'arbitraire et au caprice. Est régulière la décision qui suit une maxime, dirait Kant, et arbitraire et capricieuse, celle qui n'a pas de maxime, mais une inspiration, qui peut, bien entendu, changer pour des raisons purement subjectives. En suivant une règle, la décision entre dans le champ d'appréciation de la raison. Elle se soumet d'elle-même au jugement rationnel et à l'appréciation de la conscience raisonnante. Le fait du prince ne se discute pas, les règles si. La règle, c'est l'exercice de la liberté. Formuler la règle qui préside à une décision, c'est soumettre cette décision à l'examen rationnel et la faire sortir de l'arbitraire ou de l'habitude animale, pour la faire entrer dans la liberté humaine.

 

Mais ce n'est pas ainsi que M. Sarkozy parle des règles. Il veut parler des règles instituées, précisément en tant qu'elles ne se discutent pas. Pourtant, qu'il le veuille ou non, elles s'exposent, par le fait même d'être formulées comme règles, à l'évaluation rationnelle, notamment au moyen d'autres règles (par exemple, les règlements sont évalués au regard des lois, les lois au regard des principes constitutionnels, et lois et règlements, au regard de la morale).

 

C'est pourquoi il associe règle et autorité. C'est associer le vecteur et la valeur. C'est confondre la voiture et son conducteur. C'est identifier Dieu et le pape, ce que même les catholiques ne font pas. Cette association scelle l'irrationalisme dont s'inspire M. Sarkozy : la règle n'est pas pour lui l'expression d'une construction rationnelle d'une société meilleure, mais le décret d'une autorité justifiée par son antériorité à la décadence. C'est, au sens étymologique, une conception réactionnaire.

 

Valeur de la transgression. M. Sarkozy "croit" en la transgression. Il ne la juge pas en raison, il lui accorde sa foi. Elle lui a permis de se construire comme personne, un peu comme le sujet oedipien se construit en tuant son père. Mais Kant, encore lui, nous montre que celui qui transgresse, c'est-à-dire qui commet la faute volontairement, émet une contradiction, puisqu'il reconnaît par là même la règle ("l'intérêt de la règle, de la limite, de la norme, c'est justement qu'elles permettent la transgression", nous apprend M. Sarkozy), et, en même temps, la nie. Il ne peut donc se concevoir que comme exception. Et, en effet, ceux qui décident de vivre dans la transgression se considèrent comme des sujets exceptionnels, romantiques, nietzschéens, soreliens, surhumains.

 

Transgresser une règle n'a de valeur morale qu'au nom d'une autre règle dont on montre la supériorité. La désobéissance sous le régime de Vichy était une transgression morale, parce qu'elle se faisait au nom de valeurs supérieures à celles de la nation selon Pétain. La transgression de règles de bonne conduite municipale et immobilière est simplement une combine pour tenter de se hisser au-dessus de ses concitoyens.

 

La liberté. Réside-t-elle, comme le croit M. Sarkozy, dans la transgression ? Oui, si on parle de la liberté du sauvageon, cher à M. Chevènement. La liberté, telle qu'elle est envisagée ici, procède par "décisions" et "choix" plutôt que par "jugements". On retrouve la même vision fondamentale d'une liberté conçue comme une sorte de spontanéité, de jaillissement, commune à tous les irrationalismes, activisme inspiré de Nietzsche, de Bergson et de Sorel, ou mysticisme, comme chez Ratzinger-Benoît XVI. Mais l'homme spontané n'est pas libre. Il est dans la "nature déchue" des chrétiens, mené par ses désirs objectaux, par ses passions et ses habitudes. Ce n'est que par une ascèse et un façonnement de soi qu'il devient libre. La liberté est une construction de la culture. Mais M. Sarkozy ne s'est pas construit par la culture, mais par la transgression.

 

 

Mars 2007

 

Je viens d'entendre Arno Klarsfeld, soutien de Nicolas Sarkozy, déclarer la même idée sur la télé suisse romande : la règle et l'autorité sont les conditions indispensables de la liberté, qui consiste dans leur transgression. Une communauté de pensée des nouveaux leaders de la droite se dessine ainsi autour de ce couple de "valeurs" antagonistes que forment l'autorité et la transgression. A suivre.

 

Mai 2007

 

 

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