L'individu broyé

 

L'actualité nous jette à la figure les figures de gens comme vous et moi désespérés par le sort qui leur est fait, et qui retournent leur agressivité contre eux-mêmes, qui en se suicidant, qui en détruisant le produit ou l'outil de son travail, qui en se laissant lentement dépérir dans les réserves à misère des banlieues. Salariés de France Télécom ou d'autres grandes entreprises confrontés au mépris de leur management, paysans sans débouchés, enseignants mal considérés et abandonnés aux "sauvageons", policiers et prisonniers pris dans les spirales de la violence physique, salariés licenciés avec des parachutes non pas dorés, mais percés, etc.

 

Lorsque j'étais moi-même (encore) salarié de France Télécom, j'étais, en tant que cadre, chargé de conduire "le changement". De nombreux cabinets de consultants, plus ou moins sociologues et, parfois, psychologues, tenaient la "résistance au changement" pour une donnée de la nature humaine, contre laquelle il fallait lutter ou ruser pour amener les gens, par une pédagogie adaptée, à l'accepter, ce changement. Cette théorie est évidemment contraire à l'expérience : la vie est au contraire une adaptation permanente au changement et la tendance "naturelle" des êtres vivants comporte aussi bien la poussée thanatique vers la répétition du passé que la poussée érotique à l'innovation et à l'adaptation. En fait, en faisant d'une prétendue résistance au changement une constante naturelle, la théorie officielle supprime la question de savoir de quel changement on parle. Elle fait comme si un seul changement était possible, celui décrété par les dirigeants.

 

On parle beaucoup d'une société qui serait "individualiste", voulant dire par là "égoïste". La société n'est pas individualiste, elle broie au contraire l'individu et lui dénie toute voix au chapitre dans la définition des changements nécessaires. Les gens, effectivement, ont du mal à accepter des changements qui détruisent leur foyer, les trimballent d'une tâche à une autre, les conduisent à la faillite morale et financière. Malheur à celui qui ne s'adapte pas à ces changements-là. Il montre seulement qu'il n'a pas compris et qu'une dose supplémentaire de "pédagogie" doit lui être injectée. Non, la société n'est pas individualiste. Au contraire, tout est fait pour y broyer l'individu sous le rouleau compresseur des super pouvoirs de l'argent et de la bureaucratie réunies.

 

 

17/09/09

 

 

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