Identité nationale

 

 

"La question" est donc posée. Mais laquelle ? En toute notion, il faut distinguer entre le concept-question et le concept-réponse. Soit la question "Qu'est-ce qu'une automobile ?" Elle peut avoir deux sens, c'est-à-dire rechercher deux types de réponses bien différents. Sur le concept-réponse, on sera dans le descriptif. C'est un engin composé d'un chassis et de quatre roues, avec un dispositif moteur et des essuie-glaces sur le pare-brise. On obtient alors une description des  individus composant l'extension du concept. Sur le concept-question, on définira ce qu'on entend par ces choses désignées par le terme d'"automobile". Les réponses pourront alors être, par exemple, un moyen de transport individuel ou familial, un engin permettant un déplacement sans le secours d'une force animale, etc. On se rapproche alors de ce que les Scolastiques appelaient la compréhension du concept.

 

A propos de l'identité nationale, la question est donc double, elle aussi. Pour le concept-réponse, on aura des réponses du genre : "la patrie des droits de l'homme", "un pays où il fait bon vivre et manger du fromage", "les valeurs de la République", etc. Pour le concept-question, le sens peut être : "Comment s'est forgée l'identité du pays ?", "Y a-t-il un projet français ?", ou bien encore "Que peut-on, ou doit-on, exiger d'un candidat à la nationalité française ?".

 

Evidemment, les réponses à chacune de ces questions, et notamment à la dernière, sont conditionnées en partie par celles apportées aux autres questions. Mais il est important de les distinguer et de remarquer que l'une n'implique pas l'autre. L'histoire est ce qu'elle est et ne prédétermine pas un projet, et rien ne nécessite que cela doive servir à déterminer des conditions d'intégration à la communauté nationale. Ces questions sont distinctes et doivent être posées (pour autant qu'elles doivent l'être) séparément, ce qui n'est pas le cas dans le débat actuel. Ce qui ne signifie évidemment pas qu'il ne faut pas rechercher une cohérence entre les réponses.

 

En fait, les concepts-questions renvoient implicitement à l'usage que l'on veut faire des réponses. S'agissant d'un débat lancé par un ministre chargé de l'immigration, le sens est alors plus que probablement (puisque ce n'est pas dit explicitement) de rechercher les conditions qu'il faut requérir des immigrés pour rester en France, voire devenir français. Je n'ai pas de réponse particulière là-dessus, mais quelques remarques.

 

Il y a des raisons pour lesquelles on est fier d'être français, par exemple, les valeurs de la République ou les fromages. On pourrait donc exiger des candidats à l'intégration qu'ils adhèrent à ces valeurs et au goût des fromages. Il y a aussi des raisons pour lesquelles on n'est pas spécialement fier d'être français, par exemple, les Français sont râleurs et de méchante humeur, etc. On se voit mal exiger de ces mêmes candidats de laisser leur sourire au vestiaire pour pouvoir entrer chez nous. L'"identité nationale" recherchée par le ministre doit-elle donc être réduite à ses aspects positifs ? Si oui, comment sera déterminé ce qui est positif et ce qui ne l'est pas ? On voit bien que la réponse, cette fois, demande plus qu'un débat de quelques mois et des sondages d'opinion. Il s'agit des valeurs morales fondamentales sur lesquels la nation s'engage. Outre le fait qu'il n'est pas sûr que celle-ci soit prète à prendre un tel engagement, il est clair que la réponse ne peut être que le fruit d'une lente et longue élaboration par l'histoire, élaboration engagée, elle, depuis longtemps, mais non achevée.

 

Enfin, la question posée dans le sens de l'intégration des immigrés n'est pas, elle-même, conforme aux valeurs fondamentales de liberté, d'égalité, et de fraternité. En la posant, on entérine, de fait, un privilège de naissance, il est vrai reconnu par la loi, celui d'être français. Il n'est, en effet, pas question d'exiger des Français de naissance de prouver leur attachement aux valeurs républicaines et aux fromages. La plupart d'entre eux ignorent l'essentiel des institutions et de l'histoire de France et ne connaissent de la Marseillaise que le refrain réputé sanglant, sans en comprendre la signification profonde. Il y a des Français néonazis et racistes qui n'adhèrent pas aux valeurs de la République. Faut-il les déchoir de leur nationalité ? Pourquoi ne pas exiger d'eux ce qu'on exigerait d'étrangers immigrés ? On entend souvent dire qu'être français se mérite. Peut-être, mais alors rappelons-nous que ce sont des Français qui, le 4 août 1789, ont décidé qu'aucun mérite ne procédait de la naissance...

Décembre 2009