Que sont nos maos devenus ?

 

Dans les années 1960 paraissait le livre d'Alain Peyrefitte au titre prophétique "Quand la Chine s'éveillera". A l'époque, il avait surtout suscité des ricanements des intellectuels, maoïstes, pour qui la Chine était déjà réveillée au grand Soleil rouge, ou libéraux, pour qui le monde capitaliste vaincrait inéluctablement dans le combat contre le communisme, et avait plusieurs siècles d'avance que jamais le géant endormi ne pourrait rattraper. Tout le monde s'accordait pour s'endormir sur les nouvelles vulgates de la "société de consommation", de l'"embourgeoisement du prolétariat", et les maos se réfugiaient dans les rêves terroristes du Sentier lumineux, des FARC, ou même des islamistes palestiniens. Ils ignoraient superbement ce qui restait dans le monde occidental de prolétaires, de pauvres, de paysannerie en voie de prolétarisation, et chantaient, la mèche rebelle et la chemise débraillée, la révolution d'ailleurs.

 

Pendant ce temps, la mondialisation de la lutte des classes, avec ses fameuses "externalisations", faisait de la Chine, entre autres, l'atelier du monde, c'est-à-dire, reconstituait un prolétariat industriel sur les marches des anciens empires, en appauvrissant les paysans, les traînant dans les grandes villes et en faisant une main-d'oeuvre disponible à bas prix. En Chine, les paysans naguère chéris des fanatiques de la Révolution culturelle, étaient expulsés, expropriés, déportés. De nombreuses révoltes de paysans eurent lieu et ont encore lieu, et furent réprimées sauvagement, sans que les intellectuels de gauche du monde occidental s'en émeuvent outre mesure. Cette prolétarisation des paysans des pays dits "émergents" (à la modernité capitaliste) est, en fait, la base sur laquelle repose la prospérité apparente des classes moyennes occidentales : que serait notre société de consommation sans les ouvriers et ouvrières taillables et corvéables à merci des usines de Chine et d'ailleurs ? Pourrions-nous nous offrir le luxe des belles voitures, des beaux vêtements, des belles télés, des beaux téléphones qui font notre fierté sans cette exploitation brutale des pauvres des "ateliers du monde" ?

 

Alors, il y a peu, des grèves se sont produites dans les usines automobiles chinoises, et peut-être ailleurs aussi. La Chine s'éveille ... Et nos maos continuent de dormir devant les télés et dans les canapés en cuir ... C'est peut-être mieux ainsi, car Dieu sait ce qu'ils seraient capables de faire s'ils se mêlaient de vouloir éclairer de leur science les révoltes des ouvriers émergents.

Juin 2010