Les propositions universelles sont-elles le résultat de l'induction ?

 

 

 

Les propositions universelles sont-elles le résultat de l'induction ? 1

Propositions universelles et sens des mots 1

Propositions particulières et propositions universelles 1

La vérité des universelles ne dépend pas de celle des particulières 2

Signification et vérité des universelles 2

Le sens des mots, l'extension et la compréhension 2

Un principe de continuité de l'Univers est-il nécessaire ? 2

La vérité limitée 3

Des universaux non platoniciens 3

Conclusion 4

 

Propositions universelles et sens des mots

Lorsqu'on dit "Tous les hommes sont mortels", on ne prétend pas qu'une expérience de la mortalité de quelques hommes nous conduit à l'hypothèse que tous les hommes sont mortels. Ce qu'on veut dire, c'est que notre usage du mot "homme", désormais, comportera l'idée de leur mort certaine. Il ne s'agit pas d'une règle logique de l'usage formel du terme, mais du sens du mot. La question philosophique est celle de la clarification du sens et de la validité de cet usage.

 

Propositions particulières et propositions universelles

"Socrate est mortel" est une proposition particulière mais les termes qui la composent sont des universaux. La question du nom propre est difficile, mais en tout cas, il s'agit bien de la totalité de ce qui peut s'appeler Socrate que j'appelle "Socrate". Pour interpréter la proposition comme particulière, il faut comprendre "Socrate" comme désignant une partie de l'humanité, comme équivalent à "quelques hommes, au moins un". Quant à "mortel", c'est un terme général.

 

La vérité des universelles ne dépend pas de celle des particulières

La question de l'induction, comme passage du particulier au général, est souvent posée comme problématique, mais ce problème est mal posé. Si l'on veut seulement dire que l'induction n'est pas conclusive, c'est une évidence. "Socrate est mortel" n'implique évidemment pas que tous les hommes le sont. Si, par ailleurs, la vérité de "Tous les hommes sont mortels" reposait sur celle de "Socrate est mortel" (même complétée par "Pierre est mortel", "Paul aussi", ou même encore "Tous les hommes connus sont mortels"), elle ne serait évidemment pas assurée. Pour souligner cette absence de certitude, on dit souvent, alors, que "Tous les hommes sont mortels" est une hypothèse. Cela revient à dire que sa vérité ne dépend pas de celle de "Socrate est mortel". Autrement dit, les universelles ne sont pas obtenues par induction à partir des particulières, et le problème de la justification de l'induction ne se pose donc pas.

 

Signification et vérité des universelles

Les universelles sont-elles toutes des hypothèses ? Ce sont des prémisses assumées. La question est celle du sens et de la validité de cette assumption. "Tous les hommes sont mortels" se comprend à partir du sens des termes "homme" et "mort". Le premier se comprend à partir d'autres termes tels que "animal", "espèce", "descendance", "politique", "bipède", "plumes", etc., qui, eux-mêmes à leur tour se comprennent à partir d'autres termes tels que "vivant", "plante", "fécondation", "société", "pattes", "oiseau", etc., et ainsi de suite. Le second terme, "mort" se comprend de la même façon, à partir d'autres termes tels que "vie", "souffle", etc. La proposition que "Tous les hommes sont mortels" résulte de transferts analogiques entre diverses propriétés exprimées par ces termes. Les animaux politiques bipèdes sans plumes sont des vivants et la vie contient dans ses processus celui de la mort. Il ne s'agit pas d'une collection de faits individuels dont le nombre produirait une généralisation valide. Le fait que "Tous les hommes sont mortels" est le produit d'analogies entre les propriétés des hommes et celles des autres vivants. Tels sont le sens et la validité de cette hypothèse.

 

Le sens des mots, l'extension et la compréhension

Le sens ne se déduit pas de l'extension des termes, mais de leur compréhension. La vérité ne s'apprécie pas au nombre d'exemplaires, mais à la justesse et à la portée des analogies mises en œuvre.

 

Un principe de continuité de l'Univers est-il nécessaire ?

A ce point apparaît une seconde difficulté souvent signalée à propos de l'induction et des propositions universelles. On rattache ce signalement à Hume : "… all inferences from experience suppose, as their foundation, that the future will ressemble the past" (An Enquiry concerning Human Understanding, "Essential works of David Hume", Bentam Matrix Editions, New York, 1965, p.71). Les inférences inductives, à supposer qu'elles existent, supposeraient un principe de continuité – ou d'unité - dans l'univers, principe qui, à son tour, est loin d'être évident, et constituerait l'hypothèse fondamentale de toute science empirique, un élément d'une sorte de métascience.

 

Cette hypothèse ne me semble pas formulée de façon suffisamment précise. Hume parle de "similarité", de "ressemblance", pas d'identité. Il est clair, au contraire, que le futur ne saurait être identique au passé, sans perdre, par là même, son caractère de futur. La question n'est donc pas de savoir s'il va ressembler au passé, mais en quoi il va lui ressembler. L'exemple trivial toujours évoqué sur cette question est celle du lever du soleil : que le soleil se soit levé aujourd'hui et tous les jours depuis la plus lointaine mémoire ne garantit pas que demain il se lèvera également. C'est l'habitude qui nous fait croire cela. L'habitude est, en effet, certainement, avec aussi un certain optimisme indispensable, la cause psychologique de cette croyance. Mais il s'agit ici de sa validité épistémique, et non des mécanismes psychiques de notre croyance. Cette validité repose-t-elle sur une hypothèse de continuité du réel ?

 

La réponse est non. Tout ensemble de points peut être relié par des relations d'ordre. Tout univers possède un ordre. La question est celle de savoir lequel. Bertrand Russell souligne le fait que l'étonnant n'est pas que le monde ait un ordre, mais que celui-ci soit si "simple", ce qui est une autre question. Le lever du soleil est une conséquence de l'astronomie copernicienne et des lois de la gravitation de Newton et non de l'historique de ses occurrences passées. Si on appelle o1, o2, … on les observations successives de lever du Soleil et O la proposition universelle que le Soleil se lève tous les jours, on n'a pas (o1, o2, on) → O. Au contraire, T étant la théorie newtonienne, on a TO, et O → (o1, o2, on). Si des événements affectant la situation mécanique du système solaire survenaient, comme le passage d'énormes comètes, par exemple, on pourrait s'attendre à ce que le soleil ne se lève pas, ou pas à l'heure habituelle.

 

La vérité limitée

A ce stade, on pourrait repousser d'un niveau la supposition de la continuité du réel. On aurait alors l'idée que la théorie T est supposée vraie non seulement jusqu'à maintenant, mais aussi pour tous les temps. C'est à la fois vrai et faux. Elle n'est pas supposée vraie "jusqu'à maintenant", mais "jusqu'à preuve du contraire", ce qui est tout-à-fait différent. Il n'est pas exclu qu'une observation oi, déjà disponible, l'infirme sans que l'on s'en soit encore aperçu. Elle est formulée dans certains termes, et exprime des relations entre ces termes. Elle est vraie dans les limites de la validité de ces termes.

 

Des universaux non platoniciens

Il faut noter qu'une telle conception n'est pas nécessairement solidaire d'une certaine forme de platonisme ou de réalisme des universaux. La formule f=mγ introduit une analogie entre la surface d'un rectangle, représentée par la produit , et la force f. Elle ne suppose pas cette analogie comme préexistante dans le ciel des idées pures. Elle la tire du stock des idées disponibles à un moment donné de l'histoire de la culture occidentale, et soumet, à titre d'hypothèse expérimentale la relation entre force, masse et accélération. La continuité supposée n'est pas celle de l'univers, mais celle du domaine d'application des termes contenus dans la formule, autrement dit de leur sens.

 

Conclusion

La petite discussion ci-dessus nous indique que la vérité ne se sépare pas du sens. La formule spinoziste verum index sui est fausse si elle signifie que la vérité se manifesterait par une évidence intrinsèque d'un énoncé indépendante d'une signification externe à laquelle il faut la rapporter pour l'apprécier. Cette signification externe n'est ni un ensemble d'observations qui seraient ainsi désignées ou subsumées, ni une chose à laquelle l'énoncé serait comparé. Elle consiste plutôt dans certaines relations entre des termes dont la portée est générale. L'interprétation platonicienne de cette situation n'est pas nécessaire. Platon imaginait que les Idées du Ciel étaient transposées dans le monde sensible. On peut supposer, avec plus de vraisemblance, que les idées sont transposées d'un domaine d'activité dans un autre.

Avril 2008