Travail philosophique et débat
Travail philosophique et débat 1
Des "positions philosophiques" 2
Conclusion : débat critique et polémique systématique 2
La philosophie, telle que je l'entends, est une recherche méthodique de sagesse. C'est dire que je ne parle pas ici de l'expression de visions du monde pour elles-mêmes, pour leur beauté, leur sincérité, leur grandeur, ou toute autre qualité qui ne contribuerait pas directement et explicitement à apporter une sagesse ou à éloigner une imbécilité. De même, je ne vise pas un discours dont les critères seraient mystérieux, ou poétiques ou purement esthétiques. La notion de méthode, c'est-à-dire de procédures répétables et vérifiables, est essentielle à la philosophie dont je parle. Les formes que j'exclus ainsi ne me paraissent pas moins dignes, mais elles n'ont pas la même finalité.
Il s'agit alors d'aborder des problèmes qui se posent aux hommes, de tous temps ou de nos jours, et de tenter d'apporter des éclaicissements et des outils conceptuels ou méthodologiques qui aident à traiter ces problèmes de la façon la moins sotte possible. S'agissant des données objectives de ces problèmes, les sciences positives, physiques ou humaines, se chargent d'instruire les questions. Encore faut-il s'assurer qu'elles s'acquittent convenablement de cette tâche et comprendre les réponses qu'elles prétendent apporter. S'agissant des attitudes humaines envers ces problèmes, la philosophie doit aider à les clarifier, à évaluer leur pertinence, à comprendre leurs mécanismes, à s'assurer de leur cohérence et à en évaluer les principes et les conséquences.
Les philosophes, depuis qu'ils philosophent, tentent d'agencer leurs opinions en systèmes cohérents, les parties les plus sures de leurs discours conférant leur certitude aux parties plus douteuses. Cette notion de cohérence demande à être analysée et explicitée, car elle recouvre différentes situations. D'une part, certaines parties du discours peuvent être compatibles. Ainsi la conception de la réalité des Idées pures par Platon est-elle compatible avec sa conception du monde sensible comme résultant du mélange de ces Idées entre elles et de leur dégradation. La relation entre ces deux conceptions n'est toutefois pas nécessaire, la première n'impliquant pas la seconde, et d'autres conceptions du monde sensible étant possible en cohérence avec celle des Idées pures. Au contraire, cette conception est incompatible avec celles des Stoïciens ou des Epicuriens selon laquelle le monde sensible est réel. Quelquefois, une relation entre deux énoncés est présentée comme une implication nécessaire, mais cette nécessité fait l'objet de contestation. Par exemple, Descartes dit "je pense donc je suis", mais on a pu contester la légitimité de cette conclusion. De "je pense", on pourrait déduire qu'il y a de la pensée, mais non pas à l'existence d'une entité pensante (res cogitans), ou bien pas à la forme personnelle et subjective de cette entité.
Il est donc délicat de traiter les doctrines des philosophes comme des entités monolithes. Les formes récentes de l'activité philosophiques prennent souvent l'aspect de débats entre positions baptisées de termes en –isme, et il se développe ainsi une polémologie consistant à tenter de montrer la fausseté d'une thèse A à travers celle d'une thèse B, parce que A et B appartiendraient toutes deux au même –isme. A l'analyse des problèmes, objet de la philosophie, se substitue un débat opposant des systèmes, ou, au moins, des ensembles de croyances supposées cohérentes entre elles. La notion de cohérence, on l'a vu, n'est pas si nette, et il est parfaitement légitime de dire que tel auteur a raison sur tel point et tort sur tel autre, sauf dans les cas – finalement assez rares -, où il y a une implication nécessaire entre les deux points.
Un des points sur lesquels Descartes avait raison est celui énoncé dans le Discours de la méthode comme second précepte à observer, "de diviser chacune des difficultés que j'examinerais en autant de parcelles qu'il se pourrait et qu'il serait requis pour les mieux résoudre". La pratique polémique de la philosophie va évidemment à l'encontre de ce précepte, car elle revient, au contraire, à fondre entre elles des propositions dont la vérité ou la fausseté sont indépendantes l'une de l'autre. Le débat, bien sûr, est nécessaire, mais il doit porter sur des points indépendants.
Mars 2008