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Les remarques qui suivent s'inspirent de l'histoire de la philosophie occidentale (à part une excursion chez Lao-tzeu), mais ne sont pas "historiques", dans le sens où ce terme impliquerait une fidélité aux textes, à l'esprit de leurs auteurs, une conformité aux problématiques et aux contextes dans lesquels ils ont été écrits. Il s'agit plutôt de reconnaissances de dettes, et, pour poursuivre l'image, sans la restitution des emprunts, qui seraient peut-être méconnaissables aux auteurs, non seulement à cause d'erreurs possibles d'attribution, mais aussi à cause de déformations plus ou moins conscientes et volontaires de ma part, tant j'ai été mauvais étudiant. Il peut aussi arriver qu'un auteur se trouve cité ici non pas pour les legs les plus importants sur le plan historique, mais pour certains résultats traditionnellement considérés comme marginaux de son œuvre, mais qui constituent, à mon sens, des résultats acquis pour l'exercice de la philosophie.
On a souvent tendance, en France tout au moins, à considérer la philosophie comme une activité "littéraire", c'est-à-dire mettant en œuvre essentiellement des qualités originales chez un individu et donnant donc lieu à des évaluations et des contestations d'ordre esthétique relevant fondamentalement et ultimement de choix arbitraires, que l'arbitre soit humain ou divin. Pour ma part, ma pratique de la philosophie m'a conduit à considérer que des progrès peuvent s'y accomplir, et que, par conséquent, certains résultats de travail philosophiques peuvent être considérés comme acquis, ou plutôt comme comportant quelque chose d'acquis, car il n'est pas toujours facile d'identifier précisément cet acquis. J'ai adopté un ordre presque historique de présentation de ces acquis en tentant de les rattacher à celui qui en avait semé la graine, la paternité d'une idée ou d'une conception n'étant pas toujours facile à établir.
On voudra bien noter qu'un acquis n'est pas nécessairement positif. Ainsi, l'éternité de la vérité est un résultat acquis issu de l'œuvre de Platon, mais c'est une ânerie. Pourtant, cette ânerie géniale, on la lui doit et elle est incontournable, dans sa fausseté même, dans toute réflexion philosophique.
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L'ordre chronologique adopté m'oblige à situer Lao-tzeu en tête, alors que sa découverte a été pour moi bien tardive. Il n'est pas le seul, bien sûr, pour qui l'ordre de l'histoire est éloigné de l'ordre de l'apparition dans mon petit monde, mais c'est celui pour qui le décalage est le plus criant. Décalage aussi entre l'importance de ses "résultats" et la place qu'on lui laisse souvent : ou bien il est carrément ignoré, ou bien il est supposé constituer un univers de pensée tellement complet et à part que ses leçons ne sauraient être intégrées à une réflexion "occidentale". Pour ma part, je n'ai pas hésité à le dépouiller et à réutiliser quelques unes de ses idées, même au prix d'une trahison probable.
1.1. Le vrai a le son du faux
Cette idée est presque à la clef de voûte de toute réflexion philosophique. Descartes est parti de l'expérience de l'erreur, et, ce faisant, a évidemment bien fait, car pourquoi rechercher une voie de la sagesse si celle-ci nous était donnée naturellement ? En même temps, bien sûr, la conscience s'enferme dans une contradiction difficile : elle s'élève à la conscience de son propre fonctionnement par la conscience de ses échecs et de ses limites ; comment, alors, savoir qu'on progresse ? Si je me trompe quelquefois, comment savoir que je ne me trompe pas toujours ? Spinoza est revenu sur cette question handicapante et, emboîtant le pas de son maître Descartes, qui avait établi ce qu'il prenait pour des vérités premières sur leur "évidence", il a décrété que le vrai était à lui-même son propre signe ("verum index sui et falsi"). Je suis resté longtemps accroché à cette jolie formule en la prenant comme seule issue possible des contradictions de la conscience prise à son propre piège d'être à la fois celle qui se trompe et celle qui se détrompe. Pourtant, il ne s'agit que d'un décret.
Lao, lui, nous rappelle un constat que nous n'avons pas le droit d'oublier, même s'il nous déplaît. Ce constat est un rappel permanent qui doit devenir une seconde nature pour le philosophe : rien ne ressemble plus à la vérité qu'une erreur.
La sortie de cette contradiction suppose qu'on distingue clairement la vérité de la conscience, distinction dont le mérite revient à Giambattista Vico (cf. infra.).
1.2. Viser à une fin, c’est être impropre à gagner l’univers
Moins encore que pour les autres formules citées ici, je ne suis convaincu d'en posséder le sens. Ce qui me semble acquis, c'est que l'habitude occidentale de raisonner par objectifs, fins, moyens et étapes de réalisation de la fin, est une habitude qui nous enferme dans nos fantasmes plus qu'elle ne nous ouvre la voie de la réalisation de ce que nous espérons. C'est qu'en fait, les moyens, de fins intermédiaires supposées subordonnées aux fins ultimes, deviennent, à moins d'être négligées, ce qui est contraire à l'essentiel de la démarche, des fins elles-mêmes, accaparent nos efforts, apportent leurs effets contre-productifs et, finalement, fixent nos visées sur des utopies auxquelles nous sacrifions tout, y compris ce qui ferait le prix de ces utopies si jamais elles se réalisaient. L'univers, pendant ce temps, suit son cours, et, peut-être un sage chinois nous observe-t-il narquoisement en train de ramer contre les courants et nous fracasser sur des écueils que notre obsession objectale nous a empêchés de voir.
Lao-tzeu, La Voie et sa vertu, Tao-tê-king, traduction François Houang et Pierre Leyris, Paris, Seuil
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2.1.Le réel n'est pas nécessairement ce que l'on perçoit. Il s'analyse par des changements que nous opérons en lui. Ce ne sont pas les sens, mais les opérations que nous effectuons, qui nous informent de la réalité.
Benjamin Farrington, dans La science dans l’Antiquité, traduit par Henri Chéret, Paris, Payot, (p.59) rapporte l'enseignement d'Anaxagore : " Il apporta aussi sa contribution au débat sur la validité du témoignage des sens. Il est certain qu’il considéra ce témoignage comme indispensable à l’investigation de la nature, mais comme Empédocle, il se préoccupa de démontrer qu’il existait des processus physiques trop subtils pour que nos sens les perçoivent directement. Il combina une démonstration expérimentale de ce fait. Il prit deux vases dont l’un contenait un liquide blanc et l’autre un liquide noir. Il transféra un liquide dans un autre goutte à goutte. Physiquement, il devait y avoir un changement de couleur à chaque goutte, mais l’œil n’était pas capable de le discerner jusqu‘à ce que plusieurs gouttes fussent tombées. Il est difficilement possible d’imaginer une démonstration plus nette des limites de la perception sensorielle. "
J'ajouterai que ces limites ne s'éprouvent et ne se prouvent que par une "démonstration expérimentale", non par une polémique sur la cohérence des discours. Bien des controverses sur l'expérience, les témoignages des sens, la réalité des objets, etc. seraient plus brèves - et en tout cas différentes - si la leçon d'Anaxagore était mieux retenue.
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3.1.L'atomisme intégral
Non seulement tout est composé d'atomes, mais aussi ces atomes ne se meuvent qu'au hasard. Cette thèse ne vaut pas seulement par son côté visionnaire et anticipateur sur ce que pourrait être une conception moderne ( quoique incomplète et discutable) de la matière, mais par l'exigence de réduction rationnelle qu'elle sous-entend, la volonté d'écarter toute hypothèse superflue. C'est cette volonté réductionniste qui me semble le moteur de l'attitude matérialiste en philosophie, quelles que soient les diverses théories positives exprimées pour y satisfaire.
3.2. Les choses n'ont pas de couleur
Le mérite de la grande découverte de certains des relativistes modernes revient à Démocrite l'atomiste antique. Les qualités sensibles ne sont pas une propriété des choses, mais le résultat d'interactions entre les atomes qui les composent et ceux qui composent notre corps. Toutefois, il ne s'ensuit pas que ces qualités ne sont pas réelles, ni qu'elles sont subjectives, comme certains voudraient le conclure abusivement. Cette conclusion abusive provient en grande partie de l'incapacité à concevoir la réalité autrement que comme une ou plusieurs choses. Qu'elle puisse être constituée d'événements et/ou de relations semble inconcevable (voire n'est même pas envisagé réellement) par la plus grande partie des esprits occidentaux. Pour eux, tout ce qui n'est pas une propriété des choses, à défaut d'être soi-même une chose, n'a pas de réalité. Les couleurs, par exemple, événements qui se produisent dans la relation sujet-objet, n'étant ni une chose, ni propriété intrinsèque d'une chose, ne sont rien.
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4.3. Distinction entre ce qui est vrai et pourquoi c'est vrai.
Cette distinction est essentielle et fonde la philosophie de la connaissance en tant que telle. L'idée qu'il existe une "voie du vrai" implique une connaissance possible de cette voie. Autrement dit, il peut y avoir une recherche méthodique de la vérité qui ne consiste pas seulement dans le fait que cette vérité soit "donnée". La vérité, usuellement, peut être donnée de différentes manières : par les sens et l'expérience vécue, par l'enseignement des professeurs et des livres, par la révélation divine, éventuellement relayée par des prêtres dûment habilités, etc. Si elle est alors donnée, il suffit de la recevoir et de la conserver pour la réutiliser lorsque les circonstances le demanderont. Si, alors, un problème se pose et qu'on découvre une erreur qui se serait malicieusement glissée dans le corpus de vérités reçues, il n'y a pas d'autre solution que se retourner vers la fontaine de vérité, glisser éventuellement une pièce dans la fente de la machine et boire ce qui coulera de source. Le philosophe est celui qui analyse le liquide avant de le boire, et la philosophie est l'art de cette analyse. En effet, la grande dette que nous avons envers les philosophes anciens n'est pas seulement de nous alerter sur tel ou tel aspect de notre manque de sagesse, mais encore et surtout d'organiser le combat contre ces faiblesses, d'en élaborer une méthode.
La philosophie ne produit pas de vérité, mais vérifie les contenus qui prétendent à ce statut.
Ainsi, plus généralement, je dois à ces philosophes l'idée que la philosophie, cet art auquel j'avais décidé de consacrer la part essentiel de mon énergie à quinze ans, n'était pas une somme de connaissances, ni même d'écrits critiques sur des connaissances, mais une voie, comme disent aussi le Christ et Lao-tzeu. Idée que je retrouvais aussi chez les Stoïciens et leur idée d'ascèse. Mais, là où les exercices spirituels de Loyola ressemblent souvent à une gymnastique de soumission, je voyais plutôt un effort constant d'amélioration de la pensée, de la pensée commandant l'action, effort le plus souvent solitaire, parce que contraire à la pente naturelle. L'essentiel de cette orientation réside dans l'idée que la philosophie ne peut consister dans un donné, ni même dans un trouvé, mais dans la recherche. L'insatisfaction quasi permanente que cette attitude suppose est contraire aux idées d'ataraxie et de sérénité généralement associées aux sagesses antiques et orientales. Cette contradiction n'est peut-être qu'apparente et résolue par le fait que l'ataraxie est une limite vers laquelle on tend et non un état réellement éprouvé. Mais je crois surtout qu'elle relève de la simple gestion personnelle de l'anxiété.
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5.1. La vérité doit être stable
Les dialogues de Platon cherchent en général à définir une notion, telle que l'amour, le bien, le beau, etc. Les interlocuteurs proposent des définitions et des contre exemples leur sont opposés. Ces définitions ne sont donc pas suffisantes : elles ne couvrent pas toutes les acceptions du terme. Ces acceptions sont donc impropres ou la définition inadéquate. La définition adéquate ou "vraie" doit rendre compte de tous les cas et justifier les exceptions apparentes. La vérité est stable, en ce sens qu'elle doit s'appliquer à tous les cas de l'extension du concept. On dit en général plutôt que les idées de Platon sont "éternelles", et ce n'est pas faux. Mais j'ai employé plutôt ici le terme de "stable", car il traduit mieux le désir de Platon que la vérité soit indifférente aux changements, aux mélanges, et aux circonstances. La généalogie de ce désir reste à faire.
Platon est ainsi l'"inventeur" de cette conception qui veut que la vérité soit stable dans le temps et indépendante des occurrences empiriques de ses exemples. Cette thèse s'est développée dans l'idéalisme absolu et les vérités éternelles.
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L'homme est un animal politique.
Cette maxime est souvent entendue dans un sens littéral en français, voulant dire que l'homme est voué à la vie en société, en société organisée, avec un Etat, des lois, etc. Je crois que ce n'est pas seulement cela qu'Aristote entendait nous dire et j'en ai, en tout cas, retiré bien autre chose.
6.1. D'abord que l'homme est un animal.
Il ne faut pas seulement assimiler ce que l'évolution nous a appris, à savoir que par nos prédécesseurs, nous nous rattachons aux autres primates, aux autres mammifères, aux autres animaux, et même à l'ensemble du règne vivant. Il faut comprendre que nous sommes aujourd'hui, tels que nous sommes, avec notre génie, notre science, notre technologie, notre cerveau hypertrophié et nos sens médiatisés, des animaux. Comprendre que, lorsque nous envoyons un mémo, comme on dit maintenant, à notre chef, nous faisons la même chose que le chien qui vient flairer le derrière de son congénère pour lui rendre hommage. Nous ne faisons pas la même chose symboliquement, mais fonctionnellement. Comprendre que nous ne sommes pas comme les animaux, mais que nous sommes des animaux. Comprendre qu'il n'y a pas à chercher la différence entre l'homme et l'animal, mais entre l'homme et les autres animaux, ou plutôt, tels ou tels autres animaux, et non pas en général, car il n'y en a pas, mais sur tel ou tel aspect, par exemple, la résolution de problèmes, la parentalité, la violence, etc.
6.2. Et parmi les animaux, que nous ne sommes pas un animal solitaire, mais vivant en groupe.
Que nos groupes aient la particularité d'être des sociétés instituées et non pas seulement des hordes doit être considéré comme un différence spécifique (peut-être partiellement commune avec certaines autres espèces, d'ailleurs), mais qui ne masque pas le fait que nos groupes sont aussi des hordes , c'est-à-dire des groupes organisés qui ne sont pas sont pas le résultat d'un contrat social, mais dans lesquels les individus n'ont pas d'autre existence que le rôle que le fonctionnement du groupe leur attribue. Comprendre que ceci s'applique aux hommes, y compris les plus civilisés, et donc à nous-mêmes, et en tirer les conséquences théoriques, morales et pratiques quotidiennes, voilà à quoi la formule d'Aristote me semble inviter.
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7.1. L'atomisme.
La valeur de l'atomisme est double : comme conception positive, elle a fourni un modèle simple et universalisable à l'infini de la structure du réel ; comme façon de poser le problème de cette structure, l'atomisme devient une sorte d'exigence permanente de la recherche de ne pas céder à la facilité des hypothèses ad hoc extérieures à la matière pour expliquer les phénomènes.
7.2. L'indifférence aux dieux, l'indifférence des dieux
Si jamais ils existent, il serait indigne d'eux de s'occuper de mes petites affaires, et de se flatter de mon adoration.
7.3. Plaisirs et besoins
L'épicurisme et le matérialisme sont parmi les philosophies les plus mal comprises. Qu'ils cessent de parler des "pourceaux d'Epicure" et du "matérialisme des sociétés assoiffées de gain" ! Ces formules polémiques font mouche et entachent l'image populaire de ces sagesses. L'épicurisme est un refus de la transcendance et de la dépendance, autrement dit un apprentissage de l'état d'adulte.
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8.1. "Il n'y a rien qui véritablement m'appartienne que la libre disposition de mes volontés",
c'est ainsi que Descartes traduira l'enseignement d'Epictète le plus difficile à suivre.
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9.1. Nous ne percevons que les simulacres des choses et non les choses elles-mêmes.
C'est la première fois, je crois que la perception sensible est remise en question en tant que telle. Evidemment, on peut considérer que Platon est le premier à avoir rejeté la perception sensible comme source de connaissance. Mais il la rejette globalement et en tire la conclusion que l'objet à connaître est ailleurs que l'objet de la perception sensible, que celui-ci n'est pas le réel qu'il s'agit de connaître. Sextus, au contraire, maintient l'ambition de la connaissance de la réalité telle qu'elle nous entoure immédiatement, et néanmoins affirme que les sens ne sont pas la voie royale de sa connaissance. Rares sont les penseurs ultérieurs qui ont accepté de prendre réellement en compte les critiques sceptiques de ce point.
9.2. Une opinion ne peut pas prouver une autre opinion (ni l'infirmer)
La preuve est ailleurs que dans l'opinion, dans le fait. A quoi bon, alors, confronter les opinions ? A rien, s'il ne s'agit que d'une confrontation, on est alors dans la polémique et non dans la philosophie et c'est la rhétorique qui est décisive. En revanche, de la confrontation naîtra aussi l'éclaircissement, comme dit Wittgenstein, qui permet de mieux appréhender le rapport aux faits.
9.3. Il faut accepter de ne pas conclure
C'est la leçon la plus sévère et la plus juste de Sextus et des Sceptiques. C'est aussi, bien sûr, la moins bien acceptée. On entend quelquefois l'objection tirée d'une prétendue obligation de conclure pour l'action, le doute supposant alors l'abstention. Evidemment cet argument est fallacieux, car le jugement est une étape différente de la décision. Il est clair que, même lorsque les conclusions sont prises de façon positive, la décision d'action qui suit est entachée d'incertitudes, et la décision est toujours un pari. Si bien que, si l'on exige, en prétendant par là réduire l'incertitude de la décision finale, des conclusions sur les attendus intermédiaires, alors que ceux-ci sont l'objet de doutes, on ne fait que dissimuler ces derniers sous une fausse certitude, et, donc, ajouter un mensonge à l'incertitude. Les Sceptiques n'ont jamais prôné l'abstention dans l'action, mais la reconnaissance des limites de nos jugements.
En fait, la volonté obsessionnelle de la pensée occidentale "d'échapper au Scepticisme" tient à au moins deux motivations plus profondes. La première est l'orgueil de ne pas reconnaître nos ignorances. La seconde est le désir de disposer d'arguments polémiques sous forme de certitudes. On suppose qu'un adversaire répondra moins à un jugement présenté comme certain que si celui-ci est, de notre propre aveu, entaché de doute. Il faut un certain courage pour accepter que ses propres opinions soient présentées d'emblée comme sujettes au doute.
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10.1. Non sunt entia multiplicandi praeter necessitatem
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11.1. Analyser une difficulté en autant de questions simples qu'il est possible
Cette maxime, je crois, est souvent mal comprise, comme si elle signifiait qu'il ne faut tenter de résoudre qu'une question à la fois et séparer les questions, sans trop tenir compte des interférences mutuelles qu'elles peuvent comporter. Je crois au contraire que la méthode analytique préconisée par Descartes permet de comprendre les interférences réelles après s'être affranchi des interférences purement linguistiques ou imaginaires que nous avions introduites à tort dans la problématique.
11.2. La règle de l'évidence
Au contraire, c'est un cadeau empoisonné que Descartes nous a légués avec cette confiance dans la seule évidence. Il s'ensuit que la conscience individuelle devient seule juge de ce qui est et n'est pas ("ne rien admettre comme vrai qui me parut évidemment être tel"). J'y vois une prolongation de la dérive platonicienne, dans le sens où les idées sont l'aune de la réalité. Mais alors que Platon faisait de notre connaissance préalable des idées, grâce à la réminiscence, la garantie de la réalité ainsi appréhendée, Descartes arrive à la croyance que l'esprit peut inventer le monde. Malheureusement, cette croyance a séduit et elle se retrouve dans de nombreuses doctrines, non seulement rationalistes, mais aussi en fonctionnement dans de nombreuses démarches où le raisonnement est pris pour mesure de ce que le réel est supposé être : "Cogito ergo sum" conduit à "calculo ergo est". C'est une attitude commune à de nombreux philosophes, logiciens, polytechniciens, idéologues et technocrates.
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12.1. Il faut admettre l'existence d'un nombre immense de substances
Continuateur de Descartes jusqu'à l'absurde, ou tout au moins jusqu'au paradoxe. Si la seule vérité est ce qui me semble évident, la Nature ne contribue pas à l'établissement de la vérité et devient une sorte d'"hypothèse non nécessaire", et le solipsisme devient une hypothèse vraisemblable. L'autre hypothèse est la monadologie. Celle-ci présente en outre l'audace d'admettre une multitude de substances (pluralisme de Leibniz souligné par Russell), alors que si l'on reste dans le monisme généralement admis au nom de la simplicité des hypothèses, le solipsisme devient inévitable.
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13.1. La pensée ne peut pas prouver la pensée
C'est la critique fondamentale que Vico fait de Descartes. Dans le Cogito, la pensée est comme Sosie voyant son reflet dans le bassin. Pour Vico, Descartes ne dépasse pas les critiques de Sextus Empiricus. Le Cogito est un fait de conscience, une représentation, et il ne saurait en sortir rien d'autre que des représentations ou des faits de conscience, mais rien concernant une réalité qui lui soit étrangère.
La portée de cette critique vichienne est considérable et, bien que Vico en reconnaisse une certaine primeur aux Sceptiques, il l'a portée à un degré de finesse qui la rend efficace contre presque tous les systèmes philosophiques occidentaux. En effet, qu'il s'agisse de systèmes empiristes, qui fondent leurs vérités sur les expériences et les rapprochements faits par l'esprit entre celles-ci, qu'il s'agisse des systèmes issus de la dialectique kantienne, ou bien encore de la phénoménologie, de l'intuitionnisme bergsonien, ou même des modernes épistémologies de la cohérence ou du consensus de la "communauté scientifique", tous les systèmes établissent leur dogmatique sur une prétendue force apodictique du raisonnement et de la conscience, qui auraient le pouvoir de dire ce qu'est l'être à la place de l'être. Vico montre que ces modes de pensée, pour ingénieux qu'ils soient sont tous subjectivistes et laissent le sujet enfermé dans sa propre ratiocination.
13.2. La certitude est un sentiment de la conscience
La certitude ne change rien à la vérité ou à la fausseté d'une proposition. Le cartésianisme et l'empirisme ont en commun de chercher le critère de la vérité comme une qualité propre de certains tableaux ou faits de conscience. Quelques-uns seraient certains, et donc vrais. La certitude n'est pas une propriété de la vérité mais de la croyance. Je suis certain ne garantit rien de ce dont je suis ainsi certain, mais informe seulement sur mon propre sentiment interne par rapport à cette croyance.
13.3. Le vrai est le fait
Pourtant, Vico n'est pas solipsiste. Le réel existe et englobe et l'objet et le sujet. Le vrai se "convertit" dans le fait, c'est-à-dire que l'un et l'autre sont équivalents. Le fait n'est pas seulement ce qui advient mais ce qui est fait ( de facere, produire, fabriquer, créer). La poésie, les mythes, la philosophie et les sciences tentent ensuite de représenter le fait, et ces représentations sont plus ou moins adéquates à un ensemble plus ou moins vaste et plus ou moins bien défini de situations.
Les savants et les nations voient les choses de façon déformée par leur point de vue historique et leur volonté de se justifier. Ces déformations proviennent de la situation de ces locuteurs par rapport aux faits dont ils parlent. C'est de là qu'il faut partir pour effectuer une analyse critique de la connaissance et de l'idéologie.
13.4. La connaissance d'une chose est la connaissance de ses causes
Connaître n'est pas nommer ni classer, mais expliquer pourquoi une chose est telle et non pas autre. Russell a fait justement remarquer que la science n'avait pas pour objet d'expliquer les enchaînements de causes et d'effets, comme on l'entend souvent dans les usages populaires des termes "explication scientifique", mais de découvrir et de formuler de la façon la plus simple et la plus cohérente possible les lois de récurrences et de régularité des phénomènes naturels. Je ne crois pas qu'il y ait de contradiction entre ces deux points de vue, l'explication dite causale étant en fait l'application particulière à une tranche artificiellement isolée des faits des lois découvertes et formulées par ailleurs. L'essentiel est de comprendre que la science qui se contente d'être un étiquetage des faits ne produit aucune connaissance nouvelle. Ce qui n'exclut pas, bien sûr, que cette phase d'"étiquetage" puisse être une étape préalable nécessaire.
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14.1. L'expérience ne dépasse pas l'expérience
14.2. Définir ce dont on parle avant d'en parler.
Le sens doit être investigué avant l'être. Par exemple, discutant de l'existence de Dieu, Hume montre qu'il s'agit d'abord de définir de quoi on parle. Après quoi, ayant montré que l'on parlait de plusieurs choses à la fois, et certaines étant très confuses, il valait mieux ne pas conclure ...
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14.1. La raison pose des questions à la nature
Kant a formulé clairement le fonctionnement logique de l'expérimentation. Ce ne sont pas les sens qui enregistrent des phénomènes, mais l'entendement qui pose des questions à la nature.
15.2. Le sujet et l'objet sont dans une relation de mutuelle configuration
Sujet et objet ne sont pas indépendants, mais corrélatifs. Toutefois, Kant, à mon sens, fourvoie cette dernière idée par une conception "transcendante" du Sujet. La transcendance du Sujet en fait une entité distincte et autonome, et non une structure relative, comme le voudrait une interprétation correcte de la situation de connaissance sujet-objet.
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16.1. Le réel comme développement d'une pensée
Hegel figure dans cette galerie comme l'archétype de ce qu'il me semble que la philosophie doit éviter. Il est généralement considéré comme le philosophe de la synthèse, et en effet ses ouvrages se présentent généralement comme de vastes fresques historiques dans lesquelles des multiplicités diverses semblent se fondre dans des unités conceptuelles qui fusionnent à leur tour jusqu'à l'unité. On peut en admirer l'habileté rhétorique, la profusion et la confusion littéraires. Ce n'est évidemment pas mon cas, car il me semble que ces "qualités" sont créatrices d'erreur et de confusion de pensée. Le système hégélien repose sur la croyance aberrante que le réel est le développement d'une pensée, double aberration : que la "raison" soit la créatrice du réel (dérive de Kant et de Descartes) et que le multiple soit un (dérive de Platon et de Spinoza).
Le produit de ce système est de réduire le réel à des concepts. A l'exact opposé de l'atomisme épicurien qui décompose le réel en éléments de matière, Hegel recompose celui-ci en une émanation de l'esprit. Un exemple éclairant de cela est fourni par la philosophie du droit de Hegel, qui se termine significativement par cette phrase d'anthologie : "En lui (l'Etat), la conscience de soi a la réalité en acte de son savoir et de sa volonté substantielle par une évolution organique, de même que dans la religion elle a le sentiment et la représentation de cette vérité qui est sienne, comme essence idéale, et dans la science, elle trouve la connaissance librement conçue de cette vérité comme identique dans ses trois manifestations complémentaires, l'Etat, la nature et le monde idéal" (Hegel, Principes de la philosophie du droit, Paris, Gallimard, 1963, p. 377), qui résume aussi bien dans le fond que dans la forme l'essentiel de la conception hégélienne.
16.2. La dialectique et la notion de "ruse de l'histoire"
La dialectique avait été inventée par Platon comme une méthode de discussion des opinions permettant d'éliminer l'une après l'autre les erreurs contenues dans celles-ci, et de dégager ainsi progressivement ce qu'il peut y avoir de vrai dans une opinion pour ne conserver que cela, une pépite de vérité pure, pour ainsi dire, dégagée de sa gangue d'erreur. Kant avait repris cette notion, mais en lui donnant un sens et une utilisation plus rigoureux, et en lui faisant désigner des systèmes de contradictions, les "antinomies" de la raison. La contradiction montre pour Kant que le problème est mal posé et qu'il faut le reprendre sous un autre angle, celui de la raison pratique. Hegel à son tour a repris cette notion de Kant, en lui adjoignant cette idée que la contradiction doit être "dépassée" et qu'une synthèse doit succéder à l'opposition des thèses et antithèses. Ce rythme ternaire a fait la joie de nombreux candidats au baccalauréat français et induit dans ce pays l'idée que la philosophie consistait même dans la culture des contradictions et leur "dépassement" par la synthèse. Pour rendre la synthèse plus plausible, lorsque vraiment l'opposition entre le premier et le deuxième temps de la dialectique semblait irréductible, Hegel a inventé l'idée que, en fait, sous la contradiction apparente et première, se cachait une intention délibérée de l'esprit qui, comme Dieu nous imposant des épreuves pour nous contraindre à Lui montrer notre amour et notre soumission, tendait en quelque sorte un piège à l'histoire, qui risquait de s'égarer dans l'un des deux mouvements, c'est-à-dire dans l'erreur, puisque dans la contradiction. Le génie consiste alors à reconnaître cette intention cachée et à conduire l'histoire dans la bonne voie, celle de la synthèse ultime voulue par l'esprit.
Si je développe aussi longuement - mais le plus brièvement et simplement que je puis - ces schémas de pensée hégéliens auxquels on aura compris que je suis loin d'adhérer, c'est qu'ils ont fourni le moule de toute une tradition dans la philosophie occidentale moderne et contemporaine qui n'en est qu'un dévoiement idéologique. Pour résumer, les principaux legs de l'hégélianisme me semblent être :
L'habitude, considérée comme normale, de substituer le concept d'une chose à cette chose même, de réduire la chose à son concept ;
La croyance dans un destin autonome du concept : destin parce qu'il s'agit d'une histoire écrite d'avance ; autonome, parce que cette histoire aurait ses lois propres tirées de la nature du concept ; du concept enfin, qui, rappelons-le, a pris la place des choses ;
La religion de la cohérence ; la cohérence n'est pas seulement prise comme un indicateur d'absence visible de contradiction logique, ce qui conduirait tout au plus à une présomption de vérité possible, mais comme un preuve évidente de réalité nécessaire ;
Le goût de la complexité et de la longueur des phrases, signes présumés de complétude de la pensée, et de l'ambiguïté, de l'ambivalence, de la confusion des mots, signes présumés de la subtilité de la pensée.
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17.1. Le matérialisme dialectique
Marx et Engels sont les premiers à avoir critiqué sévèrement leur maître Hegel. Ils ont appelé "matérialiste" leur conception, en l'opposant à la place que Hegel accordait à l'esprit dans sa conception de l'histoire. Ils ont critiqué justement l'illusion de l'autonomie de la conscience fondée sur la division du travail entre travail matériel et travail intellectuel ("A partir de ce moment, la conscience peut vraiment s'imaginer qu'elle est autre chose que la conscience de la pratique existante, qu'elle représente réellement quelque chose sans représenter quelque chose de réel" - Idéologie allemande, Editions sociales, Paris, 1968, p. 45)
Mais ils restent fondamentalement des élèves de Hegel. Les deux principales "dérives hégéliennes" qui me semblent parcourir leur œuvre sont :
17.1.1. / La fréquente réduction des réalités à leurs concepts, comme, par exemple, l'Etat conçu comme une "forme" revêtue par la lutte des classes et non également comme un corps social en lui-même, ou bien le travail, qui n'est pour eux qu'un attribut abstrait de l'humanité;
17.1.2. / l'idée qu'une logique dialectique conduit l'histoire ; celle-ci n'est qu'une logomachie dans laquelle les classes sociales et les individus sont avant tout les représentants de concepts élaborés par les penseurs du socialisme "scientifique". On retrouve la subordination du réel à la pensée, à "ma" pensée, caractéristique, de Descartes à Berkeley, de Bergson à Husserl, d'une vision commune à une majorité de penseurs occidentaux, et que je ne sais comment désigner autrement que par une forme de subjectivisme ou d'idéalisme.
Pourtant, plusieurs vérités importantes ont été formulées par eux en premier, ou en tout cas mieux que par quiconque. Par exemple :
Les institutions, la politique, la guerre, sont des moyens employés consciemment ou non par les classes sociales pour défendre leur existence et leur position sociale (sources chez Machiavel et Vico)
Le capital est une accumulation de plus-value produite par le travail
La causalité dans l'univers physique et dans les sociétés n'est pas linéaire, mais réticulaire. La notion de conditions multiples est substituée à celle de cause unique (idée surtout propre à Engels, me semble-t-il).
17.2. Le travail salarié est aliéné
Là non plus, il ne s'agit pas d'une découverte marxiste, mais Marx et Engels ont mieux formulé que d'autres ce fait. Mais deux interprétations en subsistent et je pense utile de revenir sur leurs différences.
Une première approche est essentiellement économique. Le salarié vend son travail, celui-ci est donc "aliéné". Il reste à savoir ce que le salarié reçoit en échange : un salaire, valeur qui permet la reconstitution de la force de travail, la valeur de remplacement constituant le "prix naturel" du temps de travail, dans la perspective économique classique inspirée de Smith. Il y a donc une plus-value, différence entre la richesse produite pendant le temps de travail et le salaire comme moyen de reproduction de la force de travail. L'aliénation, dans l'interprétation économique, consiste dans l'appropriation, par le capitaliste, de la plus-value. L'essentiel du marxisme politique a consisté et consiste dans des tentatives de réappropriation de la plus-value par le prolétariat, cette réappropriation s'opérant politiquement par la conquète du pouvoir, et donc de la capacité de décider de l'usage de la plus-value, c'est-à-dire des investissements.
La seconde approche est plus philosophique. Le salarié vend son travail, c'est-à-dire sa liberté pendant le temps de travail. Pendant ce travail, il est aliéné car son activité ne dépend pas de lui mais de l'employeur. C'est ce qui est sanctionné par le code du travail sous l'expression de subordination du salarié à l'employeur. La vente du travail n'est pas la vente du produit du travail. On serait alors dans le cas de l'artisanat ou du travail à façon. Le salarié ne vend pas seulement la marchandise ou le service produits et ne se dessaisit pas seulement de la plus-value, il se dessaisit aussi de sa liberté d'initiative, de son intelligence adaptatrice, de ses capacités créatrices, de ses désirs vagabonds, parfois même d'une partie de sa dignité. Cette interprétation donne évidemment un sens beaucoup plus profond et plus large au désir de "révolution" suscité par l'aliénation du travail, et il est frappant de constater que cette seconde approche, qui est historiquement la première - beaucoup plus lisible dans le "jeune Marx" - a été presque abandonnée par les disciples, sinon pour en retrouver quelques traces ici ou là, comme par exemple dans la formule de Mai 68 "perdre sa vie à la gagner".
En fait, tout un pan de la signification de l'aliénation du travail a été perdu de vue ou occulté. Le lien de subordination du salarié induit non seulement ce qu'on a appelé l'"exploitation capitaliste", mais encore l'appropriation de la pensée par le capitalisme. Le système de la division du travail, valorisé par Smith comme la cause principale de l'accroissement des richesses induit une division de la pensée. Le travailleur salarié n'a pas à penser son propre travail, mais à exécuter ce que d'autres ont pensé pour lui. Ainsi, l'organisation capitaliste du travail suppose que la pensée technicienne et scientifique soit aussi une pensée hiérarchique, permettant l'organisation du travail des uns par d'autres. La division du travail en travail manuel, caractérisé par le contact immédiat et corporel du travailleur avec l'objet du travail, et travail intellectuel, caractérisé par la médiation conceptuelle et symbolique avec l'objet, suppose que ce dernier utilise le premier comme support de cette médiation. Le travail intellectuel domine le travail manuel, par définition.
Cet aspect des choses et ses conséquences épistémologiques n'ont pas été compris ni explorés par Marx et Engels.
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18.1. Ma liberté commence avec celle des autres
Le maître est captif comme l'esclave (critique de Hegel). Il ne faut pas imaginer le geôlier ou le maître heureux à côté de l'esclave ou du prisonnier malheureux. Asseoir et conserver leur domination leur coûte leur propre liberté. Ils sont esclaves de leur volonté de pouvoir et des contraintes que celle-ci leur impose.
18.2. L'Etat n'est pas qu'une idée
L'Etat n'est pas le simple reflet ou instrument de la domination des classes dirigeantes, mais possède sa propre organicité, sa propre dynamique et entropie. C'est ce que l'histoire des révolutions confirme.
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19.1. La morale est un mensonge dont il faut retracer la généalogie
Les hommes sont poussés par des forces qu'ils ignorent et qui n'ont pas forcément grand chose à voir avec les intentions qu'ils formulent ; version laïque et approfondie de "l'enfer est pavé de bonnes intentions". On peut aussi voir dans cette "découverte" (Nietszche n'est peut-être pas vraiment le premier à avoir exploré ce terrain) le prolongement de la critique de l'évidence cartésienne. Celle-ci procède en effet d'une sorte de transparence supposée de la conscience à elle-même, transparence qui est aussi supposée par ceux qui ignorent que plusieurs sujets sont en eux. C'est à Nietszche que nous devons d'avoir organisé la lutte contre cette ignorance-là.
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20.1. L'homme et la Terre
Une véritable vision matérialiste de la condition humaine, non pas fondée, comme chez Marx, sur un renversement dialectique d'un système idéaliste, ni sur un présupposé mécaniste, mais sur les liens de "l'homme et de la Terre".
20.2. Le progrès
Un optimisme historique fondé non sur un providentialisme idéologique, mais sur l'idée que la nature humaine n'est déterminée que par les conditions de son existence.
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21.1. Les faits de conscience sont des résultantes de forces et de processus biologiques inconscients qui les surdéterminent.
21.2. Le rêve fournit un modèle d'interprétation des pensées
Le rêve est l'archétype de la représentation. C'est un agencement surdéterminé de réminiscences empruntées ici et transplantées là et contraint par des désirs et des forces biologiques inconscients. C'est une forme d'interprétation de ces réminiscences et des perceptions nocturnes latentes. Il est vraisemblable que notre fonctionnnement représentatif conscient, y compris "cognitif", n'en est pas très éloigné.
21.3. Je suis plusieurs
Non, bien sûr, l'homme n'est pas naturellement schizophrène. Mais on doit s'habituer à ce que la notion de sujet, en tant qu'auteur de mes pensées et de mes actes, correspond à plusieurs instances relativement autonomes. Ce fait est particulièrement difficile à admettre et sa méconnaissance est persistante et fausse bon nombre de réflexions dont le coeur est l'identification du sujet au Moi. En fait, la notion de sujet, en morale et en épistémologie, ne doit pas être prise dans un sens psychologique. Elle ne fait que désigner l'un des termes des relations cognitives ou volitives que ces disciplines étudient. La psychanalyse nous a appris que ce rôle pouvait être endossé par plusieurs types de réalités psychiques.
21.4.Tout discours est polysémique
21.5. Il y a un lien entre l'apparition du monothéisme et celui de la conscience individuelle
La conscience individuelle n'est pas une donnée première de l'humanité. Le monothéisme a facilité le passage à l'idée de légalité universelle et, comme corollaire de celle-ci, de conscience individuelle, sujet de la connaissance et de l'interprétation de la loi, voire sujet de sa construction.
21.6. L'importance accordée aux choses est caractéristique du stade anal de l'organisation de la libido.
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22.1. Nous ne pensons que des tableaux
Les "objets" que nous décrivons dans nos théories, nos représentations, ne sont pas les objets "eux-mêmes", mais des tableaux, des modèles que nous nous en faisons. Les Sceptiques auraient peut-être parlé de "simulacres".
22.2. Un tableau ne peut pas prouver un autre tableau (cf. Sextus Empiricus)
Je crois que c'est une conséquence du point ci-dessus, mais jen'en suis pas sûr.
22.3. On dit ce qu'on ne dit pas, on ne dit pas ce qu'on dit
Par conséquent, méfiance ...
A la radio, un invité vient d'annoncer qu'il allait nous faire entendre les Jeux d'enfants de Robert Schumann, interprétés par Vladimir Horowitz. "Pourquoi Horowitz", demande-t-il ? "Parce que je crois qu'il y a entre l'oeuvre et l'interprétation qu'en donne Horowitz une harmonie particulière". En disant cela, il dit qu'il ne sait pas très bien pourquoi il a choisi cette interprétation plutôt qu'une autre. Mais il aurait pu ne rien dire, puisque, en fait, il ne nous dit rien. Mais il a éprouvé le besoin de poser la question et de feindre d'y répondre. L'intéressant aurait été précisément de savoir ce que cette "harmonie" entre Schumann et Horowitz a de particulier. Mais c'est justement ce qu'il ne dit pas. Pourquoi, aussi, employer ce terme d'harmonie ? Il aurait pu trouver l'interprétation juste, expressive, intéressante, émouvante, exacte, que sais-je encore ? Chacun de ces termes aurait suggéré un type particulier de correspondance entre le texte musical et son jeu. Que nous apprend le fait d'appeler cette correspondance "harmonie particulière" ? Harmonie parce qu'il s'agit de musique ? Ce serait grossier et -plus grave - vecteur de confusion. Alors harmonie parce que c'est une sorte de poésie, de résonance cosmique ? Ou bien est-ce que, comme je le crois, on veut seulement dire par là un je-ne-sais-quoi ? L'invité de l'émission ne nous dit donc rien sur les raisons du choix de l'interprétation, mais ce n'est pas qu'il ne veuille rien en dire, puisqu'il ne se tait pas.
Ce que l'on ne peut dire, il faut le
taire. Lui ne le dit pas, mais il l'indique. Et il n'a peut-être
pas tort, il faut bien - et en tout cas, ce n'est pas nuisible - en
indiquer la présence.
Les phrases de ce type sont assez
horripilantes lorsqu'elles veulent donner l'impression d'apporter une
réponse. Elles sont intéressantes si elles suscitent
des questions.
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23.1. La réalité sociale est différente (pas indépendante) des individus qui la composent (Sources dans Vico et Marx) et différente de la société instituée.
23.2. Le Moi est un produit social
Il y a une interprétation simple et limitée de cette maxime, qui voudrait alors dire que l'individu est influencé par des déterminations sociales, déterminations que son psychisme intègre de façon plus ou moins efficace et autonome, mais bien comme des éléments externes, ce qui suppose bien sûr une existence propre du Moi. Mais il y a aussi une interprétation plus riche et plus profonde, selon laquelle c'est le Moi lui-même qui doit être considéré comme un Nous (non pas le nous grec, esprit, mais nous, première personne du pluriel). C'est l'identité même du sujet qui est collective et socialement déterminée et non pas seulement ses comportements ou certaines de ses manifestations.
Cette conception sape les fondements de la plupart des philosophies des XVII ème et XVIII ème siècles, qui reposent sur l'idée que le sujet individuel est le siège réel et indéniable de la perception, de la connaissance, des affects, des sentiments, des jugements, aussi bien théoriques que pratiques, etc. D'entrée, la conscience individuelle est soupçonnée d'exprimer, non pas les pensées du sujet, qu'il soit empirique, transcendantal ou rationnel, mais les règles de fonctionnement d'un groupe. Voilà le doute que la perspective introduite par Durkheim oblige à concevoir. On retrouve l'animal politique signalé par Aristote, dans le sens, fondamental, où l'animal humain n'est pas un individu formant des groupes, mais un groupe produisant des manifestations organiques individuelles.
On comprendra mieux le renversement de perspective que comporte cette vision en se rappelant la manière dont les philosophies de la conscience individuelle concevaient les phénomènes collectifs, grâce à l'idée humienne de sympathie. Non seulement la sympathie induit le sentiment d'affects éprouvés par autrui, mais aussi d'affects non éprouvés par celui-ci, mais qu'il devrait éprouver. Celui qui souffre et reste impassible, le condamné à mort qui ne bronche pas, l'impudique qui ne rougit pas provoquent plus de souffrance, de compassion, d'angoisse et de rougeur que ceux qui les manifestent eux-mêmes. Buster Keaton faisait rire parce qu'il restait triste et impassible dans des situations burlesques. Ces expériences sont fréquentes, dans un groupe, où tout se passe comme si une émotion ou une idée devait être exprimée à un certain degré, peu importe par quel membre du groupe. L'individu ou les individus ne sont alors que des vecteurs de cette expression sociale et non de leur propre psychisme. Ou plutôt celui-ci se réduit à être un organe du groupe, qui est lui le véritable sujet.
Il me semble que rares sont les penseurs qui assument effectivement le doute résultant inévitablement de ces constats, la plupart d'entre eux restaurant la confiance dans la conscience au travers de quelque généralisation méthodologique qui reconstitue un sujet supposé pur.
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24.1. Un énoncé peut contenir plusieurs propositions, les unes vraies les autres fausses
C'est une vision plus technique et plus profonde de l'analyse des difficultés préconisée par Descartes. La démarche de la philosophie à l'égard des discours doit être avant tout analytique.
24.2. Une proposition peut être vraie et ne pas être pensée
La vérité ou la fausseté sont des propriétés non des pensées mais des propositions. Le fait de penser ou non une proposition ne joue aucun rôle sur le fait qu'elle soit vraie ou non.
24.3. Le Moi est une construction logiquement fictive
C'est la classe des événements décrits par des phrases dont "je" est le sujet.
24.4. L'Univers comporte toujours un ordre.
L'étonnant n'est pas qu'il y ait de l'ordre dans l'Univers, mais que cet ordre soit si simple.
24.5. L'objet des sciences n'est pas de reconstituer une chaîne causale, mais de déterminer des relations constantes (dans un intervalle d'expérience donné)
Cette profonde remarque de Russell semble en contradiction avec l'exigence de Vico de "per causas scire", c'est-à-dire que la connaissance d'un objet réside dans la connaissance de ses causes, entendons par là, des conditions de sa production (cf. 13.4. Vico sur la causalité). D'une façon générale, cette position de Russell a contribué à l'éloigner des philosophies opérationnalistes et pragmatistes. En fait, ce qu'il critique, c'est l'idée que la finalité de la recherche scientifique soit la reconstitution d'un enchaînement, plus ou moins linéaire, de causes et d'effets particuliers. Mais la causalité conçue comme un ensemble de conditions générales de production d'un certain type d'événements, c'est précisément ce que s'efforcent d'analyser et de formuler les lois scientifiques telles que Russell les conçoit. Par contre, une réelle opposition existe entre la conception de cette légalité scientifique et la simple reconstitution de facto d'un enchaînement. La légalité rationnelle entraîne en effet la transférabilité de l'explication scientifique, qu'exclut au contraire le simple critère pragmatiste de la réussite.
24.6. Réalité des relations
Russell est le philosophe qui aide le mieux à se dégager d'une métaphysique chosiste qui est celle que nous adoptons naturellement en occident. A ce propos, je voudrais insister ici sur les points suivants :
D'autres métaphysiques non chosistes existent bien avant Russell, elles sont néanmoins substantialistes et s'inspirent d'un modèle commun que je chercherai à expliciter ;
La notion de relation ne suppose pas et n'élimine pas non plus celle de chose ;
L'affirmation que les relations sont réelles n'est pas contradictoire avec un certain matérialisme ;
Le problème des universaux n'est toujours pas résolu.
Glasgow est au nord de Londres. La relation "au nord de" existe quoi que soient Londres, Glasgow et tous les points qui sont situés au nord d'autre chose. Russell en fait donc l'exemple d'universaux qui existent indépendamment de leurs exemplaires. Je ne suis pas certain qu'il ait raison sur ce point et que le problème de l'existence des universaux se pose pour les relations en d'autres termes que pour d'autres objets. Quoi qu'il en soit, la réalité de la relation est établie comme une donnée du monde indépendante des termes mis en relation. Elle ne réside ni dans Londres, ni dans Glasgow, mais bien dans la relation elle-même. La réalité se vérifie par le fait que si l'on part de Londres et qu'on se dirige vers le Sud, on ne rencontrera pas Glasgow (à moins, bien sûr, de faire un tour complet de la planète ...).
Les relations sont des réalités omniprésentes dans le monde et pourtant ignorées de la plupart des penseurs, comme secondaires et n'étant considérées que comme des accidents ou des modes des objets en relation, seules substances véritables. Pourtant, l'essentiel des descriptions possibles de ces supposées substances consiste justement dans des relations qu'elles ont entre elles, ou que les éléments en lesquels on les décompose ont entre eux.. Russell est le philosophe qui a réintroduit la relation dans la métaphysique.
Des métaphysiques non chosistes, mais qui n'introduisent pas la notion de relation sont évidemment possibles. Le spiritualisme est l'une d'elles. L'esprit est, si j'ose dire, la "matière" du monde ( les anglais diraient peut-être stuff). Schopenhauer a proposé, il me semble, une alternative plus profonde en suggérant que le monde soit dans son essence une volonté. Le vouloir-être est. Ces systèmes interprètent nos expériences en termes différents, mais leurs interprétations concernent le même secteur du réel. Russell, avec les relations, réintègre, lui, un secteur de l'expérience qui avait été étrangement ignoré dans la pensée occidentale.
Ces interprétations métaphysiques ont donc en commun de limiter leur champ d'application aux objets en excluant les relations. Elles ont en outre en commun de vouloir concevoir ces objets sur le modèle de la substance, c'est-à-dire de ce qui existe par soi seul. Elles diffèrent sur ce qu'est cette substance. Il resterait à retrouver l'origine de cette démarche et de cette conception substantialiste, à en retracer la généalogie. Une autre caractéristique, qui constitue un indice, c'est le fait que la notion même de substance, modèle sur lequel nos penseurs veulent interpréter le réel, suppose l'unité de l'objet. Le ramener à une substance, c'est trouver un concept par lequel s'appréhende une situation, de laquelle s'évapore alors la multiplicité. Penser le réel en termes de relation suppose au contraire que l'on garde à l'esprit plusieurs objets simultanés qui soient les termes de la ou des relations.
Ces objets, termes de la relation, peuvent, à leur tour, être des choses, et nos substantialistes éprouver alors le repos de l'unité retrouvée. Il peut aussi s'agir d'autres relations. Une ville comme Londres ou Glasgow est-elle une chose ? Si on considère qu'il s'agit d'un ensemble de bâtiments, ces bâtiments peuvent être dits des choses, mais la ville n'est-elle pas constituée d'abord par le fait que ces bâtiments sont ensemble, selon une certaine disposition, entretenant entre eux certaines fonctions, etc. ? Elles se résoudraient alors plutôt en un ensemble de relations. Les bâtiments eux-mêmes sont des briques, etc. Nous ne parlerons pas du cas des habitants, car ceci nous entraînerait trop loin ! On voit seulement que la métaphysique de la relation n'exclut et n'implique pas non plus celle de la substance.
Les substantialistes argumenteront peut-être qu'in fine, il "faut" que la relation soit entre des choses, ou des substances. Mais d'où procède cette prétendue nécessité, sinon de l'angoisse incompréhensible qui, au départ, nous a fait ignorer les relations et ne voir dans le monde que les choses ?
Russell a reçu, en retour de cette position réaliste sur les relations et les universaux, un accueil défavorable parmi un public qui lui aurait été autrement plutôt acquis au titre d'un certain empirisme et refus de la métaphysique. Cette querelle est entachée de confusion. D'abord, le refus d'aller au-delà de ce qu'enseigne l'expérience n'interdit nullement la métaphysique, si l'on entend par là l'étude de ce en quoi consiste le réel. Ensuite, l'existence des universaux serait un signe de platonisme, et donc un péché mortel pour certains. Le péché serait de dire que ces universaux sont éternels et non déterminés par leurs exemplaires et les circonstances de leurs occurrences. La relation "au nord de" n'a de sens, bien sûr, que sur Terre, et pourrait évoluer si, par exemple, il advenait que celle-ci s'aplatisse et que le magnétisme des pôles ne soit plus ce qu'il est. Néanmoins, dans ce contexte, elle existe et ne dépend pas du fait que Londres soit au sud de Glasgow et elle existait avant que ces villes soient construites et leur survivra évidemment. Universel ne veut pas dire éternel, mais valable dans la totalité d'un univers, l'essentiel étant évidemment de définir celui-ci de façon convenable par rapport à l'expérience.
La relation est-elle une idée et la réalité des relations est-elle une forme d'idéalisme ? Evidemment non. Aller de Londres à Glasgow suppose autre chose que l'idée de le faire. Les relations auxquelles il est fait référence dans les rares textes philosophiques qui en parlent sont souvent des relations mathématiques ou logiques, car elles posent des problèmes particulièrement intéressants. Néanmoins, l'essentiel des relations dont nous avons l'expérience sont des relations matérielles comme de localisation, de composition chimique, de résistance relative, de dimension, de fréquence, etc. Piaget et son école ont montré que les relations logiques comme "et", "ou", "sans", "avec", etc. étaient expérimentées dans des opérations matérielles. J'utilise ici le mot "matériel" pour signifier que ces relations sont connues pour nous au travers d'opérations qui ne sont pas seulement mentales, mais impliquent l'intervention du corps dans leur réalisation. Les relations ne se résument pas à des idées.
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25.1. Le sens d'une philosophie n'est pas seulement ce qu'elle affirme positivement, mais aussi ce qu'elle nie, ce à quoi elle s'oppose.
La pensée procède par différenciation et opposition. Cela provient peut-être en partie de l'expérience de l'erreur comme moteur du progrès de la connaissance.
La formulation positive prend parfois tellement de place qu'elle en vient presque à masquer ce à quoi la thèse proposée s'oppose. Cette visée polémique est même parfois inconsciente. Dans la généalogie de la doctrine, pourtant, cette visée est aussi essentielle. Le sens d'une phrase n'est pas seulement dans le fait auquel elle est censée correspondre, mais aussi dans l'intention du locuteur. Comprendre à quoi celui-ci s'oppose est donc essentiel, et ce n'est pas toujours une donnée de surface du texte, il faut souvent "gratter" pour le découvrir.
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26.1. L'organisme ne naît pas avec un Moi
L'organisme se différencie progressivement de son entourage physique et mental, de sa mère, de sa famille, des objets qui l'entourent. Je pense qu'il en est de même par rapport au groupe, et de l'apparition de la personne dans l'histoire de l'humanité, constituée peu à peu par différenciation dans la horde, dans la société qui, par la division du travail et en se dotant de lois, a peu à peu créé les conditions de la différenciation des individus et permis l'avénement de la personne.
26.2. Le sujet connaissant se constitue par les interactions avec son milieu.
La psychologie piagétienne a montré que le Moi n'est pas une donnée mais une lente construction dialectique. Si l'on se souvient en outre que, comme Descartes l'a suggéré, et comme la physiologie moderne, mutatis mutandis, continue de le suggérer, l'âme est dans le corps comme une araignée au centre de sa toile, que le Moi est une illusion servile et coupable, comme Nietzsche nous l'a montré, que le Moi n'est qu'une instance de tension et de régulation entre le Ca et le Surmoi, comme Freud nous l'a appris, qu'il n'est logiquement qu'une collection d'événements et non une entité, comme Russell l'a établi, on se prendra d'un intense besoin de vérification de tous les jugements, représentations, conceptions, sentiments et raisonnements émanant de cette instance. Il ne s'agira non pas d'un rejet de ces contenus mentaux, mais d'une exigence de les considérer systématiquement sous d'autres aspects que ceux sous lesquels ils se présentent. Ils sont, par définition, porteurs de messages qui ne viennent pas de leur auteur "officiel".
Certains penseurs, plus ou moins sous l'influence du structuralisme, et sur la foi de constats similaires à ceux qui viennent d'être évoqués, ont annoncé la mort de l'homme, après celle de Dieu. Cette nouvelle, en dehors de son caractère messianique et théâtral, est fausse ! En effet, il eût fallu, pour qu'elle ait même un sens réel, que ce dont elle comportait la mort existât. Or, s'il s'agit bien d'un sujet qui soit le siège et le fondateur de jugements éclairés par une critique méthodique et contrôlable, cette chose n'existait pas, sinon comme une illusion. Par contre, cette illusion-là a peut-être un avenir, dans le sens programmatique d'un projet philosophique légué par Anaximène et relancé par les philosophes des Lumières. Ainsi, présentée comme un constat historique, la mort de l'homme s'apparente à l'enfoncement d'une porte ouverte. Comme prétention à annoncer une ère nouvelle (post-moderne, c'est ça ?), il s'agit plutôt d'une fermeture et d'un renoncement.
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27.1. Je me révolte, donc nous sommes
Trois commentaires :
La révolte n'est pas la hargne, mais un déchirement de la conscience entre l'être et le devoir-être, la conscience même que le monde n'est pas ce qu'il devrait, qu'il n'est ni juste, ni cohérent, ni bienheureux. Ce n'est pas le rejet de ce monde, car il comporte de la justice, de la cohérence et du bonheur. La révolte est la tension de la conscience en un effort pour accroître, souvent désespérément, la part de justice, de cohérence, de bonheur dans le monde.
Nous, l'humanité. L'humanité comporte cette part essentielle de révolte, c'est-à-dire qu'elle introduit dans le monde la valeur, ce qui n'est pas et est néanmoins désirable. Sans nous, le monde ne serait ni bon ni mauvais. Les Stoïciens et Spinoza l'ont dit et ont affirmé que le bien et le mal résidaient dans nos jugements et non dans le réel. Juger, c'est se révolter. C'est ce qu'affirment le catholicisme et la plupart des religions, pour le condamner.
Je, donc nous. Reprenant et étendant la portée de la maxime de Bakounine ("Ma liberté, c'est celle des autres"), Camus établit la solidarité conceptuelle entre l'individu et le genre humain. La notion d'un égoïsme individuel fondamental, chère aux penseurs libéraux et aux autoritaires, est rejetée au nom du fait que c'est par les gestes mêmes qui expriment l'individu que celui-ci s'affirme comme humain, donc comme générique. L'individualisme, en s'affirmant, pose la solidarité et non l'égoïsme.
27.2. Il faut imaginer Sisyphe heureux
La révolte n'est pas la hargne, et l'absurde n'est pas le bagne. Sisyphe, dans sa tâche décourageante, réalise ce qu'il a de plus cher, ce au nom de quoi il est prêt à vivre. C'est pourquoi il est heureux. Le déchirement n'est pas un malheur, car c'est ce qui lui permet d'exister comme homme.
1. Lao-tzeu
1.1. Le vrai a le son du faux
1.2. Viser à une fin, c’est être impropre à gagner l’univers
2.1.Le réel n'est pas nécessairement ce que l'on perçoit. Il s'analyse par des changements que nous opérons en lui. Ce ne sont pas les sens, mais les opérations que nous effectuons, qui nous informent de la réalité.
3. Démocrite
3.1.L'atomisme intégral
3.2. Les choses n'ont pas de couleur
4. Socrate
4.3. Distinction entre ce qui est vrai et pourquoi c'est vrai.
5. Platon
5.1. La vérité doit être stable
6. Aristote
6.1. D'abord que l'homme est un animal.
6.2. Et parmi les animaux, que nous ne sommes pas un animal solitaire, mais vivant en groupe.
7. Epicure
7.1. L'atomisme.
7.2. L'indifférence aux dieux, l'indifférence des dieux
7.3. Plaisirs et besoins
8. Epictète
8.1. "Il n'y a rien qui véritablement m'appartienne que la libre disposition de mes volontés",
9.1. Nous ne percevons que les simulacres des choses et non les choses elles-mêmes.
9.2. Une opinion ne peut pas prouver une autre opinion (ni l'infirmer)
9.3. Il faut accepter de ne pas conclure
10.1. Non sunt entia multiplicandi praeter necessitatem
11. Descartes
11.1. Analyser une difficulté en autant de questions simples qu'il est possible
11.2. La régle de l'évidence
12. Leibniz
12.1. Il faut admettre l'existence d'un nombre immense de substances
13. Vico
13.1. La pensée ne peut pas prouver la pensée
13.2. La certitude est un sentiment de la conscience
13.3. Le vrai est le fait
13.4. La connaissance d'une chose est la connaissance de ses causes
14. Hume
14.1. L'expérience ne dépasse pas l'expérience
14.2. Définir ce dont on parle avant d'en parler.
15. Kant
14.1. La raison pose des questions à la nature
15.2. Le sujet et l'objet sont dans une relation de mutuelle configuration
16. Hegel
16.1. Le réel comme développement d'une pensée
16.2. La dialectique et la notion de "ruse de l'histoire"
17. Marx et Engels
17.1. Le matérialisme dialectique
17.2. Le travail salarié est aliéné
18. Bakounine
18.1. Ma liberté commence avec celle des autres
18.2. L'Etat n'est pas qu'une idée
19. Nietszche
19.1. La morale est un mensonge dont il faut retracer la généalogie
20. Reclus
20.1. L'homme et la Terre
20.2. Le progrès
21. Freud
21.1. Les faits de conscience sont des résultantes de forces et de processus biologiques inconscients qui les surdéterminent.
21.2. Le rêve fournit un modèle d'interprétation des pensées
21.3. Je suis plusieurs
21.4.Tout discours est polysémique
21.5. Il y a un lien entre l'apparition du monothéisme et celui de la conscience individuelle
21.6. L'importance accordée aux choses est caractéristique du stade anal de l'organisation de la libido.
22.1. Nous ne pensons que des tableaux
22.2. Un tableau ne peut pas prouver un autre tableau (cf. Sextus Empiricus)
22.3. On dit ce qu'on ne dit pas, on ne dit pas ce qu'on dit
23. Durkheim
23.1. La réalité sociale est différente (pas indépendante) des individus qui la composent (Sources dans Vico et Marx) et différente de la société instituée.
23.2. Le Moi est un produit social
24. Russell
24.1. Un énoncé peut contenir plusieurs propositions, les unes vraies les autres fausses
24.2. Une proposition peut être vraie et ne pas être pensée
24.3. Le Moi est une construction logiquement fictive
24.4. L'Univers comporte toujours un ordre.
24.5. L'objet des sciences n'est pas de reconstituer une chaîne causale, mais de déterminer des relations constantes (dans un intervalle d'expérience donné)
24.6. Réalité des relations
25. Bachelard
25.1. Le sens d'une philosophie n'est pas seulement ce qu'elle affirme positivement, mais aussi ce qu'elle nie, ce à quoi elle s'oppose.
26. Piaget
26.1. L'organisme ne naît pas avec un Moi
26.2. Le sujet connaissant se constitue par les interactions avec son milieu.
27. Camus
27.1. Je me révolte, donc nous sommes
27.2. Il faut imaginer Sisyphe heureux