Cinéma
ou l’art de l’éphémère et de
l’intangible.
L’intangible,
ce fut ma première expérience du cinéma. Je
n’avais pas encore six ans lorsqu’on m’emmena dans
la plus grande salle de cinéma d’Odessa (et oui !
La ville, pas la rue). L’écran me paraissait immense,
malgré l’éloignement dans la salle. C’était
la projection d’« Autant en emporte le vent ».
Comment
une petite fille pouvait tenir 4 heures à regarder un film
pour adultes, la réponse est simple : à l’époque
soviétique, dans les années soixante déjà,
les films longs été projetés en deux parties que
l’on pouvait visionner sur deux jours.
J’étais
émerveillée, fascinée, que dire ? Les robes
chatoyantes et magnifiques de Scarlett tournoyaient devant mes yeux
ébahis. Je ne saisissais rien de ce « miracle »,
je voulais comprendre, m’assurer qu’il ne s’agissait
pas d’un rêve, qu’ils étaient bien là,
vivants sur cette scène lointaine. On m’avait assurément
déjà emmené au théâtre ; puis
à l’Opéra d’Odessa, où j’ai eu
la chance de voir, à ce jeune âge, la plupart des
ballets classiques russes.
Alors,
j’ai traversé toute la salle dans la pénombre, et
j’ai touché … l’écran.
Ce
sont les enfants qui nous rappellent souvent le caractère
intangible de ces « rêves » projetés
sur une toile blanche. Ils sont spontanément attirés
par cette toile immaculée et inerte qui laisse place à
tout l’univers magique qu’ils ont vu défiler
devant leurs yeux. Sans se poser de question jusqu’à ce
que la lumière s’allume. Puis, les moins crédules
ou les plus curieux vont TOUCHER.
Combien
ont vécu cette expérience hautement initiatique ?
Il
existe des images qui se présentent à nos yeux que l’on
ne peut toucher et qui pourtant nous touchent.
Images
et histoires s’animent à l’infini depuis que
l’homme a su projeter ses rêves artificiels sur une
simple toile blanche. Des rêves à la carte et au goût
de chacun : bluettes, sexe et passions, cauchemars et chimères
fantastiques, odyssées incroyables … Tout ce que
l’esprit humain a su exprimer par l’écriture,
l’image, l’objet, s’anime depuis plus d’un
siècle déjà devant nos yeux sur écrans
pour le grand bonheur des « addicts » du grand
sommeil. Sommes-nous encore conscients de ce « prodige » lorsque
nous revenons à nous même après chaque « petite
mort » lorsque la lumière envahit à nouveau
la salle noire ?
Ces
rêves accessibles à tout moment, que l’on peut
partager de surcroît, sont crées par des consciences oh
combien plus imaginatives et talentueuses que nos pauvres
inconscients incontrôlables qui nous font passer plus de
mauvaises nuits (avouons-le) que de délicieux moments où
l’on s’éveille le sourire aux lèvres.
Serait-ce notre impuissance devant ce flot d’images nocturnes
qui nous pousse vers d’autres écrans ? Le besoin
d’exorciser nos cauchemars et nos frayeurs ? Simple
distraction ou parenthèse salutaire à l’existence ?
Accessibles
à tout moment, elles n’en sont pas moins éphémères.
Elles s’estompent de notre mémoire au même titre
qu’un rêve ou une photo égarée. |