TRAVAIL, MODE D'EMPLOI.

Travail et emploi ont habituellement donnés comme synonymes : "j'ai trouvé un travail "= "j'ai trouvé un emploi".

Cependant, lorsqu'on interroge l'imagerie populaire, très souvent sollicitée par les humoristes dont c'est le fonds de commerce on peut pointer au moins un champ dans lequel ces deux termes sont dissociés. C'est bien sûr dans le service public, et plus précisément dans la fonction publique que sont puisées les grosses ficelles des blagues les plus faciles et les plus lourdes. Cela va de la cocotte en papier de l'employé de bureau jusqu à la pelle du cantonnier de la DDE qui sert exclusivement à soutenir son menton, en passant par les secrétaires des administrations dont le manucure est l'activité principale.

La vogue des talk-shows qui a transformé la bande FM en Café du Commerce Universel révèle chaque jour davantage la profonde animosité qui règne envers " ces nantis inutiles qui ne font

rien d'autre que gaspiller les impôts injustement prélevés sur les vrais travailleurs qui font 100 heures par semaine et ne bénéficient d'aucune garantie pour leur emploi" (fin de citation), Les groupes de paroles organisés où des experts autoproclamés en toutes choses, genre les Grandes Gueules de RMC, jouent les caisses de résonance populistes et les libéraux de tout acabit ne sont pas en reste. Parmi ces derniers les politiciens se distinguent en promettant toujours moins d'Etat, moins d'impôts, moins de personnels, moins de charges, etc... De toutes ces croisades menées à peu de frais avec un excellent retour sur investissement on peut retenir que, finalement, un emploi public n'est pas un véritable travail ; il est simplement "occupé" par un fonctionnaire ou un agent mais il ne donne pas lieu -ou si peu- à une véritable activité productive bénéficiant à la collectivité à l'inverse des emplois privés, seuls producteurs de richesses.

Néanmoins, ces mêmes politiciens, qui ratissent toujours large, ne manquent pas, lorsqu'il deviennent ministres ou ministricules de rendre un hommage appuyé à ces mêmes fonctionnaires désormais exécutants de leur politique. Mais cet hommage n'est jamais que catégoriel. La tartufferie consiste à honorer le catégorie en général en laissant le champ libre au dénigrement de chacun en particulier. L'argument avancé : "la plupart sont de bons serviteurs de l'Etat mais il y a une infime minorité qui ne fait rien". Comme chacun peut appartenir à cette "infime minorité"...

De plus, les rapports de la Cour des Comptes et des émissions de Télé racoleuses se chargent de labelliser et de populariser des descriptions apocalyptiques. Maintenant, quand on demande aux gouvernants de désigner les secteurs dans lesquels ils préconisent d'effectuer les coupes sombres qui découlent logiquement de leurs discours on n'obtient que de vagues réponses ou surnagent les termes de "redéploiement, économies d'échelle, départ en retraite, réduction progressive, etc...". Seul M. Allégre s'est risqué à "dégraisser le Mammouth", avec le succés que l'on sait...

On peut approfondir quelque peu l'analyse en faisant appel au carré sémiotique de Greimas, très simple à mettre en oeuvre dans ce cas. Cela consiste à partir du terme "emploi" puis à le nier, d'où "non-emploi" et à constater que cela fait surgir dans notre esprit le terme "chômage". Réciproquement, si on pose le terme ''chômage" et qu'on le nie on obtient "non-chômage" qui fait surgir "emploi". Emploi et chômage constituent donc un couple oppositif indissoluble de notre culture.

Si maintenant on applique le même traitement au terme "travail" on constate que "non-travail" appelle plutôt une pluralité de termes comme repos, vacances, congé, RTT, oisiveté, retrait, inactivité, etc..

Ce simple exercice met en lumière la base sémantique sur laquelle le Café du Commerce s'appuie pour disqualifier les fonctionnaires et agents du service public. Car d'un côté on a une liaison très forte (emploi, chômage) avec laquelle on ne peut jouer ; de l'autre on a un terme relativement libre d'associations susceptibles de disqualifier ceux auxquels elles s'appliquent.

Cela suffit pour mettre au pilori cinq millions de travailleurs qui sont quotidiennement au service de tous …

Robert Marty

8 octobre 2006