Vu à la télévision dans un reportage sur la campagne électorale consacré à la
présidentielle et plus précisément dans cette séquence au vote des "petites
gens". La scène se situe me semble-t-il dans le nord de la France. Nous sommes
chez un "smicard" qui apparaît d'emblée à l'image en train de découper un rôti
de porc très gras pour autant que l'on puisse en juger. Tout en tranchant dans
le rôti qui grésille encore, il se déclare smicard, père de cinq enfants et nous
informe que sa femme qui apparaît brièvement à l'image en train de repasser du
linge a perdu son emploi. Les corpulences des deux parents sont en rapport avec
l'apparence du rôti. Manifestement on se nourrit au prix les plus bas du hard
discount local et dans ce foyer la diététique est un concept ignoré, à l'usage
des riches. On retrouve ensuite le père de famille assis à la table de sa salle
à manger devant le bahut de son séjour rustique flamboyant. Je n'ai aucun
souvenir de la décoration mais je me plais à penser que le bahut était surmonté
d'une tapisserie représentant un berger allemand figé dans la posture du fidèle
gardien, réalisée à la main par une belle-mère soucieuse de protéger ses
petits-enfants des dangers de ce monde dont la télévision étale la violence à
longueur d'émissions. Interrogé sur sa vie il la décrit en peu de mots :
quand on a payé le loyer, les charges locatives, l'électricité, le chauffage, la
nourriture il reste en général une vingtaine d'euros pour s'offrir la sortie
mensuelle qui fait tant plaisir aux enfants : le repas au Mac Do…Cela permet à
l'intervieweur de rebondir sur l'élection présidentielle présentée comme
porteuse a priori de changement dans cette vie figée par les contraintes
draconiennes du budget familial. Et de lui poser la question : "Avec le smic à
1500 € vous ne pensez pas que votre vie va s'améliorer ?" Il répond
aussitôt, comme mû par un ressort intérieur : "Mais les entreprises, Y pourront Pô !" ( je
traduis : "elles ne pourront pas !"). Cette séquence atteint le tragique.
Elle porte en elle-même l'explication radicale de la perpétuation des injustices
et des inégalités sociales dans ce pays (et dans bien d'autres). Quand les
victimes d'une organisation sociale inégalitaire au possible ( bonjour Mr
Forgeard…) adhèrent de la sorte au système de valeurs qui crée précisément leurs
conditions d'existence alors la perpétuation de ce système est assurée. Et
voilà pourquoi les principaux médias sont aux mains des grands groupes
industriels et financiers et sponsorisent qui vous savez . Et pas seulement pour
réserver du temps libre dans les cerveaux afin d'y installer de la soif de
Coca-Cola, mais aussi et surtout pour réaliser ce petit chef d'oeuvre : "Y pourront Pô" !