On doit cette phrase au Président Sarkozy lors d’un
déplacement avec des journalistes en 2004 : «Si j’étais
secrétaire d’Etat aux choux farcis, vous entendriez parler sans arrêt des choux
farcis”. Le Canard Enchaîné du mercredi 16 mai 2007
(p. 5)
En se plaçant dans cette hypothèse voici le discours que nous aurions
pu entendre au soir du 6 mai… __________________________
Mes chers compatriotes,
En m'adressant à vous ce soir, dans ce moment qui est, chacun le comprend,
exceptionnel dans la vie d'un cuisinier, je ressens une immense émotion.
J'éprouve depuis mon plus jeune âge la fierté indicible d'appartenir à une
grande, vieille et belle confrérie, celle du chou farci. Je l'aime comme on
aime les nourritures qui nous ont tout apporté. Maintenant c'est à mon tour de
vous en distribuer.
Ce soir ma pensée va aux millions de Français qui aujourd'hui ont mangé mon
chou farci. Je veux leur dire qu'ils m'ont fait le plus grand honneur qui soit
à mes yeux en me jugeant digne de présider aux destinées de la Confrérie du
Chou Farci.
Ma pensée va à tous ceux qui
m'ont accompagné dans cette cuisine. Je veux leur dire ma gratitude et mon
affection.
Ma pensée va à Madame Royal. Je veux lui dire que j'ai du respect pour elle et
pour sa recette que tant de Français ont appréciée.
Ma pensée va à tous les Français
qui n'ont pas mangé mon chou farci. Je veux leur dire que par-delà la cuisine
politique, par-delà les différences de cuisson, il n'y a pour moi qu'un seul
Chou Farci en France.
Je veux leur dire que je serai le cuisinier de tous les Français, queje cuisinerai pour chacun d'entre eux. Je
veux leur dire que ce soir, ce n'est pas la victoire d'un chou farcicontre un autre. Il n'y a pour moi ce soir
qu'un seul Chou Farci, celui de la gastronomie, celui des saveurs qui nous
unissent, celui des banquets qui nous rassemblent. Ma priorité sera de tout
mettre en oeuvre pour que les Français aient toujours envie de manger du chou
farci, de mitonner, de gueuletonner ensemble.
Le peuple français s'est exprimé. Il a choisi de rompre avec les ingrédients,
les recettes et les assaisonnements du passé. Je veux réhabiliter la feuille de
chou, le lard de poitrine, le travail de la farce, la crépine de porc, le
piment, la fleur de sel. Je veux remettre à l'honneur la gastronomie et la
gourmandise nationale. Je veux rendre aux Français l'appétit du Chou Farci. Je
veux en finir avec la diète qui est une forme de haine de soi, et la
concurrence des cocottes en fonte qui nourrit les autres.
Le peuple français a choisi le changement. Ce changement je le mettrai en
oeuvre parce que c'est le mandat que j'ai reçu du peuple et parce que la France
en a l'appétence. Mais je le ferai avec tous les Français. Je le ferai dans un
esprit d'union et de fraternité. Je le ferai sans que personne n'ait le
sentiment d'être privé, d'être laissé à jeun. Je le ferai avec la volonté que
chacun puisse manger du chou farci, que chacun en sente le goût et le fumet
dans sa salle à manger et dans sa gamelle au travail. Tous ceux que la
tambouille a brisés, ceux que la cantine a usés doivent savoir qu'ils ne seront
pas abandonnés, qu'ils seront nourris, qu'ils seront rassasiés. Ceux qui ont le
sentiment que quoi qu'ils fassent ils ne pourront pas en manger doivent être
sûrs qu'ils seront servis et qu'ils en auront autant que les autres.
J'appelle tous les Français par-delà leurs cuisines, leurs régimes, leurs
goûts, à s'unir à moi pour que la Confrérie se remette en mouvement.
J'appelle chacun à ne pas se laisser enfermer dans l'intolérance et dans le
sectarisme, mais à s'ouvrir aux autres, à ceux qui ont des recettes
différentes, à ceux qui ont d'autres cuistots.
Je veux lancer un appel à nos partenaires européens, auxquels notre
alimentation est liée, pour leur dire que toute ma vie j'ai été cuisinier, que
je crois en la cuisine européenne et que ce soir la France est de retour en
cuisine. Mais je les conjure d'entendre la voix des peuples qui veulent manger
du chou farci. Je les conjure de ne pas rester sourds à l'appétit des peuples
qui perçoivent la cuisine Européenne non comme un festin mais comme un
pique-nique conséquence de toutes les disettes que portent en elles les
transformations du monde.
Je veux lancer un appel à nos
amis Américains pour leur dire qu'ils peuvent compter sur notre farce qui s'est
forgée dans les tambouilles de l'Histoire que nous avons ingurgitées ensemble.
Je veux leur dire que la Confrérie sera toujours à leurs côtés quand ils auront
envie de chou farci. Mais je veux leur dire aussi que l'amitié c'est accepter
que ses amis puissent cuisiner différemment, et qu'une grande nation comme les
Etats-Unis a le devoir de ne pas faire obstacle à la lutte contre le
réchauffement des plats, mais au contraire de baisser les feux parce que ce qui
est en jeu c'est le sort du plat tout entier.
Je veux lancer un appel à tous les peuples de la Méditerranée pour leur dire
que c'est en Méditerranée que tout se joue, et que nous devons modifier tous
les couscous pour laisser plus de place au chou et surtout au chou farci. Je
veux leur dire que le temps est venu de cuisiner ensemble un couscous au Chou
Farci qui sera un trait d'union entre l'Europe et l'Afrique.
Je veux lancer à tous les Africains un appel fraternel pour leur dire que nous
voulons les aider à consommer du chou farci, à vaincre la famine et la pauvreté
et à remplir leur buffet. Je veux leur dire que nous déciderons ensemble d'une
cuisine maîtrisée et d'une politique d'approvisionnement ambitieuse.
Je veux lancer un appel à tous ceux qui dans le monde croient aux valeurs du
mijotage, de l'assaisonnement, de la
friture et de la grande bouffe, à tous ceux qui sont persécutés par les
marmitons et par les gâte-sauces, à tous les enfants chétifs et à toutes les
femmes anorexiques dans le monde pour leur dire que la France sera à leurs côtés,
qu'ils peuvent compter sur elle.
Mes chers compatriotes, nous allons écrire ensemble une nouvelle page de notre
cuisine. Je suis sûr qu'elle sera grande et belle, et du fond du chaudron ce
soir je vous dis :