Tyrans sortis des urnes…

 

" Quand on vote, on vote d’abord pour le vote !" , c'est ainsi que Jean-Paul Sartre n'a pas manqué de le souligner cette évidence selon laquelle participer à un jeu présuppose d'en accepter a priori les règles…Ici  c'est de "jeu démocratique" qu'il s'agit…Se rendre aux urnes aujourd'hui en France c'est donc valider l'intégralité  des textes du code électoral qui régissent l'élection sur laquelle on se prononce. En conséquence, participer à des élections législatives en démocratie représentative, c'est déléguer tout pouvoir de faire la loi à un(e) représentant(e) –qu'on ait ou non voté pour lui(elle), de faire des lois que des institutions spécialisées seront chargées de faire appliquer, éventuellement sous contrainte. Auparavant leur constitutionalité - si elle est contestée- sera vérifiée ce qui met en lumière un présupposé antérieur selon lequel la constitution en vigueur, qu'on ait ou non participé à son adoption, fait aussi du même coup partie des règles du "jeu" que l'on accepte. Voilà donc un geste –déposer un bulletin dans un urne- anodin en apparence mais très chargé de significations la plus forte étant certainement apportée par la surcharge amenée par la périphrase instituée qui en fait  "un devoir électoral". Sans compter cette antienne énoncée par les nouveaux élus, président ou député au soir de leur élection : "je suis dorénavant le président ou le député de tous ".

 

Mon œil ! Rien n'est plus convenu et plus hypocrite et rien n'est plus formel et empreint de naïveté que la croyance que ces règles vont produire une politique en rapport avec les belles paroles dont regorgent les programmes. Je ne vais pas faire ici le procés de la démocratie représentative car on me sommerait aussitôt de proposer une alternative et je n'en connais pas. En revanche je peux mettre en lumière comment de véritables tyrans sortent régulièrement des urnes et sévissent jusqu'à provoquer l'irruption dans la rue d'un contre-pouvoir radical ce qui permet aux belles âmes d'opposer démocratie représentative et démocratie d'opinion comme s'il s'agissait d'une alternative. La récente crise du CPE constitue à cet égard un remarquable support.

 

D'abord sa genèse : un Premier Ministre qui n'a jamais été confronté au suffrage des électeurs utilise le  49-3 pour passer au forceps une loi qui modifie singulièrement le code du travail. Je ne traiterai pas du contenu de la loi me bornant à argumenter uniquement sur les aspects formels, en fait sur l'utilisation qui  été faite des signes de la démocratie contre la démocratie elle-même. Je constate seulement qu'au bout d'une période d'incubation de quelques semaines on a vu les rues des villes se remplir de cohortes de jeunes évidemment mais aussi de salariés et de  retraités tous porteurs d'une exigence : le retrait de la loi. Deux mois après la loi été retirée dans des formes dont je soutiens qu'elles montrent à l'évidence que les tyrans étaient à l'œuvre et que le peuple les éconduit de la meilleure façon.

Le mot "tyran" peut-être pris dans l'acception forte d'autorité arbitraire et absolue qui opprime en dépit des lois ou dans l'acception faible d'autorité formellement légitime mais qui use et abuse de son pouvoir en jouant du flou sémantique qui entoure les termes qui qualifient ses actes. C'est cette forme de tyrannie faible, que l'on peut qualifier de"démocratique" que nous avons vu s'exercer. 

 

Par exemple, un contrat résiliable à la seconde pendant les deux premières années s'est vu qualifié de contrat à durée indéterminée. Formellement c'était exact puisque sa durée n'était pas déterminée à l'avance mais pratiquement c'était faux puisqu'il pouvait avoir une durée effective comprise entre un jour et deux ans. L'argument n'a séduit que les convaincus et révolté les intéressés. Mais ce n'était pas le pire…

 

Le pire était l'argument de l'autorité de la chose votée. En vertu de cet argument et en exagérant à peine, une majorité de citoyens juste supérieure à cinquante pour cent pourrait voter des lois qui enverraient en prison l'autre moitié ! En faisant par exemple de l'opposition une maladie mentale, comme au meilleur temps de la tyrannie stalinienne. En effet, il faut vraiment être dément pour ne pas comprendre tout le bien que nous veut un pouvoir mis en place par une majorité qui, de facto et par essence, exprime toute la sollicitude qu'une société peut avoir à l'égard d'elle-même.

 

Le totalitarisme stalinien n'était finalement qu'une forme hautement pathologique de la tyrannie démocratique (car après tout, les soviétiques votaient) : il consistait à instituer tout pratique sociale ou même individuelle en signe de loi . Cette tyrannie forte de caractérisait parr un ensemble de lois suffisamment vaste et vague pour couvrir a priori tous les actes possibles de l'espace public ou privé. Dans la tyrannie faible ce sont seulement certaines pratiques qui font l'objet de telles attentions. La plus violente fut l'anathème permanent lancé par les cercles du pouvoir à l'égard de "la rue" pour cause d'illégitimité démocratique.

 

 

a) Souverain, personne détenant un pouvoir politique, qui exerce une autorité arbitraire et absolue, sans respect des lois et en usant généralement de méthodes oppressives et violentes. Synon. despote, potentat. Tyran cruel; tyran du peuple; subir le joug des tyrans; mort aux tyrans! (cri de la période révolutionnaire). Trente mille Hollandais, appelés par Bonaparte sur la Vistule, ayant absolument refusé d'obéir, il a fait fusiller huit officiers qui apparemment s'étaient montrés un peu trop négatifs; l'armée a persisté dans son refus, de manière que l'atrocité du Tyran ne lui aura valu que de la haine et du danger (J. DE MAISTRE, Corresp., 1807, p. 380). Les tyrans sont les mêmes partout. Écoutez notre Hitler, qui est, lui, le pur militaire selon l'esprit et le cœur de l'état-major (ALAIN, Propos, 1935, p. 1276).
P. métaph. Est-ce que la colombe échappe Au vautour, ce tyran des airs? (DUMAS père, Chev. Maison-Rouge, 1847, I, 2e tabl., 4, p. 25).
b) Personne qui, du fait de sa situation, de sa richesse, etc., abuse vis-à-vis de son entourage de son autorité, de son pouvoir (dans le domaine des relations familiales, affectives ou d'une activité professionnelle, sociale, religieuse, etc.). Synon. despote, dictateur. Agir, se comporter en tyran; être le tyran de ses enfants, de son conjoint, de ses subordonnés; être un petit, un vrai tyran; être le tyran du bureau, de la maison; être le tyran des arts, des lettres. Ces femmes sèches ou grasses, altières, sûres de soi, tyrans acrimonieux de leurs maisons, tyrans doucereux de la maison de Dieu (J.-R. BLOCH, Dest. du S., 1931, p. 39). Il suffit de n'importe qui, d'un Voltaire ou d'un Renan, ou de moins encore, si possible, d'un gazetier, d'un tyran de chef-lieu de canton (...) pour dérouter et précipiter dans un marécage inextricable des milliers de pauvres jeunes gens (CLAUDEL, Poète regarde Croix, 1938, p. 264).