Vers un management assisté par réseau.

par Robert Marty, Professeur des Universités et Jean Xech, Ingénieur de recherche

 

Nous choisissons d'introduire notre problématique en citant Daniel Parrochia dans son ouvrage "Philosophie des réseaux". En effet, les quelques lignes ci-dessous introduisent d'emblée une dimension dramatique qui, nous semble-t'il, est attaché à tout changement profond dans les pratiques sociales. Les évolutions technologiques rapides voire brutales que nous connaissons sont à l'évidence de ce type.

"Fonctionnellement, écrit Parrochia, chaque fois, la mise en réseau réalise une économie. Une telle constatation fait loi : la liaison n'est pas le malheur : ont gagne à s'unir, c'est-à-dire à se déposséder. Allégement de masse, diminution des charges, minimisation des distances, gains de surface, puissance ou compréhension, etc. Contrairement à ce qu'on croit, c'est le local - la "racine" - qui, très largement, aliène. C'est l'isolement et la réclusion qui tuent" .

D'un certain point de vue donc l'administrateur de réseau et avec lui le service informatique peuvent être perçus comme celui ou ceux par lesquels le malheur arrive. Vecteur d'un progrès technologique plus ou moins accepté, plus ou moins redouté - car il va bouleverser les pratiques quotidiennes et les rapports sociaux -, le service informatique va devoir assumer d'importantes tensions. Agent du changement technologique il est concerné au premier chef par les transformations des rapports sociaux qu'il induit et il se trouve de ce fait projeté au centre de la sphère des relations politiques et sociales de l'institution dont il est aussi un acteur. D'agent impliqué à distance il devient l'un des acteurs principaux du changement institutionnel. De sa capacité à résoudre des questions cruciales auxquelles il n'est pas nécessairement préparé vont dépendre la réussite ou l'échec des adaptations nécessaires de notre institution aux défis toujours renouvelés de la modernité.

Les changements technologiques de ces dix dernières années ont profondément marqué l’organisation de l’informatique universitaire : passage de Centre de Calcul à Service Informatique (nouveaux utilisateurs, changement profond d’objectifs), disparition de l’organisation hiérarchique (Centres Nationaux, centres régionaux, Centres de Calcul universitaires) …

Notre propos sera donc de tenter de saisir d'un même mouvement de pensée changement technologique et changement institutionnel car ils ne peuvent être pensés séparément sous peine de diverger jusqu'à séparation complète génératrice de paralysies et de conflits.

Notre thèse c'est que l'arrivée ou la généralisation d'un réseau dans une institution relativement fermée comme la notre contraint l'ensemble des agents et des acteurs du chargement à assumer collectivement le passage de la gestion au management. Il s'agit bien d'un saut qualitatif sur fond de bouleversement des habitudes acquises, de remises en question, de redéfinition des statuts et des rôles.

Notre présence ici en binôme traduit dans le fait la reconnaissance de la nécessité à priori de recoller la compétence technologique de l'ingénieur et les capacités analytiques, régulatrices et d'aide à la décision disponibles dans les sciences humaines. En d'autres termes, l'enjeu principal est le passage d'un réseau de machines ou d'adresses IP à un réseau d'agents d'une institution, c'est-à-dire un réseau de personnes dont les statuts et les rôles sont déjà distribués.

Les CRI sont-il préparés à ce changement ? Cet enjeu est perçu au sein des CRI, mais il me semble pensé en termes techniques (des solutions Intranet dont on va parler plus tard sont mises en place) mais sans objectifs organisationnels bien décidés …

La sociologie des organisations a pour coutume de distinguer l'organigramme - la dévolution instituée des pouvoirs dans une structure hiérarchique - et le sociogramme - le jeu des relations réelles de pouvoir entre personnes groupes formels ou informels qui déterminent réellement les prises de décision et leur mise en œuvre. Le réseau, par sa capacité à mettre en relation les personnes tout en ignorant l'organigramme s'inscrit d'emblée dans le sociogramme qu'il dope littéralement face à un organigramme rigide et peu préparé. Il crée de ce fait une tension institutionnelle qui fera nécessairement problème à un moment ou à un autre.

Le CRI est l’opérateur du réseau fédérateur. A ce titre il est amené à travailler avec d’autres opérateurs ; sur un campus ce seront les opérateurs des sous réseaux (réseaux de laboratoires , de services ayant une certaine autonomie (les bibliothèques par exemple) ou d’organismes extérieurs à l’établissement, comme le CNRS, l’INRA etc.). Les divers opérateurs ont des exigences techniques (technologiques, de sécurité, d’organisation …) et des moyens financiers différents, qui sans (franche) coopération mènent rapidement à un conflit ; le problème posé peut être celui de l’harmonisation globale l’architecture du réseau (un sous-réseau doit être intégré avec une technologie ou un niveau de technologie différent de celui utilisé pour le réseau fédérateur , comme par exemple intégrer un réseau ATM sur un fédérateur Ethernet !). La question n’est pas technique (" on sait faire "), elle est politique (comment se choisit la technologie ? qui paie le matériel nécessaire à l’interconnexion ? …)

La sécurité du réseau doit être négociée elle aussi : quel niveau de sécurité faut-il mettre sur le fédérateur ? sachant que toute protection est aussi (parfois) vécue comme une gêne par les utilisateurs …

Il convient donc de mettre en place les moyens intellectuels et les procédures pour faire face de façon positive à ce type de situation. A la traditionnelle " informatique de gestion" on devra dont se préparer à substituer une "informatique de management" dont le réseau, avec ses fonctionnalités multiples (courrier électronique, serveur Web, serveur de listes et de documents, de logiciels, de didacticiels multimédias, etc.) sera la figure emblématique

Pour aborder ce passage obligé il est nécessaire, comme dans toute démarche rationnelle, de fonder son intervention sur une bonne conceptualisation de l'existant capable d'accueillir, en la maîtrisant, la perturbation amenée par l'arrivée ou la montée en puissance du réseau. La bonne approche, nous semble t'il, consiste à expliciter la réticularité de l'institution telle qu'elle s'est établie dans le temps en distinguant une réticularité institutionnalisée (les relations administratives hiérarchiques explicites de l'organigramme) et une réticularité instituée (relations établies implicitement, sous- jacentes, à base d'alliances et de rejets de divers groupes plus ou moins constitués et de relations interpersonnelles). A ces deux réticularités on opposera dans un premier temps la réticularité du réseau comme réticularité instituante. Elle est instituante dans le sens suivant emprunté à la socianalyse (analyse institutionnelle en situation d'intervention) : le réseau informatique, en permettant la communication instantanée de point a point, donc de personne à personne court-circuite les flux d'information déjà-la ; il procure des accès immédiats à des informations jusque là difficiles à obtenir ou dont la vitesse de circulation était si faible que l'information était obsolète à son arrivée (par exemple, les comptes-rendus des instances de décision) ; il permet des réactions quasi instantanées et massives à tout événement important ;

Voilà une pratique ancienne pour les CRI  ! Leur développement en réseau a constitué aussi un réseau de relations (humaines) informelles. Le CSIESR en est-il une forme instituée (sous forme d’association reconnue) ?

il facilite la communication entre groupes formels ou informels qui retrouvent de la vigueur en s'organisant mieux, etc. Nouveaux chemins, courts-circuits, instantanéité, accélération : le graphe des relations individu - individu, individu - groupe, groupe - groupe, groupe - institution est radicalement modifié. Nouvelles conduites et nouveaux rapports induisent un déséquilibre qui enclenche une dynamique : l'institution est concernée dans les fondements mêmes de son mode de fonctionnement. Que le nouvel équilibre soit plus favorable à l'exécution des missions d'enseignement et de recherche qui sont la finalité ultime de nos établissements n'est pas une évidence à priori même si certains peuvent penser que le réseau par ses vertus propres pourra résoudre magiquement tous les problèmes.

Le réseau a créé de nouveaux chemins, de nouvelles relations : voilà une pratique ancienne pour les CRI ! Leur développement en réseau a constitué aussi un réseau de relations (humaines) informelles. Le Comité des Services Informatiques de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (CSIESR) en est une forme instituée, sous forme d’association reconnue. Nouveaux chemins, nouvelles conduites : que le nouvel équilibre soit plus favorable à l'exécution des missions d'enseignement et de recherche qui sont la finalité ultime de nos établissements n'est pas une évidence à priori mais on peut citer comme exemple de réussite on peut citer comme exemple de réussite le " groupe logiciel " : groupe informel mais très organisé autour de la tutelle (représentée par M. Maillaux), sans statut " officiel " certes, mais qui a réussi au bénéfice de la communauté universitaire à faire baisser les prix d’un grand nombre de logiciels … On peut continuer avec la mise en place du réseau national des serveurs cache universitaires , réseau qui est parti me semble-t-il d’une initiative personnelle au sein d’un service, reprise par d’autres centres et enfin fédérée et institutionnalisée (sous la forme d’une aide de la tutelle qui a financé les serveurs régionaux ; dans cette réalisation on a reconstruit une hiérarchie nationale, serveurs-cache de site pointant vers des serveurs-cache régionaux qui pointent vers le serveur-cache national !).

Dans les deux cas on a pu voir que ces " nouveaux chemins, nouvelles conduites " étaient également suivis par la tutelle … qui a accompagné ces initiatives. Une nouvelle politique ou une bonne politique ?

Les acteurs de ces changements produisent alors une sociologie empirique spontanée ; les comportements qu'elle détermine peuvent aboutir à créer une situation chaotique, cause d'un rejet d'autant plus massif du réseau que, pour beaucoup, elle sera le cadre d'une première expérience. En exportant dans ce champ les concepts de la socianalyse nous nous efforcerons d'anticiper et de situer le débat au plus prés de nos vécus quotidiens.

 

  1. 1- L'institutionnalisé de la réticularité : organigramme et hiérarchie.
  2. La science administrative, cette branche de la sociologie des organisations qui applique à l'administration publique les méthodes forgées à l'origine dans les grandes entreprises a depuis longtemps intégré le fait que le fonctionnement d'une organisation quelle qu'elle soit ne peut être compris si l'on ne prend en compte que les lois et règlements explicites qui la gouvernent. Certes, ces derniers sont opérationnels mais les niveaux d'analyse qu'ils autorisent doivent être complétés, voire corrigés par une analyse des relations informelles que l'on peut décrypter dans les motivations personnelles, les comportements, les stratégies des acteurs et des groupes en présence. On sait bien que leurs intérêts et leurs objectifs ne coïncident pas nécessairement avec les buts affichés de l'organisation. Michel Crozier a bien montré comment les caractéristiques essentielles du fonctionnement de l'administration française - impersonnalité des règles, centralisation des décisions, isolement des catégories hiérarchiques - favorisaient le développement de pouvoirs parallèles et produisaient l'émergence d'un "cercle vicieux bureaucratique". Il a ainsi mis en lumière une certaine incapacité à s'adapter aux changements autrement que par crises successives.

    1. Les comportements individuels des agents.
    2. Ils sont bien identifiés et peuvent être considérés comme des produits du système. En général, les agents considèrent qu'ils ne sont que des rouages d'une hiérarchie dont ils ne perçoivent pas les motivations réelles. La multiplication des niveaux intermédiaires, la dilution des responsabilités au fur et à mesure qu'on s'éloigne des centres de décisions induisent beaucoup d'entre eux à "ouvrir le parapluie" en toutes circonstances. La personne se police elle-même pour apparaître seulement comme un agent. La prise de risque est l'exception, l'initiative cherche à se couvrir de toutes les garanties possibles avant de se mettre en œuvre. La délégation de pouvoirs est rarement effective : difficile à donner, difficile à recevoir. Les communications sont limitées à l'horizon de chaque entité administrative ; l'arrivée de l'ordinateur conduit simplement à envisager la réalisation des tâches quotidiennes d'une autre façon, en conservant les mêmes principes.

      Comme agents faisons-nous exception ? prises de risques, initiatives n’est-ce pas notre " lot quotidien " ? A chaque incident (panne serveur, dysfonctionnement réseau), comment pouvons-nous nous mettre à l’abri ?

      La délégation de pouvoir est toujours difficile et pourtant elle est à l’ordre du jour. La mise à jour d’une partie de la hiérarchie du Web sans intervention d’ingénieur du CRI est difficile à accepter par certains d’entre eux … Pour certains il est encore difficile d’accepter la création de serveurs Web sans assistance (du CRI) alors que les systèmes d’exploitation " grand public " comme Windows 95 ou WNT sont (ou seront) livrés avec des serveurs prêts à l ‘emploi !

    3. Les conduites de groupe : facultés, départements, laboratoires, services.
    4. Les conduites de groupe sont caractérisées, par analogie avec l'esprit de corps, par ce qu'on peut appeler l'esprit de catégorie. Chaque groupe cherche à "bétonner" ses positions, ce qui interdit toute initiative transversale et conduit à la multiplication des stratégies de prise de position à tous les niveaux de la structure administrative (notamment à l'occasion des élections) et à une forte crispation sur les acquis. L'ajustement des personnels en fonction des changements survenus dans les filières, l'ajustement des moyens (locaux et crédits) sont autant d'occasions de guerroyer.

      L'ajustement des moyens (locaux, crédits, et … personnel) sont autant d'occasions de guerroyer  Les services ayant une "certaine autonomie financière " n’ont-ils pas la tentation de bétonner leurs positions (moyens matériel et personnels informatique) eux aussi ? Souvent au prétexte d’une indépendance énoncée nécessaire ! Bien des facultés (département, laboratoires) ont cherché aussi à "récupérer " du personnel des CRI pour la pédagogie ou la recherche. Les CRI se sont ces dernières années fortement crispés sur la notion de CRI virtuel (répartition du personnel informaticien au sein de l’Université) tout en instituant la notion de " correspondants réseaux ", sûrement en réponse pragmatique au " bétonnage " des facultés. Ce réseau de correspondants constituant au final un CRI virtuel !

      La collaboration avec d'autres groupes perçus comme des concurrents potentiels est écartée à priori ; le blocage peut devenir la règle. Les groupes communiquent très peu entre eux et l'ordinateur est pour l'essentiel consacré à la gestion des affaires courantes du groupe. La rigidité de l'ensemble s'inscrit dans la hiérarchie : université - faculté - département - laboratoire reconnu - équipe d'université.

    5. Les organes de direction : conseils et commissions

    Le rôle des organes de direction est particulièrement difficile. D'une part ils doivent exécuter une politique définie au niveau national qui se manifeste sous forme de décrets, circulaires, dotations de fonctionnement, attributions de postes, etc. D'autre part ils sont confrontés à la pression de la base qui fait remonter exigences et besoins. La pratique des plans quadriennaux a malgré tout pacifié les rapports ; le sentiment du contrat à remplir et la concentration des affrontements sur la période de la négociation du contrat on considérablement réduit les tensions en moyenne. Cependant la structure pyramidale contraint à faire cascader les décisions et l'information ; sauter un niveau intermédiaire même non concerné peut ouvrir un conflit. Les organes de direction communiquent généralement par circulaires, comptes-rendus, bulletins d'information, tous moyens grevés par l'inertie de la filière de duplication et de diffusion interne. L'ordinateur et le réseau y sont généralement perçus au mieux comme devant procurer des gains de productivité sur les tâches habituelles (et donc réduire les tensions sur les demandes de poste de IATOSS principalement) au pire comme une couche supplémentaire à gérer.

    Il apparaît donc que la place assignée à l'informatique dans ce moment de la réticularité de l'institution correspond à la classique informatique de gestion. Les relations inter-instances sont matérialisées dans des connexions caractéristiques de l'informatique centralisée dont on sait que, de toute façon elle subsistera.

     

  3. L'institué de la réticularité : groupes de pression et syndicats d'intérêts communs.
  4. Il est clair que si le fonctionnement de notre institution était uniquement déterminé par le réseau et le type de relations que nous venons de décrire le blocage serait quasi-permanent et remplir nos missions serait une gageure. On sait bien que s'il n'en est pas ainsi c'est parce que l'organigramme est doublé d'un sociogramme qui se prête par ailleurs à une lecture nettement moins aisée.

    1. Les attitudes individuelles.
    2. La personne ne se réduit par, fort heureusement, à l'agent et, si l'agent fonctionne, la personne vit. Selon ses motivations, son histoire, les hasards de l'existence aussi, chacun est partie prenante dans l'institution d'un réseau de relations interpersonnelles assez stables qui se prolonge au-delà des simples relations de travail. Ces rapports extra - professionnels souvent conviviaux constituent un réseau par lequel circulent quantité d'informations inexprimables dans des relations de type administratif. Ces flux d'information se concentrent dans des nœuds qui correspondent à des personnes (souvent identifiées comme des "leaders d'opinion") qui occupent des positions privilégiées dans le sociogramme (des positions d'autorité, à distinguer des positions de pouvoir, sans que l'une exclue l'autre).

    3. Les groupes informels.
    4. Ils sont pour la plupart l'expression de la transversalité de l'institution : syndicats, associations de toute nature, lobby, groupes de pression circonstanciels (par exemple réunions éphémères de catégories pour obtenir des avantages contre d'autres catégories). Ils communiquent difficilement car ils sont éclatés sur les campus et ils doivent trouver des plages de réunion quand ce n'est pas des lieux de réunion,... Ils communiquent traditionnellement par le courrier intérieur ou grâce au dévouement de "chevilles ouvrières" (de plus en plus rares, sauf en cas de crise avec mobilisation intense). Ils concourent fortement à la mise en place des groupes dirigeants et participent souvent à la direction informelle de l'institution.

    5. Le fonctionnement réel du pouvoir : réunions non statutaires et apartés.

    Les organismes officiels (Conseil d'administration, conseil scientifique, conseil des études et de la vie universitaire, commissions de spécialistes, etc.) réunissent du fait des règles de représentation plus ou moins proportionnelles des personnes qui participent à des groupes informels aux intérêts divergents. Ces groupes ne peuvent y apparaître au grand jour. L'élaboration de leurs stratégies nécessite des procédures d'information mutuelle. Quelquefois le téléphone suffit mais ce moyen est très en deçà des possibilités offertes par l'e-mail et, bientôt, par la téléconférence dont on peut se demander si, lorsqu'elle sera généralisée, elle ne deviendra pas le mode privilégié de communication informelle.

    En définitive, la réticularité institutionnalisée et son complément indispensable la réticularité instituée décrivent le déjà-la, la situation qui préexiste à l'arrivée du réseau. Avec ce dernier nous passons nécessairement dans l'instituant, en précisant bien que ce terme ne doive pas d'emblée être pris avec une connotation positive.

  5. Le réseau comme analyseur.
    1. Les conduites adaptatives des agents/personnes

Relevons l'ensemble des attitudes psychologiques que l'on observe généralement lorsqu'une institution est confrontée au fait technologique. On peut les classer en trois catégories caractérisées par :

Il est clair à priori que les attitudes réelles balanceront suivant les moments et les premiers résultats observés entre ces trois pôles. Il est clair aussi que l'un des enjeux principaux au seul souci de la justification des investissements réalisés, est notre capacité à imaginer et à mettre en œuvre les dispositifs institutionnels, qui peuvent favoriser l'émergence des changements positifs que nous pouvons raisonnablement espérer.

Notre rôle (CRI) sera de proposer et d’accompagner une anticipation réaliste. Comment ?

Cette anticipation réaliste devra être accompagnée d’une formation ou du moins d’une assistance en ligne des personnels soumis au changement. Nous devons nous-mêmes trouver les outils logiciels  qui permettent cette adaptation : chercher, essayer en interne et proposer des solutions, enregistrer et réaliser un suivi efficace des appels d’assistance. Voilà de nouveaux objectifs : nos personnels y sont-il préparés ?

    1. Les groupes formels et informels face au réseau.
    2. Les groupes institutionnels trouveront certainement des avantages dans l'utilisation du réseau : meilleure communication (en qualité et en quantité), moins de réunions contraignantes par l'utilisation du groupware et de la visioconférence, plus grande facilité pour gérer à distance. Cependant ce sont les groupes informels qui devraient être les plus importants bénéficiaires, car le réseau lève presque toutes les contraintes qui limitent aujourd'hui leur puissance d'intervention. Par exemple, la moindre information, la plus petite rumeur même peuvent être communiquées instantanément par multi- adressage à l'ensemble du groupe qui peut réagir dans l'instant et la diffuser aussitôt à d'autres groupes ou à tous.

      A la diffusion de rumeur (instantanément communiquées par multi-adressage à l'ensemble du groupe) on peut (hélas !) y ajouter la guérilla qui consiste à bombarder une boite à lettre de messages pour la saturer. Cette pratique est heureusement aujourd’hui encore marginale.

      Il faut dire que nous sommes encore éloignés de cette pratique (diffusion rapide d’une rumeur) au sein de nos établissements par le manque de postes de travail et d’adresse électroniques (un agent, un ordinateur, une adresse électronique) … pour combien de mois ? ou d’années ? pour ne parler que des personnels permanents : ne devons-nous pas fournir dés aujourd’hui une adresse électronique à chacun de nos étudiants ? La problématique de la rumeur change alors d’échelle !

      Une diffusion qui nécessitait de huit à quinze jours pour produire ses effets dans l'informel se fait en 24 heures, peut-être moins. Les circuits classiques qui dépendaient du hasard des rencontres sur le campus, dans les couloirs ou dans les réunions officielles sont remplacées par des circuits presque instantanés et de plus, les cibles sont atteintes avec une précision et une exhaustivité maximales.

      À l'égard de ses groupes le réseau produit un déséquilibre qui accroît la tension par exacerbation de l'activité communicante ; en gros, on peut dire que les montées en tension seront considérablement plus fortes.

    3. L'institution : que faire avec le réseau ?

Les organes de direction sont donc confrontés à une nouvelle donne informationnelle qui par nature échappe à tout contrôle et se prête peu à une analyse réfléchie étant donné la fluidité, l’instantanéité et l'étendue des modifications. La temporalité de la communication n'est plus du tout la même. Certes les directions peuvent bénéficier et même de façon privilégiée de l'instrument, mais encore faut-il s'adapter rapidement sinon les avantages des personnes et des groupes "branchés" risquent de devenir exorbitant. Elles peuvent se trouver dans la situation désagréable de courir après l'événement, d'être les dernières informées, d'autant plus que les liaisons vers l'extérieur subissent aussi les mêmes transformations (l'interconnexion physique des réseaux est aussi l'interconnexion des réseaux informels).

En somme la nouvelle donne c'est que la réticularité instituée prend le pas sur la réticularité institutionnalisée ; il faudra donc que les directions se donnent les moyens de maîtriser les configurations émergentes de pouvoir et surtout d'autorité.

La présidence (et les vice-présidence) doivent apprendre à travailler avec le réseau et utiliser la messagerie au quotidien … La présidence doit être " aidée " (ou assistée) dans une phase intermédiaire : par la cellule de communication ou par l’utilisation de nouvelles technologies émergentes (comme les techniques " push ").

 

  1. La solution INTRANET.
  2. De quels outils - en plus des capacités individuelles et collectives d'analyse- disposent les directions pour gérer la nouvelle donne ? Il est exclu de réduire les formidables possibilités d'évolution apportées par le réseau en bridant les fonctionnalités de façon réglementaire. Certains seront peut-être tentés, cela serait dommage. La réponse est à la fois technologique et pragmatique : c'est selon nous la mise en place progressive et pilotée politiquement d'un Intranet/Extranet qui permettra non seulement de réduire les tensions institutionnelles mes surtout de les utiliser pour améliorer singulièrement la réussite collective.

    En effet, l'Intranet permet de souder dans le même concept l'institutionnalisé et l'institué : le premier peut accroître sa visibilité institutionnelle, fluidifier l'information, expliquer ses décisions en évitant les malentendus, couper les ailes aux rumeurs dans l'instant ; le second peut s'y projeter - car c'est sont intérêt- dans la mesure où tout groupe ayant des visées sur le pouvoir à vocation à convaincre l'ensemble des acteurs du bien fondé de ses objectifs. L'Intranet et son complément l'Extranet, en permettant à chacun de participer à tout instant à la vie de l'établissement (même les "turbo-profs"seront intégrés) peuvent devenir de merveilleux outils de gestion intégrée et dynamique du dit et du non-dit, du manifeste et du caché.

    La mise en place d’un Intranet est un vaste programme : institutionnel (quels domaines cet Intranet va-t-il recouvrir?) et technique (quelles solutions choisir ?). Il faut bien sûr définir quels domaines d’applications va servir cet Intranet et rester pragmatique.

    La mise en place de cet Intranet ne doit pas être concurrent des systèmes d’information des logiciels nationaux. Les choix techniques sont difficiles : choisir un seul fournisseur (et alors lequel : ORACLE ? MICROSOFT ? NETSCAPE ? ) ou alors panacher les fournisseurs (UNIX, ORACLE, NETSCAPE …) ? Nous voyons bien la dimension du problème au seul choix d’un outil d’annuaire : que de solutions aujourd’hui sont mises en œuvre dans nos établissement pour ce seul cas …

  3. Conclusion : du cryptisme à l'agorisme.

Avec le réseau se repose le vieux débat sur les formes de l'exercice du pouvoir et/ou de l'autorité. Chacun de nous, chaque groupe formel ou informel doit choisir entre rester entre-soi, se calfeutrer dans les certitudes partagées par un petit cercle (cryptisme) ou s'ouvrir, communiquer à tout vent, prendre des risques, s'exposer à la critique (agorisme). Le réseau, nous semble t'il, pousse vers l'agorisme de façon inéluctable ; il permet de capter l'énergie de l'informel pour régénérer les parties ossifiées de structures un peu trop pérennes ; à travers l'Intranet il permet d'afficher en permanence l'état et l'évolution de nos établissements ; enfin et peut-être surtout, il est un moyen privilégié d'instaurer cette transparence et cette démocratie dans la gestion tant de fois évoquées dans les professions de foi.

L’ouverture vers l’agorisme est une nécessité et il impose au CRI un changement culturel : mettre en place des matériels, des logiciels ou des applications au service des utilisateurs, et d’une certaine manière aller au delà de la technique (interne au service qui est souvent une " culture système/serveurs ") pour " faire du service " personnalisé. Cela suppose bien souvent d’abandonner son poste de travail (si confortable) pour s’attabler avec des utilisateurs avec leurs nourritures techniques (si vous me permettez cette métaphore). Mais bien sûr, c’est ce que nous faisons tous dans nos CRI !

Robert Marty

Jean Xech