En quoi le signe peircien se distingue-t-il des autres conceptualisations du signe ?

Le signe saussurien comme le signe hjelmslevien et, en continuité, la conception greimassienne des structures narratives (conçues comme une expansion de structures profondes élémentaires déposées dans le carré sémiotique) sont tous constitués sur le mode dyadique (ou binaire). La seule structure formelle fondamentalement mise à contribution est le couple oppositif et on s'efforce d'atteindre la complexité par un réseau de tels couples. Le formalisme qui est à la base de la sémiotique peircienne est quant à lui fondamentalement triadique (ou ternaire) : trois éléments le constituent qui entretiennent évidemment des relations binaires lorsqu'on les considère deux à deux en "oubliant" le troisième mais aussi et surtout une relation telle que l'un d'entre eux est réellement l'union des deux autres. En ce sens, les deux modes de pensée sont irréductibles l'un à l'autre.

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Roland Barthes s'est interrogé sur la validité du binarisme et sur son aptitude à rendre compte pleinement de la complexité des phénomènes de signification. Son universalité ne lui apparaît pas certaine car non encore fondée au point qu'il se demande " s'il ne s'agit pas là d'une classification à la fois nécessaire et transitoire : le binarisme serait lui aussi un métalangage, une taxinomie particulière destinée à être emportée par l'histoire, dont elle aura été un moment juste." (voir Eléments de sémiologie, III 35).

On peut en effet douter que tout phénomène, et particulièrement tout phénomène de signification, puisse se décrire à l'aide d'un réseau de couples oppositifs. Toute la pensée dialectique vient en effet en dénégation de cette assertion et le pragmatisme, nous semble-t-il, s'inscrit lui aussi dans cette insuffisance de la pensée binaire à décrire la complexité. La prise en compte dans un modèle d'intelligibilité des phénomènes de signification impose de dialectiser les relations binaires qu'entretiennent les éléments opposés dès qu'on les situe dans l'histoire sociale pour les articuler avec les particularités du vécu qui se situe toujours dans les univers perceptif et psychologique. La dialectique ne saurait être une sorte de recours que l'on fait jouer pour résoudre les antinomies des modèles binaires inadaptés aux phénomènes qu'ils prétendent décrire. Elle doit donc être directement incorporée dans le modèle lui même et l'instrument de cette incorporation au plan formel c'est précisement la triade. C'est à ce niveau qu'il faut voir l'intérêt de Peirce pour la pensée hégélienne, même si ses réserves sont aussi importantes, sinon plus, que celles émises par Marx : "Je sais qu'il y a une autre série d'éléments inparfaitement représentés par les catégories hégéliennes. Mais je n'ai pu en rendre compte d'une façon satisfaisante." (CP 1-284). Il écrit encore:

"Toute ma méthode apparaîtra en profonde opposition avec celle de Hegel; je rejette sa philosophie in toto. Néanmoins j'ai une certaine sympathie pour elle et je pense que si son auteur avait seulement prêté attention à quelques aspects fort peu nombreux de son système, il aurait été amené à le révolutionner." (CP 1-368).

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