1. Carali : Les magiciens.

Carali l'apprenti magicien

- Tu ouvres la paume en même temps que tu prononces la deuxième syllabe de la formule. C'est cette deuxième syllabe qui décide du sortilège, selon que tu l'expires ou que tu l'inspires.
- Paume vers le ciel ?
- Oui, et tu refermes le poing, dans un battement de cœur.

Carali prononce la formule, en inspirant la seconde syllabe. Sur le sol, la flamme de la première lanterne, placée à trois pas, et celle de la seconde, placée à quatre, palissent. La flamme de la troisième, placée à cinq, vacille, et celle de la dernière lanterne ne bouge pas. Comme d'habitude, après cet effort, Carali se sent vidé de son énergie. Il ne s'agit pas d'un effort physique, ni même mental. Il s'agit d'un effort... et bien d'un effort magique. Il n'y a pas d'autres mots pour le décrire.
- C'est bien. Tu fais des progrès.

Carali se sent en manque. Ce pouvoir qui le quitte chaque fois qu'il en use, c'est terriblement frustrant. Heureusement il sait qu'il peut le retrouver après une nuit de sommeil. Mais voilà : comment dormir quand on n'a pas sommeil ?
- Quand m'en apprendrez-vous plus ?
Pas de réponse. L'Egyptien, une fois de plus, est parti sans même que l'apprenti magicien s'en aperçoive.

Carali rentre dans la roulotte, s'allonge sur la paillasse, sort son précieux livre de magie de sa cachette. Quatre sorts, voilà toute sa fortune. Il tente de relire les formules. Il sent la magie toujours présente, mais il lui est impossible de se concentrer sur les arabesques complexes et délicates. Il n'y a rien à faire, sauf attendre la prochaine journée, ou le retour de son maître l'Egyptien.

Dépité, il reporte son attention sur sa cape bleue semée d'étoiles, son chapeau pointu, sa baguette aux bouts dorés, bref, sur son attirail de magicien de fête foraine. Puis il ressort, et va proposer son attraction sur le boulevard des Merveilles, entre les charlatans, les illusionnistes, et les quelques rares vrais magiciens comme lui.

Il s'agit d'un jeu de réflexion. On utilise un damier en trois dimensions formé d'entrelacs de lignes droites et courbes. Chaque joueur place à son tour une sphère sur une intersection libre. L'ensemble est maintenu en l'air par un procédé magique mineur.

Le but du jeu est d'occuper des intersections pour former une figure : un cercle, un pentagone ou une étoile.

La première partie est sans enjeu, et ne sert que de démonstration. Carali met au défi son adversaire de l'empêcher de former une figure. L'apprenti magicien gagne presque toujours.

Pour la deuxième partie, il met l'autre au défi de former une figure. L'enjeu varie alors selon la figure, cette fois ci choisie à l'avance.

Ce jeu est une invention originale de l'Egyptien. Il est apprécié de tous les autres magiciens. Précisons que le maître est le seul à savoir empêcher son adversaire de former une figure, sans même lui demander avant quel est son choix. Il intervient parfois dans l'attraction de Carali, juste pour montrer aux autres joueurs qu'il est possible de gagner, et aussi pour empocher sa part.

 
Toutefois cette unique attraction ne peut être tenue longtemps dans la même ville. Les joueurs se lassent vite de perdre. Heureusement l'Egyptien se déplace souvent avec sa roulotte. Mais cette fois-ci cela fait bientôt un mois qu'ils sont dans la capitale, toujours au même emplacement, et les parieurs se font de plus en plus rares.

En attendant, Carali joue des parties de démonstration contre les habituels badauds du boulevard : des valets désœuvrés, des tire-laine, et des apprentis sorciers comme lui. Lorsqu'un des habitués, un petit homme gris d'un âge indéterminé qui se contentait de l'observer en silence, lui fait une étrange proposition.
- Accepteriez-vous de jouer une partie de démonstration avec enjeu ?
- Ma foi, cela vous est plus défavorable. Mais si vous le désirez. Quel serait l'enjeu ?
- Le voici. Que proposez-vous en contrepartie ?
Le petit homme présente un magnifique diamant brut, ayant une petite lueur bleutée en son cœur.
- Une Etoile bleue ! s'exclame un connaisseur. Cela vaut une fortune !
- Je ne peux vous proposer la somme équivalente, répond Carali.
- Je vous observe depuis plusieurs jours. Combien avez-vous gagné depuis que vous êtes ici ?

L'apprenti indique un chiffre. Les deux hommes se mettent d'accord pour fixer la contrepartie de l'enjeu à cette somme. La partie commence.

Carali essaye ses combinaisons habituelles, mais son adversaire, apparemment, se souvient des parades montrées par l'Egyptien lors de ses démonstrations. Il essaye alors quelques variantes... Elles sont parées elles aussi ! L'homme a non seulement de la mémoire, mais il est intelligent. L'apprenti essaye les combinaisons spéciales. Raté ! Et il ne reste presque plus de place sur l'échiquier pour tenter d'autres figures.

Il utilise alors un truc d'apprenti magicien, presque une tricherie, pour détourner l'attention de son adversaire, puis effectue rapidement une passe magique sur les entrelacs de lignes pour altérer les positions en sa faveur.

Le petit homme a l'air interloqué, se concentre de nouveau et... malédiction ! Il a réussi à vaincre le sortilège d'altération de Carali. Les lignes se brouillent et reprennent leurs positions initiales. Ce doit être également un magicien.

Et ce qui devait arriver arrive : l'Egyptien n'est plus le seul à pouvoir empêcher Carali de faire ses figures. Le petit homme a gagné. Il y a trop de monde pour que l'apprenti refuse la défaite.

Il paye. Le petit homme range soigneusement l'argent dans sa bourse avec l'Etoile bleue, puis il s'en va. Carali tente alors un troisième truc d'apprenti sorcier, épuisant mais efficace : il pointe discrètement de l'index la bourse du petit homme dès que celui-ci a le dos tourné, et des pièces sont magiquement transférées dans sa main. Avec un peu de chance l'Etoile bleue va elle aussi changer de propriétaire. Mais... quelqu'un saisit le poignet de Carali !
- Et alors ? On vole sans la permission de la guilde ?
C'est un garçon, à peine un jeune homme, qui s'empare des pièces, puis, après les avoir examinées, il ajoute sur un ton de dépit :
- Je confisque. Mais que je ne vous y reprenne plus !
Puis il s'en va.

 
Carali s'estime heureux de son sort : il devait s'agir d'un membre de la toute puissante guilde des voleurs. C'est une organisation à peine secrète qui réglemente à son profit tous les larcins dans la capitale. Cela va des cambriolages en tout genre aux vols à la tire sur les marchés, en passant par le dépouillement des ivrognes la nuit. Cette organisation du crime est faiblement combattue par le guet royal car elle contribue, à sa manière, au maintien de l'ordre civil en évitant les vols anarchiques. Les punitions pour les contrevenants qui ne bénéficient pas de la protection de la guilde peuvent être féroces. Mais après réflexion, l'apprenti magicien se dit que le garçon, plutôt que de sanctionner son délit, cherchait en fait à dérober lui aussi l'Etoile bleue.

A peine oubliée cette histoire du petit homme et de son diamant, voici qu'arrivent deux jeunes aristocrates qui l'interpellent. Ce sont un homme et une femme, apparemment frère et sœur vue leur ressemblance.
- Bonjour. Où pourrions-nous trouver l'Egyptien ? demande le garçon.
- C'est à quel sujet ?
- Nous voulons utiliser les services d'un magicien.
- Je ne sais pas où il est. Mais je peux peut-être vous aider. Je suis magicien moi aussi.
- C'est que... c'est délicat.
- Vous pouvez parler en confiance. Je suis en quelque sorte le plus proche conseiller de mon maître.
- Il s'agit de ma sœur aînée. Elle souffre d'un mal étrange poursuit le jeune homme après un instant d'hésitation.
- Pourquoi ne pas faire appel à un guérisseur ?
- Mes parents l'ont fait. Ils se sont adressés aux sorciers du prince Corn. Ceux ci affirment pouvoir la guérir, mais exigent en contrepartie qu'elle se mette à leur service pour une durée de quatre ans.
- Pourquoi ne pas demander à un autre temple ? Et pourquoi un magicien, pourquoi l'Egyptien ?
- Les sorciers disent qu'il s'agit d'un sort maléfique provenant d'au-delà des mers. Nous recherchons l'Egyptien pour ses connaissances possibles.
- De plus, intervient la jeune femme, mon cousin et moi (ils sont donc cousins, note Carali) sommes venus en cachette de mon oncle. Il est vassal du prince Corn et lui a juré serment de fidélité à la suite du dernier don de territoire de notre roi au prince.
- Je vous promets d'en parler à l'Egyptien à sa prochaine venue. En attendant, je peux peut-être vous aider à condition de voir votre sœur.
- Nous ne pourrons vous payer beaucoup.
- La cause me semble juste et mon aide est désintéressée. Il suffira que vous m'offriez le couvert, car je suis, pour l'heure, désargenté.

Les deux cousins (la fille s'appelle Eloa, le garçon Gart) emmènent Carali dîner à l'auberge du Poisson d'or. Là, ils font plus ample connaissance. Gart est sincère et droit. Il compte s'engager dans les cadets et prêter allégeance au roi. Eloa est plus individualiste, et elle n'envisage pas de se lier dans un proche avenir. Tous deux sont élevés dans la tradition des armes, et sont des escrimeurs prometteurs. C'est Eloa qui a eu l'idée de faire appel à un magicien en cachette de leur père et oncle.

La nuit, tandis que les parents dorment, Carali est amené au chevet de la malade, qui s'appelle Lena.
- C'est curieux. On dirait qu'elle parle dans son sommeil. Que dit-elle ?
- C'est, hélas, incompréhensible.
- Ceci ressemble pourtant à un langage. Parle-t-elle d'autres langues?
- Pas à ma connaissance.
- J'ai bien fait d'apporter mon livre avec moi. Il va nous aider.

 
Carali se concentre sur les fines écritures durant un quart d'heure afin de s'en remémorer la magie. Puis il prononce la formule, en touchant du bout des doigts les lèvres de la jeune femme alitée, et en jetant une pincée de cendre et quelques grains de sel de l'autre main. Associés à la formule, ces ingrédients, en disparaissant, établissent un lien magique entre lui et Lena, qui lui permet de comprendre ce qu'elle murmure.
- Mon père, ma mère, je suis maudite, pardonnez-moi, sauvez-moi... J'ai été frappée par un rayon de lune... Mon père, pourquoi m'avez vous fait cela ? Je suis condamnée pour l'éternité... Seule une épée d'argent a le pouvoir de me délivrer maintenant...

Puis le lien s'évanouit, et Carali ne comprend de nouveau plus rien. Il rend compte de ce qu'il a appris aux autres.
- Cela ne nous laisse que peu d'indications. Il faudrait peut-être chercher un rapport entre la lune et le père.
- Et quelle est cette malédiction, si elle vient de la lune ou de mon père.
- Je sais que mon oncle est autrefois allé en expédition dans les Iles Anciennes, où l'on pratiquait le culte lunaire.
- Je propose que nous allions voir un sage pour se renseigner sur ce culte. Puis j'écouterai de nouveau Lena la nuit prochaine.
- Je vais faire fabriquer une épée d'argent. On ne sait jamais.
- Et moi je vais tâcher de faire parler mon oncle sur ses aventures passées. Cela le distraira et pourrait être instructif.

Le lendemain, à midi, Eloa fait une tentative :
- Pourquoi ne nous conteriez-vous pas vos exploits, mon oncle ? Cela nous changerait l'esprit.
- Ce ne sont que des histoires passées, qui n'intéressent plus personne.
- Je vous en prie.
- N'insistez pas. Nous avons d'autres sujets de préoccupations que ces distractions de salons.

Sur ce, l'oncle sort.

De son côté Carali se présente à la porte d'une demeure ancienne :

- Je cherche... Ca alors, quelle coïncidence !
Au moment où il annonce le pourquoi de sa venue, il reconnaît l'homme à l'Etoile bleue qui vient de lui ouvrir la porte.

- Quel est l'objet de votre visite ? Désireriez-vous une revanche?

- Non. Je cherche le sage Antilès.
- Je suis le nouveau serviteur du maître. Il est absent pour l'instant, et ne reçoit que sur rendez-vous.
- Je voudrais des renseignements sur le culte lunaire des Iles Anciennes.
- Les sages, comme les magiciens, ont pour coutume de faire payer leurs services. Mon maître étant très réputé dans ce domaine, il vous en coûtera au moins cent pièces d'or.
- Fichtre !
- Voulez-vous toujours ce rendez-vous ?
- Oui, et pour demain si possible. Cela dit je vous renouvelle mes félicitations pour votre victoire d'hier.
- Je vous remercie. Mon maître sera libre demain à cinq heures de l'après-midi.

En partant, Carali est abordé par le garçon qui l'avait arrêté la veille dans sa tentative de voler l'Etoile bleue.
- Quelle coïncidence ! Seriez-vous mauvais perdant ?
- Vous n'y êtes pas du tout !
- N'hésitez pas à faire appel à nous, la guilde, en cas de besoin. Nos services sont très abordables. Demandez-moi à l'auberge du Cheval noir.
- J'y penserai à l'occasion. Au revoir.
- A bientôt. Je m'appelle Cordi. Souvenez-vous.

Le soir Gart se renseigne sur la métallurgie de l'argent auprès de son père, et obtient un résultat inattendu.
- L'épée doit recevoir un charme pour que l'argent devienne aussi dur que de l'acier, comme l'épée que j'ai ramenée des Iles Anciennes.
- Comment l'avez-vous eu ? Vous n'en aviez jamais parlé.
- C'est un vieux souvenir. Je me rappelle encore de ce fou qui nous maudissait alors que nous dérobions son trésor. Cette épée en faisait partie. Elle n'a d'autres vertus que d'être en argent. A part cette particularité, elle est comme une épée ordinaire.
- Et quels autres objets avez-vous ramenés ce jour là ?
- Je ne m'en souviens plus. Il se fait tard, à demain. Tu peux emprunter l'épée si elle t'intéresse, bonsoir.

Après recherche, Gart trouve l'épée dans l'armurerie. Elle est couverte de signes bizarres. Il choisit de la montrer à Carali la nuit venue.
- Il semble que ce soit des écritures. Il est probablement plus intéressant que j'essaye de les déchiffrer, plutôt que d'écouter encore les paroles de votre sœur durant son sommeil.

L'apprenti magicien recommence son sort de compréhension, cette fois-ci en touchant la lame de l'épée. Mais rien ne se passe.
- C'est raté.
- Peux-tu écouter de nouveau ma sœur ?
- Pas avant la nuit prochaine. J'ai épuisé mon compte de sorcellerie pour la journée.
- Tu me fais l'effet d'un drôle de magicien.
- Je ne suis qu'un initié du premier cercle. Je ne peux utiliser qu'un seul sortilège par jour ou bien des sorts mineurs d'apprenti.
- Et ton maître, as-tu pu lui parler ? demande Eloa.
- Je ne l'ai pas vu. Mais j'ai un rendez-vous avec un sage. Il demande de l'or.
- Je vais vider ma bourse, répond Gart.
- Moi de même, ajoute sa cousine.
- Espérons que cela suffira, conclut Carali.
- Que pouvons-nous faire avec cette épée pour délivrer Lena ?
- Et est-ce que ceci a réellement un rapport avec le culte lunaire des Iles Anciennes. Après tout, ne peut-il s'agir d'une vengeance d'un amoureux transi, et quelque peu sorcier? Qu'en penses-tu, magicien qui n'est qu'initié du premier cercle ?
- Ca me semble bien compliqué. Provoquer la chute des cheveux ou faire apparaître des boutons est beaucoup plus simple.
- Tu sais faire cela ?
- Oui.
- Bigre, j'espère que tu n'es pas amoureux de moi !
- ???
- Cessons là ces plaisanteries, intervient Gart. C'est curieux, mais ces histoires de lune et d'épée d'argent me rappelle les vieilles légendes de loups-garous, ces créatures malfaisantes qui se transforment en loup les nuits de pleine lune, et reprennent forme humaine le jour. Elles ne peuvent être tuées que par des armes d'argent. Un loup-garou la tient peut-être en son pouvoir.
- Les loups-garous n'apparaissent pas en ville, fait remarquer Carali. La solution ne peut être aussi simple : souvenons-nous que les sorciers du prince Corn ne peuvent la soigner facilement.
- Et pourquoi cela ? demande Eloa.
- Sinon ils ne demanderaient pas un service de quatre ans. Je pense qu'ils sont dans le doute eux aussi, et comptent faire appel à un sort puissant de divination pour découvrir son mal.
- Si seulement nous savions à quel type de magie nous avons affaire ! soupire Gart.
- Si toutefois c'est de la magie, et non une malédiction. Les deux choses sont distinctes, précise Carali.
- Comment cela ? s'étonne Eloa.
- La magie existe indépendamment du pouvoir des dieux et des déesses, tandis que les malédictions sont souvent lancées en leurs noms. Plus un dieu est fort, et plus la malédiction lancée par un de ses prêtres sera forte.
- Peut-être que le fou dont parlait mon père était un prêtre, et que sa malédiction retombe sur nous, les enfants, dit Gart.
- Ou peut-être que les choses sont beaucoup plus simples. Que savons-nous des habitudes de Lena ? interroge Carali.
- C'est une érudite. Elle faisait probablement des recherches de magie, répond le frère.
- Avec un maître ?
- Non, seule ou en consultant des sages. C'est dans ses notes que nous avons trouvé le nom de l'Egyptien.
- Et vous n'avez trouvé rien d'autre ?
- Rien d'autre.
- Il ne nous reste plus qu'à faire le tour des érudits, en commençant par le sage Antilès demain.

- Lena est-elle venue vous voir ?
- Non.
Le sage parle avec mesure. Il met des pauses entre chaque phrase. Il est avare de son savoir.
- Que savez-vous du culte lunaire des Iles Anciennes ?
- C'est un culte maudit. Il n'est presque plus pratiqué. Il utilise des sacrifices humains.
- Où peut-on trouver des gens pratiquant ce culte ?
- Votre temps est écoulé.
Gart donne dix nouvelles pièces d'or au sage.
- A deux lieues d'ici, dans la direction de Parlis, sur une colline. Il y a un cercle de pierres levées où se pratiquait ce culte. Peut-être que si vous y parvenez à la pleine lune... Je ne peux vous en dire plus.

Gart, Eloa et Carali prennent congé, puis préparent leur expédition.
- Il faudra une journée à peine. Je m'occupe des chevaux, dit Gart.
- Méfions-nous toutefois des mauvaises rencontres. Peut-être nous faut-il une escorte ? s'inquiète Eloa.
- Je m'en charge. Quelle somme comptez-vous y mettre ? répond Carali.

Dans le reste de l'après-midi, le magicien cherche des mercenaires, mais ne trouve personne pour le prix qu'il en propose. Il est alors abordé par le même jeune voleur.
- Il paraît que vous montez une expédition. Avez-vous songé à payer la protection de la guilde ?
- Vous êtes décidément incontournables !
- Faire appel à un voleur pour se protéger des autres voleurs, c'est le moyen le plus astucieux, et pour le même prix qu'une escorte ordinaire.
- Et bien d'accord.

La nuit venue, Carali écoute de nouveau Lena, sans autres résultats, et au petit matin ils partent, avec quatre chevaux.

Vers midi, ils s'arrêtent pour manger. Ils s'apprêtent à partir lorsqu'ils sont encerclés par une bande de six hors-la-loi.
- La bourse ou la vie ?
- Nous sommes sous la protection de la guilde.
- Ca ne compte pas. Nous sommes des voleurs indépendants.
- Magicien, ne peux-tu rien faire ?
- C'est qu'ils sont un peu trop nombreux.
A cet instant, tous sont pris d'un grand sommeil. Ils en tombent, littéralement.

Carali est réveillé par l'Egyptien. Gart, Eloa et Cordi sont déjà debout.
- Vous devez partir avant que les brigands ne se réveillent. Tiens, Carali, prends cette dague en cas de difficultés. Inutile de te préciser, je crois, qu'elle a des pouvoirs magiques.
- Lesquels, et comment êtes-vous là ?
Mais à peine a-t-il posé la question que l'Egyptien a déjà disparu.
- En route donc ! Puis l'apprenti demande au voleur, en train de fouiller les poches des brigands : Cordi, qu'est-ce que tu fabriques ?
- J'arrive.
- Tu as trouvé quelque chose d'intéressant, j'espère.
- Des piécettes. Mais si j'avais trouvé quelque chose d'intéressant, je ne vous le dirais certainement pas et le garderais pour moi.
- Rappelle-nous de te fouiller après cette aventure.
- ???

Ils arrivent à destination en milieu d'après-midi. Une partie des pierres levées est effondrée. L'ensemble parait désert, sans trace d'aucun passage.

Gart inspecte les environs, épée à la main.
Eloa examine les pierres levées.
Carali fouille le sol à la recherche d'objets ou de traces laissées par le culte.
Cordi grimpe sur les pierres.
Rien.

Gart élargit son cercle d'inspection.
Cordi parle à Eloa. Il se révèle être un charmant compagnon, malgré ses allures de voyou.
Eloa écoute distraitement Cordi.
Carali attend.
Gart revient.
Il fait nuit.

Gart scrute l'orée du bois toute proche.
Carali scrute le ciel et la lune.
Cordi parle toujours.
Eloa somnole.
Toujours rien.

- Plus j'y pense, et plus cette histoire me paraît complexe, dit Gart.
- Une malédiction, une épée, la lune... réfléchit Carali à haute voix.
- L'épée ! s'exclame soudain Cordi.
- Elle brille ! ajoute Eloa.
Carali examine l'arme.
- Ca ressemble de plus en plus à une inscription. De nouvelles marques sont apparues. Je vais essayer de nouveau mon sortilège.

Il consulte son livre un quart d'heure, puis il prononce la même formule, en saupoudrant l'épée d'une pincée de cendre et de quelques grains de sel.
- L'Etoile bleue.
- Pardon ?
- C'est ce que je lis sur la lame.
Puis l'inscription disparaît. L'épée reprend un éclat normal.
- Quelle coïncidence ! dit Cordi.
- Je sais où trouver une Etoile bleue, explique Carali aux autres.
- Mes talents sont à votre service, propose le voleur.
- Non, nous allons nous procurer cette Etoile bleue de façon honnête.
Ils rentrent en ville sans être inquiétés.

- Nous sommes venus vous demander un service.
- Mon maître est en voyage. Je ne sais pas quand il reviendra.
- Nous ne sommes pas venus le voir lui, mais vous. C'est à propos de l'Etoile bleue.
- Elle n'est pas à vendre. Adieu.
Et le petit homme, serviteur du sage Antilès, referme la porte au nez de Carali stupéfait.

- Alors ? lui demande Cordi peu après.
- Alors ce sera ta méthode.
- Avant cela, si nous reparlions un peu de votre affaire. Il s'agit de sauver une jeune fille malade, n'est-ce pas ?
- Oui.
- Belle ?
- Assez, oui.
- Magicienne ?
- Probablement une initiée, mais nous n'avons aucune preuve.
- Avez-vous fouillé ses affaires personnelles ?
- Oui, avec Eloa et Gart, mais sans succès.
- Parce que vous ne m'aviez pas, moi, le beau Cordi aux doigts de fée.

A la nuit, le voleur est introduit dans la chambre de Lena.
- Je n'aime pas trop amener le loup dans la bergerie, murmure Gart.

Après une fouille minutieuse, il découvre un parchemin dans le double fond du coffret à bijou de Lena, et un autre entre deux pages collées ensemble de son journal intime. Carali les examine.
- Le premier est un sortilège de lecture de la magie. Je ne connais pas le second. Il y a un sceau : un griffon sur champ d'azur qui ne me dit rien. ..
Il sort de sa poche un petit prisme de quartz tandis qu'il prononce une formule. Le petit prisme disparaît, et il peut déchiffrer le parchemin.
- Intéressant, c'est un sort de vision de la magie. Indispensable pour un autodidacte. Elle a du l'acheter.
- Et tu ne le reconnaissais pas ? Quel drôle de magicien tu fais, se moque Cordi.
- Je tiens mon art de l'Egyptien, qui n'a pas jugé bon de me l'apprendre. Puis-je te demander si tu sais crocheter toutes les serrures du monde ?
- J'en sais suffisamment pour entrer dans la maison du sage Antilès et de son taciturne serviteur.
- Demain soir alors, car il faut remettre les affaires de Lena en ordre, et cet exercice m'a épuisé pour aujourd'hui.

Le lendemain, Cordi surveille toute la journée les portes de la maison d'Antilès. Il voit le serviteur mais pas son maître, et aucune autre allée et venue. Il en conclut que le sage est effectivement en voyage.

La maison est une villa d'un étage, isolée des autres dans un quartier résidentiel de la capitale. Le voleur repère une fenêtre allumée au premier étage. Comme c'est la dernière à s'éteindre, il doit s'agir de la chambre du serviteur.
- Mon plan est simple. Je crochète un volet de l'étage : les fenêtres du haut ne sont pas grillagées. Je rentre. Je bâillonne le serviteur, et je descends vous ouvrir.
- Fais attention.
- Inutile de me le rappeler.

Cordi escalade le mur latéral de la maison. Il a choisi une fenêtre hors de vue de la rue. Avec une main, en équilibre, il crochète le volet et la fenêtre, puis pénètre dans la maison comme prévu. Carali, Gart et Eloa attendent en surveillant les alentours.

Cinq, dix, puis vingt minutes s'écoulent. Rien ne se passe.

Presque trois quarts d'heure plus tard, la porte s'entrouvre enfin. Cordi leur fait signe de rentrer en silence.

- Eloa, reste à l'extérieur pour faire le guet. Les autres, suivez-moi sans faire de bruit.
- Que se passe-t-il ?
- Je n'ai pas trouvé le serviteur. J'ai fouillé toute la maison sauf une pièce, un bureau bibliothèque avec des cornues de magicien. Comme je sais que ces endroits peuvent avoir des protections magiques, j'ai préféré faire appel à vous.
- Merci. Je me prépare et j'arrive, dit Carali qui se replonge dans la lecture de son livre favori. Il a passé la journée à recopier le sort de vision de la magie, et compte maintenant s'en servir.
Puis ils entrent dans la pièce, qui est au rez-de-chaussée.
- Je ne détecte pas de pièges magiques, mais trois tomes dans la bibliothèque dégagent une forte aura. Quant aux cornues et leurs contenus, ils sont neutres. L'un des tomes a le même sceau qu'un des parchemins de Lena. Peut-être est-ce là son origine.
- Cherchons l'Etoile bleue, dit Gart.
Lui et Carali regardent dans la bibliothèque, Cordi dans le bureau.
- J'ai trouvé un livre sur les propriétés magiques des gemmes... Je regarde à Etoile bleue... annonce le magicien.
- Rien dans le bureau, dit le voleur.
- Ca alors ! Il est écrit ici que l'Etoile bleue favorise la lycanthropie, et qu'il en existe plusieurs formes, dont une commune en ville...
- Je vois que vous avez découvert mon secret !
C'est le serviteur qui vient de s'écrier. Il est entré dans la pièce par un passage dérobé sans qu'ils le remarquent.
- Tant pis pour vous !

Il porte une large épée et commence à se transformer : ses lèvres s'allongent, son menton s'efface, jusqu'à devenir un museau, des moustaches commencent à poindre.
- Un rat-garou ! Fuyons avant qu'il ne se transforme tout à fait !
Des poils lui poussent sur la peau. Son torse enfle. Il déchire sa chemise. Ses jambes se tordent pour devenir fines et nerveuses. Il est rapide. Il barre le chemin à Gart et à Cordi. Carali a pu passer.
- Souviens-toi que seule ton arme d'argent peut le toucher. Je vais chercher du secours ! crie le magicien en s'échappant.

Le guerrier se bat à l'épée contre plus fort que lui. La créature mi-homme, mi-rat est habile et expérimentée. Sa dextérité n'a d'égale que sa force et sa cruauté.

Carali ne trouve qu'Eloa. En désespoir de cause, ils retournent dans la bibliothèque. Le rat-garou a eu raison de Gart d'un coup de taille. Il s'apprête à porter le coup de grâce, lorsqu'il est frappé par un objet scintillant.

C'est Cordi qui, décidément plein de ressource, utilise sa fronde pour bombarder le rat-garou de pièces d'argent.
- Je vais te dévorer les entrailles ! Hurle ce dernier.
- Essaie d'abord de m'attraper ! répond le voleur, réfugié derrière le bureau, et qui place une nouvelle pièce dans sa fronde.
- Que pouvons-nous faire ? Je n'ai pas d'armes en argent, demande Eloa.
- Essaie avec cette dague. Tu es mieux entraînée que moi dans le maniement des armes blanches, lui répond Carali.

Le rat-garou a coincé Cordi dans un coin. Il s'apprête à le tuer, lorsque Eloa l'attaque avec la dague du magicien et que... de la pointe jaillit un arc de feu, de quelques dix pouces de long, qui consume tout sur son passage. La bête est profondément brûlée. Tout son poil s'enflamme, ainsi qu'une partie du tapis, et de la bibliothèque.
- Bien joué Eloa ! Aide Gart maintenant.
La jeune fille traîne le blessé.
Cordi ramasse l'épée d'argent.
Carali essaie de sauver un des tomes magiques du brasier. Soudain le rat-garou, pas encore mort, se redresse brusquement devant lui. Heureusement Cordi l'achève par-derrière d'un coup opportun. Puis le magicien et le voleur s'enfuient.
La maison est en flamme.

- Joli butin. Combien peut valoir un livre de magie ? demande Cordi.
- Il faut d'abord aller sauver Lena, réplique Carali.
- Mais comment ? Et d'abord de quoi souffre-t-elle ?
- De lycanthropie... murmure le blessé qui revient à lui.
- Qu'est-ce que c'est ? interroge le voleur.
- Une sorte de maladie. Elle se métamorphose petit à petit en rat-garou, en particulier sous l'influence de la lune. Elle a du être contaminée par le serviteur, mordue ou autre chose, pendant ses recherches, explique le magicien.
- J'espère que Gart n'est pas atteint lui aussi, s'inquiète Eloa.
- Il faudrait voir un guérisseur pour être sûr, répond Carali.
- Je ne comprends pas. Le rat-garou n'avait pas l'air malade lui, s'étonne Cordi.
- Parce qu'il a atteint un stade où la bête prédomine, et où il contrôle ses transformations. Mais dans le cas de Lena, la femme le dispute encore à la bête, d'où ses fièvres inexpliquées, et ce sommeil inexpliqué depuis le début de la pleine lune.

Il fait encore nuit et ils en profitent pour aller au chevet de la malade, toujours en cachette de son père. Mais ils découvrent qu'elle a disparu.
- La transformation a-t-elle déjà eu lieu ? se demande Eloa.
- Je ne pense pas. Elle aurait mis toute sa literie sens dessus dessous, or la chambre a l'air ordonnée, répond Carali.
- Il est trop tard pour faire quelque chose. Allons dormir maintenant. Vous interrogerez la maisonnée demain, conclut Cordi.

Le lendemain, Gart peut à peine bouger du fait de sa blessure. Ils appellent un prêtre du prince Corn, et apprennent à cette occasion que ce sont les gens de ce temple qui sont venus chercher Lena tard dans la soirée. Le père n'a pas jugé bon de retarder plus encore une décision déjà prise.

- Et comment va ma sœur ?
- Vous désirez être soignés ?
- Bien sûr.
- Alors ne posez pas ce genre de question. Votre sœur appartient au temple désormais.

Plus tard, le jeune homme raconte la situation aux autres.
- Et j'ai évité de leur faire part de nos soupçons sur la lycanthropie de ma sœur tellement leur attitude me paraît suspecte. A votre avis?
- Si jamais ils arrivent à soigner ma cousine, ce sera pour mieux la prendre sous leur emprise. Il faut la sortir de là.
- Ca me semble difficile de nous attaquer à un temple à nous seuls, dit Carali.
- Je vais voir ce qu'il est possible de faire, propose Cordi. D'ici là ne vous faites pas remarquer, et ne parlez pas de notre expédition de la nuit dernière.

Le voleur ne donne pas signe de vie durant une semaine. Pendant ce temps Gart se remet de sa blessure. Carali recherche L'Egyptien sans succès. Eloa attend. Puis Cordi reparaît.
- J'ai appris qu'ils la gardent à l'extérieur de la ville, dans une petite maison qui appartient au temple.
- Combien de personnes ?
- Une prêtresse de moyenne importance et trois ou quatre sorciers guerriers novices.
- Comment sais-tu tout cela ?
- J'ai rencontré une des servantes qui a aidé à leur installation.
- Es-tu sûr de ces informations ?
- Je suis assez joli garçon et elle ne jure plus que par moi.
Ils décident d'enlever Lena de nuit.

Gart s'est équipé d'une solide armure. Il tiendra les chevaux et n'interviendra qu'en cas de besoin. Eloa a préféré se vêtir d'une cotte de maille, plus légère. C'est Cordi qui effectue la reconnaissance.

Il s'agit d'une petite maison basse, sans étage, qui ne contient probablement que trois pièces. Le voleur s'approche en rampant de buisson en buisson vers le seul garde visible. Après sa manœuvre, il se retrouve derrière sa victime. Selon le plan convenu, Eloa s'avance alors pour faire diversion.
- Qui vive ?
Le garde fait un pas en avant, et Cordi en profite pour le frapper dans le dos. Mais sa victime n'est pas tuée sur le coup et a le temps de donner l'alerte.
- Tant pis ! On fonce ! décide Gart.
Ils pénètrent de force dans la maison. Mais là les autres sorciers ont eu l'occasion de se préparer et les attendent de pied ferme.

Carali empoigne sa dague magique en espérant qu'un miracle se produira, et le miracle se produit : leurs adversaires tombent dans un sommeil surnaturel. Sur leur élan, nos héros en profitent et entrent dans la pièce du fond.

Là se trouve Lena, gardée par la prêtresse, qui commence de noires incantations à la venue de ces intrus.

Carali pointe son doigt vers elle en prononçant une formule. De son index jaillit un trait lumineux qui vient frapper la prêtresse, et annule, en interrompant le rituel, le sortilège qu'elle était en train de lancer. Le magicien se félicite d'avoir retenu le seul sort offensif de son livre de magie.

Mais la prêtresse est aussi une combattante aguerrie. Elle se saisit d'un marteau de guerre, et attaque. Gart et Eloa ont fort à faire. Elle est rapide, agile et robuste. En faisant de grands moulinets avec son arme, elle les oblige même à reculer.

Heureusement la pièce est faiblement éclairée et, profitant des zones de pénombres, Cordi passe derrière elle sans qu'elle s'en aperçoive et la ceinture. Gart l'assomme alors avec le pommeau de son épée.
- Vite, prenons Lena et fuyons avant qu'ils ne reprennent leurs esprits !

Ils sortent avec précipitation. Gart prend sa sœur encore inconsciente en travers de sa selle.

Une lieue plus loin, après avoir vérifié qu'ils n'étaient pas poursuivis, ils rejoignent la roulotte de Carali.
- Et maintenant, comment allons-nous guérir Lena ? demande Gart.
- Il faut trouver d'autres prêtres, répond Carali.
- Au fait, Gart, pourquoi ne pas avoir supprimé la prêtresse quand tu en avais l'occasion ? s'étonne Cordi.
- Je pense que le temple nous en aurait mortellement voulu si, en plus, nous lui avions assassiné une de ses prêtresses.
- Parce que tu espères un pardon ?
- Parce que j'espère bien ne pas devenir un hors-la-loi toute ma vie. Je compte bien revenir lorsque tout ceci sera un peu tassé.
- La loi varie d'un côté à l'autre. Elle peut changer de bord. Il suffit que le prince Corn tombe en disgrâce, ajoute Carali, philosophe.
- Bien dit ! Mais dis-moi, comment as-tu fait avec les gardes tout à l'heure? lui demande le voleur.
- Je ne sais pas. J'ai juste tenu la dague de l'Egyptien comme ceci et...
- ...et la magie est apparue toute seule, continue l'Egyptien, qui vient soudain d'apparaître. Vous avez été courageux, mais un peu insensés de vous lancer dans cette aventure. Qu'importe, ce qui est fait est fait ! Maintenant il faut emmener Lena dans un autre temple pour y être soignée. Je m'en occupe avec Eloa et Gart. Pendant ce temps, Carali et Cordi, prenez la roulotte et tacher d'éloigner les poursuivants.

Puis l'Egyptien fait un geste circulaire avec son bras. Un arc-en-ciel multicolore se dessine dans l'air. Il invite Eloa et Gart, avec leurs chevaux, à passer dessous. Ils disparaissent magiquement.
- N'oublie pas la dague en cas de besoin.
Il passe à son tour, et l'arc-en-ciel disparaît dans une gerbe d'étincelles.

Pour une fois Carali a pu voir partir l'Egyptien.

Carali et Cordi roulent le plus vite et le plus loin possible. Le voleur choisit de prendre une route largement empruntée par des chariots, puis de la quitter brusquement en effaçant les traces sur quelques mètres. Il espère ainsi ralentir ses poursuivants, mais ne sous-estime pas les capacités divinatoires de leurs ennemis.

Ils roulent de cette manière deux jours, en s'arrêtant à peine pour laisser reposer le cheval. Puis, au matin du troisième jour, ils voient arriver vers eux un groupe de cavalier au galop.
- Tache d'arriver jusqu'à ce pont !
- Et après ?
- Nous verrons bien.
Cordi arme sa fronde, et, debout sur le toit de la roulotte, il vise les chevaux de tête de leurs poursuivants.

Sur le pont, une roue heurte violemment le parapet, la roulotte se renverse. Cordi est précipité dans la rivière. Le cheval reste à terre en hennissant faiblement. Carali se relève. La troupe des sorciers du prince Corn l'entoure. Il serre sa dague, espérant quelque chose... mais rien ne se passe. Il est renversé du pied par un cavalier, il lâche sa dague. Il utilise son sort de projectile magique. Le cavalier tombe de cheval. Un autre prononce une formule magique. Carali est immobilisé sur place. Un troisième s'avance pour lui fracasser la tête avec un marteau de guerre.
- Halte !
L'Egyptien est finalement arrivé à temps.
- Vous êtes sortis de votre juridiction. Ces hommes sont de l'autre côté de la rivière.

Les prêtres sorciers répondent par un chœur d'incantations. Carali, épouvanté, mais toujours incapable de faire un seul geste, voit les nuages commencer à s'amonceler, entend le tonnerre gronder, et sent même la terre frémir sous ses pieds.

L'Egyptien fait un geste, et c'est un, deux, dix traits lumineux qui viennent frapper les sorciers, brisant leurs sortilèges. Puis il sort une sphère métallique de son habit et la jette en l'air où elle reste en suspension. De celle-ci partent deux éclairs électriques qui viennent foudroyer ses adversaires.
- Que ceci vous serve de leçon ! Vous n'êtes plus sur votre territoire !
Les prêtres survivants emportent leurs blessés et leurs morts. Ils renoncent à la poursuite.

Carali sent peu à peu revenir le contrôle de ses membres. L'Egyptien récupère sa sphère, puis aide Cordi à reprendre pied sur la berge.
- Cette affaire me semble terminée. Lena est en de bonne main. Les sorciers n'y reviendront plus, conclut l'Egyptien.
- Bon. Et bien puisque tout s'arrange, je m'en vais avant l'arrivée d'autres ennuis, dit Cordi en essorant un pan de sa chemise. Puis il ajoute : tâchez de vous souvenir de moi à l'occasion.

Et il s'en va.

Carali et l'Egyptien dégagent le cheval, empêtré dans son harnais. Heureusement l'animal n'a pas de patte cassée. Puis ils vont chercher de l'aide dans une ferme des environs.

Enfin, le soir, après avoir redressé la roulotte et réparé la roue, ils font les comptes de cette aventure.
- En conclusion, j'ai trouvé un nouveau refuge pour Lena, Gart et Eloa. Tu as plutôt perdu de l'argent, mais tu as acquis de l'expérience en utilisants tes pouvoirs.
- Et Cordi ? Je m'étonne qu'il soit resté avec nous aussi longtemps.
- Je l'ai persuadé que j'étais un membre secret et influent de sa guilde, et qu'il avait tout intérêt à vous aider de son mieux.
- Quand cela ?
- Lors de votre rencontre avec les hors-la-loi sur le chemin des pierres levées. Je vous ai jeté un charme de sommeil à tous. Je l'ai réveillé en premier car je me méfiais de lui, et je lui ai alors fait cette suggestion en utilisant un autre sortilège.
- Mais comment étiez vous là, et au courant ?
- Je m'intéresse à Antilès. Je pense d'ailleurs ne pas risquer de le revoir de sitôt. Je vous ai suivi pour vous protéger. Quant au comment, cela fait encore partie de mes petits secrets.
- Et comment expliquer cette coïncidence de l'Etoile bleue, sans laquelle rien ne serait arrivé ?
- Il y a plusieurs explications possibles. La plus simple est qu'il s'agisse effectivement d'une suite de coïncidences, avec l'aide de l'épée d'argent, de la lune, et de la magie. J'ignore ce qu'est devenue cette Etoile bleue.
- Et le livre de sorts du sage Antilès ?
- Il est d'un niveau trop important pour toi pour l'instant. Je te le garde pour plus tard.
- Mais...
- Je t'en apprendrai plus en attendant. Pour l'instant, veux-tu bien refaire l'exercice que je t'ai appris ?
Carali dispose quatre lanternes allumées sur le sol.
- Ajoute en deux autres à dix et quinze pas.
Carali s'exécute. Il prononce la formule magique après l'avoir relue dans son livre. Non seulement il atteint maintenant la lanterne placée à cinq pas, mais aussi celle placée à dix. Toutefois celle placée à quinze reste inaccessible. De plus, et pour Carali c'est le plus important, il sent qu'il lui reste assez d'énergie magique pour lancer un autre sort.
- C'est un phénomène que j'ai déjà pu constater avec les débutants qui utilisent ma dague. Elle favorise l'apprentissage de la magie. D'ici peu tu seras capable de mémoriser et de jeter deux sortilèges par jour. Tu seras alors un initié du second cercle.
- Y a-t-il une limite à ces cercles ?
- Pas à ma connaissance.
- Et vous, quel est votre niveau ?
- Regarde bien...
L'Egyptien lance alors le même sort que Carali, et, est-ce réel ou n'est-ce qu'une illusion, mais l'apprenti voit les étoiles vaciller.

Cordi sifflote dans la nuit sur le chemin de la ville.
Il est heureux.
L'Etoile bleue est dans le fond de sa poche.

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