1. La petite maison sur le plateau.

- C'est décidé, je pars ce soir.
- Et où iras-tu ?

Carali a passé trois mois avec Dalor et Elinoëe, à la ferme du vieil éclaireur du roi Situation agréable pour le chasseur, qui apprend maints secrets avec son nouveau mentor, ou pour l'elfe, qui a tout le temps devant elle, mais pour lui, magicien de grand avenir, il n'y a justement aucun avenir à devenir fermier.

- A la ville de Tirlili. Là, j'essayerai d'employer mes talents.
- Et bien, bon voyage. Mais tu ferais mieux de ne partir que demain matin. Es-tu sûr de ne pas vouloir qu'on t'accompagne ?
- Non, non, je vois bien que vous faites tout pour me retenir. C'est gentil de me prévenir, mais ma décision est prise. C'est d'accord, je reste encore une nuit face à votre insistance.

A l'aube Carali part en disant adieu à ses amis. C'est drôle, mais il aurait bien voulu qu'on le retienne un peu plus, surtout la jolie Elinoëe.

A midi, il fait un feu pour se restaurer. Soudain le foyer crépite anormalement. Des flammes s'en échappent, et viennent danser devant ses yeux. Effrayé, il recule d'un bond, mais les flammèches le poursuivent. Il entend un rire cristallin.
- Ce n'est pas risible ! Montrez-vous !
Les flammes disparaissent, puis il aperçoit une silhouette sortant des fourrés.
- Ce n'est que moi, Elinoëe.
- Que fais-tu ici ?
- J'en ai assez d'attendre moi aussi, alors je t'ai suivi.
- Cache bien tes oreilles, car nous allons bientôt entrer dans les domaines du prince. Là, les routes sont plus praticables, mais nous risquons néanmoins d'être inquiétés.

Ils pénètrent dans la principauté sans problèmes, en évitant les rencontres.

- Nous allons faire un bout de marche en direction du sud, puis nous remonterons en direction du nord-ouest. Ainsi nous passerons à l'écart des patrouilles frontalières.

Huit jours plus tard, avec ce crochet, ils arrivent enfin à la ville de Tirlili.

- Et maintenant ?
- Mettons-nous en quête de quelque tâche digne de notre fonction. Allons dans les auberges et sur les marchés pour faire savoir que deux puissants magiciens mettent leur science au service de personnes et gens de qualités.
- Pourquoi ne demanderions-nous pas dans les châteaux ?
- Les nobles d'ici sont essentiellement acquis à la cause du prince Corn. Je recherche plutôt la clientèle de marchands, ou d'aventuriers, pour retourner sur la Frontière. Heureusement notre précédente expédition nous a rapporté un joli magot, et nous avons de quoi voir venir.

En fait, ils n’ont pas beaucoup à attendre avant que les premiers "clients" ne se manifestent.
- Bonjour, nous avons appris que vous louez vos services.
- Nous désirons nous rendre dans les montagnes des nains. Nous sommes prêts à vous payer un bon prix.
- Mais attention, pas aussi bon que cela.
Ils sont trois marchands : un grand, un petit, et un gros.
- Qu'est-ce qui vous a donné l'idée d'aller dans le pays des nains ?
- Nous avons connaissance que le prince y a ouvert une ambassade.
- Nous voudrions y aller avant que ses services commerciaux ne raflent toutes les affaires.
- Surtout les bonnes affaires.
Carali s'entretient rapidement avec Elinoëe, puis il accepte l'offre.

Le lendemain est le jour du départ. Ils emmènent un chariot rempli de toiles, de fourrures, et de verroterie. Les trois marchands ont également loué les services d'un mercenaire. Ils quittent la ville et gagnent la Frontière.

Le premier jour, ils ont la malchance d'y faire une mauvaise rencontre.
- O'Meg ! Fuyons !
- Mais nous ne pouvons abandonner le chariot !
- Vous me faites l'effet d'un drôle de magicien !
- Même pas drôle !
- Il n'est plus temps de discuter. Sauve qui peut!

Et tous abandonnent le véhicule. Heureusement le troll n'en avait qu'après leurs vivres. Il met tout sens dessus dessous, dévore toutes les provisions, puis s'en retourne digérer vers son repaire.

- Nos marchandises !
- Tout est perdu. Adieux veau, vache...
- Et cochon !
- J’ignore de quelle vache ni de quel cochon vous parlez, dit Elinoëe. Mais nous sommes saufs, c'est le principal. Il suffit de remettre un peu d'ordre.
- Et la nourriture ? demande le guerrier.
- Bah ! Nous chasserons en route, c'est tout.

Ils reprennent leur voyage. Ils ne trouvent pas beaucoup de gibier, mais deux jours après, ils croisent une troupe de nains, qui consentent à leur vendre des vivres.

- Et nous qui devions faire des affaires.
- J'ai l'impression que c'est eux qui en ont fait une.
- Ils nous ont presque ruinés !
- Allons donc, cessez de vous lamenter. Ce soir nous mangerons à notre faim.
- On voit que ce n'est pas vous qui payez !
- Bourse vide...
- ...n'a pas d'oreille.

Quatre jours plus tard ils arrivent au passage où la route se rétrécit et se perd dans le maquis. Un passage que Carali connaît bien, pour y avoir été bloqué avec sa roulotte jusqu’à ce que l'Egyptien vienne le dégager.
- Ne vous souciez de rien. Vous allez voir ma magie en œuvre. Dételez le chariot, et ouvrez bien vos yeux.
Il se concentre quelques instants sur un parchemin que lui a confié son maître. Il prononce quelques formules magiques et incantations en direction du véhicule. Celui-ci se soulève. Puis le magicien lui fait faire quelques dizaines de mètres au-dessus des obstacles et des buissons. Soudain le chariot retombe brutalement.
- O mon dieu ! Pourvu que rien ne soit cassé !
- Nous voici bien avancés maintenant !
- Et en fait nous n’avons pas avancé du tout !
- Vous commencez à m'agacer avec vos jérémiades. Ce sort est prévu pour une roulotte magique, pas pour un véhicule aussi imposant. Nous allons camper, et demain nous irons demander de l'aide aux paysans qui résident à une journée de marche d'ici.

Le lendemain ils partent en direction du manoir de Gatt, en laissant le chariot.

- Halte ! On ne passe pas ! Où croyez-vous aller ? demande le sergent d'un groupe de soldat du prince Corn, et qui barrent l'accès.
- Au château.
- Il n'est pas permis d'y aller. Nous en faisons le siège, ordre du prince.
- Et bien nous allons le forcer ! s'exclame Elinoëe.
Elle lance son sort de sommeil, deux hommes tombent. Carali lance le sien, cinq autres guerriers s'endorment. Il ne reste plus que le sergent.
- J'ai dit : on ne passe pas ! s'obstine celui ci en dégainant son épée.
- Vous êtes têtu, dit le magicien en lui lançant son deuxième sort, et le sergent tombe à son tour dans un sommeil comateux.
- Dois-je les achever ? demande le mercenaire.
- Oh, non ! Nous ne voulons pas d'ennuis avec le prince !
- Nous pouvons passer, contentons-nous de cela !
- C'est déjà un délit suffisamment grave.
- Il suffit de prendre leurs armes, propose la demi-elfe.

Ainsi font-ils, puis ils jettent les épées, hallebardes et cuirasses dans les fourrés un peu plus loin. Ils gagnent le château. Le prêtre les accueille avec chaleur.
- Je suis heureux que vous ayez pu passer. Depuis que le prince Orion et ses suivants sont partis, les hommes du prince Corn se sont montrés de plus en plus arrogants. Bien sûr mes gens vont aller vous aider.

Lorsqu'ils repassent devant les soldats, ceux ci sont en train de chercher leurs armes, penauds. Dans la soirée, alors qu'ils montent le chariot avec l'aide des paysans, les sbires du prince n'ont toujours pas retrouvé tout leur matériel.

Le lendemain, les marchands vendent une petite partie de leurs marchandises aux fermiers, se refaisant un peu, oh, rien qu'un peu, de leurs pertes. Puis ils repartent.

Sur le plateau le chariot avance rapidement. Elinoëe et Carali utilisent leurs sorts contre une bande de loups. Ceux-ci renoncent, et vont faire ailleurs leur dernière chasse avant l'hiver. Puis un matin :
- Que regardes-tu ?
- J'ai cru voir quelque chose, au loin, répond Elinoëe.
- Quoi ?
- Je ne sais pas, une espèce de chaumière.
- Ici ? Ca me semble hautement improbable, dit Carali.
- Je vais voir.
- Attends, c'est peut-être un piège.

Peine perdue, l'elfe est déjà partie. Elle marche environ cinq cents pas, jusqu'à l'endroit présumé. Rien. Elle croit soudain apercevoir quelque chose du coin de l'œil. Mais non, rien non plus. Elle renonce et se retourne en direction du chariot. C'est alors qu'elle se retrouve sur le pas de la petite maison sur le plateau.

Elle hésite à frapper à l'huis et franchir le seuil. Que faire ? Elle colle son oreille à la porte et écoute attentivement. Elle croit entendre un petit rire. Rien d'amical ni d'inamical, juste un petit rire, c'est tout, comme un gloussement. Elle se résout à utiliser une de ses potions magiques. Après quelques secondes, avec un sourire confiant, elle pénètre vaillamment dans la chaumière.

- Bonjour, prenez-vous le thé ?
Un vieillard honorable l'attend au coin d'un feu de cheminée. Elinoëe accepte. Elle goûte le thé sucré, mais refuse obstinément les petits gâteaux.
- Désirez-vous quelques bonbons ?
- Volontiers.
Elle suce une friandise. Ca et là volettent des papillons et quelques petites créatures féeriques. Ils dissertent sur l'air du temps. L'instant est délicieux.
- Bon. Trêve de plaisanterie. J'admets que ce tour est excellent, mais montrez-vous donc sous votre véritable apparence, monsieur l’illusionniste.
L'air se trouble, le décor disparaît. Elinoëe se retrouve sur le plateau dans les grandes herbes. Le vieillard honorable a fait place à un gnome, qui la regarde d'un air dépité.
- Comment avez-vous fait ? Je croyais mes illusions parfaites.
- J'ai usé d'une potion magique. Elle m'a permis de lire dans votre esprit avant d'entrer. J'y ai vu de la malice, mais pas de méchanceté.
- C'est vrai.
- J'y ai aussi lu que les gâteaux étaient ensorcelés, et m'auraient fait tomber sous votre charme.
- Je me sens tellement seul à l'approche de l'hiver...
- Désirez-vous nous accompagner ? Nous allons au pays des nains.
- C'est demandé avec tant de grâce que je ne saurai refuser. Je m'appelle Fair, et vous ?

En revenant vers le chariot, ils découvrent Carali, l'air boudeur. A côté de lui les trois marchands et le guerrier dorment à poings fermés.
- Que s’est il passé ?
- C'est de sa faute, répond Carali en désignant une espèce de tatou sur le sol, avec un gros rubis sur le front, et un drôle de regard.
- Il a déclaré qu'il donnerait sa pierre au plus méritant. Alors les marchands ont vanté leurs qualités, puis se sont disputé. Le guerrier s'en est mêlé à son tour, et j'ai dû intervenir.
- Tout est bien qui finit bien. Pourquoi cet air grognon ?
- Bien que j'aie prouvé être le meilleur, il ne veut toujours pas me donner son rubis.
- Je saurai bien le lui prendre, moi, dit Elinoëe en sortant sa dague.
- C'est inutile, dit le gnome. C'est un Carbuncle. Si on le tue ou si on lui prend sa pierre de force, elle se réduit en poussière.
- C'est aussi ce qu'il nous a dit, confirme Carali.
- La seule solution est qu'il donne son trésor de son plein gré. Hélas on ignore comment l'y décider. Il n'a pas peur de la mort. La seule chose qui semble le réjouir est la vue des autres se battre pour sa pierre.
- Alors messieurs dames, qui de vous est le plus méritant ? dit soudain le Carbuncle.
- C'est que cette petite chose nous provoque, voyez-vous ça ! dit Elinoëe en saisissant la créature par la queue, et en l'enfermant dans un sac.
- Je sais que tu veux me garder pour toi toute seule. Mais tu n'y arriveras pas. Les autres vont être jaloux.
- C'est que ça lit dans les pensées, en plus.
- Prenez garde. Si on le contrarie trop, il est capable de se laisser dépérir exprès, et alors sa pierre meurt aussi, précise le gnome.
- N'ayez crainte, je veillerai à sa nourriture matérielle autant que spirituelle. Au fait, qu'est-ce que ça mange ?
- Des vers et des larves d'insectes.
- Ca promet, soupire Carali.

Les marchands et le guerrier se réveillent, et le petit groupe repart. La suite du voyage se poursuit dans une ambiance tendue. Régulièrement Elinoëe sort le Carbuncle respirer au grand air. Et régulièrement celui-ci en profite, grâce à son don de lire dans les esprits, pour attiser les jalousies et les désirs, jusqu'à ce que la demi-elfe, excédée, le remette dans son sac.

Enfin ils arrivent au pays des nains. Mais là aussi l'ambiance est tendue. La nouvelle ambassade du prince Corn impose sa loi. Au bout de quelques jours les marchands se plaignent.
- L'ambassadeur a imposé des taxes sur les marchandises transitant entre le pays des nains et la civilisation.
- Nous ne pouvons rien faire.
- Nous sommes ruinés.
- Leurs sbires m’interdisent l'accès à la bibliothèque royale. Je suis ici pour rien, se plaint également Carali.
- Je connais le roi Noren de longue date, explique le gnome Fair, et j'ai pu lui parler. Il a promis une alliance sincère d'un an avec les hommes du prince Corn. Et pour un nain, une parole est sacrée.
- J'ai une idée, dit Carali. Si nous offrions le Carbuncle à l'ambassadeur ?
- Donner mon Carbuncle ? Jamais !
- Votons !

Et tous votent oui, sauf l'elfe. Le lendemain, au cours d'une réunion officielle du roi, elle offre son petit monstre.
- Je ne dois pas prendre ceci comme une tentative de corruption au moins ? demande l'ambassadeur.
- Que nenni, juste comme un gage de fidélité, répond Elinoëe à contrecœur.
- Est-ce toi le plus méritant ? Tu parais le plus puissant, dit le Carbuncle.
- Charmant petit être.
- A moins que ce ne soit ton fidèle lieutenant que je vois à tes côtés. N'a-t-il pas été mandaté pour te surveiller?
- Evidemment il y a quelques légers inconvénients, ajoute la demi-elfe en refermant le sac. Mais vous ne tarderez pas, je pense, à trouver une solution.

Le jour d'après, le lieutenant est absent, pour incommodités passagères, puis le surlendemain c'est l'ambassadeur, qui a fait une mauvaise chute dans l'escalier.
- Apparemment il y a quelques discordances dans les services de l'ambassade. En tout cas l'accès à la bibliothèque est de nouveau libre.
- Et les affaires reprennent.
- Nous sommes riches.
- Mais toutefois pas suffisamment pour vous offrir une prime.

Dans les jours qui suivent, Elinoëe laisse Carali à ses préoccupations d'érudit. Elle préfère la vie au grand air. Avec Fair, ils partent souvent se balader. Huit jours plus tard, le magicien, triomphant, leur fait part de ses découvertes.
- Il s'agit principalement de contes et légendes des nains. Mais ils ont ici une pièce aux merveilles, où repose une sorte d'épée que nul ne peut prendre.
- As-tu pu l'approcher ? demande la demi-elfe.
- Non, elle est sévèrement gardée. Mais j'ai pu déchiffrer un vieux parchemin : "la première clef de l'épée sera trouvée lorsque la porte de l’Ailleurs sera forcée."
- Et quelle est cette porte de l’Ailleurs ?
- J'ai trouvé des indications sur un vieux plan des mines. Il s'agit d'une galerie dont l’exploitation a cessé pour de mystérieuses raisons.
- Allons-nous l'explorer ? intervient Fair.
- Des mines, des passages souterrains, où il faut peut-être ramper, très peu pour moi, déclare Elinoëe.
- Même si nous découvrons un gisement de diamants ?
- Dans ce cas.
- Avant de partir à l'aventure, il y a un autre parchemin que j'aimerai examiner. Mais il est sous bonne garde, sous un globe de verre. Il faudrait qu'Elinoëe puisse le subtiliser, dit Carali.
- Mais s'il est sous globe de verre, tout le monde va s'apercevoir de sa disparition, proteste-t-elle.
- Je crois que j'ai ce qu'il nous faut, déclare Fair.

Le parchemin repose sur un petit piédestal. Il est recouvert d'une cloche transparente, fruit du génie inventif des nains. Tandis que le magicien et le gnome font diversion en s'entretenant avec les surveillants, la voleuse s'en approche. Mais elle s’aperçoit qu’il y a un système de fermeture de la cloche sur le socle. L’elfe sort une épingle de son corsage. Peut-être arrivera-t-elle à forcer la serrure? Avec de la patience et du doigté, elle y parvient. Elle se saisit du parchemin, en se demandant quelle astuce a trouvé Fair pour que nul ne s'aperçoive de sa disparition.

Lorsqu'elle a caché son larcin et refermé le globe, le parchemin réapparaît soudain dessous. Quelle est cette magie ? Inquiète, elle regarde dans son sac. Mais oui, elle l'a toujours. Puis elle sourit : une illusion, bien sûr. Quel merveilleux petit gnome ! Ils sortent de la bibliothèque.
- Alors ? Qu'est ce que c'est?
- Un peu de patience, répond Carali, qui examine les vénérables inscriptions à travers un petit prisme de cristal.
- C'est un parchemin complexe de protection. Son usage doit être spécifique. On y parle de porte et de démon.
- Peut-être cela a-t-il un rapport avec notre porte de l’Ailleurs.
- Ou peut-être pas. Combien de temps l'illusion restera-t-elle à sa place ?
- Un ou deux jours. C'est variable, répond Fair.
- Prenons-le toujours avec nous. Nous verrons bien, conclut Elinoëe.

Ils se dirigent vers la partie profonde des mines.
- J'espère que tu arrives à te repérer dans ce dédale de galeries.
- J'ai recopié ce que j'ai pu des cartes.

Arrivé à l'entrée du passage de la porte de l’Ailleurs, ils s’arrêtent. Un groupe de guerriers nains garde l'entrée.
- Comment faire ?
- Attendez, j'ai ce qu'il nous faut.
Fair prononce quelques formules magiques, et tous les trois deviennent invisibles.
- Mais même si on ne peut nous voir, on peut nous toucher. Comment faire pour traverser ce cordon de nains ?
- J'ai une autre idée.
Du fond d'une autre galerie monte une rumeur sourde, comme un gargouillis d'eau, et peut-être même des voix chuchotées de jeunes filles. Intrigués, les nains vont voir, ne laissant qu'un seul des leurs devant l'entrée. Les trois magiciens peuvent alors passer.

Ils progressent dans le couloir.
- Je vois bien quelques traces de métal. Peut-être même du mithril. Mais je ne vois toujours pas les gemmes promises.
- Un peu de patience.

Ils arrivent à la fin de la galerie. Elle débouche sur une vaste grotte. Un gouffre sans fond s'étire devants eux. Un pont naturel l'enjambe un peu plus loin.
- Il y a de très vieilles runes sur la paroi du passage. Je vais essayer de les déchiffrer.
Carali consulte son livre de magie, puis prononce une incantation, et lance en l'air une pincée de suie et quelques grains de sel. L'inscription devient alors claire à ses yeux.
- Je ne comprends pas.
- Qu'est-ce que ça dit ? demande Fair.
- La porte des Démons n'existe pas. La porte de l’Ailleurs n'existe pas.
- Je me demande combien de profondeur à ce gouffre, dit l'elfe en s'en approchant.
- Il y a sûrement une explication, se dit le magicien. Mais je ne la vois pas. Hé ! Elinoëe, ne jettes pas ce caillou, c'est peut-être dangereux !
- C'est juste un petit caillou. Tu vois, il ne se passe rien.
Soudain ils entendent un grondement. Des choses sombres viennent voler autour d'eux.
- Des chauves-souris !
- C'est pire que ça. Ce sont les âmes perdues de l'enfer.
- Qui a osé troubler mon sommeil ? tonne une voix puissante.
- Un démon ! Vite, fuyez ! Je vais essayer de le retenir ! dit le gnome. Il se transforme en grand guerrier, étincelant dans son armure de fer, avec une épée dont l'éclat disperse un peu les ténèbres. Carali jette un coup d'œil à l'inscription.
- Elle a changé : je lis maintenant : " la porte des Démons existe ".
- Et la porte de l’Ailleurs ?
- Elle n'existe toujours pas. C'est à nous de la créer, avec le parchemin. Tâche de retenir leur attention avec Fair. Il faut absolument enfermer cette monstruosité, sinon le Mal se répandra dans tout le pays des nains.

Fair est en train de se battre en duel avec le démon sur l'arche naturelle. Elinoëe lance son sort de bouclier magique pour se protéger des nuées sombres qui tentent de forcer le passage.

Le pont de pierre s'effondre dans un grand fracas, emportant le démon et le paladin dans les entrailles de la terre.
- Fair !
Mais la demi-elfe ne peut plus rien faire pour son ami. Elle se bat maintenant contre des formes semi-humaines qui jaillissent des profondeurs.
- Ca y est, la magie opère, dit Carali.
Une grande forme circulaire vient d'apparaître à l'extrémité de la galerie. On dirait une grosse anémone dont les pétales se referment. Ils s’y précipitent avant qu’elle ne se referme tout à fait. Mais soudain Elinoëe trébuche.
- A moi, ils m’entraînent !
Le magicien a juste le temps de prendre la main de son amie pour la retenir. Les formes sombres reculent. L'anémone se referme.
- L'inscription dit maintenant que la porte de l’Ailleurs existe.
- Il en apparaît une troisième. Que dit-elle?
- Ki a la clef.
- Ki ?
- Il y a une faute d’orthographe.

Lorsque le roi Noren apprend qu'ils ont provoqué la malédiction, et que son ami Fair a disparu, il entre dans une profonde tristesse.
- C'est le destin, conclut-il après quelques instants. J'aurai du le mettre au courant. Mais je me méfiais de son caractère fantasque.
- Allons, ce n'est pas si dramatique. Quant à Fair, peut-être s'en est-il sorti ? répond Carali.
- Et comment ? La porte est fermée.
- Nous pouvons tenter de la rouvrir.
- Jamais ! Je vous l'interdis formellement. Je vais prendre des dispositions pour que nul ne s'en approche plus. Nous allons murer cette maudite galerie. Votre présence n'est plus souhaitée.

Carali et Elinoëe font leur maigre bagage. Au détour d'un couloir, l'elfe tombe sur le Carbuncle.
- Que fais-tu ici, toi ?
- Je ne me suis jamais autant amusé. Ces humains à qui tu m'as offert sont vraiment très veules.
- Le truc du rubis, ça marche encore ?
- Ils m'utilisent maintenant pour s'espionner les uns les autres.
- Bon, finis de rire, tu viens avec moi.
Et elle l'enfourne dans son sac malgré ses protestations.

Les deux magiciens sortent du pays des nains et retraversent le plateau. Chaque soir, l'elfe parle au Carbuncle pour essayer d'obtenir sa pierre, tandis que Carali boude dans son coin. Mais rien n'y fait. Et un soir :
- Et si je te laissais là, dans ce désert ? Tu serais bien avancé !
- Je lis dans ton esprit que tu ne le feras pas. Tu désires bien trop mon rubis.
- Ton rubis ! Ton rubis ! Tu m'agaces à la fin. D'ailleurs, à y regarder de plus près, je crois qu'il a un défaut.
- Un défaut ? Impossible !
- Mais si, je t'assure, regarde.
- Je ne peux pas, prends-le et montre-le moi. Oups !
- Mais oui, tu as raison. C'est un pur rubis, et de la plus belle eau encore... Mais... Youppie ! Tu me l'as donné ! Hé! Où es-tu passé ?
- Il a filé dans les herbes. Mais comment as-tu fait pour qu'il ne devine pas ta ruse ? demande Carali.
- En fait, je n'ai pas rusé. J'ai fait cela comme ça, sans réfléchir. Il ne s'est pas méfié.
- Et le Carbuncle ? Que va-t-il devenir ?
- Au diable cette petite peste !

Ils couchent à la belle étoile. Chacun monte la garde une partie de la nuit. Deux jours après :
- Ah ça ! J'ai cru voir de nouveau la petite maison!
- Où ça ?
- Viens ! Je veux en avoir le cœur net, dit Elinoëe en entraînant son compagnon.

Et le même manège recommence. Ils cherchent la maison. Croient-ils la voir du coin de l'œil ? Et non, elle n'est plus là. Mais de l'autre côté ? Non plus.

Ce n'est que lorsqu'ils décident d'abandonner qu'ils se retrouvent devant son seuil. Ils entrent. Le gnome les accueille.
- Bonjour. Voulez-vous du thé?
- Comment avez-vous fait pour vous échapper ?
- C'est ma plus belle illusion. J'en suis très fier.

Ils devisent de chose et d'autres, de philosophie, d'art, de magie.
- Voulez-vous un gâteau ?
- Non merci.
- Ceux ci ne sont pas ensorcelés. Vous pouvez les manger en confiance.
- En ce cas.
- Vous avez eu tort de laisser partir le Carbuncle. Son rubis repoussera.
- Oh non ! Assez de Carbuncle! s'exclame Carali.
- J'en suis heureuse pour lui. Mais un seul de ses rubis me suffit, répond Elinoëe.
- Reviendrez-vous me voir ? Je m'ennuie tant en hiver. Et les premières neiges vont bientôt tomber.
- Si nous retrouvons le chemin.
- Où allez-vous ?
- Dehors, j'ai un besoin pressant. Excusez-moi.

Carali sort. A peine a-t-il fait un pas qu'il se retrouve dans la neige. Il urine tout en pensant : "Déjà ? Comment autant de flocons ont-ils pu tomber en si peu de temps? Et nous ne sommes qu'au milieu de l'automne."

Il se retourne et constate que la maison a disparu. C'est alors qu'il comprend.
- Nous avons été joués ! Il nous tient sous son charme. Une soirée passée chez lui équivaut à toute une saison !
Il appelle Elinoëe à gauche et à droite, mais personne ne lui répond.
- Je ne suis pas équipé contre le froid, mais je reviendrais !
Puis il se met en quête de construire un abri de fortune. Il allume un feu, et l'alimente de façon magique. Heureusement qu'il ne se sépare jamais de son livre de magie !

Trois jours plus tard, il réussit à atteindre le château de Gatt. Il est trempé, fourbu, malade. Le prêtre a beaucoup de mal à le remettre sur pied. Mais au bout d'un mois de fièvre le magicien reprend ses esprits et explique ses aventures.
- J'ai malheureusement l'impression que nous ne reverrons pas votre amie avant le printemps. Vous pouvez rester ici en attendant.
- Je vous remercie de votre hospitalité.

Pendant ce temps, Elinoëe converse avec Fair dans la petite maison sur le plateau. Mais ceci est une autre histoire.

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