1. La Loi d'Agaer.

Lorraine, Eloa, Dalor, Arnus et Merle explorent maintenant depuis deux lunes le pays des montagnes du nord. Ils sont toujours à la recherche de la menace qui pousse des clans entiers de poux d’ours, d’ogres, de trolls et d’autres monstres à investir la Frontière.

Ils ont bien croisé quelques unes de ces créatures. Mais celles-ci, à la seule vue de l’épée du Chaos que porte le chasseur, ont poursuivi leur chemin sans daigner leur répondre. Et comment l’auraient-ils pu? Ils ne parlent pas la même langue.

Un jour, Merle, qui était parti en éclaireur, revient en courant.
- Il y a derrière la crête un parti d'hobgobelins qui a pris au filet un homme oiseau. Il y a aussi un magicien humain.
- Un humain ? Nous pourrons peut-être l’interroger. Allons-y, propose Lorraine. Pourquoi dis-tu que c’est un magicien?
- Parce qu’il commande aux hobgobelins.
- Soyons prudents, intervient Arnus. Je sais par expérience que les sorciers d’ici sont redoutables.

Ils s’approchent sans être vus. Il y a effectivement une quinzaine de hobgobelins, qui ont jeté un grand filet sur une silhouette humaine dotée d’ailes de grandes envergures. Ils tentent de la jeter au sol. La créature se défend du mieux qu’elle peut, mais la lutte semble bien déséquilibrée.
- Je crois reconnaître le magicien. C’est Chakron, chuchote Arnus. J’ai déjà eu affaire à lui.

Soudain l’homme oiseau réussit à déchirer quelques mailles avec son bec. Un hobgobelin s’avance alors, armé d’un grand crochet de boucherie.
- Il va le tuer ! C’est écœurant ! Sauvons-le !
N’écoutant que son bon cœur, Lorraine s’est élancée, bientôt suivie de ses compagnons. Mais le sorcier donne un ordre bref, et dix de ses vassaux abandonnent leur proie pour leur faire face. Puis il entonne une incantation magique.

Heureusement Eloa avait prévu cette menace, et gardait en réserve une flèche enchantée. Le trait lumineux vient frapper Chakron, et gâche le sortilège qu’il s’apprêtait à lancer.

Pendant ce temps, Arnus et Dalor, qui sont de vaillants guerriers, se débarrassent de leurs adversaires. Les autres hobgobelins abandonnent l’homme oiseau et viennent en renfort. Lorraine et Merle se jettent à leur tour dans la mêlée.

Sentant la défaite proche, Chakron prononce une nouvelle formule. Eloa, qui ne disposait que d’une seule flèche magique, ne peut l’en empêcher.
- Je me vengerai ! Profère-t-il en se transformant en aigle.

Nos héros se sont défaits des hobgobelins, mais pas assez vite pour saisir le rapace avant son envol. Maintenant hors de portée, il peut lancer tous les sorts qu’il veut.
- Je vais vous pulvériser !
Mais il a oublié l’homme oiseau. Celui-ci s’était échappé, et le voici qui resurgit de l’horizon, cette fois ci accompagné d’une dizaine de ces congénères.
- Malédiction !
Chakron s’enfuit à tire d’ailes sous les quolibets.

- Je doute qu’il réapparaisse, dit Lorraine.
- Détrompez-vous, répond Arnus. Il est tenace, et s’est déjà tiré de situation pire que celle-ci.

Ils attendent un peu le retour des hommes oiseaux, mais en vain. Ils reprennent alors leur recherche.

Celle-ci se poursuit sans encombre, et sans résultat. Et voici que deux jours après Chakron réapparaît. Il chevauche maintenant un grand dragon blanc. Ils ont volé jusqu’au dessus d’eux, invisibles dans le soleil.
- Je vous avais prévenus ! Vous allez périr !
Nos héros sont pétrifiés de peur à la vue de la créature mythique dont l’ombre projetée des ailes les recouvre entièrement.

Elle souffle. Un souffle froid, glacé. Un vent de tempête qui les enveloppe, leur pétrifie les os et leur gèle le sang.

Les aventuriers sont mal en point, mais en ont vu d’autres. Merle, moins chanceux, est tombé. Chakron fait faire demi-tour à sa monture. Ils reprennent leur élan.

Sachant qu’une nouvelle attaque leur sera fatale, Lorraine, en désespoir de cause, prépare un sortilège de lumière pour éblouir la créature. Mais comment un sort si banal peut-il venir à bout d’un grand dragon blanc ? La prêtresse prie en silence sa déesse. Chakron charge de nouveau.

Et, miracle, sa monture est aveuglée par la lumière sacrée qui s’est fixée sur ses organes visuels. Le sorcier tente bien alors de la diriger, mais celle-ci est complètement désorientée, et elle vient s’écraser à quelques pas de là.

Sentant la chance leur sourire de nouveau, les guerriers s’élancent, tandis que Lorraine tente de soigner Merle.

Le dragon, maintenant à terre et aveugle, semble nettement moins impressionnant, mais il se défend encore. Il souffle une fois de plus, au jugé. Arnus et Dalor l’évitent avec adresse. Puis, sans souci des coups de griffes, ils l’achèvent.

- Je n’ai pas retrouvé Chakron, annonce Eloa à ses compagnons après le combat.
- Cette fois ci, je pense qu’il avait jeté toutes ses forces dans la bataille, répond Arnus.
- Est-ce le dragon ? demande Merle, remis sur pieds grâce aux soins de Lorraine. Il semble bien plus petit que tout à l’heure. Et où est passée sa crête magique ?
- Ce n’est qu’un grand lézard des glaces, confirme la prêtresse. Le sorcier devait l’avoir transformé par illusion.
- A moins qu’il ne s’agisse d’une propriété magique de ces animaux, ajoute Arnus.
- Tu l’as dit, bouffi !
- Qui a parlé ?
- Ce n’est pas moi, c’est mon épée, répond Dalor.
- Décidément, elle ne rate jamais une occasion de se manifester !
- T’as jacté, emplumé !
- Ca suffit vous deux ! intervient la prêtresse. Songeons à notre alliance, et à notre quête !

Ils errent encore pendant plus d’une lunaison, en vain. C’est bientôt l’été, mais ici, dans les montagnes du nord, les neiges semblent éternelles.
- Après tout, savons-nous seulement s'il existe une raison unique qui pousse les poux d’ours, ogres et autres trolls à envahir la Frontière ? se demande Lorraine, un jour de découragement. Peut-être est-ce purement fortuit ?
- Pourquoi ne l’ont-ils pas fait avant ? répond Arnus. Ils ont eu des siècles pour le faire. Mais après tout, il se peut que mon intuition soit fausse.
- Non ! Tu ne t’es pas trompé !
- Qu’est-ce qui te fais dire ça, Dalor ?
- Je le sais, c’est tout !
- Mais...
- Je le sais ! C’est mon épée qui me l’a dit.
Sur ces entrefaites arrive Merle.
- Il y a une colonne de prisonniers, un peu en contrebas, escortée par des ogres.
- Allons-y ! En les délivrant, nous accomplirons une bonne action, et nous obtiendrons peut-être des renseignements.

Ils s’approchent sans être vus. Il y a six ogres et une vingtaine de captifs qui marchent en file indienne, résignés.
- Ils sont trop nombreux pour nous, commente Arnus.
- Les prisonniers ne sont pas entravés, fait remarquer Lorraine. Avec leur aide, et si nous bénéficions de la surprise, nous pouvons en venir à bout.
- Pourquoi attendre plus ? s’exclame Dalor qui a tiré son épée du fourreau. Chargeons !
Il se rue à l’assaut en hurlant. Du coup les ogres se sont retournés et font face.

En maudissant l’impétuosité du chasseur, nos héros vont à leur tour au combat. Celui-ci est particulièrement difficile. Chaque guerrier affronte deux monstres. Eloa et Merle distraient le cinquième. Ils essaient bien de prendre le moins de coups possibles, mais l’éclaireur n’a que son armure de cuir pour toute protection, et la magicienne un bracelet de faible protection, trouvé dans une aventure antérieure. Ils sont atteints et blessés.

Heureusement la prêtresse a pu aveugler son adversaire, et vient à leur secours. Mais, même ainsi, le combat reste périlleux. C’est sans doute l’un des plus périlleux qu’ils aient eu à mener. L’ogre est très fort, et très tenace.

Enfin, Arnus, qui a pu vaincre ses deux ennemis, et bien qu’il soit couvert de sang, vient les aider.

C’est la victoire.

- Et Dalor ? se demande soudain Lorraine.
- Là !
Elle découvre avec horreur que son ami, qui a pu se débarrasser lui aussi de ses adversaires, est en train de trancher méthodiquement la tête des prisonniers.
- Arrête !
- Jamais !
Elle lance un enchantement, et le chasseur interrompt soudain sa sinistre besogne, paralysé. La prêtresse se rapproche. Elle essaie de prendre l’épée, devinant que de là provient la source de cette soudaine démence.
- Aille ! Ca brûle ! Impossible de saisir cette lame maudite !
- Que va-t-il se passer lorsqu’il reprendra ses esprits ? demande Eloa.
- J’espère qu’une fois les prisonniers partis, sa folie passera.
- Et eux ? Pouvons-nous au moins en tirer quelques renseignements? interroge Arnus, en désignant la file impassible des anciens captifs, qui ont continué leur chemin comme si de rien n’était.
- Vous ne pouvez pas, leur répond une voix. Ils sont comme les ogres que vous avez tués, sous le joug d’Agaer.
C’est un vieillard chenu qui leur parle ainsi. Il est assis en hauteur sur une roche.
- Que vient faire le prince de la Loi ici ? demande Lorraine.
- Le dieu est intervenu à la suite d’une malédiction. Pas lui en personne, car cela irait à l’encontre des vœux de P’tha, mais une de ses plus puissantes créatures. C’est une longue histoire, bien plus vieille que vos vingt et un printemps. Elle a soumis toute la vallée voisine, et tout ce qui y vivait. Les poux d’ours, les ogres et les trolls sont devenus ses armées, et les créatures moins puissantes ses esclaves obéissants.
- Comment vaincre cette malédiction, et comment y avez-vous échappé ?
Mais le vieillard a disparu.

- Voilà la source de la menace de ce pays, s’exclame Arnus. Il nous faut la vaincre.
- Pour cela il faudrait vaincre leur chef, cette créature si puissante, dit Eloa. Mais, en admettant que nous puissions le faire, comment allons-nous d’abord parvenir jusqu’à elle?
- Nous pouvons nous mêler à un groupe d’esclave, suggère Merle.
- Pour que Dalor se remette à leur fendre le crâne ? C’est inutile, soupire Lorraine.
- Je vois bien que nous n’avons aucune chance, constate Arnus. Il n’y a plus qu’à rentrer au pays annoncer ce qui se passe ici.
- Mais d’ici là le nombre des disciples d’Agaer aura augmenté, et ce sera encore plus difficile, réplique la magicienne.
- Allons, ne nous décourageons pas, nous finirons par trouver un moyen, conclut Lorraine en rompant le charme qui paralysait le chasseur. Es-tu calmé ? lui demande-t-elle.
- Oui. en vérité je ne sais pas ce qui m’a pris. Je vous ai entendu, et je suis d’avis de continuer. La chance nous a toujours souri jusque là. Je suis persuadé que nous allons réussir.
- Est-ce ton épée qui te l’a dit ?
- Non. C’est mon intime conviction.
- Continuons donc quelque temps.

Ils repartent. Cette fois-ci ils tentent de gagner les hauteurs, afin d’avoir une vue d’ensemble de la vallée, et d’éviter les sentinelles qui ne doivent pas manquer le long de la rivière.

Après une journée de marche harassante sur des sentiers enneigés, Merle revient leur annoncer une bonne nouvelle.
- La piste débouche bien sur la vallée, et ça a l’air moins agité par-là, mais il y a tout de même un gardien.
- Qui ?
- Un dragon blanc.
- Diable ! Si l’envoyé d’Agaer a pu soumettre un dragon, cela augure mal de nos chances de succès! s’exclame Eloa.
- Comment était-il, ton dragon blanc ? demande Lorraine.
- Il semblait dormir. Heureusement car sinon il m’aurait sûrement senti.
- Es-tu sûr qu’il ne s’agissait pas encore d’un lézard des glaces, qui se faisait passer pour un dragon ? se moque Arnus.
- Dragon ou lézard. Je ne vois pas comment nous allons pouvoir passer. Avec vos armures, vous allez le réveiller.
- Ne vous inquiétez pas pour cela, déclare la prêtresse. Ma déesse, Mara, va y pourvoir.
Elle prononce la formule sacrée, fruit de son dernier et long apprentissage mystique, et soudain ils sont placés dans une bulle de silence.
-... ! s’écrie Eloa.
-... ? lui répond Lorraine.
La magicienne lui montre son livre de magie avec force véhémence. En effet la bulle de silence lui interdit d’utiliser son art. Elle ne peut plus invoquer d’enchantements, car ils nécessitent tous la voix. La prêtresse hausse les épaules, puis fait signe à tous de la suivre.

Ils s’approchent du dragon. Que celui-ci est imposant, nettement plus que celui de Chakron, songe la prêtresse. Il est plus gros, a l’air plus féroce, et l’on distingue bien sa crête magique. Ils passent maintenant devant lui sur le sentier escarpé. Mais s’il s’agit d’une illusion, comme le soupçonnait Arnus, comment fait-il pour la maintenir en dormant ?

A cet instant, Merle, très impressionné, trébuche sur une pierre et s’étale de tout son long. Heureusement cela n’a pas de conséquences : grâce à la bulle de silence, cela s’est passé sans bruit. Eloa aide le malchanceux à se relever.

Mais dans sa chute, l’éclaireur a fait rouler une petite pierre. Elle vient frapper une autre pierre, qui glisse à son tour, puis une autre, et la dernière rebondit hors de la bulle de silence... et produit un faible son, qui finalement réveille le dragon !
-... !
-... !
-... !

Celui-ci s’apprête à souffler sur les intrus terrorisés. Mais, contre toute attente, il s’arrête et parle.
- Ha ! Vous êtes enfin là ! Je vous attends depuis de longs mois. Quoi ? Qu’est-ce que vous dites ? Ah oui! Je comprends, c’est votre bulle de silence. Attendez.
Il prononce une formule, et la bulle explose, au grand dam de Lorraine.
- Vous n’avez que trop tardé ! Montez sur mon dos. Allons ! Dépêchez-vous !
- En tant ordinaire, les dragons blancs sont réputés fourbes et cruels, pourquoi feriez-vous exception à la règle ? réplique Lorraine.
- En tant ordinaire, comme vous dites, je vous aurais déjà croqués pour cette impertinence. Mais j’ai senti l'aura de l’épée du Chaos, que je sers, et je vais vous aider.
- Que faisons-nous ? chuchote Arnus.
- Allons-y, répond la prêtresse. Nous n’avons rien à perdre, sinon nos vies.
Surmontant leur terreur, ils grimpent. Le dragon prononce une autre formule.
- Je crée une bulle d’invisibilité. Ainsi nous pourrons voler tranquillement jusqu’au dôme. Là vous ferez ce que vous avez à faire.
- Et alors, Merle ? Tu te décides ?
- A la réflexion, il faut bien que quelqu’un surveille le chemin du retour.
- A ta guise. Mais rien ne dit que nous repasserons par ici. Adieu.
- A la réflexion, je viens avec vous. Attendez-moi !

Le dragon s’envole. Chacun s’agrippe du mieux qu’il peut aux grandes écailles. Ils survolent maintenant la vallée. Ils peuvent constater qu’il y règne une activité fébrile. Il y a de grandes carrières à ciel ouvert, et une multitude d’ouvriers.
- Que font-ils ? demande Lorraine, curieuse malgré sa peur du vide.
- Ils terrassent la montagne, lui répond le dragon, décidément fort prolixe. Agaer n’aime que ce qui est ordonné. Pouah !
En l’entendant prononcer le nom du prince de la Loi, elle jurerait qu’il a eu une grande moue de dégoût. Mais à quoi peut bien ressembler une moue de dégoût d’un dragon blanc?

Enfin ils arrivent à une vaste pyramide à terrasses. Le dragon les dépose sur le toit.
- Vous voilà arrivés. L’être que vous devez combattre est là, au dernier étage. Bonne chance!
Puis il s’envole de nouveau, les laissant à leur destin.

Constatant qu’il n’y a personne aux alentours, ils descendent d’un étage et entrent dans la pièce du sommet du temple. Il n’y a là qu’une petite margelle de pierre, entourant un grand bassin. Ils s’en approchent précautionneusement. Soudain, bien qu'ils soient sur leurs gardes, une grande forme blanche en jaillit et les surprend.
- Ainsi vous osez défier la loi d’Agaer !
La créature prend l’aspect d’une femme à la peau cristalline. Elle a une allure altière.

Sur la défensive, nos héros brandissent leurs armes. Mais à peine ont-ils esquissé leur geste que la forme a prononcé une formule et tracé un signe dans l’air. Les voici maintenant tous téléportés dans les murs. Seuls dépassent leurs visages et leurs mains. Tous, sauf Arnus, qui n’a pas bougé, et reste coi de stupeur.
- Je t’ai épargné car je te devine proche de l’idéal de mon dieu. Rejoins nos rangs et je te ferais général !
- Ne l’écoute pas ! s’écrie Lorraine. Elle ne veut que t’asservir.
- Je pourrais m’emparer de ta volonté d’un simple geste, mais je ne ferais pas. Laisse-moi te décrire le monde selon Agaer. Tout sera ordonné, tous seront égaux. Les forts seront les gardiens de la Loi, et les faibles travailleront pour sa gloire, jusqu’à ce que l’univers entier soit aplani et unifié.
- Unifié sous la coupe d’un dieu inhumain ! continue Lorraine. Ne l’écoute pas !
- Silence où je remplis ta bouche de sable ! Et toi, Arnus, choisis bien. La loi d’Agaer est équitable. Il n’y aura plus de querelles et plus de jalousies, car chacun occupera la place que lui aura désignée le divin. Il n’y aura plus de ces courtisans et de ces politiciens que tu détestes tant. Je le sais car je lis dans ton cœur. Alors, que décides-tu ?
- Et le prince Corn ?
- Il devra périr, car il a prêté allégeance à Lyr, le dieu de la Mort, en secret.
- Mais moi j’ai prêté allégeance au prince Corn. Je ne puis accepter ton offre!
- Alors tant pis pour toi !

Pendant ce temps Dalor entend une petite voix lui murmurer un mot à l’oreille :
- Entropie.
- Pardon ?
- C’est mon nom. Appelle-moi.
- Entropie ?
L’épée du Chaos fend la pierre, et vient se placer dans la main du chasseur. Une gerbe de feu l’entoure maintenant. Il se rue à l’assaut de la créature d’Agaer. Celle-ci a sorti un cimeterre de glace de l’eau, et riposte rageusement.

La gangue de pierre ayant explosé sous le choc, nos héros sont désormais libres. Mais ils sont impuissants face au combat qui oppose la Loi au Chaos. Le chasseur est maintenant recouvert de flammes, et, à chaque choc des épées, de violentes étincelles et des jets de vapeurs jaillissent dans toute la pièce.

- Arnus, secoue-toi, et va aider Dalor ! ordonne Eloa.
- Cette bataille concerne les dieux eux-mêmes. Je ne m’en mêlerai pas.
- Il vaudrait mieux dire cela aux poux d’ours et aux ogres qui montent la pyramide, dit Merle, qui avait préféré s’éclipser, et qui revient maintenant précipitamment.
- Je m’en charge, répond le guerrier en tirant ses armes. En haut du raide et étroit escalier, un seul homme suffit.
- Que pouvons-nous faire ? demande la magicienne à Lorraine.
- Le vieillard nous l’a dit. Agaer est indirectement intervenu à la suite d’une malédiction. Il faut en trouver l’origine et l’annuler.
- Mais ou ? Hormis le bassin, la pièce est vide.
- Sondons les pierres ! propose Merle.

Ils inspectent le sol et les murs, sous les feux et la brume provoqués par le combat. Pendant ce temps Arnus affronte la colonne de monstres qui montent les marches. Heureusement il a l’avantage de la position, et a déjà vaincu deux poux d’ours et un ogre lorsque Lorraine vient le rejoindre.
- Comment ça va ?
- Bien. Mes blessures sont superficielles, et ils se sont reculés, mais ils doivent préparer quelque chose.
Effectivement les monstres se sont écartés pour laisser passer une autre créature.
- Un troll ! Vite! Soigne-moi. Je vais avoir besoin de toutes mes forces pour le combattre.

Le monstre avance. Arnus est forcé de reculer. Le voici sur la dernière terrasse, et en mauvaise posture. Lorraine utilise sa dernière ressource : un sort de lumière, et, par miracle, cela réussit comme par le passé. Le troll est aveuglé.

Le guerrier le tue rapidement, puis repousse les assauts des autres monstres qui ont suivi le troll.
- Débrouille-toi pour le brûler où le faire disparaître. Mais que fais-tu ?
- Fais-moi confiance. Merle ! Viens m’aider !
Ils démembrent le troll et jettent ses morceaux sur la colonne des assaillants.
- Il va se régénérer et attaquer de nouveau ! se plaint Arnus.
- J’ai mon idée là-dessus.
En effet, le temps que le guerrier se débarrasse d’un nouvel ogre, chaque morceau de troll a donné naissance à un nouveau monstre. Mais ceux-ci semblent avoir perdu leur motivation première, et se retournent maintenant contre les assaillants proches.
- Une fois tués, ils sont libérés de l’emprise d’Agaer, et ne cherchent plus qu’à fuir, explique Lorraine.
- Cela nous donne un répit pour un certain temps. Va voir où en sont les autres. Je fais le guet.

Elle rentre dans le temple. Le combat produit toujours son lot de bruit et de fureur.
- J’ai trouvé ça ! lui montre Merle d’un air triomphant.
Ce sont les deux morceaux d’un anneau brisé.
- Où c’était ?
- Au fond du bassin. Je les ai récupérés au péril de ma vie.
- J’en témoigne. Il a été héroïque, confirme Eloa.
- A vrai dire, au début, j’ai cru apercevoir le reflet de pierres précieuses, explique-t-il.
- Je soupçonne cet anneau d’être à l’origine de la malédiction. Mais comment le réparer ?
- L’Egyptien m’a appris un truc de débutant qui peut servir à cela. Au début je ne voyais pas son utilité, mais il m’a certifié que j’en aurai grand besoin un jour. Je crois qu’il a un don de voyance, explique la magicienne. Mais il me faut consulter mon livre de magie, car j’ai mémorisé un autre sort ce matin, et comme je ne suis initiée que du premier cercle, je ne peux apprendre qu’un seul enchantement par jour.
- Combien de temps cela prendra-t-il ?
- Dix minutes.
- Vas-y. De toute façon, nous n’avons pas le choix.
- Lorraine ! appelle soudain Arnus.
La prêtresse sort sur la terrasse. Le guerrier lui désigne le géant en train de gravir l’escalier.
- Comment s’est il débarrassé des trolls ?
- Je crois qu’il les a mangés.

Le contact a lieu. Arnus défend farouchement l’accès de la terrasse. Le monstre est lent, mais résiste bien aux coups du guerrier. Lorsque le géant parvient enfin à le toucher, celui-ci recule de plusieurs pas sous le choc.
- Retirons-nous dans le temple ! décide Lorraine. Nous tiendrons plus facilement l’entrée. Il devra se pencher pour passer sous le linteau.
A moitié assommé, Arnus obéit. La prêtresse utilise son dernier sort de soin, et lui fait boire la potion qu’elle gardait en réserve, mais cela suffit à peine pour le remettre sur pieds.

Tenir l’entrée du temple s’avère effectivement plus facile. Mais le géant, après avoir reçu un coup d’épée, commence à frapper violemment le chambranle, et une partie s’effondre sur le guerrier.
- Merle ! Un coup de main !
Tremblant, l’éclaireur arme son arbalète et vise le géant, qui occupe toute la largeur de l’ouverture. Raté !
- Tu manquerais une vache dans un couloir ! Recommence ! s’écrie Arnus.
A ce moment le monstre lui donne un violent coup de poing, qui fait éclater son heaume. Le défenseur s’écroule.

- Ca y est ! J’ai réussi ! s’exclame Eloa.
Le géant regarde d’un air étonné la pièce. Il ne sait plus où il est, ni pourquoi il combat. Merle en profite pour tirer un nouveau carreau, qui vient le frapper juste entre les deux yeux.

Mais ceci ne suffit toujours pas. Il est de nouveau plein de rage, et seule reste Lorraine pour lui faire face. Il se penche pour s’en débarrasser...

... et, évitant adroitement le choc, elle réussit à frapper avec son fléau l’embout du carreau d’arbalète qui est resté fiché dans le crâne du monstre. Celui-ci s’enfonce d’un pouce, et le géant, enfin mort, s’effondre sur elle.

Lorsqu’elle parvient à se relever, elle constate que la pluie de flammes et de vapeurs a cessé. Dalor gît inconscient. A la place de la créature d’Agaer se tient une vieille femme en train de discuter avec Eloa...
- ... et j’ai imploré le dieu qui nous avait unis de me venger de mon époux. D’ailleurs le voilà...
C’est le vieillard que nos héros avaient déjà rencontré en chemin. Il atterrit sur la terrasse, porté par un groupe d’hommes oiseaux.
- Me pardonneras-tu, ma mie ?
- Me seras-tu de nouveau fidèle ?
- Oui.
- Je te pardonne. Reprends ton anneau, et, au nom d’Agaer et de Fafir, unissons encore une fois nos vies.

Dehors les monstres sont désormais libres, et se combattent farouchement les uns les autres.
- N’ayez crainte, dit le vieillard. Tout rentrera bientôt dans l’ordre, mais pas celui d’Agaer. Lorsque chaque groupe aura pris la mesure de sa force et de celle des autres, la région retrouvera sa sauvage sérénité.

Dalor reprend conscience, mais pas Arnus, dont la tête saigne abondamment.
- Que faire ? On va m’accuser d’avoir abandonné mon chef, se plaint Merle.
- Il vit encore pour l’instant, annonce Lorraine. Mais je n’ai plus de charme de soin, ni de potion. Il est perdu.
- Pas encore, déclare la vieille femme. Au nom de mon dieu, je vais le soigner. Il est la loyauté même, et mérite l’attention d’Agaer.

Une fois rétablis, le vieillard les invite à rentrer chez eux.
- Partez avant que les choses ne s’enveniment de nouveau. Les hommes oiseaux vont vous raccompagner chez vous.
- Un dernier mot, demande Lorraine. Pourquoi ce conflit ?
- Elle est prêtresse d’Agaer et je suis servant de Fafir. Nos relations sont souvent tumultueuses, mais j’ai eu tort de sous-estimer la volonté des dieux en brisant mon anneau de mariage un jour de colère.

Après un vol de plusieurs journées, en se relayant périodiquement, les hommes oiseaux les portent jusqu’aux limites de la Frontière.
- ... et Fafir invoqua l’épée du Chaos pour contrer la créature du prince de la Loi. Car, d’après les commandements de P’tha, un dieu ne peut intervenir dans le monde des mortels sans que le dieu opposé interviennent à son tour, explique Lorraine. De même, lorsque ma déesse fit apparaître la chatte sacrée pour me guider, Lyr appela un chien d’enfer que je du combattre.
- Au fait, qu’est devenue cette épée ? demande Merle.
- Je... je crois bien que je l’ai oubliée, répond Dalor en tâtant son fourreau vide.

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