1. La route du mithril.

A la fin de la cérémonie marquant le début de la quête du renouveau, Hubert s’apprêtait à proposer ses services à Orion, et tentait de fendre la foule des courtisans, lorsqu’un homme lui mit la main sur l’épaule.
- Mon maître, le prince Corn, grand connétable du royaume, désire vous confier une mission
- Une mission ? Dites-lui que j’ai d’autres projets en vue.
- Venez toujours l’écouter. Vous l’offusqueriez en lui refusant cette entrevue. Et par les temps qui courent, mieux vaut n’offusquer personne, ne pensez-vous pas. Quant à Orion, vous pourrez toujours le voir par la suite. Il n’est pas encore parti.

Peu après, ils sont introduits dans les appartements du connétable du royaume au palais.
- Je suis ravi de vous voir, déclare Corn. C’est bon, Jack, tu peux sortir. Mon cher Hubert, je vous prévois un grand avenir à mon service.
- Je suis honoré de votre confiance, mais à dire vrai, je souhaitais plutôt participer à la quête du renouveau.
- Cette quête durera suffisamment longtemps pour que vous ayez l’occasion de vous y mêler. Pour l'instant, les champions occupent leurs journées à décrypter les archives du palais. Je doute que cette austère activité passionne un homme d’action tel que vous.
- Quelle est votre mission ?

- Et tu as accepté ?
- Oui.
- Pourquoi ?
- L’aventure est audacieuse, répond Hubert à son ami le nain Brenïn. Il s’agit de compléter notre première mission au pays de tes compatriotes en sécurisant la route qui mène jusqu'aux montagnes. Songe à toutes les fortunes que sont prêts à payer tous les magiciens du royaume pour quelques onces de mithril.
- Tu ne me dis pas tout.
- Le prince m’a offert un pour cent des taxes de ce nouveau commerce.
- As-tu également songé que cela risquait de détourner les nains de leurs clients traditionnels, les elfes ?
- A dire vrai, non.
- Et as-tu songé aux risques ? D'après ce qu’il parait, la Frontière est de moins en moins sûre. De nouveaux monstres sont apparus depuis notre dernière expédition.
- Nous pouvons recruter des soldats, et nous aurons un allié de poids : Arnus.
- C’est un vaillant guerrier. Mais à lui tout seul, cela ne suffira pas.
- Il ne sera pas seul. Le prince me l’a certifié.

Dans les jours qui suivent, ils engagent des mercenaires. Corn a été généreux, et bien que la Frontière ait une mauvaise réputation, ils ne tardent pas à trouver les aventuriers qu’ils recherchent.

- Et maintenant, où allons-nous rejoindre Arnus.
- Il nous attend à quelques lieues de la ville de Tirlili.
- Je connaîtrais alors enfin ces mystérieux alliés dont tu refuses de me parler.

Ils traversent les marches du prince Corn, puis suivent la rivière Tigre en direction du plateau, et des montagnes des nains.
- J’aperçois un petit campement au nord, revient annoncer un éclaireur à Hubert, peu de temps après avoir pénétré dans la Frontière.
- Il doit s’agir d’Arnus. Allons à sa rencontre.
La petite troupe s’avance.

- Ca y est ! s’exclame Brenïn. J’aperçois des tentes, et l’oriflamme du prince Corn. La silhouette en armure doit être Arnus. Mais... quels sont ses alliés ?
Hubert ne souffle plus un mot, attendant la réaction de son ami.
- Ce sont des orques !
- Calme-toi...
- Tu m’as trompé ! Ces monstres sont les ennemis héréditaires des nains depuis des lustres. Tu le savais, et tu ne m’en as rien dit !
- Ils sont pacifiques, et tous dévoués à la cause du prince Corn.
- Je ne veux pas le savoir ! Je te quitte !
- Tu m’abandonnes après tout ce chemin fait ensemble ? Allez, sois raisonnable...
- Non !
- Excusez-moi, intervient l’éclaireur d'Hubert.
- Quoi encore ?
- Devons-nous vraiment faire alliance avec ces orques ? On les dit fourbes et cruels...
De fait, Hubert se rend compte que tous ses hommes hésitent également.
- Ecoutez-moi tous ! les harangue-t-il. Il s’agit d’une œuvre civilisatrice. Nous allons établir la première route commerciale fiable entre les marches et le pays des nains. Honneur et gloire nous attendent. Nos enfants se souviendront de nous dans les siècles à venir. Arnus a déjà pacifié ces orques. Nous pacifierons les autres monstres de la région, ou nous les bouterons hors de ces contrées, et ferons reculer la Frontière !
- C’est bon. J’accepte de te suivre encore une fois, répond Brenïn.
Mais il semble le seul convaincu.
- Et nous serons riches à n’en savoir qu’en faire !
Cette fois-ci, il est acclamé par tous.

Les hommes plantent leurs tentes. Malgré le discours d'Hubert, les " alliés " s’observent encore du coin de l'œil. Pendant ce temps, les chefs tiennent un petit conseil de guerre.
- Le prince désire établir une chaîne de fortins le long de la rivière Tigre, déclare Hubert. La présence de l’eau permettra à des colons de s’établir autour des camps.
- Mais cette route est plus dangereuse que celle que nous avions empruntée la première fois, répond Arnus. C’est dû également à l’eau. Elle attire aussi les monstres. De plus, il faut compter avec les dernières vagues d’invasion de poux d’ours, d’ogres, et de trolls venant des montagnes. J’ai pu endiguer la cause première de ce flux migratoire, mais maintenant qu’ils ont appris le chemin, ils arrivent de plus en plus nombreux.
- La tâche qui nous attend est donc rude. Nous devons d’abord fixer l’emplacement des fortins.
- Il y a déjà un château, ici, désigne Arnus sur la carte. Il est à mi-chemin de Tirlili et du plateau.
- Très bien. Nous l’attaquerons et le prendrons.
- C’est qu’il est occupé par une famille de géants, et nous sommes bien peu.
- Bigre ! Qu’en pensez-vous, magicien Dreuze ?
- Ce château date de l’ancienne civilisation. Celle qui a disparu de façon inexpliquée il y a deux siècles. Si nous le prenons, nous obtiendrons peut-être de précieux renseignements sur cette civilisation.
- Alors c’est dit. Nous l’attaquerons, et profiterons de l’effet de surprise.
- Une dernière question : tes hommes ne sont équipés que de brigandines. N’est-ce pas une infanterie un peu trop légère pour s’attaquer à des géants ?
- Ce sont tous d’excellents archers. J’ai mon idée là-dessus.
- Espérons que le sort ne la trahira pas.

Ils cheminent le long de la rivière vers l’amont. Tout se passe sans incidents. Malgré leurs antagonismes, les orques et les humains évitent les provocations. Mais, alors qu’ils traversent un sous-bois, ils sont attaqués par des poux d’ours. Mais ils ont à peine organisé leur défense, que leurs ennemis battent en retraite. Puis, une heure plus tard, ils recommencent leur manège.
- Que se passe-t-il ? D’où viennent ces poux d’ours, et combien sont-ils ?
Merle, parti en éclaireur, revient rendre compte à Arnus.
- Ils sont une centaine, et vont nous harceler comme cela jusqu’à l’assaut final.
- Où se trouve l’espace dégagé le plus proche ? demande Hubert.
- A une lieue d’ici, il y a une colline de pierres où ne pousse que de l’herbe.
- Il faut rallier au plus vite cet endroit. Arnus, laisse tes orques en arrière garde. De toute façon ils nous ralentiraient.

Ils fuient donc au plus vite, et, non sans avoir subi d’autres attaques, arrivent en vue de la colline.
- L’arrière-garde s’est fait accrocher ! crie Arnus. Il faut aller la secourir.
- Monte plutôt avec nous jusqu’au sommet, répond Hubert. De là, tu sonneras le ralliement de tes troupes.
- Qu’espères-tu ?
- Tu vas voir.

Une fois arrivés, il fait s’aligner ses archers, et leur ordonne de tirer sur les combattants en contrebas.
- Hé ! Il y a des hommes à nous là-dessous !
- N’exagère pas, ce ne sont que des orques. Et puis cela vaut mieux que de laisser les poux d’ours nous submerger.

L’avant-garde ennemie reflue, tandis que les orques survivants rejoignent Arnus.
- Et maintenant ?
- Tiens tes alliés tranquilles, et regarde.

Les poux d’ours se lancent à l’assaut de la colline. Mais ils sont accueillis par une pluie de flèches. Une fois, deux fois, trois fois, ils jaillissent de nouveau de la forêt, mais à chaque fois ils sont contraints de reculer.
- Ils ont renoncé, on dirait, commente Arnus.
- Toi et tes orques pouvez maintenant aller achever les blessés. Mais ne vous aventurez pas dans le sous-bois. Il doit y avoir encore d’autres poux d’ours en embuscade.
- Je ne comptais pas m’y hasarder.

C’est la victoire. Ils comptent plus de trente poux d’ours à terre.
- Je reconnais que tes archers ont fait du bon travail. Quelles sont ces flèches qu’ils ont employées ?
- Ce sont des flèches semblables à celles utilisées dans l’ancien temps. J’en ai trouvé le croquis dans un vieux manuel de la bibliothèque d’Uhr, et un armurier a pu me les reproduire. Elles sont plus lourdes et vont moins loin que nos flèches ordinaires, mais le fer provoque plus de dégât.
- Il est toutefois heureux que les poux d’ours n’aient pas coordonné leurs attaques. Avec un groupe d’hommes disciplinés et courageux, j’aurais pu conquérir cette colline.
- Peut-être oui, peut-être non. Mais quoi qu’il en soit, nous avons gagné cette journée. Célébrons notre victoire. La route est dégagée jusqu’au château des géants maintenant.
- Hélas, il y a beaucoup de morts et de blessés parmi mes orques. Ils ne sont pas habitués à combattre sous le soleil. Je crains que leur fidélité à notre égard ne soit émoussée.
- Renvoie les donc chez eux. Ils nous retarderaient sinon. Et puis, avec un peu de chance, ils feront diversion.
- Et comment ferons-nous pour prendre le château ?
- J’y ai un peu réfléchis depuis, intervient Dreuze. Cette construction n’est pas l'œuvre des géants. Il doit s’agir d’une forteresse commandée autrefois par un sorcier de l’ancienne civilisation. Il devait avoir le contrôle de ces géants par un moyen magique. Ce moyen existe peut-être encore dans les profondeurs du château.
- Allons-y toujours, à défaut d’avoir d’autres idées d’ici là...
Mais ils n’en trouvent pas. Arrivés à une distance respectueuse, Arnus déclare :
- Installons-nous ici. J’ai entendu dire que les géants utilisaient parfois des loups monstrueux comme animaux de garde. Nous n’enverrons que deux éclaireurs à chaque fois pour espionner le château. En attendant, interdiction de faire du feu.
- Rassurez-vous, je peux produire des flammes sans fumées, ajoute Dreuze. Nous ne serons pas obligés de manger cru.

Ainsi font-ils. La nuit, de sinistres hurlements en provenance du château confirment leurs craintes à propos des loups. Enfin, après huit jours, Merle revient, porteur d’une bonne nouvelle.
- Les géants s’en vont, avec leurs loups.
- Ils sont probablement en chasse d’un gros gibier. Un troll, ou peut-être même un dragon vert. Il ne doit plus rester que les jeunes et quelques femelles au château. C’est le moment ou jamais. Allons-y !

Ils parcourent rapidement la distance qui les sépare du château. Ils traversent le gigantesque pont-levis, à jamais abaissé depuis des siècles, l’épée dressée, l’arc bandé, l'œil aux aguets. Le château est en assez bon état, malgré quelques traces évidentes d’usures, comme les chaînes rompues du pont-levis. Ils passent sous le portail décoré d’un crâne de dragon.
- Que cherchons-nous au juste ?
- Les appartements du sorcier.
- Ils doivent être à l’étage.

Ils entrent dans la cour, puis se glissent dans le bâtiment central. Le rez-de-chaussée est à la dimension des géants. Le plafond est à huit mètres. L’intérieur est constitué de plusieurs pièces, où s’accumulent des fourrures non tannées d’animaux, des déchets de repas divers, et un mobilier très rudimentaire.

Soudain ils entendent un sifflement. Ils se retournent et voient apparaître un lézard géant. Les archers ont à peine le temps de lâcher leurs flèches, dans le plus grand désordre, et déjà le monstre est sur eux. Il coupe un homme en deux d’un seul coup de gueule.
- Utilisez vos épées ! crie Hubert. Cent pièces d’or à qui abattra ce monstre !
Mais la peau du lézard est incroyablement dure. D’un coup de griffe, il éventre un homme, et en blesse un second, sans que sa carapace soit entamée.
- Il faut trouver une solution.
- J’ai trouvé l’escalier qui mène à l’étage ! revient dire Merle.
- Tous à l’escalier !
- Mais il est éboulé !

Heureusement, d’un coup adroit d’arbalète, Arnus parvient à crever l'œil du monstre. Celui-ci s’enfuit.

Mais voici que surgit sa maîtresse. Une géante restée là pour garder l’antre. A chaque retombée de sa masse, un homme s’écroule. Déjà émoussé par le précédent combat, le courage des mercenaires vacille.
- Non, ne fuyez pas ! Nous pouvons encore la vaincre, s’écrie Hubert.
Mais il reçoit un coup et s’écroule.
- Par-là ! Il y a un souterrain à hauteur d’homme. Elle ne pourra nous y suivre !
Ils s’y réfugient. Brenïn y traîne son ami, tandis qu'Arnus retient avec vaillance les assauts de la géante.

- Et maintenant, que faisons-nous ?
- Attendons que ce monstre s’endorme.
- Hélas, elle a l’air de bien tenir la garde. Et si les loups revenaient avant ? Ils pourraient, eux, nous pourchasser.

Ils ne sont plus que huit : Brenïn, Hubert, Arnus, Merle, le magicien Dreuze, deux archers et un prêtre sorcier du prince Corn en train de soigner les rescapés.

- Nous l’avons blessée. Je suis sûr qu’en y retournant une deuxième fois... commence Hubert.
- Mais il doit y avoir d’autres femelles, l’interrompt Arnus. Il ne nous reste plus qu’à abandonner et à rendre compte de notre échec au prince. Voyons si ce souterrain possède une sortie.

Ils allument une lanterne, et s’enfoncent sous terre. Brenïn ouvre la route. Son passé de mineur lui donne une bonne aisance dans les tunnels. Au bout d’un certain temps, ils arrivent à une bifurcation.
- Diable ! Quel chemin prendre?
- Prêtre, ne pourrais-tu interroger les dieux ?
- Hélas, je ne dispose d’aucun animal à sacrifier pour lire la bonne direction dans ses entrailles.
- Le passage de droite a une pente plus faible que l’autre, déclare le nain. Peut-être nous mènera-t-il plus vite à la sortie ?

Mais ils déchantent un peu plus loin. Le souterrain s’enfonce de plus en plus, et ils doivent maintenant choisir entre plusieurs bifurcations.
- Cela ressemble à un labyrinthe.
- Pas tout à fait. Je discerne une galerie plus ancienne, et des galeries adjacentes plus récentes suivant les veines de la roche, déclare Brenïn. C’est une mine.
- Mais une mine de quoi ?
- Hé ! Vous n’entendez rien ?
- On dirait un sifflement.
- C’est le lézard. La géante l’a soigné, et maintenant il nous court après !
- Par ici ! Suivez-moi.
Ils fuient sous la conduite de Brenïn.

- Continuez par-là ! Ne m’attendez pas !
Le nain commence à frapper violemment les parois de la cognée de sa hache d’arme.
- Qu’espères-tu donc ?
- Provoquer un éboulement. La galerie est fragile à cet endroit.
De fait, du sable et des gravillons commencent à tomber, Mais voici qu’arrive le lézard à toute vitesse. Sa gueule grande ouverte occupe presque toute la largeur du souterrain...

Et tout s’écroule d’un seul coup.

- Brenïn ! Où es-tu ?
- Par ici.
Le nain a pu se protéger sous une poutre. Il est sauf. Ils le dégagent rapidement.
- Et maintenant, trouvons la sortie !

Mais ils arrivent à un cul-de-sac. Il s’agit d’une vaste salle circulaire. Au centre, domine un majestueux trône de pierre.
- Cela ressemble au trône dans le château des orques des Briseurs de crâne, dit le magicien Dreuze.
- Effectivement, répond Arnus. Vous n’aviez pas pu utiliser sa magie, alors.
- Mais ici, peut-être que j’arriverai à la déclencher.
- Faites ce que vous voulez, mais moi, ça ne m’inspire pas confiance, déclare Merle. Je reste ici.
Le magicien lit son manuel de magie, puis s’assied sur le siège. Soudain des épieux se dressent sur les parois de la salle, et tout se met à tourner, d’abord lentement...
- Accrochez-vous !
- Mais à quoi ?
...puis de plus en plus vite !
- Dreuze ! Sortez de ce trône!
- Mais si je me lève, je vais être entraîné vers les épieux !
- Levez-vous !
Finalement il se met debout, et la pièce s’arrête de tourner. Mais c’est trop tard pour les deux archers, ainsi que pour le prêtre sorcier, qui ont été projetés par la force centrifuge, et se sont empalés sur le piège. Les épieux se sont retirés, et ils gisent maintenant au sol. Hubert a lui aussi été entraîné. Mais par chance l’épieu a glissé sur la solide armure que les nains lui ont forgée. Quant à Arnus et Brenïn, ils ont pu s’accrocher au bras du fauteuil de pierre.
- Regardez ! Merle a disparu !
- Non ! déclare Brenïn. Ce n’est pas la galerie par où nous sommes arrivés. La pièce a tourné, révélant maintenant une autre issue.
- Le trône et cette salle doivent servir de sas.
- C’est aussi un terrible piège pour qui ose suivre le maître de ces lieux.
- J’y pense, ne remarquez-vous rien ?
- Quoi ?
- La lanterne s’est cassé tout à l’heure, et nous y voyons quand même.
- Tu as raison, répond Brenïn. Ca vient de la roche. Elle éclaire la pièce. Ce doit être de l’orichalque.
- Voici donc ce que l’on extrayait de ces mines. Ce n’est pas dangereux au moins ?
- Les anciens disent que ce minerai, à la longue, modifie les gens. D’étranges transformations apparaissent.
- Bon, nous voici prévenus. Allons explorer cette nouvelle galerie ! conclut Arnus.

Ils s’avancent. Après quelques pas, l’éclairage faiblit. Mais ils aperçoivent bientôt une nouvelle lueur.

Elle provient d’une petite chambre creusée dans la roche. Elle est meublée d’un lit, d’un coffre, et d’une table recouverte de cornues, d’alambic de verre, et de toiles d’araignées.

A la tête du lit, il y a une couronne d’orichalque. C’est elle qui illumine la pièce.

Et sous la couronne il y a un squelette, qui les regarde de ses orbites vides.

- C’est ça ! C’est la couronne qui permet de contrôler les géants ! s’exclame Dreuze, qui utilise un sort de détection de la magie depuis l’entrée de la chambre.
- Qui va aller la prendre ?
- Moi !

Brenïn tend la main et arrache l’objet. Puis ils s’enfuient de toutes leurs jambes. Ils sautent tous ensemble sur le trône, s’accrochant de leur mieux. Après un tour de manège, ils retrouvent enfin le passage et Merle, qui les attendait dans le noir et l’angoisse.
- N’avez-vous pas entendu comme un gémissement ?
- Peut-être. En tout cas j’ai eu très peur. Je ne comprends pas comment Brenïn a eu le courage de faire ce qu’il a fait.
- Ne traînons pas trop, ajoute celui-ci. Il reste à déblayer le passage que j’avais fait effondrer.

C’est un travail de longue haleine. Mais, grâce à l’expérience du nain, ils y arrivent sans provoquer de nouvel éboulement.

- Et maintenant, qui va porter la couronne des géants ?
- C’est un objet de grande puissance, et qui peut faire tourner la tête à plus d’un.
- Toi, Hubert ? Tu es le plus fort d’entre nous.
- Non, je serais trop tenté de garder ce pouvoir pour moi seul. Choisis plutôt Arnus. Il est la loyauté même.
- Et moi ? intervient Dreuze. C’est un objet magique, et je suis magicien, et tout aussi dévoué au prince Corn.
- C’est bon. Ce sera toi qui essayeras, conclut Arnus.

Ils arrivent près de l’entrée du souterrain. Il y a les géants de retour, qui sondent l’ouverture avec un monstrueux bâton.
- Alors ? Vous y allez ?
- Doucement ! C’est que, je ne suis pas sûr que cette couronne contrôle encore ces géants, après tout ce temps.
- Pourtant vous vous êtes portés volontaire !
- Mais... Oh !
- Qu’y a-t-il ?
- C’est fabuleux ! Je comprends leur langage.
- Que disent-ils ?
- Que... que l’on peut venir.
- C’est sans risques ?
- Aucun.

Ils sortent donc. Les géants les entourent, mais ne semblent plus menaçants. Et soudain, alors qu’ils se sont tous aventurés dans la pièce, Dreuze se retourne et les pointe du doigt.
- Tuez-les tous !

Commence alors un gymkhana hallucinant. Les humains courent dans tous les sens, cherchant à se protéger du mieux qu’ils peuvent, qui sous une monstrueuse fourrure, qui sous une table, qui dans un trou de souris (géante)!
- Qu’est-ce que vous attendez ? fulmine Dreuze.
Mais Brenïn, grâce à sa petite taille, échappe aux géants en passant entre deux d’entre eux, qui se percutent en voulant l’attraper. Puis, dans un saut, il réussit à arracher la couronne au magicien.
- Non ! Pas moi ! Aaaaah!
Un géant s’est saisi du magicien, et serre le poing.
- Arnus ! Attrape !
Le nain lance le couvre-chef à travers la pièce. Le guerrier, qui combattait deux monstres avec la fureur du désespoir, s’en saisit et le coiffe.
- C’est bon ! Ils sont de nouveau contrôlés ! Vous pouvez sortir !
- C’est sûr Ca ne va pas recommencer ? demande Merle, agrippé aux anneaux d’une tenture à trente pieds du sol. Comment a-t-il pu grimper là-haut aussi vite ? Mystère !
- C’est sûr ! J’ai la situation bien en main, confirme Arnus.
- Pourquoi l’avoir choisi, lui, plutôt que moi ? demande Hubert à son ami en aparté.
- Tu l’as avoué toi-même, répond Brenïn Il est plus digne de confiance que toi, et la couronne est faite pour des humains, pas pour des nains.

- Ne trouvez-vous pas que les choses prennent un tour surprenant ? demande le roi au prince et au magicien dans une pièce connue d’eux seuls.
- Il a été décidé que la Frontière n’appartenait à personne. Donc elle appartient aux plus entreprenants ! réplique le prince.
- Ne craignez-vous pas que votre Arnus ne prenne trop goût au pouvoir, comme votre Dreuze ? Il pourrait, à la longue, devenir menaçant.
Le prince, perplexe, ne répond pas immédiatement.
- Attendons de voir comment tournent les événements, décide le magicien. Nous pourrons toujours intervenir si jamais cela ne va pas, comme à chaque fois...

Une fois reposés, Arnus et les autres, accompagnés des géants, reforment leurs troupes. Ils volent d’abord au secours de la tribu des Briseurs de crâne, assiégée par les poux d’ours. Une fois leur réputation établie, tous les orques de la région se rallient à eux. Il y a les Eclate-foies, les Suceurs de moelle, les Conserve-cerises, et même les lointains Tord-boyaux.

Fort de cette monstrueuse armée, Arnus revient vers les berges de la rivière Tigre, et chasse de la vallée tous les monstres de la région : poux d’ours, ogres, trolls, et même dragons verts.

- Les choses vont trop loin, déclare le roi au prince. La colonisation avance trop vite. Depuis trois ans, vous avez déjà conquis les collines grises, et maintenant la vallée moyenne du Tigre.
- Les collines grises ont été conquises par les colons eux-mêmes, réplique le prince. Je n’ai fait qu’entériner un état de fait. Quant à la couronne des géants, quelqu’un d’autre aurait bien fini par la trouver, comme nous l’avons fait ensemble jadis.
- A l’époque, intervient le magicien, nous n’avions pas osé nous en emparer. Souvenons-nous que la cause de la disparition de la première civilisation demeure encore dans ces collines. Nous risquons de réveiller des démons endormis en agissant trop vite. Mais je ne suis toutefois pas inquiet pour le moment...

- Ca va ? lui demande Hubert à la veillée.
- Ca va, lui répond d’un air extatique son ami.
- Tu n’as pratiquement pas dormi depuis que tu portes cette couronne.
- Si je m’endors trop profondément, j’ai peur que les géants ne recouvrent la liberté, et le libre arbitre de nous massacrer.
- Nous avons presque terminé cette mission. Tu pourrais confier cette couronne à quelqu’un d’autre.
- Non ! J’assumerais seul mes responsabilités !

Le lendemain, ils reprennent la route du mithril, en direction du pays des nains.

Et voici enfin le jour de la confrontation. Ils arrivent en vue du château de Gatt.
- Je vous somme de me remettre les clés de la place ! clame Merle, promu héraut.
- Jamais ! répond le prêtre du haut des remparts.
- Je te préviens, Arnus, déclare Hubert. Si tu attaques ce château, je t’abandonne.
Mais son ami ne l’écoute même plus.
- Que faisons-nous, maître ? lui demande un ogre récemment soumis. Nous pouvons raser la demeure de cet impudent d’une seule pichenette.

- Cette fois-ci, j’exige que vous interveniez, dit le roi au prince.
- Pas encore, intervient le magicien. N’avez-vous pas envie de connaître la réponse d’Arnus?

D’un côté il y a le prêtre Gatt, à peine plus expérimenté qu’un novice, et ses paysans réfugiés dans ce ridicule petit château sur la route du mithril. Mais c'est un prêtre d'Aana.
De l’autre il y a une horde de géant, d’orques et d’ogres, à peine retenue par la volonté d’un seul homme : Arnus.
Bien sûr, la prise du château marquerait le début des hostilités entre le roi Uhr et le prince Corn, ou du moins le désaveu d’Arnus par ce dernier.

Mais de tout cela, le jeune chef, qui n’a pas dormi depuis des jours, n’en a plus tout à fait conscience. Il se tourne vers sa monstrueuse armée, et déclare d’une voix forte :
- Nous attendons !

Le pont-levis du château s’abaisse après quelques instants, et voici qu’apparaît le prince Corn en personne, monté sur un cheval noir.

Arnus s’avance. Arrivé à un pas, il s’agenouille, et lui tend la couronne. Puis il s’évanouit de fatigue.

C’est la liesse dans tout le pays, la guerre a été évitée de peu ! Déjà affluent les marchands sur la nouvelle route du mithril, dont la sécurité est garantie conjointement par le roi Uhr et son connétable.

- Et maintenant, demande le magicien au prince, qu’allez-vous faire de cette couronne ? Vous savez que vous ne pouvez pas la porter trop longtemps sans dommages.
- Je crois que je vais ressusciter Dreuze, et la lui confier.
- N’avez-vous pas peur qu’il vous trahisse de nouveau ?
- Je pense que son expérience de la mort lui aura montré où était son intérêt, réplique le prince dans un sourire.

- Ca va mieux ? demande Hubert au réveil d’Arnus.
- Ca va mieux !
- Je suis heureux de te voir reprendre tes esprits. Tiens, c’est pour toi.
- Qu’est-ce que c’est ?
- Deux des quatre fioles magiques trouvées dans l’antre des ogres que nous avons vaincus. Tu étais tellement obsédé par ta mission de conquête que tu en avais oublié le butin. Mais heureusement pas moi. Voici ta part.
- Merci.
- J’attire particulièrement ton attention sur la potion jaune. D’après un sorcier du prince Corn, elle devrait te permettre de te guérir de ta surdité.
- Merci encore.
- Une question me turlupine. Pourquoi n’as tu pas attaqué le château de Gatt alors que tu en avais l'occasion ?
- Parce que je n’en avais pas reçu l’ordre.

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