1. Ombre et lumière.

Le prisonnier est escorté de deux gardes à la sortie de sa cellule. Ils suivent un long couloir bordé de cachots tous semblables, occupés par des détenus anonymes, et tous semblables. Puis ils traversent un palier, un escalier, un autre couloir avec d’autres cachots…

Après un vestibule, ils entrent par une porte dérobée dans la salle d’audience du roi Uhr :

- Comte Bergus, vous avez été jugé et condamné pour trahison et félonie envers ma personne. Vous croupissez dans mes geôles depuis… quinze ans déjà. Aujourd’hui c’est au tour du prince Corn de me trahir. Il a en effet pris les armes contre moi…

Le monarque s’approche du prisonnier

- Je ne vous promets pas de vous restituer votre titre et votre rang, ni même de vous offrir mon pardon. Mais je vous offre la vengeance. Acceptez-vous d’être mon connétable contre le prince Corn ?
- J’accepte !

Un mois plus tard, au camp d’Ecuras, le comte tiens un conseil de guerre devant ses chevaliers.

- Messieurs, il semblerait qu'Arn se soit fortifié dans la citadelle de Rouzede. Nous allons donc en faire le siège, et le détruire !
- Sans attendre la formation du reste de l’ost ?
- Que craignons-nous ? Bien que d’un territoire plus vaste, les Marches sont nettement moins peuplées que le domaine royal. Nous luttons à dix contre un !

Mais ils sont partis depuis à peine une journée que leur parvient un funeste messager :

- Capitaine, les armées d'Arn ont quitté nuitamment la forteresse de Rouzede, en laissant à peine quelques feux pour nous tromper. Puis ils ont traversé La Tardoire, ont rallié Châtain-Besson, et ont attaqué Ecuras.
- Mais l’arrière garde que nous y avions laissée n’a pas combattu ?
- Hélas, Arn a dépêché très tôt une colonne pour investir le camp de base, ce qui fait que la plupart de nos chevaliers se sont débandés dès le début du combat pour aller protéger leurs effets, et les prises de guerre accumulées lors de la campagne jusqu’ici…
- Alors il nous faut retourner là-bas pour l’affronter.
- Hélas, il a disparu de nouveau, nul ne sait où se trouve l’armée adverse maintenant.

Le comte a une mine défaite.

- Messieurs, il nous faut nous rendre à l’évidence : Arn a méticuleusement préparé sa campagne, et nous octroie une guerre d’embuscade et de terre brûlée. Nous allons devoir laisser beaucoup de troupes derrière nous pour protéger nos lignes de ravitaillement…

Puis il se reprend :

- Mais qu’importe ! Cela prendra le temps qu’il faut, mais nous allons faire mouvement contre la capitale des Marches : Berrabès. Là il sera bien forcé de nous affronter. Comme nous sommes quand même en nombre supérieur, il ne pourra nous résister éternellement !

Un mois plus tard : au camp provisoire d’Arn, le général expose son plan :

- Nous allons détruire ce pont, ainsi le convoi de ravitaillement ennemi devra faire ce détour.
- Mais il est probable que l’ennemi saura deviner notre mouvement, et enverra des renforts ?
- Ce n’est pas le convoi que nous attaquerons, mais les renforts ! Et sitôt l’avant-garde détruite, nous nous replierons…
- Mais le convoi pourra alors passer la rivière ?
- Nos orques, que j’ai pris soin d’embusquer la veille dans le bois voisin, l’attaquerons au cours de la nuit, quand l’ennemi se croira hors d’atteinte.
- Mais, en faisant ainsi, nous nous éloignons de plus en plus de Berrabès, la laissant libre…
- Justement, je laisse l’ennemi la prendre. Comme nous en avons vidés les réserves de nourritures, et que nous couperons les voies de ravitaillement, ils seront alors obligés de se servir sur les réserves de la ville. Ils s’aliéneront ainsi la population, et il nous sera facile de tendre des embuscades à leurs patrouilles dans la ville. Je ne leur donne pas trois mois à nous résister à ce régime. Des questions ?
- Il est cependant dommage que le prince ne puisse être avec nous.
- Comme je vous l’ai déjà dit, le prince est affairé ailleurs. Il nous rejoindra en temps utile. En attendant j’ai tous les pouvoirs pour mener cette guerre… Mais qu’est-ce ?
- Un message du prince!

Arn le lit, puis déclare :

- Messieurs, nous avons ordre de résister quarante jours à Berrabès ! Tous mes ordres sont annulés…

Trente-neuf jours plus tard, dans la forteresse de Berrabès, Arn, le bras en écharpe : il a été légèrement blessé la veille, examine une dernière fois la carte de la ville.

- L’enceinte nord-ouest ne résistera pas à un nouvel assaut, et nous n’avons plus de chevaux assez frais pour mener une sortie, déclare un de ses commandants.

Arn réfléchit quelques instants

- Alors nous allons les laisser pénétrer dans la vieille ville. Et nous allons disposer des arbalétriers ici et ici, puis nous contre-attaquerons à pied en partant des flancs. Cela devrait nous permettre de gagner encore une journée.
- Mais cela leur laissera la colline, de la ils ont tout loisir d’attaquer la citadelle demain. Et nos murs sont très endommagés…
- Nous trouverons bien quelque chose demain…

Arn continue d’examiner ses plans une fois ses commandants sortis

- Il faudra bien trouver quelque chose…

Le matin du quarantième jour du siège de Berrabès, les soldats du comte Bergus s’avancent, inquiets, à travers la ville.

Qu’est-ce que cela va être cette fois-ci ? Des arbalétriers surgis de nulle part ? Des cavaliers qui les chargent de dos ? Des chausse-trappes ?

Mais contre toute attente, ils arrivent sans encombre devant les fossés de la citadelle. Les murailles semblent bien abîmées, et les défenseurs peu nombreux aux créneaux. On leur a promis une victoire facile, peut-être sera-ce vrai ?

Du haut du donjon, en terminant de faire ajuster son armure, Arn donne ses derniers ordres :

- Chevaliers, la journée risque d’être fort longue. Moi et votre prince comptons sur vous !
- Rassurez-vous ! Les renforts arrivent !
- Magicien Dreuze ! Je ne vous espérais plus ! Quels renforts ?
- Regardez du coté nord-est de la plaine…

Arn sort une longue vue de marine, et regarde dans la direction indiquée.

- Je vois une petite troupe qui s’avance vers l’arrière-garde de nos ennemis. Mais je dirais qu’ils sont mille tout au plus…
- Six cent soixante-six exactement, mais continuez donc de les observer.
- Ah ça ! Nos ennemis semblent fuir devant eux ! Quelle est donc cette armée ?
- C’est l’armée des morts-vivants de l’ancienne civilisation. En conjuguant les efforts de ses mages, prêtres et sorciers nécromants, notre prince a su l’animer.
- Un petit groupe de cavalier semble vouloir résister : je reconnais le fanion personnel du comte Bergus. Ils chargent !

Quelques instants après, Arn replie sa longue vue.

- Ca y est, le comte Bergus est soit mort, soit pire. L’armée ennemie est en déroute, et retourne vers Uhr.
- Victoire ! s’exclame Dreuze.
- Mais j’ai cru apercevoir quelques invités supplémentaires à la bataille ?
- Montrez voir ?

Dreuze prend la longue vue, et examine le paysage à son tour.

- Effectivement ! Il semblerait que des démons se soient invités également… et…
- Oui ?
- Il semblerait que nous ayons perdus le contrôle de l’armée de morts-vivants…
- Ne vous alarmez pas ! dit une voix derrière eux.

Ils se retournent, puis se mettent au garde-à-vous devant le nouveau venu.

- Repos ! dit le prince Corn, en prenant à son tour la longue vue.
- Les morts-vivants et les démons ont choisi de poursuivre les restes de la troupe de feu Bergus, complète le prince. Parfait ! Ils se dirigent droit vers l’est et les domaines du roi. Arn, tu vas regrouper le reste de nos hommes, et nous allons suivre ce mouvement, à distance respectueuse bien sûr. Ainsi nous ne tarderons point à conquérir notre du !
- Longue vie au futur roi du nouveau monde !
- Longue vie au roi !

- Père, qu’apprends-je ? Vous allez me laisser ici, alors que vous allez risquer votre vie face à cette horde de morts-vivants ?
- Il faut quelqu’un pour veiller sur le royaume en cas de malheur. Tu seras régent en mon absence.
- Mais il y a Kirus, et vous ne pouvez me faire cela ?

Le roi regarde longuement le prince Orion.

- Tu as raison mon fils ! Chausse tes éperons ! Nous partons !

Les cinq cent meilleurs chevaliers d’Uhr, accompagnés par tous les prêtres du culte d’Aana, partent donc de la citadelle royale en direction de l’ouest.

Deux jours après, ils arrivent à la rencontre de l’armée des morts-vivants. Les chevaux sont inquiets, mais, comme ce sont des montures nobles de paladins, ils ne reculeront pas.

- La partie ne semble pas gagnée d’avance : ils semblent bien plus nombreux que ce que l’on nous avait signalé ! Qu’en pensez-vous, mon fils ?
- J’aperçois un démon qui semble plus gros que les autres, au milieu de la masse…
- Tu as décidemment de bons yeux. Ca doit être le chef de cette cohorte. Si nous le tuons, nous gagnons !

Uhr se retourne vers son grand prêtre.

- Val, installez-vous sur cette colline et soutenez-nous de vos chants. Qu’Aana vous garde !

Puis il passe devant ses cavaliers :

- Chevaliers, nous allons tenter de les prendre par surprise et charger au cœur des ennemis. Souvenez-vous que si vous combattez pour moi, vous combattez aussi pour une certaine idée de la justice. Au nom de notre bienfaisante déesse…
- Louée soit Aana ! Longue vie au roi !
- Chargez !

Les cinq cents s’enfoncent comme un coin dans les premières lignes. Mais, passés le premier temps de surprise les démons réagissent.

Ils doivent se défendre contre les troupes mort-vivants au sol,  et aussi contre les démons volants qui les attaquent des airs. Les premiers paladins tombent.

Soudain les chants se taisent : Val et ses prêtres en arrière-garde ont été attaqués par une colonne ennemie.

- Hardi ! Nous devons vaincre ou périr ! Chargez !

Ils progressent encore, mais ils ne sont bientôt plus que trois cent, deux cent, cent…

Bref, ils ne sont plus que deux : le roi et son fils. Mais ils sont arrivés en face du chef de l’armée ennemie.

Uhr tire alors enfin Excalibur de son fourreau…

La bataille a pris fin dès la mort du démon majeur. Le roi Uhr a frappé à peine quelques instants avant lui, mais un seul coup de l’épée d’Aana a suffit.

Orion, blessé lui aussi, s’approche du corps encore vivant de son père.

- Et Val ? lui demande le monarque.
- Mort.
- Alors mes paladins ne pourront être ressuscités. C'est la fin de mon royaume, mais pas celui du nouveau monde. Prend Excalibur. Elle t'appartient désormais, mon fils.
- Mais nous pouvons encore nous allier aux prêtres de Zor. Votre blessure n'est pas si grave...
- C'est trop tard. J'ai guerroyé trop longtemps et vu trop de batailles. Celle ci était ma dernière. Je vais rejoindre le paradis d'Aana maintenant. Ecarte-toi s'il te plait.

Des cieux descend un rayon de lumière dorée qui éclaire le roi Uhr. Puis son corps se soulève doucement, et monte jusqu'à perte de vue, au delà des nuages.

- Adieu, Uhr. Je chanterais tes louanges et narrerais tes exploits. Plus tard les fidèles prieront le Héros que tu fus d'intercéder en leur faveur auprès de la juste et bienveillante Aana.

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