1. Horizon.

- Lorraine, depuis la disparition du roi Uhr et du prince Corn, le royaume est fort mal en point. Le régent Kirus demande l'aide de notre temple, et de notre déesse Mara.
- Nous nous sommes tenus à l'écart de ces conflits d'intérêts jusqu'à présent. Pourquoi ne pas continuer ?
- Nous avons des ennemis. Il nous faut des alliés, et nous ne pourront rester neutres éternellement. J'ai pensé à t'envoyer comme émissaire.
- Mais ne serais-je pas plus utile ici, à vos côtés ? Pourquoi ne pas envoyer quelqu'un d'autre ?
- Je pense que tu es la mieux qualifiée. Mais je te laisse quelques jours pour te décider.

Plus tard, dans la cour des chats, elle discute avec son ami Dalor de cette proposition du grand prêtre.

- ... Il voudrait se débarrasser de moi qu'il ne ferait pas autrement. Je parie que c'est un coup de la marraine des acolytes ! Elle est plus âgée que moi et jalouse ma montée rapide dans la hiérarchie...
- Pourquoi es-tu si nerveuse ?
- C'est que... j'ai un peu de retard...
- Comment ? Et tu ne m'avais rien dis ? Mais c'est formidable ma chérie...
- Doucement, rien n'est sûr. Et puis, je ne comptais pas le garder.
- Quoi ? Mais pourquoi ? Tu n'es pas heureuse ? C'est pourtant ce que nous voulions. On en avait parlé...
- Tu en avais parlé. Et puis, je suis trop vieille...
- Mais non ! Tu n'as que trente quatre ans. C'est au contraire inespéré.
- J'ai eu un accident...
- Mais c'est réparé depuis, non ?
- J'ai peur je te dis, là !
- Mais non, c'est naturel. Comment font les autres femmes alors ?
- Tu m'agaces ! Puisque c'est ça j'accepte la mission du temple, et je pars à Uhr.
- Je t'accompagne !
- Mais non ! Je pars seule ! Adieu !

Plus tard, sur la route de la capitale, Lorraine se remémore la dispute.

- Quel idiot ! Et oser me comparer aux autres femmes, comme si je n'étais pas la seule, l'unique, l'incomparable Lorraine !

Elle rit d'elle-même sur son bateau, puis retend la voile, et ajuste le cap. Après tout la vie est belle. Ils se rabibocheront à son retour.

Arrivée à Uhr, après une semaine de cabotage, elle découvre un port vide de toute activité. Elle songe à l'émotion qu'a du connaître le défunt roi en débarquant sur le nouveau monde, déserté de ses habitants, d'après la légende.

Elle accoste à un quai libre, et doit amarrer seule son esquif. Au loin elle aperçoit des fumées. L'air sent l'encens et la mort.

Elle passe devant une charrette où des hommes enturbannés entassent des corps. L'aspect des cadavres ne fait aucun doute : c'est la peste !

Elle rabat un pan de sa cape conte sa bouche et son nez, et va son chemin, en direction d'une auberge.

Lorraine a bien du mal à obtenir une chambre : l'aubergiste a peur de la contamination. Mais elle lui démontre ses talents de prêtresse par un sortilège, et il accepte alors de grand cœur: peut-être pourra-t-elle protéger son établissement de la maladie par ses prières ?

Une fois installée, elle ressort et se dirige vers le palais. Elle se fait connaître comme envoyée du temple de Mara, et obtient une entrevue avec le régent.

Celui-ci est en grande discussion avec d'autres hommes, et ne lui accorde que peu d'attention.

- Une prêtresse ? Parfait ! Cela nous fait une guérisseuse de plus. Veuillez vous mettre à la disposition des acolytes d'Aana déjà à l'œuvre dans les hôpitaux.

Puis Kirus reprend sa conversation interrompue.

- C'est un scandale ! explose-t-elle.

Du coup il lui accorde de nouveau son attention.

- Votre ville, et sa gestion, sont une honte. Chemin faisant j'ai vu filer devant moi toute une bande de rats, dont certains plus gros qu'un chat. Il ne faut pas chercher plus loin la cause de la peste ! Mais ces rats ne sont pas venus tous seuls. Il y a eu du laisser aller ! Je mets directement en cause votre gestion !
- Que dites-vous ?
- Je dis que vous êtes soit complice, soit un incapable !
- C'en est trop ! Gardes ! Jetez-la au cachot !

Enfermée dans sa cellule, Lorraine ne décolère pas. Peu après un homme armé entre.

- Je m'appelle Arn, général des armées. Je viens en conciliateur.
- Si c'est pour des excuses, vous pouvez repasser ! C'est moi qui attends vos excuses !
- Quels sont vos griefs ?
- Oser préférer parler d'une transaction quelconque alors que je viens parler d'une chose aussi grave que la peste !
- Est-ce tout ?
- Et puis me demander de me mettre à la disposition de simples acolytes, moi qui suis quand même bibliothécaire de mon temple !
- Quel est le rang de la bibliothécaire dans votre temple ?
- C'est la détentrice du savoir. Elle vient juste après le grand prêtre.
- Je l'ignorais, et il est probable que le régent aussi. Il ne pouvait laisser passer votre affront devant des étrangers. Je vous propose de travailler ensemble, pour le bien d'Uhr.
- Faites-vous cela sur ordre, ou de votre plein gré ?
- J'ai ordre de faire au mieux, et j'agis de mon plein gré. Je vais vous sortir de cette geôle, acceptez-vous ?

Une fois dehors, Lorraine respire un grand coup.

- On respire mieux ici qu'en bas. Enfin, si on peut appeler ça respirer, ajoute-t-elle en apercevant les fumées des bûchers funéraires.
- Etes-vous enceinte de puis longtemps ?
- Comment avez-vous deviné ?
- Avant de venir j'ai interrogé un augure. Vous ne vous souvenez pas de moi ? Nous nous sommes déjà vus il y a dix ans je crois...

Soudain Arn s'effondre. Lorraine lui porte aussitôt secours. Comme il semble suffoquer elle détache son plastron, et découvre une chemise tachée. Elle la déchire. C'est un bubon : la peste !

Elle traîne le corps jusqu'à son auberge. Mais le patron refuse de laisser entrer un malade. Elle est obligée d'utiliser la Voix pour se faire ouvrir. C'est un ordre bref dit sur une certaine intonation, qui permet aux prêtres qui la maîtrisent de se faire obéir de ceux qui n'ont pas suffisamment de volonté pour y résister. Puis elle monte Arn dans sa chambre.

Elle le soigne deux jours et deux nuits durant. Au troisième jour, Arn ouvre enfin les yeux.

- Grâce à mes soins et mes prières, te voilà guéri.
- Je vous remercie.
- Tu as gagné le droit de me tutoyer.
- Quelles étaient tes idées sur l'origine de la peste ? demande Arn une fois rhabillé et sur pied.
- Je pense qu'elle n'est pas étrangère aux montagnes de la Peur. Depuis la disparition du roi Uhr et du prince Corn, plus rien n'arrête leur influence. Il y aurait du mort-vivant là-dessous que ça ne m'étonnerait guère.
- Les prêtres d'Aana y ont déjà songés, mais par où chercher ?
- Si nous commencions par le cimetière ?

Ils y vont.

- Cet endroit a déjà été passé au crible. On n'y a rien vu d'anormal.
- J'ai amené avec moi un sortilège puissant. Si ce n'est pas un grand prêtre en personne qui a examiné ces lieux, il est possible qu'ils n'aient rien aperçu.
- Il a été fraîchement intronisé depuis la mort du précédent, survenue au cours de la bataille qui a vu aussi la fin du roi. Il manque d'expérience et est débordé.
- Alors nous allons inspecter ces allées.

Lorraine sort une petite fiole de son sac.

- Voyons, il y a quatre allées, et je n'ai que trois doses. Chaque dose me permet de voir une allée. Mais cette potion est précieuse. Peut-être puis-je n'utiliser que deux doses ?

Elle réfléchit...

- Au diable l'avarice !

Elle boit toute la fiole.

Elle parcourt les allées, suffisamment vite pour ne pas épuiser la potion, mais suffisamment méticuleusement pour ne rien oublier. Arrivée à la troisième, elle commence à se dire que son intuition était peut-être fausse, et qu'il n'y a rien ici, quand soudain :

- Là !
- Quoi ?
- Des sources d'énergies négatives, très puissantes. Ce sont des morts vivants.
Il s'agit d'un petit mausolée. Elle examine la porte ouvragée de l'entrée.
- Il y a un glyphe : je lis "Nul ne peut entrer ni sortir, tant qu'il peut distinguer un fil blanc d'un fil noir".
- Ce qui veut dire ?
- L'ouverture ne peut se faire que de nuit.
- Et si l'on tentait de passer par le toit?

Arn escalade le mausolée.

- Il y a une verrière ! On peut voir à l'intérieur... Je distingue les tombes. Une, deux... dix tombes !
- Ca doit être lié au mécanisme d'ouverture de la porte. Tant que la lumière éclaire l'intérieur, la porte reste close.
- Impossible de briser où même de rayer le verre : j'ai essayé. Si on allait chercher des renforts avant la nuit ?
- Je doute que des renforts soient utiles. Et puis je voudrais prouver au régent qu'une bibliothécaire de mon temple peut se débrouiller seule.
- Et si on occultait la verrière ?
- C'est une idée, mais avec quoi ?
- Allons chercher une voile au port. L'après-midi est à peine commencée. Nous avons le temps d'ici ce soir.

Ils y vont, puis ils mettent leur plan en œuvre. Lorsque la voile est en place, la porte s'ouvre dans un gémissement de gonds. Lorraine entre jusqu'au cœur du mausolée. Les dix tombes se sont également ouvertes. Des êtres en sortent. Ils ont le teint blafard, des lèvres fines rouge sang, et des canines saillantes : des vampires ! Son intuition était bonne !

- Arn ! Tire sur la voile !
- C'est accroché ! Han ! Voilà ! Ca y est !

Les vampires, qui émergeaient juste de leur sommeil, sont surpris et brûlés par les rayons du soleil.

- C'est fini ? demande Arn qui a rejoint Lorraine.
- Pas tout a fait. Il faut tailler et bénir dix pieux de buis d'une main de long. J'ai amené de l'eau sacrée en prévision. Puis il faut les planter dans le cœur de chaque vampire et leur trancher la tête.

Ils achèvent leur besogne à la nuit tombante, puis retournent au palais.

- Et maintenant, penses-tu que cela soit réellement fini ? demande Arn.
- Je pense que les choses seront plus faciles désormais.
- Comment expliquer une telle faille dans leur système de défense ?
- Ils ont du se faire aider par un sorcier pour le mausolée, soit volontairement, soit par la contrainte. Celui-ci a du laisser intentionnellement ce défaut pour sa sécurité. Cela ne lui a peut-être pas suffit. Mais quelles sont ces lumières sur la mer ?
- Ca doit être les secours.
- Les secours ? Mais pour quoi faire ? Vite ! Dépêchons nous !

Arn et Lorraine sont reçus par le régent. Celui-ci écoute leur rapport. Il est debout face à une fenêtre donnant sur le port, et leur tourne le dos.

- Tout cela est fort bien, et je me réjouis de cette victoire. Mais c'est trop tard. Je les ai mandés en renfort, et ils sont là.
- Mais qui ?
- La flotte du monde austral.

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