1. Nounours.

Dale surprend sa tutrice en train de « songer » devant un chêne. Ce n’est pas la première fois qu’il la voit ainsi. Cette fois-ci il ose l’interroger :

- Bonjour, tata Elinoëe, pourquoi es-tu ici ?
- Oh ? Je ne t’avais pas vu ! Approche donc.

Puis :

- Il s’agit de la tombe de mes parents. Selon la tradition, le druide Merlin a fait pousser cet arbre dessus.
- Tu ne m’en avais jamais parlé.
- Ma mère est décédée peu de temps après ma naissance. Elle avait renoncé à son immortalité d’elfe pour l’amour de mon père humain. Celui-ci est resté avec nous après sa mort. Je n’ai pas eu le temps de bien le connaître. Les hommes sont si éphémères…

Elinoëe se rend compte de la mine renfermée qu’a pris Dale.

- Excuse-moi, mon chéri. J’avais oublié que tu n’étais pas un elfe. Je t’ai vexé ?
- Non… Ce n’est pas ça. Mais tu parlais de tes parents, et j’ai pensé aux miens. Peux-tu encore m’en raconter plus sur eux ?
- Ta mère était quelqu’un de formidable ! Elle nous a beaucoup aidés lors de notre guerre contre ton espèce.
- Parce que vous avez été en guerre ?
- C’était la tyrannie, et nous luttions contre elle. Mais nous avons gagné, et depuis nous sommes alliés avec la nouvelle reine du royaume des hommes. Il n’y a plus rien à craindre.
- Et mon père ? Tu ne m’en parles jamais ?
- Ton père est mort avant ta naissance. C’était quelqu’un de juste et droit. La tyrannie l’a assassiné. La magie de dame Alvina n’a rien pu faire.
- Pourquoi ? Elle a bien fait revenir « oncle » Foloë ?
- Quand le temps est venu l’esprit se détache du corps et rejoint les âmes défuntes au service des dieux. Seuls les dieux décident de ce temps. Tu comprends ?
- Qui a tué mon père ?
- Rassure-toi ! Tu n’as pas à te soucier de le venger : ta mère s’en est chargée. De là où elle est, je suis sûre qu’elle pense à toi.
- Si elle est vivante, pourquoi n’est-elle pas avec moi ?
- Elle a dû partir pour un autre continent. Parfois, on ne choisit pas. Tu es triste ?
- Oui.

Elinoëe cherche les mots, n’en trouve pas, puis dit :

- Mais c’est l’équinoxe de printemps aujourd’hui ! Va donc nous pêcher un beau saumon à la rivière, et emmène ton ours avec toi, il raffole du poisson.
- D’accord, se déride Dale. Mais je n’emmène pas mon ours, je suis trop grand pour cela maintenant !

L’enfant retourne au village prendre sa canne à pêche. Sur le chemin de la rivière, il croise le regard d’un lapin qui l’observe d’un bosquet. Il a bien fait de prendre aussi son arc !

- Excuse-moi pour ce que je vais te faire, petit lapin. Mais il faut bien que je  nourrisse ma famille, récite Dale silencieusement  au moment d’encocher sa flèche, comme le lui a appris le sage Merlin.
- Mais je suis encore jeune, et je dois veiller sur la famille que je n’ai pas encore. Alors excuse-moi d’avance si j’échappe à ta flèche ! semble répondre le lapin en bondissant.

Tchac !

Cette fois-ci, Dale a raté sa cible. Dépité, il va rechercher sa flèche dans les buissons, quand il entend une petite voix :

- Holà ! Jeune homme, tu as failli m’avoir ! Je ne suis pas un lapin !
- Qui parle ?

Une petite créature de douze pouces de haut apparaît. Elle a deux jambes, deux bras, un torse que surplombe une tête…

- Tu es un lutin ? Tu leur ressembles, mais tu as la peau noire, et deux cornes sur le front…
- Oui… je suis un lutin… tu sembles bien jeune pour te promener  tout seul. Quel âge as-tu ?
- J’ai huit ans !
- Huit ?... C’est bien cela.

Le lutin semble hésiter, puis poursuit :

- Tu ne le sais pas encore, mais tu m’as rendu un fier service ! Je te dois donc trois vœux, conformément à la tradition.
- Trois vœux ?
- Oui. Que vas-tu souhaiter ?
- Peux-tu me rendre ma flèche, s’il te plaît ?

Celle-ci réapparaît magiquement dans le carquois de Dale.

- Et quel sera ton deuxième souhait ?
- Je désire attraper un gros poisson.

Un magnifique saumon vient alors frétiller à ses pieds. L’enfant le ramasse d’une main, tient son couteau de l’autre par la lame et lui assène le coup de grâce avec le manche.

- Et ton troisième souhait ?
- Je ne sais pas encore.
- Tu n’as aucun désir ?
- Et si je souhaitais… pouvoir faire d’autres souhaits ?
- C’est ce que tu veux ?
- Euh… Je ne sais pas. Je vais réfléchir… répond-il, soudain méfiant.
- Bon, bon, à ta guise ! Tiens, comme tu as été gentil, je t’offre ce cadeau.
- Qu’est-ce que c’est ?
- Une image.

Dale tient la feuille de papier blanche devant lui.

- Je ne vois rien !
- Vraiment rien 
- Un dessin apparaît. On dirait… deux visages !
- Oh ! Tu es sûr ?
- Ce sont... les visages de mes parents ?

A cet instant la feuille tombe en poussière.

- S’il te plaît, fais la réapparaître ! Je voudrais les voir à nouveau.
- Oui… Ca semble un peu compliqué… Tu es certain ?
- Je le souhaite !
- Suis-moi alors…

Après une petite marche, ils arrivent à une clairière, où flottent trois petites lumières dans l’air.

- Elinoëe m’a déjà parlé de cet endroit : c’est la clairière des trois sorcières ! Elle m’a dit que les âmes de trois méchantes magiciennes avaient été retenues sur Terre sous forme de feux follets !
- Tiens, mais c’est le petit Dale ! dit la première lumière.
- Il est grand ! Il a huit ans ! dit la seconde.
- La prophétie vas-t-elle s’accomplir ? Le vilain diablotin va-t-il arriver à ses fins ? Attention ! Attention ! dit la troisième.
- Maudites mégères ! Taisez-vous ! s’écrie le lutin noir.

Un éclair vient frapper les feux follets, et ceux-ci s’enfuient.

- Une prophétie ? Quelle prophétie ? Es-tu un diablotin ? demande Dale.
- Ce n’est rien ! Veux–tu revoir tes parents ou pas ?
- Oui.
- Alors laisse-moi disposer ces bougies au sol. Allume-les maintenant.

L’enfant s’exécute.

- Tiens, il ne te reste plus qu’à te piquer le doigt avec ça ! poursuit le lutin-diablotin en lui tendant une dague taillée dans une pierre noire et dure. Et mets-toi bien au centre du pentacle.
- Quel pentacle ?
- La figure que j’ai dessinée au sol.
- Je sais ce qu’est un pentacle, mais… tout ceci est-il vraiment utile ?
- Tu souhaites revoir tes parents ?

Subjugué, Dale se pique le doigt. Au moment où une goutte de son sang tombe à terre, il lui semble que les cieux s’assombrissent. Un éclair tonne, l’orage se prépare.

- Je ne peux plus bouger mes membres ! s’écrie-t-il.
- … à l’équinoxe de printemps de l’an deux cent trente quatre après le grand Oubli, un enfant humain dans sa huitième année, après avoir accepté de faire trois vœux, échangera sa place avec le seigneur-démon, futur Maître de l’Univers… Jubile le diablotin. La porte est ouverte ! Bienvenue, mon Prince !

Soudain du plus profond de la forêt jaillit l’ours de Dale. Son instinct a dû l’avertir du péril menaçant l’enfant. D’un coup de patte, il balaye les bougies et efface le pentacle ! Mais un éclair frappe le plantigrade au moment où il se rue sur le diablotin et le blesse.

Merlin arrive alors à la rescousse : son âge ne lui permettait pas de courir aussi vite que l’ours. Voyant son plan échouer, le diablotin disparaît dans un nuage de fumée.

- Brave nounours, pauvre nounours, je t’avais négligé, et tu m’as sauvé la vie ! pleure Dale après avoir été ranimé. Tu es vraiment le meilleur des ours ! Merlin, ne peux-tu rien faire pour lui, s’il te plaît ?

Le vieux druide examine l’animal.

- Je pense pouvoir le guérir de ses blessures, conclut-il à la fin. Cela demandera juste un peu de temps.

Puis il ajoute :

- Mais tu as raison, ton ours, en plus d’être le tien, n’est pas tout à fait comme les autres. Il est né le même jour que toi, et, bien que son intelligence ne soit qu’animale, l’esprit d’un homme disparu demeure en lui.
- L’esprit de qui ?
- Et qui donc peut t’aimer autant, au point de se sacrifier pour toi ?

Retour à l'accueil --- Livre d'or. <p><A href="resume.php">Cliquez ici pour les browsers sans frame.</a>