Article paru dans Hénouville Contact, janvier 1999.
Un article plus complet est paru en allemand : A. Serander, « Zur Autorschaft des Obstbuchs von Antoine
Legendre (1652) », Zandera,
19 (2004) Nr 2, Berlin.
Les Hénouvillais ne sont pas sans savoir que leur village compta un curé célèbre en la personne de l’abbé Legendre.
Né en 1590 au Vaudreuil, Antoine Legendre, aumônier du roi Louis XIII, contrôleur des jardins fruitiers de sa Majesté, fut en effet curé d'Hénouville de 1622 à 1659.
Il est connu pour avoir été le premier, au moins en Normandie, à indiquer la manière de cultiver les arbres fruitiers en espalier. C'est lui qui mis en vogue également la façon de greffer les poiriers sur les cognassiers. On sait également qu’il se lia d’amitié avec un des Corneille (cf. Hénouville Contact, n° 24, janvier 1998).
L’édition de 1676
L'abbé Legendre a écrit sur ce sujet
un livre qui a fait longtemps référence : la Manière
de cultiver les arbres fruitiers. Cet ouvrage, fut publié pour
la première fois en 1652 à Paris, chez Antoine Vitré.
Il fut suivi d'une contrefaçon (à Rouen, chez Jacques Hérault,
1662) et plusieurs rééditions : Paris, Vitré, 1658;
Paris, Pépingué, 1662; Rouen, Maillard, 1664; Paris, 1665;
Paris, de Beaujeu, 1672, et Charles de Sercy, 1676; Bourg, Joseph Leroux,
1689; Lyon, Jacques Lyons, 1689 et Rouen, du Mesnil, 1701. Il eut même
l'honneur d'une traduction anglaise. Une réimpression fac-similé
fut encore faite à Rouen en 1879 par l'imprimerie de Léon
Deshays. Dans les sept premières éditions, l'ouvrage connu
de notables augmentations, telle qu'une liste descriptive de tous les
fruits de table existant à l'époque.
Dans son ouvrage, l'abbé nous parle de son goût qu'il
avait dès son enfance pour la culture des arbres fruitiers. Sa
curiosité l'incitait déjà à "aller voir
tous les jardins qui estoient en réputation". Il ajoute dans sa
préface, critique envers les jardiniers de son époque :
"Ceux qui se mesloient d'en planter (des arbres) le long des murailles
les mettaient avec la même confusion que s'ils eussent planté
des hayes d'espine, et quand ils commencoient à s'élever,
les uns les tondoient avec le croissant comme on tond les palissades de
charmes, les autres les laissoient venir en liberté, en sorte que
le feste excédant incontinent la muraille, il n'y avoit plus que
le tronc qui fust à l'abry, et toutes les branches qui rapportent
le fruit n'en recevoient aucun avantage."
Il explique dans son livre, dans un style simple et didactique, tout
ce qui est essentiel pour la culture des arbres fruitiers : plantage, multiplication,
culture en pépinière, préparation du sol, choix des
variétés destinées à recevoir la greffe,...
Dans la partie consacrée à la conduite des arbres en espalier,
il recommande comme essentielles les opérations du pincement et traite
de l'ébourgeonnement, de la torsion et du palissage.
Le lecteur notera que le sujet essentiel de l’ouvrage est la culture
des poires et que l’auteur n’y parle aucunement de la culture des coings...
En 1993, un choc pour les Hénouvillais : le fameux livre est réédité dans la collection de la Réunion des Musées Nationaux diffusée par Seuil mais cette fois-ci sous le nom de Robert Arnauld d’Andilly !
L’édition de 1993
Quelles sont les raisons de cette nouvelle attribution ?
En 1677, un jardinier du nom d’Aristote, avait déjà
écrit dans son Traité de jardinage que Legendre
était un nom d’emprunt et que le livre avait été écrit
par l’abbé de Pont-Château. Ce dernier étant âgé
de 18 ans au moment de la publication, cette affirmation est peu crédible.
Puis, Jean-Baptiste de la Quintynie, arboriculteur renommé
en son temps, écrivit dans la préface de son Instruction
sur les jardins que nous étions redevables « à
quelques personnes de qualité éminente, qui sous le nom
et sur les Mémoires du fameux curé d’Enonville, a si poliment
écrit de la culture des arbres fruitiers », mais ne nomma
personne. On proposa par la suite les noms de Guillaume de Lamoignon (1617-1677)
et Olivier Lefebvre d’Ormesson (1610-1686). Enfin, dans l’édition
de 1716 de l’ouvrage de La Quintynie, une note de l’éditeur Michel
David avança sans preuve le nom du janséniste de Port-Royal,
Arnauld d’Andilly. Cette allégation avait déjà été
réfutée par Prévost en 1848 dans une Notice sur le
traité d'arboriculture publié en 1652 par l'abbé Legendre,
curé d'Hénouville et par P. Le Verdier dans un article
paru dans Normannia intitulé Antoine Le Gendre et son traité:
La manière de cultiver les arbres fruitiers.
Les auteurs de la réédition de 1993 argumentent cette
thèse en soulignant la politesse de langage de l’auteur, la clarté
de la démonstration, la nomenclature des fruits et la date de la
publication.
Robert Arnauld d'Andilly
On peut citer en faveur de l’abbé Legendre
que dans l’édition de 1676, le traité est précédé
d’une épître signée « Le Gendre, curé
d’Hénonville ». L’auteur y exprime son respect et sa
reconnaissance à Jean-Louis de Faucon, président du Parlement
de Normandie et lui dédie son ouvrage. Il écrit : «
Je vous dois tout ce que je suis, et cet honneste loisir qui
m’a donné le moyen de m’instruire en la science de cultiver les
arbres. ». Plus loin, il ajoute : « Pour moy, je ne
puis parler que de nos espaliers, et des bien-faits que j’ay receus de
vostre main... Voilà ce que ce livre publiera par tout où
la fortune le voudra conduire. C’est un enfant que j’oze maintenant vous
présenter, jusqu’icy il n’a paru qu’en tremblant, et ne s’est montré
au monde que pour scavoir si tout le monde le jugeoit digne de vous. Aujourd’huy
qu’il a trouvé parmy les honnestes gens plus d’approbation qu’il
n’esperoit, je vous le donne tout entier et sans réserve. »
On notera que, en parlant des avenues de hêtres et de chênes,
l’auteur fait référence au Pays de Caux. Il dit également
avoir une expérience de près de 50 ans : Antoine Legendre,
né dans un village rural puis curé de campagne pendant plus
de 30 ans, a certainement plus d’expérience que Arnauld d’Andilly
retiré à l’abbaye de Port-Royal en 1646 après une
carrière dans le droit.
Pour ce qui est du style, il peut très bien être celui
d’un prêtre cultivé, aumônier du roi et contrôleur
de ses jardins, et ami des Corneille. Quant à la date de la publication,
elle n’est pas un argument, Antoine Legendre (1590-1665) et Robert Arnauld
d’Andilly (1589-1674) n’ayant qu’un an d’écart.
Tous ces arguments sont donc très discutables et en l’absence de preuves ou du manuscrit original, il semble un peu audacieux d’attribuer l’ouvrage à Arnauld d’Andilly.
C’est en tout cas bien l’œuvre de « l’abbé Legendre » qui fit l'objet d'une conférence à l'Académie des Sciences en 1952.
Le nom de l'abbé Legendre a été donné à l'un des carrés de l'ancien potager du roi, devenu par la suite l'Ecole nationale supérieure d'horticulture de Versailles.
© Arnaud SERANDER 1999