SOIR DE TOURNOI
Aujourd’hui de
nouveau notre club est en fête
Pour dresser le
bilan des voluptés honnêtes
Qui, de bouffées
d’orgueil en abîmes d’horreur
Rythment un chemin
de croix qui se veut enchanteur
Car serait-on
bridgeur sans être masochiste ?
On commence à 2
heures, joyeux et optimiste,
Dans ce silence épais
qu’on obtient quelquefois
A force de hurler
que l’on ne s’entend pas...
On paie pour être
là et quand le soir arrive
Ivre de coups manqués
au milieu de copains
Qui demandent
« Alors ? » en se frottant les mains
"Alors ?".
Pauvre de moi, je m’excuse et j’explique :
Je croyais le
Texas, un état d’Amérique
Ou, pour ma
partenaire, j’ai trouvé polisson
De jouer dans sa
chicane avec mon singleton !
Je suis là, côtoyant
des premières séries,
Moi l’humble débutant,
frôlant l’apoplexie
Et, chaque après-midi,
je vais serrer les fesses
En coupant une
carte évidemment maîtresse
Et voir un vieil
ami que je croyais meilleur
Me bouffer mes
atouts avec la bouche en cœur…
Ah ! Ce petit
chelem que tous voient sur table
Et moi qui ne vois
rien et suis si vulnérable
Et mon bon
partenaire figé dans son linceul
Jetant sur mes défausses
un regard d’épagneul !
C’est là que
pour un rien, grondé par un arbitre
Comme autrefois
gamin quand je faisais le pitre
Je sentirai pâlir
et réduire en lambeaux
Vingt ans
d’autorité au sommet du barreau.
C’est là qu’un
vis-à-vis, quand enfin je me couche
Daignera
m’honorer d’un "merci" de la bouche
Tout en fixant mon
jeu comme s’il venait de voir
Une crotte de chien
sur le bord d’un trottoir !
Oh ! J’en
connais, bien sûr qui se jouent de ces choses
Qui maîtrisent
l’enchère et la carte en virtuoses
Qui traite le
"Cue-bid" comme un vieux compagnon
L’appelant "Mickaël",
comme ça, par son prénom…
J’en connais qui
se font des coups invraisemblables
Celui du crocodile
ou bien celui du diable,
Au point d’avoir
parfois des accents de maffia :
-« Si c’était
vous le mort, je ferai mon contrat ! »
Alors
personnellement, je suis sans inquiétude,
Au bas du
classement, je prends mes habitudes.
Landy, Roudy, Drury
font mon admiration
Mais
jamais Laugery n’aura sa convention…
Alors
pourquoi rester dans ce cercle infernal
D’un
jeu qui me passionne et me le rend si mal ?
C’est
tout simple, après tout et je vais vous le dire :
C’est
uniquement pour retrouver vos sourires
Le
salut d’un ami, le charme féminin
D’un
regard caressant mes bouts de cartons peints.
Votre
douce présence Mesdames, et cette grâce
Avec
laquelle vous faites, à l’envers vos impasses.
Car le
bridge, à mon sens, se doit d’être avant tout
Un
moment d’élégance en un monde un peu fou.
Et
puisque aucun n’échappe aux instants de faiblesse
Se
faire humilité et souvent gentillesse.
Alors,
bien entendu, à tous ici je souhaite
Des
points à profusion, des classements en fête.
Des
mains de chef de gare et des chelems réussis.
Mais
pour goûter, demain, ce bonheur d’aujourd’hui
Pour
garder à ce jeu ses lettres de noblesse,
Faisons
de l’amitié notre carte maîtresse.
Conservons-la
vivante au plus fort de nos coups,
Car
elle est pour chacun le meilleur des atouts.
Bernard
LAUGERY 1er mai 1996
|