Un chat pas comme les autres.



Un matin, comme tous les matins, Gaspard prit son petit déjeuner avec Thomas. Quand celui-ci partit pour l'école, Gaspard l'accompagna jusqu'à la porte et lui dit " au revoir " comme d'habitude, avec un petit miaou et un gros ronron. Gaspard jouissait de la réputation chez les chats d'avoir une très belle voix. Les personnes humaines avaient sur ce sujet des avis partagés. Thomas trouvait que Gaspard miaulait à merveille, et que la musique de ses miaous était un délice. Le père de Thomas, quand il lisait son journal et que Gaspard réclamait son dîner en miaulant, disait:
"Ce chat a la voix d'une porte qui grince."
Mais Thomas s'était toujours très bien conduit avec Gaspard. Il ne lui avait jamais tiré la queue ni les moustaches, il ne l'avait jamais caressé à rebrousse-poil. Il lui donnait à manger, il lui parlait avec respect et douceur. En un mot, il traitait son chat comme s'il était une Personne, et son meilleur ami.

Ce matin-là, donc, après le départ de Thomas, Gaspard alla dans le fond du jardin et se mit à flairer mâcher mâchouiller manger des herbes. I1 y en avait une qu'il n'avait jamais rencontrée et qui semblait avoir très bon goût. Gaspard la flaira, la mâcha, la mâchouilla et finalement la mangea.

En avalant l'herbe, il se sentit traversé par une espèce d'électricité bizarre, qui passait de sa bouche à son estomac. Une seconde plus tard un papillon voleta près de ses moustaches et Gaspard, pendant qu'il sautait pour l'attraper, entendit une petite voix qui ressemblait au son d'un petit violon de poupée. Cette petite voix disait:
"Toi, mon vieux, si je t'attrape, je te mange !"
"Qui a parlé ?" se dit Gaspard en regardant autour de lui. Il ne vit personne, mais il entendit une petite voix prononcer tout haut ce qu'il avait pensé tout bas:
"Qui a parlé ?"
"Personne n'a parlé, puisqu'il n'y a personne", se dit Gaspard. Et au même instant il entendit la petite voix, qui ressemblait au son d'un tout petit violon de poupée. La petite voix disait :
"Personne n'a parlé puisqu'il n'y a personne."

[…]

En entendant ces mots Gaspard eut soudain l'impression qu'une, ampoule électrique de 500 watts s'allumait dans sa tête. " J'ai une illumination ", se dit-il. L'illumination de Gaspard illuminait cette idée très simple:
"Si quelqu'un parle et qu'il n'y a personne, que moi, c'est donc que quelqu'un parle et que ce quelqu'un c'est moi !"
"Il faut que j'en ai le cœur net", se dit Gaspard.

Il regarda autour de lui ce qui l'entourait. Il y avait tout près une fleur rouge avec un pistil noir et jaune. Gaspard la regarda attentivement. Ses lèvres se mirent à remuer et il entendit distinctement une petite voix, qui ressemblait au son d'un petit violon de poupée.
La petite voix disait: "Coquelicot."

Un insecte blond avec une toute petite taille et six pattes venait de se poser sur le coquelicot. Gaspard fixa avec soin la bestiole. Ses lèvres se mirent à remuer et il entendit la petite voix qui disait :
"Abeille."
" Ma parole ! pensa Gaspard, il m'arrive une drôle d'aventure: je suis un chat, mais cette herbe que j'ai mangée m'a donné la parole."


CLAUDE ROY, Le Chat qui parlait malgré lui, Folio Junior ©Gallimard

Q.C.M.