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les 6 étapes du paléolithique

le tableau général

étape B0-21

un taureau de TEYJAT


 
 



note concernant les liens : la numérotation de chaque expression contient un lien, tel que " s10 ", qui permet d'accéder à une explication générale de cet effet, ainsi qu'à d'autres exemples de son emploi.
Ces exemples contiennent à leur tour un lien qui permet d'accéder directement aux analyses dont ils sont tirés. Ce lien permet notamment de revenir au présent texte à l'endroit précis où vous l'avez quitté, mais vous pouvez aussi utiliser pour cela la fonction "page arrière" de votre navigateur.
 

Repères chronologiques :
Grâce à des fragments de gravure tombés sur des niveaux bien datés, les gravures de la grotte de la Mairie à Teyjat (Dordogne - France) ont pu être attribués avec certitude au début du magdalénien récent, c'est-à-dire qu'elle datent d'environ 9 000 avant J.C. (selon datation "brute").

Remarque générale :
André Leroi-Gourhan, dont la théorie servit longtemps de référence, envisageait l'évolution de l'art préhistorique de façon analogue à l'évolution du graphisme des enfants : d'abord les gribouillis, puis les dessins malhabiles, puis un progrès continu dans le réalisme allant jusqu'au "réalisme photographique". À chaque grande étape de cette évolution il attribua un numéro, allant du "style I" de l'aurignacien au "style IV" de magdalénien moyen et récent.
Dans son ouvrage "Préhistoire de l'art occidental" (ré-édité récemment chez Citadelles & Mazenod - page 494) il dit toute l'importance qu'eut pour sa théorie la "Composition à boeufs" de Teyjat :
"Le style des figures m'a servi de point de départ pour définir le style IV récent. On y constate la disparition du remplissage conventionnel de modelé, les formes acquièrent une flexibilité remarquable, les proportions atteignent la vérité photographique. La notation des aplombs et du mouvement est extrêmement sensible. Tous ces caractères se rencontrent dans les autres oeuvres datées du magdalénien récent, d'Allemagne en Espagne, mais aucun ensemble ne les exprime avec la même homogénéité."

On peut se demander pourquoi le remplissage de modelé est ici qualifié de pure convention, et pourquoi il ne ferait pas partie de "la vérité photographique". Il permettrait pourtant que la représentation de l'animal soit plus réaliste que le seul dessin par un trait de contour.
On peut même dire que c'est ce traitement par surface plate seulement délimitée par un trait de contour qui est une pure convention graphique, car aucun animal n'est plan avec un trait tout autour de lui, tandis que tout animal dispose d'un modelé qui remplit sa surface, et pour l'essentiel c'est la perception de son volume et de sa peau qui correspond à notre véritable vision, pas la perception d'un trait filiforme sur son contour.

Le taureau qui sera analysé ici forme la figure centrale de la composition. Dans celle-ci il est entouré de deux vaches, et en dessous se trouve un cheval.

L'image de référence : relevé de la gravure de la "composition à boeufs" de Teyjat, [s'ouvre dans une fenêtre réservée aux images] d'après la publication de Capitan, Breuil et Peyrony.
Source de l'image : reproduit depuis l'ouvrage "Préhistoire de l'art occidental" - édité par Citadelles & Mazenod - 1995 - fig. 482. J'ai un peu modifié le relevé à l'endroit de la tête et de l'attache de la patte avant gauche, afin de mieux respecter le dessin tel qu'il est reproduit par la photographie.

Autre image : extrait de la  vue réelle de la gravure (le taureau et la vache qui le précède) - même source - fig 482.

Autre image : extrait de la  vue réelle de la tête du taureau - même source - fig 24.
 
 

1er paradoxe de transformation : ça se suit / sans se suivre

1 -  Expression synthétique de type s10 :

La surface du support se poursuit en continu, et elle traverse la forme sans subir de modification de son aspect, de sa couleur ou de sa texture.
Mais le trait de contour la coupe, isolant l'intérieur de l'extérieur, et puisque la surface est interrompue par ce trait, la surface intérieure ne suit pas la surface extérieure.


2 -  Expression synthétique de type s9 :

Le trait de contour connaît souvent de brutales inflexions qui n'empêchent pas sa continuité en tant que tracé : sur le dos pour marquer la croupe, sous le ventre pour marquer le sexe, sous le cou, sur les pattes pour en marquer les articulations.
À ces endroits le trait se poursuit en continu, mais il change de direction, donc il se suit plus la même direction.


3 -  Expression synthétique de type s3 :

Le contour nous propose de lire un trait à suivre des yeux, tandis que l'intérieur du corps laissé sans aucun relief ni modulation d'aspect ne nous propose qu'une surface où notre regard erre vaguement en tous sens, car à l'intérieur du corps il n'y a rien à suivre des yeux.


4 -  Expression synthétique de type s13 :

Mis à part le trou du naseau et l'oeil, tous les traits s'attachent ensemble : on peut ainsi parcourir en continu toutes les parties du contour, puisque toutes ses parties se suivent.
Mais on ne peut pourtant pas suivre en continu le trait du contour, c'est-à-dire le suivre en boucle continue : il faut parfois quitter le trait des yeux pour reprendre à un endroit très éloigné (attache des pattes du premier plan, arcs successifs de la bouche), et il faut parfois repasser plusieurs fois au même endroit (pattes du second plan).
Si l'on doit quitter le trait des yeux, c'est bien que le contour ne se suit pas en continu, et si l'on repasse plusieurs fois au même endroit, c'est bien que toutes ses parties ne sont pas strictement rangées à la suite l'une de l'autre mais que parfois elles reviennent l'une sur l'autre.
 
 
 

2ème paradoxe de transformation : homogène / hétérogène
[l'interférence entre les trois paradoxes de transformation fonctionnant à la façon "homogène / hétérogène", ils se retrouvent à cheval sur les mêmes jeux de formes, tout en en faisant valoir des aspects différents]

5 -  Expression synthétique de type s8 - b :

La représentation est homogène à la réalité de l'apparence d'un taureau puisque l'on reconnaît immédiatement l'animal, mais n'en déplaise à Leroi-Gourhan retour vers la remarque le concernant] elle est en même temps très hétérogène à cette apparence réelle, puisqu'elle ne donne aucun renseignement sur la couleur de l'animal et sur la texture de sa peau, et parce qu'elle se réduit à un trait en fil de fer dans un plan, sans aucun modelé de son volume.


6 -  Expression analytique de type a3 :

Certaines parties du trait de contour sont traitées de façon homogène, c'est-à-dire qu'elles sont lisses et continues.
D'autres parties au contraire connaissent de brutales inflexions de direction ou des cassures du trait, qui sont autant d'hétérogénéités dans la continuité de leur parcours.


7 -  Expression analytique de type a15 :

Le support mural est traité de façon homogène : il ne connaît aucune modification de texture ou de couleur à la traversée de l'animal.
Pourtant, les parties qui sont à l'intérieur du contour sont ressenties comme occupant le corps de l'animal, de telle sorte que bien que la paroi n'ait pas modifié son aspect en traversant le contour, elle a acquis des propriétés qui ont changé sa nature.
L'aspect du support est homogène de l'intérieur à l'extérieur du tracé, mais la présence même de ce tracé rend donc son intérieur hétérogène à son extérieur.


8 -  Expression analytique de type a14 :

De façon homogène le contour est constamment généré d'une même façon : par le tracé d'un trait unique et continu.
Mais selon les endroits ce tracé est traité de différentes façons, c'est-à-dire de façons qui sont hétérogènes les unes pour les autres : parfois il est lisse et seulement doucement arrondi, parfois sa courbe est fortement prononcée, parfois il change lentement de courbure et parfois il en change brusquement, parfois il connaît des cassures en angle, parfois il s'arrondit dans un sens et parfois il s'arrondit dans l'autre sens.
 
 
 

3ème paradoxe de transformation : intérieur / extérieur
[l'interférence entre les trois paradoxes de transformation fonctionnant à la façon "homogène / hétérogène", ils se retrouvent à cheval sur les mêmes jeux de formes, tout en en faisant valoir des aspects différents]

9 - Expression analytique de type a9 :

On ne peut pas réellement "voir" l'enveloppe extérieure de l'animal, car ce corps tout vide et plat est trop étranger à votre vision habituelle de l'extérieur d'un boeuf (texture de la peau, couleur, relief) pour que notre perception réflexe compense par automatisme les renseignements manquants.
De plus, la forme est trop compliquée et elle comporte trop de parties saillantes (pattes, cornes) pour que nous puissions la saisir de l'extérieur.
Le résultat de ces deux particularités est que notre perception se laisse aller à ce qui lui est le plus facile dans ces conditions : nous percevons pour l'essentiel le contour de l'animal depuis son intérieur, c'est-à-dire comme un cerne qui entoure son centre vide et auquel se rattachent quelques appendices que sont les cornes et les pattes. Même les pattes du second plan ne se laissent pas percevoir comme "vues de l'extérieur", mais comme un cerne entourant une zone vide.

Mais à cette perception se combinent des renseignements de reliefs donnés :
         - par certaines parties qui se lisent nécessairement comme "en avant" du trait de contour : oeil, trou du naseau ;
         - par des arrondis qui suggèrent un volume par effet d'optique : traits de la bouche ;
         - et surtout par la ligne de poitrail qu'on lit clairement passant derrière les deux pattes du premier plan et devant les deux pattes du second plan. Sur la patte avant, dans le haut, un renseignement supplémentaire sur la profondeur nous est encore donné par l'attache au corps qui est indiquée en arrière de la patte elle-même.

Entraîné par ces renseignements sur la profondeur, nous pouvons lire certaines parties (par exemple le museau ou la patte avant gauche) comme en relief, c'est-à-dire vues depuis leur extérieur.

Ainsi, la perception du boeuf se fait donc en combinant la perception "plate" de son contour vu depuis son intérieur, avec des renseignements locaux de reliefs (yeux, naseau, bouche, passage du poitrail entre les pattes, attache de la patte avant) qui impliquent que ces parties de l'animal soient vues comme on verrait l'animal depuis son extérieur.


10 - Expression analytique de type a16 :

Le fond de la paroi traverse sans modification de teinte ou de texture ce qui est sensé être l'intérieur de l'animal.
Sous cet aspect il n'y a donc pas de frontière entre l'intérieur et l'extérieur du boeuf.


11 - Expression synthétique de type s8 :

Le trait du contour dessine alternativement des creux intérieurs et des arrondis ou autres formes convexes.
Ce qui est généré par le trait, si l'on reste du même côté de lui, est donc alternativement un creux intérieur puis une forme convexe dont on lit l'extérieur.
Si l'on reste au même endroit, le trait génère d'un côté un creux intérieur et sur son autre côté l'extérieur une forme convexe.
 
 
 

1er paradoxe d'état : fait / défait
[niveau ponctuel : effet réciproque à distance des différentes parties de la forme, ou effet d'apparence globale de la forme]

12 -  Expression analytique de type a13 :

Le détail complexe, finement observé et habilement retranscrit des circonvolutions du contour de l'animal, fait contraste avec l'intérieur du corps qui est lui traité en surface complètement plate sans aucune nuance ou modulation rappelant le volume de l'animal ou la texture de sa peau.
La complexité et la précision sont faites sur le contour, elles sont défaites à l'intérieur de la forme.

Remarque : en réalité le support possède bien une texture qui génère des ondulations de volume, mais ce qui importe ici c'est que cette texture est seulement celle de la partie courante du support, qu'elle n'est pas différenciée selon les endroits pour y suggérer les différences de volume ou de texture de peau propres au corps de l'animal représenté.


13 -  Expression analytique de type a2 :

Comme cela a été analysé avec l'effet -9-, certaines zones du contour suggèrent des notions de volume. Ces notions nous sont apportées  par l'effet d'optique généré par leurs courbes (une courbe peut facilement suggérer un bossage en relief dont elle serait le bord), et par les renseignements de profondeur qui font que le trait nous dit quelle partie passe devant l'autre.
Mais ces suggestions sont rapidement écrasées par la grandeur de la surface plane qui voisine le trait, de telle sorte que ces notions de volume au voisinage du trait de contour sont des perceptions très instables, rapidement dissoutes dans la platitude environnante.
En bref : ces indications de volume sont bien là, elle sont bien "faites", mais elles se défont presque aussitôt qu'elles émergent dans notre perception, elles s'effondrent dès que nous cherchons à élargir la zone ainsi perçue.
 
 
 

2ème paradoxe d'état : relié / détaché
[niveau de classement : met en valeur les effets de type ponctuel du 1er paradoxe]

14 - Expression analytique de type a5 (branchée sur l'effet -12-) :

Le tracé qui relie le contour est fait pour partie d'un trait lisse, seulement doucement arrondi, et sur ce tracé se détachent visuellement des accidents, des pliures ou de brusques inflexions : le rebroussement de la croupe, le sexe, les cornes, les sabots.


15 - Expression analytique de type a2 - b (branchée sur l'effet -13-) :

Ainsi qu'il a été expliqué avec les effets -9- et -13-, certains tracés amorcent des suggestions de volume. Ces amorces de volumes en relief se détachent visuellement, tout en étant nécessairement reliés à l'effet courant de surface plane qui est imposé par le reste de l'animal.


16 - Expression synthétique de type s8 (branchée sur l'effet -12-) :

Le trait relie en continu tout le contour de l'animal, et il se détache visuellement sur le fond uniforme du support.
 
 
 

3ème paradoxe d'état : le centre / à la périphérie
[niveau d'organisation : comment la forme se répand]

17 - Expression synthétique de type s3 :

Grâce à la réduction du corps à un simple profil, toutes ses parties peuvent se mettre bout à bout, chaque portion de trait venant buter contre un croisement de trait, ou contre une brutale inflexion, ou contre une pliure démarrant la portion de trait suivante.
Chaque portion de trait peut ainsi se lire comme un tracé dynamique qui s'équilibre en butant de part et d'autre sur l'extrémité d'autres traits.


18 - Expression synthétique de type s8 :

La perception de ce corps en fil de fer, comme transparent, déroute notre perception habituelle : usuellement un animal se voit grâce à la présence de sa peau, de la couleur et de la texture de son volume extérieur, or, ici, presque tout ce qui fait habituellement la présence dans l'espace de l'animal s'évanouit, disparaît, se dérobe.
Souvent c'est par la perte d'appui au sol que cet effet se manifeste (l'appui sensoriel de notre perception d'un corps qui se dresse dans l'espace), mais ici, par l'effet de transparence du pelage, c'est directement le renseignement qui sert d'appui visuel à notre perception réflexe qui se dérobe. Cette dérobade de l'appui visuel utile à notre perception du volume, met en doute par ricoché la perception de notre propre équilibre interne, et elle déstabilise par conséquent la position de notre centre d'équilibre corporel.


19 - Expression synthétique de type s15 :

La figure tient dans notre perception et s'y équilibre uniquement par la perception de son contour extérieur.
 
 
 

4ème paradoxe d'état : entraîné / retenu
[niveau du noeud qui résume les trois effets précédents et les bloque ensemble]

20 - Expression analytique de type a9 :

Le contour alterne des parties bien lisses que notre regard est entraîné à lire rapidement, avec de brutales inflexions ou des cassures sur lesquelles notre regard doit stopper, ou pour le moins fortement ralentir pour les franchir.


21 - Expression synthétique de type s14 :

Les renseignements sur la volumétrie que nous donnent certains tracés (l'oeil, le naseau, la bouche, le passage du poitrail entre les pattes, l'attache de la patte avant) nous entraînent à faire apparaître localement des volumes, et à partir de ces amorces nous cherchons à dégager le volume entier du corps de l'animal (Cf. l'analyse de l'effet  -9-).
Mais les surfaces plates sont décidément trop dominantes, et elles nous découragent de poursuivre la lecture du volume au-delà des zones qui bordent le trait.


22 - Expression analytique de type a14 :

Deux visions se combattent : celle d'une surface plane qui se poursuit indifféremment du dessin qui est gravé dessus, et celle de la présence d'un animal que l'on peut presque qualifier de "fantôme", évanescente et transparente, mais se référant à une réalité en trois dimensions, c'est-à-dire munie d'un volume incompatible avec la réduction à une surface plane.
Mais aucune des deux visions ne convainc totalement, de telle sorte que nous hésitons sans cesse entre les deux : devons-nous organiser notre perception pour parcourir une surface plane, ou devons-nous l'organiser pour percevoir un corps qui se dresse dans un espace en trois dimensions ? Les deux perceptions se chevauchent en fait sur ce profil plan, profil qui en dit suffisamment pour nous entraîner à voir un animal en trois dimensions comme dans la réalité, mais dont la présence visuelle ne fait pas le poids par rapport à l'omniprésence de la paroi plane qui tue cette perception dès qu'elle commence à se former.


dernière mise à jour de cette analyse : 26 décembre 2006


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