<  retour à la partie précédente du chapitre 18  --  retour au plan de l'essai  --

 

18.2.  Les cinq étapes de l'évolution des arts plastiques de la filière occidentale aux notions additives dans sa phase analogiste :

 

Dans l'idéal, il faudrait maintenant faire une analyse comparative de la sculpture et de la peinture dans chacune des filières envisagées au chapitre consacré à l'architecture pour différencier de la même façon les filières aux notions additives de celles aux relations couplées, et celles qui préparent le super-naturalisme de celles qui préparent le super-animisme. Pour que la partie consacrée à la phase analogiste ne soit pas trop disproportionnée on se contentera d'analyser l'évolution des arts plastiques dans la filière occidentale dans laquelle les notions de matière et d'esprit sont en situation additive et préparent le super-naturalisme, ce qui permettra de faire la soudure avec la phase du 1er super-naturalisme occidental qui commence à la Renaissance et que l'on a traitée au chapitre 7. Par exception toutefois, on donnera quelques très rapides aperçus sur ce qui se passe au même moment dans des filières couplées.

On différenciera bien sûr les cas où les notions de matière et d'esprit sont indépendantes des cas où elles sont complémentaires, mais on ne cherchera pas spécialement à traiter ces deux situations de façon équilibrée quant à leur nombre.

On donnera au moins deux exemples de sculpture ou de peinture pour chacune des étapes en s'efforçant de les choisir les plus différents possible. Pour ce qui concerne la sculpture, on ne s'intéressera pas aux sculptures isolées mais à celles qui sont en relation avec leur support, celui-ci étant le plus souvent un bâtiment à l'architecture duquel elles sont intégrées.

 

 

18.2.0.  Sur la sculpture en filière analogiste aux notions couplées :

 

Puisque seule une filière aux notions additives sera exposée, pour mieux faire ressortir ses particularités il apparaît requis d'exposer brièvement celles de la sculpture dans le cas d'une filière aux notions couplées, notamment dans le cas des sculptures sur édifice, c'est-à-dire de formes sculptées par l'esprit confrontées à la masse matérielle d'un bâtiment.

Pour donc illustrer brièvement la sculpture dans une filière couplée, d'abord deux exemples de la troisième étape de l'ontologie analogiste dans la civilisation khmère, étant précisé que les dispositions correspondant à ces exemples se retrouvent aussi bien à l'occasion de la deuxième étape et à l'occasion de la quatrième étape, mais évidemment avec des effets plastiques différents. Comme on l'a vu avec l'architecture de cette civilisation, on prépare ici le super-animisme, c'est-à-dire que c'est la notion de matière qui relève du type 1/x.

 

 

 


Baksei Chamkrong à Angkor au Cambodge, détail de la fausse porte en grès de la face sud du sanctuaire (vers 920)

Source de l'image : Angkor – Architecture universelle – Office du Livre, Fribourg

 

 

Dans cette fausse porte du temple de Baksei Chamkrong à Angkor, le point important est que la frise sculptée se présente comme une lame plane verticale en pierre, découpée en tronçons successifs en forme d'épais V très aplatis écartés les uns des autres par un intervalle rectiligne bien visible. Même si cet écart ne concerne pas la partie centrale de cette lame, il est suffisant pour qu'on lise que cette tranche matérielle verticale est à la fois une et divisée en multiples tronçons, et donc de type 1/x.

Ce qui captive ici notre esprit ce sont les flammèches végétales énergiques et les larges volutes végétales s'échappant des vases qui se succèdent les uns au-dessus des autres. Par différence à la matérialité de la lame en pierre qui forme une continuité verticale divisée en tronçons, les volutes et les flammèches qui captivent notre esprit se dispersent en s'arrondissant dans tous les sens, parfois tournant vers la droite, parfois tournant vers la gauche, parfois en larges arrondis formant un tour complet et parfois en courtes flammèches se terminant bien vite, parfois en volutes isolées et parfois en flammèches se succédant l'une l'autre, bref en ne générant aucune forme unitaire à grande échelle, sauf la succession de 1+1 groupements de formes se répétant à intervalles réguliers et soumis à la succession des tranches matérielles auxquelles ils appartiennent.

Le couplage des notions de matière et d'esprit se lit ici de façon très claire : la décomposition des groupes de formes qui captivent notre esprit s'apparie exactement avec la décomposition en unités élémentaires de la matière sculptée, au point que l'on ne peut pas lire sa décomposition en lames successives sans lire simultanément la décomposition du rythme des volutes qui captivent notre esprit. On peut ajouter que cet appariement correspond ici à des notions en situation complémentaire, la matière organisant la décomposition générale de la forme et les formes qui captivent notre esprit enrichissant ces découpes matérielles de volutes qui les animent dans le détail pour y former des frises décoratives.

 

 


Prè Rup à Angkor au Cambodge, linteau d'origine inconnue dans le style dit Pré-Rup conservé au Musée Guimet de Paris (vers 961)

Source de l'image : https://www.wikiwand.com/de/Pre_Rup

 

 

Comme autre exemple de la troisième étape de l'ontologie analogiste de la civilisation khmère, un linteau dans le style dit Pré-Rup dont l'organisation générale se retrouve dans quantité de linteaux laissés par cette civilisation. Au centre, un éléphant à trois têtes chevauché par ce qui est probablement un être divin, horizontalement deux formes en cylindre courbé qui se transforment à leurs extrémités en enroulements dynamiques très dentelés, et l'ensemble de la frise est verticalement divisé par des formes verticales, elles aussi très dynamiques et très dentelées. Dans la moitié inférieure du tympan ces formes s'enroulent en larges boucles, et dans la moitié supérieure elles contiennent en partie basse des enroulements locaux qui se superposent à elles.

Comme dans l'exemple précédent, toute cette agitation de détail en enroulements et flammèches végétales forme un tapis dynamique mais ne génère globalement aucune forme repérable. Même les deux formes horizontales cylindriques de grande échelle ne savent pas s'en extraire complètement puisqu'elles se terminent en arrondis qui se mélangent avec les autres volutes végétales. Toutes ces volutes forment une série de 1+1 volutes alignées horizontalement les unes à la suite des autres, et pour leur part les différentes flammèches dentelées forment également des suites de 1+1 flammèches dentelées, et cela aussi bien horizontalement pour la disposition d'ensemble des éléments végétaux de la frise que verticalement en bordure de ces végétaux.

Et comme dans l'exemple précédent aussi, chaque organisation de volutes et de flammèches est entièrement soumise à la division matérielle du linteau en tranches verticales nettement séparées les unes des autres et donnant à l'allure matérielle de ce linteau celle d'une continuité unitaire divisée en multiples parties, et donc le type 1/x. Le couplage des effets de matière et des effets liés à l'esprit implique donc ici la dépendance complète de l'organisation des formes qui captivent notre esprit à la décomposition de la matière qui les porte.

 

 

 


Coffret dit de Leyre, provenant de Cordoue, Espagne à l'époque du Califat (vers 1004 - détail)

Source de l'image : https://www.flickr.com/photos/50879678@N03/10272676374  (auteur de la photographie : Bernard Blanc )

 

 

Après les exemples de la civilisation khmère, des exemples de la civilisation musulmane, cette fois encore aux notions en situation couplée mais préparant le super-naturalisme et non plus le super-animisme. Le premier est un détail d'un coffret en ivoire d'éléphant de l'époque du califat de Cordoue. Il est connu comme « le coffret de Leyre » pour avoir appartenu un moment au monastère de Leyre. On y voit un souverain barbu encadré par deux serviteurs dont l'un porte un chasse-mouches et l'autre un éventail et un flacon. En dessous d'une sorte de plancher, deux animaux, pour encadrer toute la scène un tressage régulier engendrant huit alvéoles, tandis que de multiples éléments végétaux ou fruitiers occupent tout l'espace laissé libre entre cet encadrement et les protagonistes de la scène. Le même type de disposition se répète sur toute la surface du coffret, y compris sur son couvercle, et tous les espaces libres entre polylobes sont occupés de la même façon par des végétaux ou des grappes de fruits.

Comme dans le premier exemple khmer la matérialité se présente comme une fine tranche à la surface assez plate, mais ici les écarts qui séparent ses différents morceaux ne sont pas lisibles comme des lignes clairement repérables divisant cette surface, elles forment au contraire un labyrinthe très complexe, très contourné, impossible à lire pour lui-même. Cette fois, ce que l'on voit clairement c'est l'organisation de la matière par l'esprit du sculpteur, son organisation à grande échelle par la continuité de bandes tressées générant au passage des formes polylobées régulières, le dessin de personnages et d'animaux centrés à l'intérieur de ces polylobes, l'encombrement de tous les espaces libres par des éléments végétaux de petite taille, parfois remplacés à l'extérieur des polylobes par des petits personnages ou par des animaux. Ici, c'est l'organisation des formes lues par l'esprit qui donne son unité à l'ensemble de la décoration du coffret, et c'est la répétition de cette organisation hiérarchique qui donne sens à la division de cette unité en multiples polylobes : c'est l'esprit qui dispose du caractère 1/x, et les jours qui séparent les différents morceaux matériels de cette décoration n'ont aucune forme lisible et n'organisent cette matière que comme 1+1 morceaux d'ivoire les uns à côté des autres tout en étant séparés les uns des autres par un petit écart.

Pour ce qui concerne le couplage entre les deux notions, tout est très simple : il y a autant de parties matérielles précisément isolées et séparées les unes des autres qu'il y a d'unités signifiantes reconnues par notre esprit, c'est-à-dire autant qu'il y a de personnages, d'animaux, de feuillages et de grappes de fruits, et l'organisation des multiples morceaux de matière ciselés par l'orfèvre suit donc strictement l'organisation hiérarchique que lit notre esprit.

 

 

 


Panneau de marbre dans le « Salon Rico » à Madînat al-Zahrâ, près de Cordoue, Espagne à l'époque du Califat (953-957)

Source de l'image : L'Architecture maure en Andalousie (Taschen - 1992)

 

 

De la même étape, et de la même époque du califat de Cordoue, ce panneau de marbre sculpté sur l'une des parois du « Salon Rico » à Madînat al-Zahrâ. On sera plus rapide à son sujet, se contentant de constater que le couplage des deux notions est là aussi obtenu par le fait que chaque unité matérielle, séparée des autres par un espace bien visible, correspond à une unité de signification reconnue par notre esprit : une tige, ou une feuille, ou une grappe de fruits. Par différence toutefois avec l'exemple précédent, on ne peut ici lire l'organisation des feuilles sans lire simultanément l'organisation des tiges qui les portent, ce qui correspond à une lecture de type synthétique, tandis que dans l'exemple précédent on pouvait facilement décomposer la hiérarchie des formes et considérer chacune séparément, ce qui correspondait alors à une expression analytique.

Le couplage des notions de matière et d'esprit implique que leurs expressions plastiques interviennent de concert et non pas de façons autonomes les unes des autres. Dans les deux exemples de la civilisation musulmane préparant au super-naturalisme on a vu que cela pouvait se traduire par une décomposition des blocs matériels sculptés exactement concomitante à la décomposition des formes signifiantes lues par l'esprit, et dans les deux exemples de la civilisation khmère préparant au super-animisme on a vu que cela pouvait se traduire par un rythme d'organisation des effets qui captivent l'esprit complètement dépendant du rythme d'organisation des formes matérielles sculptées qui les portent.

Dans les exemples de sculptures en situations additives que nous allons maintenant examiner, jamais nous n'observerons des caractéristiques similaires, les blocs matériels sculptés ou leur rythme d'organisation interne seront toujours très autonomes de la façon dont notre esprit lira la signification des formes et de la façon dont s'organiseront les effets plastiques captivant notre esprit.

 

 

 

18.2.1.  La sculpture occidentale analogiste aux notions additives menant au super-naturalisme :

 

La première étape de la sculpture analogiste menant au super-naturalisme :

 

Comme pour l'architecture, la première étape va approximativement de l'an 10 avant notre ère à l'an 1000. Nous commençons avec des sculptures produites dans l'Empire romain aux IIe et IIIe siècles.

 


 

La colonne de Marc-Aurèle, Rome, Italie (176-192)

Source de l'image : https://www.wikiwand.com/fr/Colonne_Trajane


 

Le grand sarcophage Ludovisi, représentant une bataille entre Romains et Barbares, Rome (vers 250)

Source de l'image : http://carnetvoyagesbf.canalblog.com/albums/grands_musees_a_rome/photos/103389328-dscn5795.html

 

 

Si l'on considère la disposition générale de la colonne de Marc-Aurèle à Rome, qui date de 176-192, et la même chose vaudrait pour la colonne Trajane (107-113) également à Rome qui lui a servi de modèle, on peut évidemment la décrire comme une frise sculptée continue qui s'entortille en hélice autour d'une colonne. À la première étape la notion de matière s'exprime par un effet de continu/coupé et celle d'esprit par un effet de lié/indépendant :

 - matériellement, la colonne se présente globalement comme un très long cylindre vertical continu constamment coupé et recoupé par la ligne séparative qui s'enroule autour d'elle en hélice, et la surface de ce cylindre est occupée par la frise sculptée qui a le caractère d'une bande de matière texturée continue qui est constamment coupée de notre vue lorsqu'elle passe sur le côté opposé ;

 - notre esprit est évidemment captivé par le détail des scènes de la bande sculptée, laquelle s'organise en multiples scènes indépendantes collées les unes à la suite des autres sans aucun vide entre elles, et donc complètement liées entre elles. Par ailleurs, si les sculptures de la frise se font voir de façon indépendante à la ligne en hélice qui s'enroule autour de la colonne, elles sont en même temps complètement liées à elle puisqu'elles s'en servent constamment de sol et de plafond.

Les deux notions se différencient par un effet de même/différent : sur toute sa hauteur la colonne présente le même diamètre et le même aspect, et la ligne séparative en hélice la découpe toujours de la même façon et avec le même écartement entre deux retours de son hélice ; par différence, les détails de la frise sculptée qui intéresse notre esprit sont constamment différents d'un endroit à l'autre, par exemple en proposant parfois de larges surfaces uniformes continues pour correspondre aux flancs des chevaux ou à des architectures, et parfois des répétitions très serrées de jambes dans des mêlées de combattants ou dans des défilés.

Enfin, les deux notions font ensemble un effet de relié/détaché : la ligne de sol/plafond se détache visuellement tout en reliant de bas en haut toute la surface de la colonne, quant à la frise sculptée ses différents personnages ou groupes de personnages se détachent visuellement les uns des autres tout en étant physiquement collés les uns à la suite des autres.

 

Pour le style de sculpture proprement dit, plutôt que d'analyser des scènes de la colonne nous envisagerons le grand sarcophage Ludovisi qui date de 250 environ. Le panneau principal de ce sarcophage représente une « bataille entre Romains et Barbares ».

Au chapitre précédent, avec l'architecture on était dans le domaine de la matière construite, et il était alors souvent possible de séparer la partie de cette matière qui faisait pleinement un effet de matière de sa partie qui était spécialement organisée par l'esprit du constructeur pour captiver notre esprit. Avec la sculpture nous sommes toujours avec de la matière réelle, mais cette fois elle est entièrement organisée pour captiver notre esprit. Dans ce sarcophage, il se trouve que les deux notions ne cherchent pas à se compléter mais interviennent de façons indépendantes sur la même matière sculptée, ce qui implique que la même matière doit y être envisagée séparément en tant que pure matière et en tant que pur effet destiné à l'esprit. Dans cette sculpture, comme dans tous les cas où les deux notions sont indépendantes, le plus simple pour considérer son aspect « purement matière » est d'ignorer ce qui est représenté et de la traiter comme s'il s'agissait d'une pure sculpture abstraite en envisageant seulement l'effet de ses masses. Par différence, pour considérer son aspect « purement destiné à captiver l'esprit », il faudra s'intéresser en premier chef à ce qui est représenté.

Si l'on néglige donc qu'il s'agit de personnages et de chevaux, on constate que cette sculpture se développe sur un plan continu au moyen d'une succession continue de volumes en relief coupés les uns des autres par de profondes crevasses, ce qui permet effectivement de retrouver l'effet de continu/coupé propre à l'expression de la matière à la première étape. Si maintenant on s'intéresse à ce qui est représenté, on voit qu'il s'agit de personnages et de chevaux que l'on peut tous distinguer de façon indépendante mais qui tous font partie d'une scène commune et sont donc liés les uns aux autres par leur participation à une même scène, ce qui permet là aussi de retrouver l'effet de lié/indépendant propre à l'expression de la notion d'esprit à la première étape.

L'organisation des coupures entre les divers reliefs matériels est totalement autonome par rapport à la décomposition de la scène en ses différents personnages, et l'on ne retrouve donc pas du tout dans cette situation aux notions additives l'exacte association entre la décomposition des formes matérielles et les entités signifiantes pour l'esprit que nous avions constatée dans les exemples d'art musulman aux notions couplées analysés au chapitre 18.02.0. Par différence avec les exemples khmers analysés au même chapitre, ici on ne trouve pas non plus de dépendance entre les rythmes de la matière et ceux des formes liées à la compréhension par notre esprit puisque, au contraire, la décomposition et le rythme de ces saccades matérielles sont complètement découplés de l'organisation de la scène telle que lue par notre esprit. Ainsi, par exemple, dans le haut de la sculpture, des lignes de force diagonales se font échos de gauche à droite, l'une correspondant au bras d'un soldat barbare, la suivante à la tête de cheval, la suivante au bras du général romain, la suivante au museau de son cheval, et la suivante encore à un fin cylindre tenu par un soldat romain. Autre exemple, dans la partie centrale de la moitié basse diverses formes en léger biais font écho à celle de la jambe du général romain, les unes correspondant à des bras ou à des jambes de soldats barbares et les autres correspondants à des pattes de cheval. Ces saccades matérielles n'aident aucunement à déchiffrer l'organisation des formes lues par notre esprit ni la signification de ce qu'elles représentent, et puisque les notions de matière et d'esprit n'interviennent décidément pas de concert comme on l'avait vu dans les exemples où elles étaient en situation couplée, elles sont ici en situation additive.

Les deux notions se différencient par un effet de même/différent : la matière de la sculpture est la même sur toute la surface, elle y est toujours traitée de la même façon au moyen de vagues de bosses et de creux et le rythme de leurs successions est assez homogène, mais si l'on s'intéresse à ce qui est représenté on observe cette fois de grandes différences d'un endroit à l'autre, puisque parfois il s'agit de soldats romains, parfois de soldats dits barbares, parfois de chevaux, et aussi puisque les gestes, les postures, les parties représentées de chaque personnage ou de chaque animal sont toujours très différents d'un endroit à l'autre.

Les deux notions font ensemble des effets de relié/détaché : les différentes masses matérielles sculptées sont reliées dans une même trame continue et sont détachées les unes des autres par de profondes crevasses ; les différents personnages et animaux sont tous reliés les uns aux autres dans cette masse compacte où ils sont collés les uns aux autres, souvent au mépris complet du réalisme du fait de leur entassement vertical, mais ils se détachent visuellement les uns des autres puisque chacun peut se percevoir séparément.

 

On a dit que le matériau de cette sculpture était organisé en une suite continue de volumes en relief et de crevasses les séparant, mais hormis ce principe général on ne peut lire aucun rythme régulier dans la succession de ces bossages, rien qui permette de dire que leur organisation dispose d'une forme spécifique de grande échelle. Tout ce que l'on peut en dire, c'est qu'il y a un bossage + un autre bossage + un autre bossage encore, ce qui relève du type 1+1. Si l'on s'intéresse maintenant à ce qui est représenté, on peut dire que notre esprit déchiffre qu'il y a là une scène globale dans laquelle sont incorporées de multiples « mini-scènes » correspondant chacune à une portion de ce que raconte la scène globale, ce qui relève cette fois du type 1/x. Comme pour l'architecture romaine de cette époque, la sculpture romaine nous indique donc que l'on se dirige vers le super-naturalisme puisque, dès la première étape, la notion de matière a abandonné son type 1/x pour basculer dans le type 1+1 alors que la notion d'esprit a conservé son type 1/x.

Enfin, l'organisation des masses sculptées sur trois étages et tassées les unes contre les autres est complètement indépendante de la façon dont notre esprit peut reconstituer la réalité de la bataille représentée, de telle sorte que la matérialité des formes sculptées et la reconstitution de la même scène par notre esprit sont très indépendantes l'une de l'autre. En résumé, on est dans une filière qui prépare le super-naturalisme, cela avec des notions de matière et d'esprit qui sont en situation additive et qui agissent indépendamment l'une de l'autre.

 

Pour ne pas être trop long, dans ce chapitre et sauf à la dernière étape, on n'analysera pas les effets qui ne sont pas directement liés à l'évolution ontologique de l'étape en cours, mais ces effets sont tellement évidents sur cette sculpture qu'on peut en traiter rapidement.

L'effet qui s'impose d'emblée est celui de relié/détaché, déjà envisagé.

La forme se répand par un effet de centre/à la périphérie qui a ici une lisibilité spécialement grande : toutes les formes se butent en tous sens les unes contre les autres de telle sorte que le centre d'équilibre visuel de chacune est obtenu par sa butée bien visible contre toutes les formes qui sont à sa périphérie.

La forme s'organise par un effet d'entraîné/retenu qui est obtenu par le dynamisme des gestes des différents personnages ou animaux (effet d'entraînement visuel), un dynamisme qui contraste avec leur fixité inévitable dès lors qu'il s'agit d'un matériau en pierre qui ne bouge pas (effet de geste constamment retenu dans une même position). Cet effet agit aussi par la concurrence mutuelle que se font les diverses parties de l'œuvre qui nous entraînent à les examiner avec la même force et qui, ce faisant, nous retiennent d'examiner plutôt les autres.

Ces trois effets sont résumés par un effet d'ensemble/autonomie : tous les personnages et animaux sont isolément saisissables, ainsi que leurs postures et leurs gestes qui sont très autonomes les uns des autres, mais tous font ensemble un effet de combat au corps-à-corps, et tous participent à la scène de bataille qu'ils font ensemble.

 

 

 



 

L'une des pierres runiques de Jelling, Danemark (vers 983) et reconstitution de ses couleurs au Musée National du Danemark

 

Sources des images : https://www.ar15.com/forums/general/-/5-456550/?page=1 et https://commons.wikimedia.org/wiki/File:The_Jelling_Stone_-_VIKING_exhibition_at_the_National_Museum_of_Denmark_-_Photo_The_National_Museum_of_Denmark_(9084035770).jpg

 

 

Toujours pour la première étape, une sculpture sur pierre en très bas relief datant de la fin du Xe siècle et réalisée à Jelling, au Danemark, très loin donc du sarcophage précédent. Il s'agit d'une pierre avec écritures runiques comportant des images sur deux de ses faces et à la fois imagée et écrite sur sa troisième face. Sur l'une des photographies jointes, une reconstitution de sa mise en couleur a été faite sur une copie de la pierre en s'appuyant sur les restes de colorants trouvés sur l'original.

La face que nous allons considérer est une représentation du Christ, maintenu en position de crucifixion par ce qui semble correspondre à des branches d'arbres feuillues. Cette pierre a été érigée au moment du basculement du Danemark depuis la religion païenne vers la religion chrétienne, ce qui est précisément commémoré sur le texte en écriture runique de sa troisième face, si bien qu'un entrelacement d'une figure christique avec un arbre aurait du sens. La scène de crucifixion est encadrée par des entrelacs de différentes sortes et de différentes tailles qui continuent sur les autres faces de la pierre. Celle que l'on devine sur la gauche de la reconstitution représente un animal fabuleux entrelacé avec un serpent.

 

La figure du Christ et les entrelacs sculptés se détachent sur la surface de la pierre qui sert de fond à la représentation. Par différence avec ce que l'on a constaté sur le sarcophage romain, ici le support matériel se différencie de la figure sculptée, ce qui permet que la surface de la pierre qui reçoit l'image corresponde pleinement à la notion de matière tandis que la figure sculptée dont les entrelacs compliqués captivent notre esprit corresponde pleinement à la notion d'esprit. Par différence avec le sarcophage Ludovisi où les deux notions étaient indépendantes, ici elles jouent des rôles complémentaires puisque l'une correspond au support matériel servant de fond à l'image tandis que l'autre correspond à ce qui est sculpté sur ce support.

Ce support matériel fait un effet de surface plane pliée en trois pour recouvrir les trois faces du rocher utilisé, quant à la représentation qui captive notre esprit elle fait presque uniquement des effets de circonvolutions linéaires. La notion de matière et celle d'esprit faisant des choses très autonomes l'une de l'autre, elles relèvent d'une relation de type additif.

La surface plane du support, en gris foncé sur l'une des photographies et en bleu sur l'autre, n'apparaît que comme une suite inorganisée de 1+1 morceaux de surface. Pour sa part, l'image sculptée qui captive notre esprit correspond à une scène globale de crucifixion bien repérable et fractionnée en de multiples détails d'entrelacements, ce qui relève d'une lecture du type 1/x.

En résumé, les notions de matière et d'esprit sont en relation additive mais complémentaires, et le basculement de la notion de matière dans le type 1+1 montre que cette filière se prépare au super-naturalisme.

 

La surface du support de l'image est continue mais brutalement coupée par des plis à chaque angle du rocher, et sur chaque face de ce rocher elle est constamment coupée par les circonvolutions linéaires de la représentation figurée. Dans les deux cas la notion de matière est portée par un effet de continu/coupé.

Toutes les parties qui appartiennent à la figure du Christ sont liées les unes aux autres par leur participation à cette figure, mais on peut tout aussi bien les lire comme des morceaux de corps rendus indépendants les uns des autres par les entrelacs qui les séparent : la notion d'esprit est portée par un effet de lié/indépendant. Le même effet vaut pour les entrelacs eux-mêmes, qui forment des boucles que l'on peut localiser séparément mais qui sont liées les unes aux autres par la continuité du ou des cordons qui s'entrelacent, et la même chose vaut pour la relation entre le corps du Christ et ces entrelacs qui forment deux motifs indépendants qui sont liés par de multiples entrelacements.

La différence entre la notion de matière et la notion d'esprit s'affirme par un effet de même/différent qui s'exprime de deux manières. D'une part, la distinction entre fond matériel et image sculptée fait qu'une même œuvre est obtenue par la combinaison de deux dispositions, l'une qui sert à faire le fond et l'autre qui correspond à l'image. D'autre part, ce fond se caractérise par son uniformité de couleur bleue, il est donc toujours le même, tandis que l'image sculptée combine des couleurs très différentes et se caractérise aussi par des graphismes très différents, parfois correspondant à l'image d'un personnage ou d'un animal, parfois à des entrelacs de moyenne échelle en couleur jaune, et parfois à des entrelacs blancs et rouges de grande échelle d'évolution qui contiennent eux-mêmes de petits entortillements linéaires de petite échelle.

Les deux notions font ensemble des effets de relié/détaché. Cela vaut pour le principe de la gravure en relief qui se détache visuellement à la surface du fond bleu mais que l'on ressent toujours relié à la surface de ce fond du fait de la faible épaisseur de son relief. Cela vaut aussi pour le principe même des entrelacs dont chaque entrelacement fait un effet de nœud, donc de relié, mais de nœud non serré où l'on perçoit bien que les différentes lanières qui y participent restent bien détachées les unes des autres et qu'elles passent les unes sur les autres de façon suffisamment lâche pour que le nœud de leur enlacement ne soit pas complètement bloqué. Cela vaut aussi pour la figure du Christ qui est emprisonné dans ces entrelacs, et donc relié aux attaches qui le ligotent, mais dont on perçoit également qu'il n'est pas fermement serré par ces liens, qu'il peut en quelque sorte bouger à leur intérieur et qu'il est donc quelque peu détaché de ces entrelacs. Cela vaut enfin pour les différentes faces du rocher qui représentent chacune des scènes ou des écritures visuellement indépendantes les unes des autres mais qui sont reliées par leur participation à un même rocher et par les entrelacs rouges et blancs de grande échelle qui ceinturent chacune des faces de ce rocher et les relient en continuité.

 

 

La deuxième étape de la sculpture analogiste menant au super-naturalisme :

 


Façade de la cathédrale Saint-Pierre d'Angoulême, France (1110 à 1130)

 

Sources des images :
https://www.romanes.com/Angouleme
/Cathedrale_Saint_Pierre_d_Angouleme
.html#38
et https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier
:Angouleme_cathedral_StPierre_a.jpg


 

 


Détail de la façade de l'église Notre-Dame-la-Grande à Poitiers, France (vers 1130)

 

Source de l'image : https://inventaire.poitou-charentes.fr/operations/le-patrimoine-roman/64-decouvertes/776-visite-virtuelle-de-l-eglise-de-notre-dame-la-grande-a-poitiers-une-frise-sculptee-remarquable

 

 

Comme avec l'architecture, la deuxième étape correspond à la période de l'art roman qui va approximativement de l'an 1000 à 1150. Nous n'allons pas nous intéresser ici au style même de l'art roman, ce que nous ferons par contre avec sa peinture, mais à la relation entre la sculpture et l'organisation architecturée de la façade de la cathédrale Saint-Pierre d'Angoulême, sculptée vers 1110 à 1130. Le même type de relation vaut d'ailleurs pour la façade de Notre-Dame-la-Grande à Poitiers qui date aussi approximativement de 1130.

De façon évidente, la façade de la cathédrale d'Angoulême organise une série d'arcades indépendantes qui sont toutefois liées les unes aux autres par leur accolement sur un même mur qui leur sert de fond, par la continuité de leurs arcades à l'endroit où elles rebondissent sur les chapiteaux, par les liaisons qu'assurent les colonnes de l'arcade centrale entre les différents niveaux, et enfin par les échos visuels provoqués par la répétition de leur même forme en arcade. Cet effet de lié/indépendant porte la notion de matière puisqu'il utilise les reliefs et le rythme de l'organisation de la matière de la façade.

L'esprit est captivé par le rythme de ces arcades dans lequel on retrouve l'effet de même/différent qui porte la notion d'esprit à la deuxième étape : les différentes arcades ont une même forme en arcade et il existe des arcades de différentes dimensions. À l'intérieur de ces arcades, des sculptures captent spécialement l'attention de notre esprit et elles représentent des personnages dotés d'un esprit. Les arcades forment comme des niches pour ces sculptures, et à l'exception des deux figures représentant des diables et des deux figures de méchants qu'ils sont en train de supplicier, elles se tordent toutes le cou pour regarder dans la direction de la mandorle du Christ située en haut de l'arcade principale. Ainsi, les différents personnages sculptés participent à une même scène orbitant autour de la figure du Christ au moment de son ascension, et par ailleurs ils sont différents entre eux puisqu'il y a là onze apôtres différents, la Vierge, des anges sur la rangée la plus haute, ainsi que deux diables tourmentant deux damnés. Encore une fois, donc, un effet de même/différent pour correspondre à la notion d'esprit.

Les deux notions se différencient par un effet d'intérieur/extérieur : l'extérieur des sculptures représentant des êtres dotés d'un esprit et dont le détail de l'allure captive notre esprit est chaque fois à l'intérieur d'une niche creusée dans le matériau de la façade.

Les deux notions font ensemble des effets d'un/multiple : de multiples arcades groupées autour d'un axe de symétrie, une même forme d'arcade répétée en de multiples exemplaires et selon de multiples tailles, une même scène d'ascension du Christ à laquelle participe de multiples personnages.

 

Les personnages sculptés participent tous à la même scène qui se lit donc en 1/x, tandis que le regroupement des arcades qui représentent la notion de matière ne génère pas la lecture d'une forme globale de plus grande échelle de telle sorte qu'elles ne forment qu'une suite de 1+1 plus ou moins grandes arcades, côte à côte et au-dessus les unes des autres.

Ces arcades forment des suites de courbes linéaires toutes liées les unes aux autres tandis que les figures sculptées sont des figures ponctuelles disséminées sur la surface de la façade sans aucun lien matériel entre elles. Puisque la notion de matière et la notion d'esprit font des choses aussi autonomes l'une de l'autre elles sont dans une relation de type additif, et elles jouent des rôles complémentaires dans cette relation puisque la matière se creuse spécialement pour générer des niches qui servent d'encadrements aux statues.

En résumé, les notions de matière et d'esprit sont en relation additive et sont complémentaires l'une de l'autre, et cette filière prépare le super-naturalisme.

 

 

 


Porche entonnoir du portail sud de l'église Saint-Pierre d'Aulnay, France (probablement vers 1150)

 

Source de l'image : https://es.wikipedia.org/wiki/Archivo:%C3%89glise_Saint-Pierre-de-la-Tour_d%27Aulnay,_portail_sud_le_soir.JPG

 

 

Autre exemple dans lequel la sculpture s'associe à une disposition architecturale, le porche entonnoir du portail sud de l'église Saint-Pierre d'Aulnay, probablement réalisé vers 1150. Nous n'allons pas considérer le niveau bas de ce porche qui comporte des colonnes et des chapiteaux, seulement le niveau de ses arcades.

Dans un premier temps, on ignorera la présence des sculptures et on analysera seulement la disposition architecturale qui consiste à décaler les arcades dans la profondeur. Par arcade, nous entendrons ici la surface extérieure parallèle à la façade du bâtiment et aussi la surface intérieure en intrados raccordant à la plus petite arcade suivante.

Chacune des arcades est clairement indépendante de ses voisines du fait de son décalage en profondeur, mais elle y est aussi reliée puisqu'elles se collent les unes à la suite des autres, ce qui correspond à l'effet de lié/indépendant qui porte à cette étape la notion de matière, une matière qui est ici celle de la profondeur du mur dans lequel nous pénétrons par tranches successives.

La notion d'esprit correspond à la parfaite forme géométrique en demi-cercles successifs de cette disposition architecturale dont on ressent, du fait de cette perfection géométrique, qu'elle a été conçue et réalisée par des esprits humains. Ainsi, notre esprit perçoit qu'un même porche comporte différentes arcades qui ont la même forme en demi-cercle mais qui sont différentes les unes des autres puisqu'elles sont de tailles différentes : c'est un effet de même/différent.

Les deux notions se différencient par un effet d'intérieur/extérieur : la surface en intérieur de tunnel qui sépare deux façades sculptées est visiblement le résultat de la conception d'un esprit humain du fait de sa parfaite géométrie circulaire, mais pour la matière du porche il s'agit au contraire d'une partie de surface extérieure. Ce qui peut se concevoir autrement : l'esprit humain se distingue de la matière du bâtiment en étant ce qui crée des tunnels à l'intérieur de sa matière extérieure.

Les deux notions font ensemble des effets d'un/multiple : un porche divisé en multiples arcades, une forme d'arcade répétée de multiples fois et selon de multiples dimensions.

Bien que les notions de matière et d'esprit utilisent les mêmes formes, elles en exploitent les propriétés de façons autonomes, leur échelonnement dans la profondeur pour l'une et la régularité géométrique de leur façade pour l'autre, ce qui implique que les deux notions sont ici additives. La régularité de la forme géométrique demi-circulaire à toutes les étapes de l'enfoncement de la matière est toutefois utile à la bonne progression de cet enfoncement, ce qui implique que les deux notions interviennent de façons complémentaires.

 

On en vient aux sculptures qui s'inscrivent à l'intérieur de cette disposition. À l'exception de l'arcade la plus grande, les sculptures occupent aussi bien la façade des arcades que leur intrados.

Même si les sculptures sont assez proches les unes des autres, on perçoit bien l'existence d'un fond uniforme qui passe derrière elles. On est donc dans un cas où la notion de matière portée par ce fond et la notion d'esprit porté par le détail et l'organisation des statues qui captivent notre esprit sont en situations complémentaires, l'une correspondant au support et l'autre aux figures sculptées par-dessus ce support.

Dans chaque arcade, les petits morceaux apparents du support, bien séparés les uns des autres et donc indépendants les uns des autres, sont liés les uns aux autres par leur participation à une même surface qui se développe en arc de cercle : la notion de matière portée par cet effet de surface s'exprime donc encore une fois par un effet de lié/indépendant.

À l'exception de l'arcade la plus petite qui est seulement sculptée en très bas-relief, toutes les sculptures sont orientées vers un centre unique à partir duquel elles forment des séries rayonnantes, comme s'il s'agissait des claveaux d'une voûte. Toutes ces différentes statues qui captivent notre esprit appartiennent donc à une même figure rayonnante et elles sont très différentes d'une arcade à l'autre, parfois même très différentes à l'intérieur d'une même arcade, ce qui correspond à un effet de même/différent. Cet effet se retrouve aussi dans les sculptures en bas relief de la plus petite arcade qui regroupent dans une même trame sculptée deux types de figures très différentes : des entrelacs linéaires en tiges continues, des entrelacs linéaires individuels très entortillés, et des animaux fantastiques aux formes à large surface. Bien entendu, cette petite arcade a la même forme en arcade que les plus grandes mais des sculptures de style très différent.

Les deux notions se différencient par un effet d'intérieur/extérieur : les sculptures se repèrent en étant situées à l'extérieur de la matière du fond qui les porte et à l'intérieur d'une bande demi-circulaire de sculptures, et à l'inverse leur extérieur est à l'intérieur de la matière du tunnel généré par l'arcade immédiatement supérieure. Cela vaut même pour les sculptures de la plus grande arcade qui sont situées à l'intérieur d'une petite arcade garnie d'une file d'animaux.

Les deux notions font ensemble des effets d'un/multiple : une bande matérielle de surface demi-circulaire répartie en multiples morceaux de surface apparents ; un rayonnement de sculptures obtenu par la combinaison de multiples sculptures réparties sur de multiples niveaux ; sur chaque arcade, un même thème ou un même type de sculpture reproduit en de multiples exemplaires.

 

Globalement, les multiples sculptures s'organisent pour faire un même rayonnement, ce qui implique que la notion d'esprit relève d'une lecture du type 1/x. Les multiples morceaux de surface qui correspondent au fond portant ces sculptures ne génèrent pas globalement des surfaces en demi-cercle que l'on pourrait lire en continuité, ils se lisent comme 1+1 morceaux de surface matérielle.

Cet effet matériel de surface fait un effet de bande linéaire discontinue tandis que les sculptures font en effet de rayonnement collectif à partir d'un centre, ce qui n'a rien à voir et implique que la notion de matière et la notion d'esprit sont en relation additive.

En résumé, on a donc vu que les deux notions sont en relation additive mais qu'elles sont complémentaires, tandis que le type 1/x de la notion d'esprit et celui 1+1 de la notion de matière traduisent le fait que cette filière se prépare au super-naturalisme.

 

 

La troisième étape de la sculpture analogiste menant au super-naturalisme :

 



 

Détail et vue d'ensemble du tympan du portail de la Vierge de la cathédrale Notre-Dame de Senlis, France (1165/1170)

 

Source des images : http://www.ville-senlis.fr/Decouvrir-Senlis/Patrimoine-Histoire/Patrimoine-architectural/La-Cathedrale-Notre-Dame-de-Senlis

 

 

Après l'étape romane on passe naturellement au gothique classique, soit à la période qui va approximativement de 1135 à 1220. Après les personnages sculptés du porche d'Aulnay, ceux des voussures du portail dit de la Vierge de la cathédrale Notre-Dame de Senlis. Ce portail date des années 1165/1170, c'est-à-dire de très peu de temps après celui d'Aulnay, mais l'Île-de-France et son proche voisinage ont été parmi les premières régions de France à basculer vers le gothique.

Comme dans les exemples précédents, on repère ici les rôles complémentaires de la surface du bâtiment qui fait un effet de matière par sa seule présence continue et des personnages sculptés à sa surface qui captivent notre esprit : les notions de matière et d'esprit sont en situations complémentaires.

Un sillon continu est creusé entre les voussures successives qui portent la notion de matière, ce qui fait que la surface du porche est toujours traitée de la même façon mais clairement composée de différentes voussures, d'ailleurs différentes les unes des autres parce qu'elles n'ont pas toute la même longueur, et surtout que certaines sont en position plus centrale et d'autres en position plus périphérique par rapport à la Vierge et au Christ : c'est un effet de même/différent.

Les personnages sculptés sur les voussures sont systématiquement situés à l'intérieur d'un petit abri végétal, tandis que leurs pieds sont à l'intérieur d'une autre volute végétale qui s'appuie sur l'abri du personnage situé immédiatement en dessous, de telle sorte que le bas et le haut de leur corps sont à la fois exposés à l'extérieur et abrités à l'intérieur d'une forme végétale, que le personnage situé à l'intérieur de chaque unité visuelle s'appuie sur l'extérieur de l'unité visuelle du dessous, et que chaque niche végétale forme un creux intérieur qui est en situation extérieure. Les sculptures qui captivent notre esprit et qui représentent des personnages dotés d'un esprit font donc des effets d'intérieur/extérieur.

Les notions de matière et d'esprit se différencient par un effet d'un/multiple : chaque voussure portant la notion de matière forme une seule bande continue qui parcourt les deux versants du portail, seulement marquée par une très légère cassure de courbure au sommet de son ogive, tandis que, par différence, sur la longueur d'une seule voussure il y a de multiples personnages pour correspondre à la notion d'esprit.

Les deux notions font ensemble des effets de regroupement réussi/raté : les différentes bandes de voussures sont regroupées sur une même surface continue enveloppant toute la partie haute du porche, mais ce regroupement est raté du fait des sillons très marqués qui sont creusés entre elles ; les personnages sculptés sont regroupés dans des bandes continues occupant l'essentiel de la surface d'une voussure, mais ce regroupement est raté car on peut repérer l'écart qui sépare la tête de chaque personnage de la volute végétale qui le protège, un écart qui empêche que ces bandes soient réellement continues ; les personnages situés sur la moitié gauche d'une bande vont à la rencontre des personnages situés sur la moitié droite, et donc en sens inverse, ce qui génère une hétérogénéité à l'intérieur de chaque bande qui fait échouer le regroupement en ensemble homogène de tous les personnages d'une même voussure ; chaque personnage est regroupé avec les deux volutes végétales qui enveloppent son corps, mais ce regroupement est raté car on distingue bien la différence entre ce qui correspond aux personnages et ce qui correspond à son support ou à son abri végétal.

 

Les figures qui occupent le tympan du portail, c'est-à-dire la Vierge, le Christ et divers anges, sont toutes situées à l'intérieur d'une espèce d'arcade. Celle incluant la Vierge et le Christ est divisée en deux dans sa partie haute, ce qui rappelle la forme des niches végétales abritant chacun des personnages représentés sur les voussures. Ces rappels visuels entre les figures centrales du tympan et les figures excentrées des voussures contribuent à faire du tympan et de sa couronne de voussures une scène unique hiérarchisée comprenant des personnages divins encadrés par des personnages saints, un ensemble qui est donc à la fois un et multiple et relève par conséquent du type 1/x. Par différence, les morceaux de voussures qui sont visibles entre ces rangées de personnages ne forment qu'une suite discontinue de sillons écartés les uns des autres et de morceaux de voussure séparés les uns des autres par des sculptures, ce qui se lit comme 1+1 sillons +1+1 morceaux de voussure.

La notion de matière s'affirmant notamment par des bandes linéaires continues tandis que la notion d'esprit s'affirme toujours par des suites linéaires discontinues que l'on peut également lire comme rayonnant à partir du foyer visuel que sont la Vierge et le Christ, on en déduit que les deux notions font des choses trop étrangères l'une de l'autre pour être en situation couplée et quelles sont donc en situation additive. En résumé, on a vu que les notions de matière et d'esprit préparent le super-naturalisme et qu'elles sont en relation additive et complémentaires l'une de l'autre.

 

 

 



Statues-colonnes du portail royal de la cathédrale Notre-Dame de Chartres, France (1142)

 

Sources des images : https://www.wikiwand.com/fr/Cath
%C3%A9drale_Notre-Dame_de_Chartres
  et
https://commons.wikimedia.org/wiki
/Category:Royal_portal_of_Cath
%C3%A9drale_Notre-Dame_de_Chartres#/media/File:
Chartres_Cathedral_Royal_Portal_Statues_2_2007_08_31.jpg

 

 

Les statues-colonnes sont un autre exemple très caractéristique de la façon gothique d'associer la sculpture à l'architecture. Les premières, aujourd'hui disparues, ont été réalisées sur la façade de la basilique Saint-Denis de l'abbé Suger, cela encore plus précocement que la sculpture du portail de Senlis puisqu'elles étaient déjà achevées en 1141. Celles du portail royal de la cathédrale Notre-Dame de Chartres sont à peine plus tardives puisqu'elles datent de 1142. La plus spectaculaire est celle qui représente la reine de Saba dont on voit bien que le bas des jambes est dans l'alignement de la colonne tandis que sa tête est franchement à l'avant de la même colonne. Dans le cas des statues qui l'encadrent, celle du roi David à sa droite et celle du roi Salomon à sa gauche, l'effet est moins prononcé mais l'on a toutefois bien conscience du fait que le bas de leur corps est compris dans le volume prolongeant la colonne qui les porte tandis que leur tête est à l'avant de ce volume, ce qu'implique d'ailleurs la disposition légèrement oblique de leur silhouette.

Ce sont évidemment les sculptures finement ouvragées des personnages qui correspondent à la notion d'esprit tandis que la notion de matière pesante et portante est représentée par le volume des colonnes sur lesquelles les statues s'appuient en partie basse et dont elles se dégagent progressivement en s'inclinant vers l'avant.

Le volume matériel d'une même colonne comporte deux parties différentes, l'une qui se confond avec le bas du corps du personnage sculpté, l'autre qui se distingue très clairement du personnage puisqu'elle est bien à l'arrière de lui au niveau de sa tête, ce qui correspond à l'effet de même/différent qui exprime à cette étape la notion de matière.

Pour sa part, la statue qui porte la notion d'esprit fait un effet d'intérieur/extérieur puisqu'elle est à l'intérieur de la colonne qui la porte en partie basse et à son extérieur au niveau de sa tête qui est franchement devant.

Les notions de matière et d'esprit se différencient par un effet d'un/multiple : en partie basse la statue et la colonne matérielle ne font qu'un seul volume tandis qu'elles se différencient en deux volumes bien séparés en partie haute de la statue.

Les deux notions font ensemble des effets de regroupement réussi/raté : le regroupement de la statue et de la colonne est réussi dans la partie basse de la statue, il rate progressivement à mesure que l'on considère une partie de plus en plus haute de la statue, il est complètement raté au niveau de sa tête. Par ailleurs, la proportion très allongée des statues fait regrouper leur forme avec la forme d'une colonne, mais ce regroupement est raté car on distingue bien qu'il s'agit d'un personnage et non d'une colonne. Les quatre statues-colonnes alignées d'un même côté du portail sont regroupées dans une série continue de statues-colonnes, mais ce regroupement est raté lorsqu'on considère les graphismes différents des colonnes dans leurs parties basses, lorsque l'on considère que les pieds de la reine de Saba ne sont pas au même niveau que les pieds de ses voisins et ne se raccordent pas de la même façon au bas de la colonne, et de façon générale lorsqu'on considère les différences qui existent entre les personnages représentés.

 

Les colonnes correspondent chaque fois à des volumes cylindriques tandis que les sculptures correspondent à des volumes distincts, complexes et finement différenciés d'un endroit à l'autre d'un même personnage, et puisque la forme qui porte la notion de matière et celle qui porte la notion d'esprit se comportent de façons aussi autonomes cela implique que la relation entre les deux notions est de type additif. Même si leurs volumes sont localement confondus, on a affaire à une colonne qui porte un chapiteau à son sommet et à un personnage sculpté qui vient s'accoler à la colonne sur une partie de son parcours : cette distinction entre support et sculpture portée par ce support implique que les deux notions font des choses complémentaires.

Chaque sculpture forme une entité complète bien repérable dont on peut considérer simultanément les multiples détails, ce qui correspond à une lecture du type 1/x. Le volume de chaque colonne, par contre, ne peut jamais être vu en continuité du fait de son encombrement partiel par le volume de la sculpture, il n'est appréhendable que comme l'addition d'un bas de colonne et d'une émergence de colonne en partie haute, ce qui correspond à une lecture du type 1+1.

En résumé, les notions de matière et d'esprit se révèlent une nouvelle fois dans une situation additive et complémentaires l'une de l'autre, cela tout en annonçant l'ontologie super-naturaliste du fait de leurs types de lecture.

 

 

La quatrième étape de la sculpture analogiste menant au super-naturalisme :

 



 

À gauche, voussures du portail central de la cathédrale Notre-Dame d'Amiens (1220/1236)

Source de l'image : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Amiens_Cath
%C3%A9drale_Notre-Dame_S%C3%BCdportal_Tympanon_1.jpg

 

Ci-dessus, bas des voussures du portail central de la cathédrale d'Amiens

Source de l'image : https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:
Statues_of_the_Portal_of_the_Last_Judgment_(Amiens_Cathedral)#/media/File:
Amiens_Cathedrale_Notre-Dame_WLM2018_ext%C3%A9rieur_(5).jpg

 

 

La quatrième étape reste gothique, mais cette fois pour sa période dite du gothique rayonnant qui correspond approximativement à la période qui va de 1210 à 1290. Nous l'abordons avec les sculptures du portail central de la cathédrale Notre-Dame d'Amiens qui date des années 1220/1236. Nous en ferons deux analyses distinctes, la première qui concernera les voussures de sa partie haute encadrant le tympan du portail, la seconde qui concernera les grandes statues situées au pied des précédentes et qui encadrent le portail proprement dit.

Nous commençons donc par les kyrielles de statues qui occupent les voussures du portail et qui ressemblent beaucoup, par le principe de leur disposition, aux statues du portail de Senlis examiné à l'étape précédente.

Cette fois encore c'est la surface des voussures successives qui porte la notion de matière, tandis que les innombrables sculptures apposées sur ces voussures correspondent à la notion d'esprit, puisque c'est leur détail qui attire l'attention de notre esprit, et puisque ces sculptures représentent des personnages supposés dotés d'un esprit. Toutefois, les différentes voussures ne sont plus séparées par des sillons en creux mais par de nets décalages de plans et par des boudins en relief qui prolongent les fines colonnes de l'étage du dessous, tandis que la façon dont les personnages sont portés est également modifiée : à Senlis, le dynamisme fluide des niches végétales qui contenaient les personnages les associait visuellement aux gestes des personnages, à Amiens les personnages sont cette fois portés par des socles accrochés en porte-à-faux sous les voussures de telle sorte que ces socles font seulement office de support et qu'ils participent donc plutôt à l'effet de matière.

À la quatrième étape, la notion de matière s'exprime par un effet d'intérieur/extérieur : pour les six rangées de voussures situées au plus près du portail cet effet implique que l'on repère facilement l'extérieur de chacune à l'intérieur de la surface continue qu'elles tapissent ensemble, et aussi que la tranche lisse laissée visible par le décalage des plans entre deux rangées voisines correspond à une surface extérieure de la paroi située à l'intérieur du creux laissé entre deux rangées ; à la périphérie du portail les rangées de statues sont davantage espacées et de larges surfaces plates de voussures y font pénétrer l'extérieur à l'intérieur de l'ensemble sculpté ; en limite du portail, une bordure dentelée referme un peu celui-ci ce qui permet à l'ensemble des voussures d'être perçu en situation intérieure bien qu'également en situation extérieure ; enfin, si l'on a déjà dit que les socles qui portent les statues faisaient un effet de matière support, on peut ajouter que la forme en dais de leur sous-face génère un creux intérieur qui est en situation extérieure.

Quant aux statues qui portent la notion d'esprit, elles forment une ribambelle d'innombrables statues d'un même modèle, celui d'un personnage porté par un socle servant d'abri à la statue du dessous : c'est un effet d'un/multiple.

Les notions de matière et d'esprit se différencient par un effet de regroupement réussi/raté : toutes les statues se rassemblent dans une nappe continue de statues, mais cette continuité qui est ratée du fait de la pénétration des surfaces plates des voussures entre les rangées les plus externes, les surfaces qui portent la notion de matière faisant donc rater le regroupement continu des statues qui portent la notion d'esprit et s'en démarquant ainsi. À petite échelle, le volume de chaque statue est bien regroupé avec celui du socle qui la porte, mais ce regroupement est raté car on distingue clairement qu'il s'agit de deux parties différentes d'un même volume, celle qui sert de support et celle qui est portée par ce support.

Les deux notions font ensemble des effets de fait/défait : la continuité de surface des voussures plates défait la continuité horizontale des rangées de sculpture ; la continuité verticale de ces voussures plates et des voussures plus étroites est défaite par la discontinuité produite par les statues qui sont clairement distantes les unes des autres ; les alignements horizontaux qui regroupent les statues appartenant à différentes rangées sont défaits par les lignes de boudins qui séparent ces rangées, et ils se défont d'eux-mêmes à mesure que l'on monte ; la régularité des statues isolées sur leur petit podium est défaite par les statues du bas qui sont groupées à plusieurs.

 

Comme au portail de Senlis, les surfaces de voussures et les statues s'organisent de façons trop différentes pour correspondre à une relation couplée entre les notions de matière et d'esprit qui sont donc ici en relation additive. Comme à Senlis elles font aussi des choses complémentaires, l'une correspondant à la paroi support et l'autre aux sculptures qui sont portées par cette paroi.

Comme à Senlis toujours, on ressent que toutes les sculptures forment ensemble un groupe et que ce groupe est donc composé de multiples parties semblables, ce qui relève du type 1/x, tandis que les morceaux de voussures qui sont visibles ne forment pas ensemble une unité continue visualisable et s'ajoutent donc les unes aux autres en 1+1.

 

 

 


Grandes statues latérales du portail central de la cathédrale Notre-Dame d'Amiens (1220/1236)

 

Source de l'image : https://commons.wikimedia.org
/wiki/Category:Statues_of_the_Portal_of_the_Last
_Judgment_(Amiens_Cathedral)#/media/File:
Statues_of_Amiens_Cathedral,_pic5.JPG

 

 

Nous envisageons maintenant les grandes sculptures situées en partie basse de la moitié gauche du portail central de la cathédrale d'Amiens. Chacune se trouve à l'avant d'une colonne dont le chapiteau se trouve sous le départ des rangées de statues analysées précédemment, et chacune se situe sur un podium en porte-à-faux devant sa colonne. Un petit dais habille le dessous de ce podium et reçoit une petite sculpture à son intérieur. Au-dessus de la tête de chaque statue, un autre dais vient l'abriter en la dépassant largement sur le devant.

Globalement la paroi plane du mur du fond fait un effet de matière, tout comme les colonnes qui sont accolées contre lui et portent des chapiteaux, quant à notre esprit il est spécialement captivé par les multiples crochets qui ornent ces chapiteaux, par le détail des grandes sculptures, par les dais qui portent ces sculptures et par les dais qui les abritent. Nous allons concentrer l'analyse sur ces dais profonds sous lesquels s'abritent les statues afin de montrer qu'une seule partie d'un ensemble sculpté suffit parfois à concentrer tout l'enjeu d'une étape ontologique.

Ces dais sont accrochés au mur dont ils sont comme une excroissance pour venir localement abriter chaque statue, et l'on ressent bien l'effet de porte-à-faux qui leur permet matériellement de tenir en l'air de telle sorte qu'ils participent donc de la notion de matière. Toutefois, ils sont décomposés en multiples tourelles et arcades en ogive, et sous cet aspect ils captent l'attention de notre esprit et participent donc aussi de la notion d'esprit. La même forme porte donc simultanément la notion de matière et celle d'esprit, et cela dans un cas où les deux notions sont en situation additive et complémentaires : elles sont en situation additive parce qu'elles font des choses très autonomes, et elles sont complémentaires car les arcades et les tourelles apportent une décoration qui s'ajoute à l'aspect d'abri matériel procuré par les dais et qui le complète en évoquant la notion de cité protectrice munie de tourelles.

Les petites tourelles et les ogives qui les portent forment ensemble une frise continue qui orne toute la largeur du demi-portail, une frise à l'intérieur de laquelle chaque dais forme une unité visuellement repérable, elle-même divisible en multiples tourelles et en multiples ogives, ce qui relève d'une lecture du type 1/x. Si l'on ne s'intéresse pas à cet effet de frise apportée par le détail de la forme des dais mais que l'on s'intéresse seulement à leur présence matérielle en tant qu'avancées en porte-à-faux devant le mur, la notion de continuité disparaît et on ne lit que 1+1 abris en porte-à-faux devant le mur, sans que cette répétition ne génère un effet de groupe puisque l'effet de porte-à-faux se lit chaque fois perpendiculairement à la façade et non dans le sens de la file des dais.

En résumé, ces grands dais en porte-à-faux sont une occasion pour les notions de matière et d'esprit de montrer leur relation de type additif, de le faire en faisant preuve de leur complémentarité, et cela tout en signalant que l'on est dans une filière qui prépare le super-naturalisme.

 

La notion de matière s'exprime à cette étape par des effets d'intérieur/extérieur : ces dais génèrent des abris à l'intérieur desquels sont abritées des statues qui sont clairement en situation extérieure, et ils produisent cet effet d'abris intérieurs tout en étant eux-mêmes accrochés au bâtiment, et donc en saillie à l'extérieur de sa façade.

La notion d'esprit s'exprime par un effet d'un/multiple qui correspond à l'effet de frise unifiée rassemblant les multiples petites tourelles et les multiples arcades en ogive qui les soutiennent.

Les deux notions se différencient par un effet de regroupement réussi/raté : le regroupement en frise décorative unifiée des petites tourelles et des petites ogives est réussi, tandis que la continuité de l'abri matériel produit par le regroupement des dais est ratée du fait des trois dais les plus extérieurs qui se détachent des autres en refusant de faire groupe avec eux.

Les deux notions font ensemble des effets de fait/défait : le regroupement compact des dais est fait du côté du portail tandis qu'il est défait du côté opposé ; la frise d'ensemble des petites tourelles et des petites arcades en ogive se répand de façon horizontale, mais individuellement les tourelles s'élancent verticalement et les ogives ont également des formes qu'on lit verticalement.

 

 

 


Nicola Pisano (1215/1230-1278/1284) : Le massacre des Innocents (1265-1266), chaire de la cathédrale de Sienne, Italie

 

Source de l'image : https://www.gettyimages.ch/detail/nachrichtenfoto/the-massacre-of-the-innocents-detail-carved-relief-of-nachrichtenfoto/594774044?language=fr

 

 

Avec l'architecture on avait vu que l'Italie privilégiait l'indépendance des notions de matière et d'esprit quand la France, et plus généralement les pays au nord de l'Italie, privilégiaient plutôt la complémentarité des notions. Dans tous les exemples de sculptures romanes et gothiques que l'on vient d'envisager on a eu affaire à la complémentarité des notions, et pour trouver des exemples d'utilisation de notions indépendantes en sculpture, comme pour l'architecture il suffit d'aller en Italie. Fondamentalement, à cette étape, la complémentarité des notions s'appuie sur le fait que le bâtiment forme une masse matérielle sur laquelle viennent se greffer des sculptures mises en forme par l'esprit du sculpteur, et toutes les façades romanes et gothiques garnies de sculptures comme tous les porches romans et gothiques garnis de sculptures en sont la démonstration : la matière y joue son rôle de support, et les sculptures façonnées dans le détail par l'esprit de l'artiste y jouent un rôle complémentaire. Par différence, lorsque les notions interviennent de façons indépendantes il n'est pas question de séparation entre le support matériel et les sculptures qui s'y accrochent, c'est l'ensemble de la sculpture qui porte les deux notions, et pour cela la sculpture dans son ensemble forme une série de vagues matérielles qui s'organisent selon un rythme relevant tout spécialement de l'état de la notion de matière à l'étape considérée, et de façon indépendante l'esprit du sculpteur donne une signification à ces formes matérielles en les organisant de façon à ce qu'elle génère une scène rendant tout spécialement compte de l'état de la notion d'esprit à la même étape.

De telles vagues parcourant la masse matérielle, c'est ce que l'on a vu à la première étape avec le sarcophage Ludovisi réalisé vers 250. Il se dit que c'est en s'inspirant des sarcophages romains de cette époque que le sculpteur Nicola Pisano (1215/1230- 1278/1284) a réalisé les panneaux qui recouvrent la chaire du baptistère de Pise, puis celle de la cathédrale de Sienne. C'est l'un des panneaux de cette dernière que nous allons examiner, représentant Le massacre des Innocents et réalisé à Sienne en 1265 ou 1266.

Comme pour le sarcophage Ludovisi, il n'y a pratiquement pas de fond visible à cette matière sculptée qui s'organise en ondes de personnages dont les masses se répartissent verticalement en plusieurs étages et qui butent en tous sens les uns contre les autres. Chaque personnage, ou couple de personnages lorsqu'un enfant est accolé à sa mère, correspond à une masse matérielle identifiable, ce qui implique que son extérieur est bien repérable à l'intérieur de l'ensemble de la masse sculptée : c'est là l'effet d'intérieur/extérieur qui porte la notion de matière. D'un point de vue strictement plastique il n'y a aucune organisation dans ces ondes de matière sculptée, lesquelles ne génèrent aucune forme d'ensemble repérable et s'ajoutent les unes aux autres en 1+1. Si chacun des personnages a donc une forme globale repérable, notre esprit est captivé par ses multiples détails, ce qui correspond à l'effet d'un/multiple qui porte la notion d'esprit, mais cet effet s'exprime principalement par le constat que fait notre esprit du regroupement dans un même panneau continu de multiples scènes individuelles qui ont toutes rapport à un même événement, celui dit du massacre des innocents ordonné par le roi Hérode qui trône vers l'extrémité gauche de la rangée du haut. L'assemblage dans un même panneau continu de multiples scènes est d'autant plus significatif pour notre esprit que l'on sait qu'elles n'ont pas pu se réaliser toutes en même temps et au même endroit, et encore moins selon cette disposition de corps tassés les uns contre les autres et sur plusieurs rangées de hauteur, une disposition qui n'a rien de réaliste et qui doit tout à la volonté de l'artiste qui a sculpté la scène. Évidemment, ces deux expressions de l'effet d'un/multiple, celui qui correspond à l'échelle de chaque personnage est celui qui correspond à l'échelle d'ensemble, impliquent une organisation en 1/x, le type dont on sait que bénéficie la notion d'esprit dans cette filière qui prépare le super-naturalisme.

Les deux notions se différencient par des effets de rassemblement réussi/raté : à l'échelle d'ensemble les multiples ondes de matière que forment les personnages ont réussi à se rassembler en se tassant les unes contre les autres et en s'étalant de façon uniforme sur l'ensemble de la surface, mais si notre esprit s'intéresse à qui sont ces personnages et ce qu'ils font, ce rassemblement d'ensemble se défait puisqu'on y trouve aussi bien le roi Hérode qui a ordonné le massacre que les soldats qui le perpétuent et les mères des enfants qui tentent de les protéger. Par ailleurs, quand un enfant est rassemblé avec sa mère dans une même forme matérielle, notre esprit sait les différencier.

Ensemble, les deux notions font des effets de fait/défait qui s'appuient notamment sur l'effet que l'on vient de décrire. Par ailleurs, si la régularité des volumes est faite à grande échelle sur l'ensemble de la surface du panneau sculpté, les actions des personnages y mettent du désordre dans le détail en s'agitant de façon très irrégulière, et cette fois cette hétérogénéité ne concerne pas seulement notre compréhension de la scène mais aussi le désordre des formes puisque des parties assez stables et compactes s'opposent à des parties aux formes décousues et très agitées, et puisque des volumes affirmant principalement la verticale s'opposent aux traits diagonaux des bras qui s'agitent, soit pour brandir des armes, soit pour s'agripper à un enfant, soit pour déplorer son sort.

 

Les masses matérielles sculptées forment un tapis assez homogène quant à sa densité, d'autant que leurs différentes formes ont toutes à peu près la même taille. Par différence, comme on l'a déjà envisagé, notre esprit repère de fortes hétérogénéités entre les personnages et des conflits radicaux dans leurs gestes et dans leurs attitudes puisque pour certains il s'agit de bourreaux et pour d'autres de victimes. La lecture par notre esprit de l'organisation signifiante de la scène est donc complètement autonome de notre lecture de l'organisation de ses masses matérielles, ce qui implique que les deux notions sont ici en situation additive. Au chapitre 18.2.0, dans les exemples de sculptures en contexte de notions couplées dans la civilisation musulmane, on a indiqué que l'identification de toute masse matérielle séparée à une unité signifiante pour l'esprit était un signe de couplage des deux notions. Ici, l'effet d'intérieur/extérieur lié à la notion de matière a bien pour conséquence de nous amener à repérer l'extérieur de chaque forme à l'intérieur de l'ensemble du panneau, mais chaque personnage ne constitue pas pour autant une unité signifiante, car à plusieurs ils se groupent en petites scènes, par exemple formées d'une mère, de son enfant et d'un soldat en train d’agripper ce dernier, ou bien d'un enfant et d'un soldat en train de le passer au fil de l'épée. Par ailleurs, on doit considérer que l'agitation plastique des masses qui captive notre esprit se déroule à un rythme plus fin que celui des personnages entiers puisque ce qui importe pour cet effet ce sont les bras, les têtes, les épaules, etc., de telle sorte que l'unité significative pour l'intérêt plastique qui captive notre esprit n'est pas celui des personnages entiers. Tout  comme la construction des mini-scènes relatives à la compréhension de la scène, l'échelle des effets plastiques annule pour notre esprit la séparation matérielle des personnages et implique donc également une relation de type additif entre les deux notions.

Enfin, l'organisation des masses sculptées sur trois étages et tassées les unes contre les autres est complètement indépendante de la façon dont notre esprit peut reconstituer la réalité d'un tel massacre, évidemment dispersé en plusieurs lieux et non pas concentré en un seul, qui plus est avec ses protagonistes tassés les uns sur les autres et les uns au-dessus des autres. Puisque la matérialité des formes sculptées et la reconstitution du même évènement par notre esprit sont très indépendantes, les deux notions sont indépendantes l'une de l'autre. En résumé, on est dans une filière qui prépare le super-naturalisme, avec des notions de matière et d'esprit qui sont en situation additive et qui agissent indépendamment l'une de l'autre.

 

 

La cinquième et dernière étape de la sculpture analogiste menant au super-naturalisme :

 

 


Portail nord de la façade ouest de la cathédrale de Strasbourg, France (vers 1280-1300)

 

Source de l'image : https://commons.wikimedia.org/wiki/Cath%C3%A9drale_Notre-Dame_de_Strasbourg

 

 

Pour la dernière étape, nous revenons d'abord à la sculpture gothique telle qu'elle se développe plus au nord que l'Italie. Pour l'architecture nous avions envisagé la façade de la cathédrale de Strasbourg et observé comment le couplage final des deux notions avait été obtenu par leur contraste visuel très clair, la matière en tant que paroi lisse servant de fond, et l'esprit se laissant captiver par une grille de lignes verticales plaquées devant ce fond et suffisamment transparente pour laisser celui-ci toujours bien apparent. Ce sont les sculptures réalisées sous cette grille architecturale en voussure des trois porches de la façade de la même cathédrale que nous allons considérer pour cette étape.

Étrangement, le réseau de lignes lues « du bout des yeux » qui captaient l'intérêt de notre esprit dans l'architecture sert maintenant à porter la notion de matière. Cette lecture linéaire de la matière était déjà impliquée par les voussures des étapes précédentes, mais cette fois elle est radicalement plus prégnante car la lecture de ces multiples arcs linéaires en ogive s'imbrique complètement dans l'organisation elle aussi très linéaire et en ogive dans lesquelles s'accumulent les unes au-dessus des autres les différentes statues dont les détails captivent notre esprit. Au demeurant, ces lignes très fines ne portent ici qu'une partie de la notion de matière puisqu'elles ne constituent que les crêtes des surfaces matérielles continues à l'intérieur desquelles se logent les statues. Quoi qu'il en soit, cette imbrication des crêtes linéaires de la matière des voussures et des files de statues propose un contraste très simple et très limpide des expressions de chacune des deux notions, ce qui correspond évidemment à ce que l'on devait attendre à la dernière étape pour leur mise en couple finale : l'expression très forte de l'autonomie de chacune en même temps que la lecture évidente de leur assemblage dans une organisation duelle.

À cette étape la notion de matière est portée par un effet d'un/multiple, bien exprimé par l'unité du réseau des arcades en ogive divisé en multiples arcades en ogive. La notion d'esprit est portée par des effets de regroupement réussi/raté : les statues sont regroupées en alignements d'ogives, mais leur regroupement est raté du fait de la séparation des statues entre elles, du fait de la différence de taille importante entre les grandes statues du rang inférieur et celles qui occupent les voussures, et du fait de la séparation entre les alignements de statues liée aux lignes matérielles qui s'intercalent entre elles. On peut aussi faire valoir que chaque statue des voussures est regroupée avec son socle dans un même volume mais que ce regroupement est raté du fait qu'on peut clairement visualiser distinctement la statue de son socle.

C'est maintenant un effet de fait/défait qui porte la différence entre les deux notions : les filets de matière dessinent de fines arcades continues quand les statues dont les détails captivent notre esprit s'organisent en larges arcades discontinues qui défont donc la finesse et la continuité des ogives matérielles.

Les deux notions font ensemble des effets de relié/détaché : les fines ogives détachées les unes des autres relient en continu les extrémités des deux voussures, les statues détachées les unes des autres se relient en files continues, et enfin ces ogives et files de statues sont reliées les unes aux autres dans les plans courbes que forment les voussures tout en étant clairement détachées les unes des autres. Pour ce qui concerne cet effet, si l'on compare la disposition de ce portail au portail envisagé à l'étape précédente, il est spécialement remarquable que les filets des ogives se poursuivent sans interruption jusqu'au sol, et cela de façon toujours très visible, sans même être quelque peu masqués par les grandes statues-colonnes entre lesquelles ils passent.

 

On la dit, le réseau des arcades qui porte la notion de matière fait un effet d'un/multiple, mais cela ne va pas jusqu'à donner une forme globale à ce réseau, d'autant qu'il n'est formé que des crêtes des surfaces matérielles qui enveloppent les statues. Cet effet n'empêche donc pas ces fines arcades en ogive de ne s'assembler qu'en 1+1 arcades les unes à côté des autres. Il en va de même pour les statues dont les différentes files ne font certes rien ensemble, mais au moins chaque file est une file de multiples statues, chaque statue se divise en un socle est une représentation de personnage, chaque socle se divise en multiples pinacles, et chaque statue portée par ce socle rassemble en elle-même de multiples détails. Cette cascade de divisions de chaque unité suffit à donner le type 1/x aux sculptures qui portent la notion d'esprit.

La matière s'affirme principalement par des tracés linéaires continus tandis que l'esprit est principalement captivé par des files discontinues de statues : les deux notions font des choses très autonomes l'une de l'autre, et selon des rythmes incompatibles, ce qui implique qu'elles sont en relation additive et non pas couplée. Entre chaque arcade linéaire la matière forme un fond continu qui porte les statues : les deux notions interviennent de façons complémentaires. Au total, les deux notions sont en situation additive, complémentaires l'une de l'autre, et elles préparent le super-naturalisme, tandis que leur claire imbrication et leur claire affirmation contrastée montre que leur couplage est maintenant achevé comme il convient pour la dernière étape de la phase analogiste.

 

 

 


Lorenzo Maitani (1255-1330), Scènes de la Genèse (1310 à 1330) sur le pilier gauche de la façade de la cathédrale d'Orvieto, Italie

 

Source de l'image : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Lorenzo_maitani_e_aiuti,_scene_bibliche_1_(1320-30)_02.JPG

 

 

L'exemple des voussures de la cathédrale de Strasbourg correspondait à une expression synthétique car l'imbrication des formes correspondant à chacune des deux notions ne permettait pas de considérer un registre sans considérer l'autre. L'exemple que l'on va maintenant envisager va montrer que, même en Italie, on trouve des ensembles sculptés dans lesquels les notions de matière et d'esprit interviennent de façons complémentaires et non pas indépendantes. Cet exemple correspond au pilier de l'extrémité gauche de la façade de la cathédrale d'Orvieto dont la sculpture de ces scènes de la genèse, réalisée vers 1310 à 1330, est attribuée à Lorenzo Maitani (1255-1330).

La matière est évidemment celle de la surface lisse en marbre qui sert de fond à l'ensemble du panneau, tandis que ce sont les sculptures en relief sur cette surface qui attirent l'intérêt de notre esprit. La matière sert de fond et porte les sculptures qui captivent notre esprit, on est bien là avec des notions qui interviennent de façons complémentaires, mais cette fois il s'agit d'une expression analytique puisque l'on peut clairement considérer séparément le fond et les sculptures réalisées à sa surface. Évidemment aussi, la matière et l'esprit font des choses très autonomes l'une de l'autre, puisque la matière fait une surface plane continue tandis que l'esprit décompose cette surface en multiples scènes bien séparées et selon un rythme qui n'a aucun correspondant dans la façon dont la matière s'étale : les deux notions ne sont pas en situation couplée mais en situation additive.

Le fond matériel du panneau forme une unité repérable divisée en multiples parties par les frises végétales sculptées à sa surface, ce qui correspond à un effet d'un/multiple. Toutefois, du fait que ces multiples parties n'ont jamais de forme bien repérable et que leur assemblage n'a pas non plus de forme distincte outre le plan qui les rassemble, elles s'ajoutent les unes aux autres en 1+1.

Le dessin de la végétation qui découpe le panneau en multiples scènes forme par contre une sorte d'arbre bien repérable qui monte du bas jusqu'au sommet du panneau et distribue latéralement les multiples branches sur lesquelles s'appuient les différentes scènes, ce qui correspond clairement à une organisation du type 1/x. Toutefois, même si les différents sols sur lesquels s'appuient ces différentes scènes sont systématiquement regroupés avec l'une des branches latérales de l'arbre qui occupe le centre du panneau, ces branches et ses sols n'ondulent pas de la même façon et sont toujours bien distincts, ce qui correspond à l'effet de regroupement réussi/raté qui porte à cette étape la notion d'esprit.

 

 

 


Lorenzo Maitani (1255-1330), Le Jugement dernier (détail d'une scène de l'enfer - 1310 à 1330), en bas du panneau de droite de la façade de la cathédrale d'Orvieto, Italie

 

Source de l'image : https://www.gettyimages.ca/detail/news-photo/last-judgement-by-lorenzo-maitani-and-assistants-relief-news-photo/1150944710?language=fr

 

 

Tout en bas du panneau, on remarque un ensemble de scènes qui s'accumulent en se tassant les unes contre les autres et les unes au-dessus des autres sans reprendre la disposition par scènes bien séparées de la partie principale du panneau. Dans cette partie-là, le rôle complémentaire de support et de sculpture, ou du fond et de la sculpture, a donc disparu, on y revient aux rôles indépendants joués le plus souvent en Italie par les deux notions. Plutôt que la partie basse de ce panneau, on va maintenant envisager la partie basse du panneau en marbre qui garnit le pilier situé à l'extrémité droite de la même façade de la cathédrale d'Orvieto, également attribuée à Lorenzo Maitani. L'ensemble de la surface de ce pilier est organisé comme on l'a vu pour le pilier de gauche, mais son thème est cette fois celui du Jugement dernier. La partie que nous allons considérer représente l'enfer, avec ses défunts éplorés et les diables qui les tyrannisent.

Comme on l'a dit il n'y a pas ici un fond matériel et des sculptures qui se détachent devant ce fond, la matière de ces sculptures sert simultanément à porter la notion de matière et à captiver notre esprit. Évidemment, et cela vaut de la même façon pour toutes les statues italiennes du même type déjà envisagées, il s'agit d'une expression synthétique puisque l'on ne peut pas considérer séparément ce qui fait effet de matière et ce qui est destiné à captiver notre esprit.

Comme on l'a vu avec Le massacre des Innocents de Nicolas Pisano, organisé de façon très semblable, les rythmes de la décomposition matérielle des figures sont très autonomes de leur décomposition en multiples saynètes assemblées pour figurer l'enfer, et les formes dont le dynamisme captive notre esprit sont à l'échelle des membres des personnages et non pas à l'échelle de leur corps entier, ce qui implique les deux fois que les notions de matière et d'esprit sont autonomes l'une de l'autre et qu'elles ne sont donc pas en situation couplée mais additive. Et comme on l'a vu aussi avec le panneau de Nicolas Pisano et avec le sarcophage Ludovisi, l'organisation matérielle sur plusieurs étages des différentes scènes et leur tassement les unes contre les autres n'a rien à voir avec l'idée que se fait notre esprit de ce que pourrait être l'enfer, car si les âmes y ont retrouvé leurs corps terrestres rien ne laisse supposer que ces corps ne seraient plus soumis à la gravité et pourraient se porter ainsi les uns au-dessus des autres, et aucun texte religieux ne prévoit que l'enfer serait aussi plat que cette sculpture. Cette indépendance de la représentation matérielle de cette scène et de l'idée que s'en fait notre esprit lorsqu'il l'imagine correspond à l'indépendance des deux notions, par différence avec leur complémentarité lorsque l'une sert de fond et l'autre de sculpture portée par ce fond.

 

 

 


Andrea Pisano : Saint-Jean-Baptiste baptisant ses partisans, l'un des panneaux de la porte sud du baptistère de Florence, Italie (1329-1336)

 

Source de l'image : https://www.thinglink.com/scene/698540533462597634

 

 

On n'ira pas plus loin avec ces sculptures de Lorenzo Maitani pour nous intéresser plus profondément à des œuvres de la même étape et approximativement de la même date réalisée par le sculpteur italien Andrea Pisano (vers 1290-1348 ou 1349). Ce sont en effet deux des vingt-huit panneaux fondus dans le bronze par Andrea Pisano pour la porte sud du baptistère de Florence que nous allons considérer, la réalisation de ces panneaux l'ayant occupé de 1329 à 1336. Sur le premier les notions de matière et d'esprit interviennent de façons indépendantes tandis qu'elles interviendront principalement de façons complémentaires dans le second. Tous les deux ont trait à l'évocation de Saint-Jean-Baptiste.

Le premier panneau le montre en train de baptiser un groupe de ses partisans dans un paysage rocheux. Ce paysage et les personnages qui s'y trouvent forment une scène qui se distingue du fond plan de la paroi, quoique ce fond puisse être perçu comme correspondant au ciel du paysage. Nous négligerons toutefois cette relation de la scène à son fond pour se concentrer sur la relation entre les personnages et le paysage rocheux dans lequel ils se dressent. Ce paysage est l'environnement matériel dans lequel évoluent les personnages dotés d'un esprit, il correspond donc ici à la notion de matière tandis que ces personnages portent la notion d'esprit.

Le paysage forme globalement un ensemble continu divisé en deux parties principales : l'avant-plan sur lequel se dressent les personnages, et l'arrière-plan de montagne devant lequel ils se détachent, chacune de ces deux parties étant elle-même divisée en de multiples reliefs et replis, ce qui correspond à l'effet d'un/multiple propre à l'expression de la notion de matière à la dernière étape.

Serrés les uns contre les autres, les personnages forment un groupe compact, le dessus des têtes de certains émergeant seulement au-dessus de leur paquet. Ce regroupement compact est toutefois raté pour Saint-Jean-Baptiste qui est légèrement écarté, et même quelque peu raté pour le personnage baptisé dont la tête s'écarte du groupe. Si l'on considère le regroupement bien visible des personnages sous une couleur dorée, on peut aussi dire que ce regroupement est raté puisqu'un oiseau, dans le haut du paysage, reçoit également un revêtement en or. Cet effet de regroupement réussi/raté correspond à l'expression de la notion d'esprit à la dernière étape.

Les notions de matière et d'esprit se différencient par des effets de fait/défait : la complexité et le réalisme du détail des vêtements et des traits des personnages sont parfaitement faits tandis qu'ils sont défaits pour le paysage qui est traité par grandes surfaces nues, sans aucun détail, avec seulement un arbre isolé pour symboliser la végétation au lieu d'une représentation réaliste de celle-ci. Au passage, on peut noter que ce type de représentation est très semblable à celui utilisé vers la même époque par Duccio dans ses peintures et par Giotto dans ses fresques.

Les deux notions font ensemble des effets de relié/détaché. Les personnages sont reliés au fond du paysage dont ils se détachent visuellement du fait de leur décomposition en multiples détails qui tranchent avec le traitement par grandes surfaces uniformes du paysage, et ils se détachent également de lui par leur couleur dorée qui tranche avec le ton uniformément vert du paysage. Quant à celui-ci, il est composé de deux parties principales, l'avant-plan et l'arrière-plan montagneux, deux parties qui sont reliées en continu mais qui sont simultanément bien détachées l'une de l'autre aux deux extrémités de la scène du fait de sa traversée par le groupe des personnages. Dans ce paysage, la lumière qui agit différemment selon l'orientation des surfaces détache visuellement des pans de reliefs pourtant physiquement reliés les uns aux autres. De la même façon, la surface des personnages forme des continuités dorées reliées les unes aux autres et desquelles se détachent visuellement les différents détails que sont les plis des vêtements ainsi que les membres et les traits des personnages, et ceux-ci sont reliés en un groupe continu tandis que Saint-Jean-Baptiste se détache de ce groupe.

 

Pour la dernière étape on envisage les effets qui ne sont pas directement liés à l'évolution ontologique de l'étape en cours. Celui qui nous apparaît d'emblée est le relié/détaché dont on vient d'évoquer les aspects principaux.

La forme se répand par un effet de centre/à la périphérie, lequel correspond ici à notre déstabilisation concernant la lecture de la profondeur : la montagne à l'arrière-plan est-elle bien dans le lointain comme le suggère ce que nous comprenons de la scène ? ou bien est-elle collée aux personnages et les rochers du haut sont-ils en surplomb sur eux comme le suggère la réalité des volumes de la sculpture qui nous est présentée ?

La forme s'organise par un effet d'entraîné/retenu qui correspond au contraste entre les formes lisses du paysage sur lesquelles notre regard est incité à circuler rapidement d'une partie à l'autre de la sculpture tandis qu'il est fréquemment et longuement retenu sur les détails des personnages.

Enfin, les trois effets précédents sont résumés par un effet d'ensemble/autonomie : globalement, il vaut pour la perception autonome des surfaces dorées et des surfaces vertes qui font pourtant ensemble une même représentation, les différents reliefs des rochers sont visibles de façon autonome, tout comme les deux arbres dans la partie haute de la sculpture, mais toutes ces parties forment ensemble un paysage, et la même chose vaut pour les personnages que l'on peut repérer individuellement mais qui forment ensemble une scène significative.

 

Comme on l'a dit, le paysage forme une unité globale séparée en deux parties principales et produisant ainsi un effet d'un/multiple, mais on a également dit que la partie du paysage en avant-plan et celle de l'arrière-plan ne sont pas compatibles avec la perception globale d'un paysage unique puisqu'elles semblent toutes les deux placées dans le même plan de la profondeur alors qu'elles se réfèrent à des endroits très distants. Malgré cet effet d'un/multiple, faute de cohérence globale le paysage se lit donc comme l'addition de 1+1 morceaux de paysage incompatibles entre eux. Par contre, la scène des personnages est globalement cohérente malgré le tassement de ses multiples personnages les uns contre les autres et se lit donc fondamentalement en 1/x.

Comme les détails des personnages sont fouillés, ceux-ci ne se fondent pas dans le paysage aux surfaces beaucoup plus lisses et uniformes et qui vont même jusqu'à être complètement planes pour ce qui concerne le ciel. Cette absence de fusion entre les personnages et le paysage correspond à une relation de type additive entre les deux notions qui ont des rythmes d'évolution trop différents et qui font des choses trop différentes pour être en situation couplée : la complexité des détails pour l'une, la simplicité des grandes surfaces pour l'autre. À cette absence de fusion s'ajoute aussi la différence brutale des coloris qui fait que le groupe doré des personnages et le paysage uniformément vert se lisent indépendamment l'un de l'autre, ce qui correspond cette fois à l'indépendance des deux notions. En résumé, les deux notions sont en relation additive, elles sont indépendantes l'une de l'autre, et elles préparent le super-naturalisme.

 

 

 


Andrea Pisano : le transport du corps de Saint-Jean-Baptiste, l'un des panneaux de la porte sud du baptistère de Florence, Italie (1329-1336)

 

Source de l'image : L'Histoire de l'Art, Alpha Éditions (1977)

 

 

Le deuxième panneau sculpté par Andrea Pisano correspond au transport du corps de Saint-Jean-Baptiste porté par six personnages, trois qui sont vus de dos et trois qui sont vus de face.

Cette fois il n'est pas question d'un groupe de personnages évoluant dans une représentation de paysage, mais d'un groupe de personnages brutalement confronté à la surface matérielle du panneau qui les porte. Une sorte de console, tout à fait artificielle, fait office de sol vu en coupe sur lequel ils appuient leurs pieds. Ce fond matériel uniforme qui fait valoir sa simple surface nue porte ici la notion de surface matérielle, et pour leur part les personnages dont les détails captivent notre esprit et qui correspondent à des êtres dotés d'un esprit portent évidemment la notion d'esprit. Le fond équipé d'une console et la représentation plaquée sur ce fond et portée par cette console jouent des rôles complémentaires, de support pour l'un et de figuration portée pour l'autre, les notions qui leur correspondent sont donc complémentaires. L'une fait un effet de surface totalement plane tandis que l'autre propose des volumes aux circonvolutions complexes, elles sont en relation additive puisqu'elles font des choses à ce point autonomes et sans aucun rythme commun.

Le groupe des personnages est globalement perçu en tant que groupe unique, mais également en tant que groupe rassemblant de multiples personnages bien distincts les uns des autres, ce qui relève du type 1/x. Par différence, la surface du fond matériel du panneau a sa continuité très morcelée et très contrariée par la présence des personnages et par les replis du cadre, ce qui implique qu'elle n'est jamais perçue globalement mais seulement sous forme de l'addition de 1+1 morceaux de surface. On peut aussi considérer que si le morceau de sol sur lequel s'appuient les personnages fait bien un effet de matière, puisqu'il semble les soutenir, sa lecture est complètement distincte de celle du fond du panneau qui lui est perpendiculaire, ces deux aspects matériels se lisant donc également comme 1+1 morceaux étrangers l'un pour l'autre.

Comme pour le panneau précédemment analysé on retrouve donc que les notions de matière et d'esprit sont dans une relation de type additif et qu'elles préparent le super-naturalisme puisque c'est la notion de matière qui relève du type 1+1, mais on a vu que cette fois leurs fonctions sont complémentaires, simple support pour l'une et sculpture figurative pour l'autre.

 

L'effet d'un/multiple correspondant à la notion de matière utilise ici le cadre polylobé et polychevronné qui limite sa surface : une surface unique, donc, mais faite de multiples lobes ou recoins.

L'effet de regroupement réussi/raté correspondant à la notion d'esprit utilise la compacité du groupe des personnages : ils sont regroupés en un paquet compact, mais ce regroupement est raté lorsqu'on considère que chaque personnage est distinctement repérable et fait un geste autonome, certains étant d'ailleurs vus de dos, d'autres de face, et Saint-Jean-Baptiste de profil. Par ailleurs, certains personnages de l'arrière-plan ne sont visibles que par leur visage, ce qui implique que le regroupement complet des personnages de ce groupe est raté.

Les notions de matière et d'esprit se différencient par un effet de fait/défait : la complexité des détails du groupe des personnages qui captent l'intérêt de notre esprit est parfaitement faite, tandis que toute complexité de forme est défaite dans le fond matériel qui ne montre que la nudité uniforme de sa surface plate.

Les deux notions font ensemble des effets de relié/détaché. Le fond est nécessairement relié en continu pour faire une même surface plate, mais des surfaces en lobes ou en chevrons se détachent visuellement du fait du contour qui le cerne. Les personnages sont reliés au fond puisqu'ils sont complètement accolés à lui mais ils se détachent en relief au-devant de lui. Le morceau de sol est relié à la surface du fond sur lequel il s'accroche, il est relié au volume des personnages qui s'appuient sur lui, et il forme aussi une ligne horizontale qui relie en continu l'extrémité gauche à l'extrémité droite du fond auquel il se relie d'ailleurs par un biais à chacune de ses extrémités, mais par en dessous ce morceau de sol se détache violemment et se présente comme une simple tranche, toutefois reliée de place en place à des espèces de consoles ponctuelles qui semblent soutenir son porte-à-faux. Les personnages sont reliés ensemble par la couleur dorée qui les enveloppe, mais la séparation de leurs volumes respectifs les fait se détacher les uns des autres, tout comme se détachent visuellement les différents plis bien marqués de leurs vêtements ainsi que les différents détails bien précis de leurs visages ou de leurs chevelures.

 

Avec le panneau précédent il avait été possible de négliger la complémentarité des deux notions dans la mesure où le fond plan recevant la sculpture pouvait être interprété comme représentant le ciel et appartenant à ce titre au paysage sculpté, mais ici on ne peut pas négliger complètement l'effet de groupe que produit le paquet des personnages et qui nous ramène à la tradition italienne des notions indépendantes, laquelle est donc ici simultanée à la complémentarité des notions que nous venons d'examiner. Pour cette seconde lecture de ce panneau il faut considérer l'anomalie de l'absence de profondeur du groupe sculpté, les têtes des personnages de l'arrière-plan étant presque dans le même plan que celles des personnages du premier plan, comme s'il n'y avait pas au moins la largeur du corps de Saint-Jean-Baptiste entre ces deux plans. Comme dans tous les exemples précédents où les notions étaient en situations indépendantes, la forme matérielle des personnages tels qu'ils sont sculptés est ici indépendante de la reconstitution que fait notre esprit de l'apparence réelle que pourrait avoir cette scène, une reconstitution dans laquelle, évidemment, les personnages ne sont pas tassés les uns contre les autres et comme sans épaisseur.

 

 

 

Lorsque nous avions abordé l'architecture de la dernière étape de la phase analogiste dans les filières aux notions additives, quelle que soit la filière nous avions dû signaler les dispositions particulières prises pour que le regroupement en unité des deux notions éclate de façon spécialement forte à cette dernière étape. Avec la sculpture, qui concerne entièrement une matière modelée par l'esprit, il ne semble pas qu'une difficulté particulière apparaisse à la dernière étape.

Dans le cas du premier panneau de Pisano il suffisait que les personnages évoluent dans un paysage matériel pour que le regroupement des deux notions apparaisse réalisé, tandis que la couleur dorée réservée aux personnages suffisait pour qu'ils soient simultanément perçus d'une façon bien distincte du paysage.

Dans le cas du transport du corps de Saint-Jean-Baptiste, l'accolement étroit et sur une grande surface du groupe des personnages avec le fond matériel du panneau suffit cette fois pour figurer un regroupement entre le fond matériel et le groupe des personnages, et là encore la différence de couleur suffit pour que l'on perçoive que le fond et les personnages correspondent à des réalités indépendantes l'une de l'autre.

C'est cette séparation entre environnement matériel et personnages, ou entre fond et personnages, qui disparaîtra à l'étape suivante. En effet, à l'issue de la phase analogiste, et donc dès le début de la phase de 1er super-naturalisme, les notions de matière et d'esprit forment désormais un couple de deux notions et ces deux notions n'évolueront dorénavant que l'une par rapport à l'autre et à l'intérieur de ce couple.

 

 

 


Lorenzo Ghiberti : Isaac avec Esaü et Jacob, l'un des panneaux de la Porte du Paradis du baptistère de Florence, Italie (1425-1452)

 

Source de l'image : L'Histoire de l'Art, Alpha Éditions (1977)

 

 

Au tout début du XVe siècle, Lorenzo Ghiberti gagna le concours ouvert pour la réalisation d'une autre porte du baptistère Saint-Jean de Florence, et quelques dizaines d'années plus tard il lui fut confié la réalisation d'une autre porte encore, que Michel-Ange dénommera plus tard la porte du Paradis. C'est un panneau de cette porte, représentant Isaac avec ses fils dans un cadre architectural, qui nous servira à montrer l'évolution qui s'est produite entre la dernière étape de la phase analogiste et la première étape du 1er super-naturalisme.

Ce panneau est évidemment à comparer avec celui représentant Saint-Jean-Baptiste en train de baptiser dans un paysage qui correspondait à la notion de matière. Ici c'est le bâtiment, prolongé par des pavages et par un paysage que l'on perçoit à sa droite, qui correspond à la notion de matière, c'est-à-dire à la notion d'environnement matériel à l'intérieur duquel se déplacent des personnages dotés d'un esprit. La différence est flagrante entre ces deux représentations : chez Pisano, bien qu'associés dans une même vue, le paysage matériel et les personnages qui s'y trouvent sont perçus de façons bien distinctes tandis qu'ils fusionnent dans une même continuité perspective chez Ghiberti, et même la couleur dorée se poursuit maintenant indistinctement sur le cadre architectural et sur les personnages. Ce que montre cette continuité, c'est que la notion de matière et la notion d'esprit sont désormais associées en couple et qu'elles ne peuvent plus être ressenties séparément.

Comme on l'a vu en son temps, c'est-à-dire au chapitre 7 (Construction de la frontière), toute la phase du 1er super-naturalisme, qui n'est ici qu'à son premier pas, consistera à établir une frontière repérable de façon de plus en plus claire et tranchée entre les deux notions qui sont maintenant irréversiblement associées à l'intérieur d'un couple de notions globales.

 

> Fin du chapitre 18 – Analogisme