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COMPRENDRE L'ÉCONOMIE SOLIDAIRE : Analyse économique
du concept (article paru dans CNRIUT 2001, Presses
univ de st etienne) Eric
Dacheux, Daniel Goujon Groupe
de recherches sur les Initiatives locales (GRIL) 20,
avenue de Paris 42300
Roanne Dacheux@univ-st-etienne.fr,
Goujon@univ-st-etienne.fr L'économie
solidaire n'est pas véritablement un concept, au sens kantien du terme, mais
une notion, une généralisation non encore stabilisée de pratiques diverses.
Pour que le terme d'économie solidaire devienne un concept heuristique, il
convient de travailler les pratiques empiriques qu'il recouvre en sortant du
cadre étroit de la socio-économie. Dans le cadre d'un travail de plus grande
ampleur visant à utiliser des outils théoriques d'horizon diverse (sciences de
la communication, théories de la justice, sciences politiques, etc.) l'objet de
ce texte est de dresser une typologie de l'économie solidaire à partir d'un
objet théorique encore peu utilisé dans ce domaine : l'approche holiste du
circuit économique. Economie
solidaire, circuit économique, épistémologie L'économie solidaire n'est pas un
concept, un concept pur tout entier tiré de l'entendement, ce que Kant, dans
Critique de la raison pure, nomme un "concept a priori". L'économie
solidaire, c'est là toute sa force et sa difficulté, est une notion, une généralisation
non encore stabilisée de pratiques empiriques diverses et mouvantes. Pour que
cette notion deviennent un concept, c'est-à-dire un outil intellectuel
permettant un aller-retour constant entre la raison et le réel, il faut que le
vocable "économie solidaire soit une "représentation générale et
abstraite " qui possède deux caractéristiques (Russo, 1987) : une
extension (tous les objets que cette représentation
peut donner) et une compréhension (l'ensemble des caractères constituant la définition
de cette représentation). Or, tel n'est pas le cas. D'une part, il n'existe
ni dans les textes réglementaires du Secrétariat d'Etat à l'économie
solidaire, ni dans les ouvrages des chercheurs ni dans les écrits des acteurs,
une liste exhaustive et consensuelle sur les pratiques socio-économiques
relevant de l'économie solidaire et celles n'en relevant pas. Par exemple tous
les entreprises oeuvrant dans le secteur des services de proximité ne se réclament
pas de l'économie solidaire (télésurveillance, par exemple), alors que nos
observations participantes ([1])
montrent des organismes se réclamant de l'économie solidaire (certaines
entreprises d'insertion ou des organismes financiers comme l'ADIE [2]),
se voient contestés cette appellation par nombre de militants. D'autre part, la
tâche qui consiste à décrire l'ensemble des caractéristiques permettant de
construire une définition de l'économie solidaire est à peine esquissée. En
effet, les travaux de socio économie mis en oeuvre autour de figures emblématiques
comme Jean-Louis Laville ou Jean Michel Servet peuvent et doivent être complétées
par des approches théoriques différentes permettant d'éclairer tous les
aspects de l'économie solidaire. Bien entendu, nous n'avons nullement
l'ambition démesurée de mettre en lumière tous les aspects, politiques, économiques,
philosophiques, psychologiques, etc.; de l'économie solidaire. Plus
modestement, nous souhaitons participer
à la construction du concept d'économie solidaire en utilisant un outil
conceptuels permettant d'aborder les pratiques empiriques sous un nouveau jour :
l'approche holiste du circuit économique (deuxième partie). Auparavant, il
nous faut apporter quelques précisions méthodologiques (première partie). I
- Précisions méthodologiques
Il existe de nombreuses définitions de l'économie solidaire (Archanmbault,
1995, Alcoléea 1999, Dacheux 2001, Laville 2000, Guigue, 2000), mais toutes
mettent en avant trois éléments : la difficulté à cerner les contours de
cette économie, la pluralités des organisations revendiquant cette appellation
(associations, coopératives, mutuelles, Sarl, entreprises d'insertion, etc.),
la volonté politique de trouver des nouveaux modes d'échanges économiques
plus respectueux de l'humain que le libéralisme classique. L'hypothèse
sous-jacente à ce texte est que le flou de la notion d'économie solidaire
vient du fait que derrière l'apparente communauté des vues politiques des
acteurs de l'économie solidaire se cache un clivage fort qui possède de fortes
racines historiques. En explicitant ce clivage, il est possible, en se basant
sur l'étude des discours et des pratiques des acteurs, de développer des
grilles d'analyse permettant de repérer différentes familles de l'économie
solidaire. Dans cette perspective l'une des questions méthodologiques centrale
est celle du choix du corpus. Définition
du corpus En effet, si on ne dispose pas d'un
concept clair d'économie solidaire comment identifier les acteurs de ce champs?
D'un point de vue théorique il n'existe aucune réponse satisfaisante à ce
dilemme : soit l'on n'utilise aucune définition et l'on se retrouve devant un
corpus gigantesque (toutes les organisations économiques); soit on utilise une
définition à priori et l'on biaise l'analyse car les résultats de la
recherche seront totalement dépendants de la définition adoptée. Une des manière
de sortir de ce dilemme est de se référer aux discours publics (ceux des
acteurs dans l'espace public, ceux du législateur, ceux des journalistes dans
les médias, ceux des chercheurs dans les revues scientifiques) pour identifier,
les organisations qui sont, le plus souvent, qualifiées, d"économie
solidaire". Cette "preuve sociale", malgré sa fiabilité toute
relative, a au moins le mérite de mettre à jour un corpus échappant largement
à la subjectivité et à la normativité du chercheur. Pour des raisons liées
à la taille de ce texte et à la lisibilité des grilles proposées dans la
deuxième partie nous n'avons utilisé ici qu'un corpus relativement restreint :
les organisations présentes à la tribune des rencontres européennes de Tours
organisées, dans le cadre de la présidence française, par le secrétariat d'Etat
à l'économie solidaire ([3]),
et les organisations, présentées par le REAS (Réseau pour une économie
alternative et solidaire) comme faisant partie de "la famille de l'économie
alternative et solidaire" ([4]).
Les organisations que nous avons placées dans nos grilles d'analyse sont issus
de ce corpus (cf. Annexe I) que nous avons simplifié en nous centrant, d'une
part, sur les organisations étant dans "le faire" (cigales, pole d'économie
solidaire, etc.) et non dans la "simple "promotion d'idées (Interréseaux
pour une économie alternative et solidaire, par exemple) et, d'autre part, en réduisant
les réseaux à leurs composantes (les boutiques artisans du monde, plutôt que
la fédération artisan du monde). Au total, c'est un corpus de 24 item (CF.
Tableau A) que nous allons placer sur nos grilles d'analyse. Grilles qu'il est
temps maintenant d'expliciter. Principes
de construction des grilles d'analyse Les grilles d'analyse que nous proposons
portent sur les trois composantes du circuit économique : la production, la
distribution des revenus et les échanges de biens et de services. L'abscisse
est l'ordonnée de chaque grille varie en fonction de l'élément économique
analysé, mais toutes les grilles opèrent, pour chaque axe, une dichotomie
entre "régulation" et "alternative". Cette dichotomie n'est
pas normative, elle repose sur les travaux historiques relatant la genèse des
différents courants de pensée économique qui se sont opposée à l'économie
libérale (Viard, 1998, Ferraton, 2001). D'un coté, un courant
"critique", "alternatif" (les socialistes et les
solidaristes) qui constitue une "remise en cause des composants de l'ordre
social en proposant notamment par l'association de réorganiser l'organisation
économique et politique"; de l'autre un courant "réformiste"
(le catholicisme social et le libéralisme social) qui, "s'appuyait sur les
composantes de l'ordre social libéral, la propriété privée et l'institution
familiale notamment afin d'instituer un ensemble d'obligations morales entre les
membres de la société pour subvenir aux besoins de la population défavorisée"
(Ferraton, 2001). C'est pour rendre compte de ce clivage qui naît aux sources même
des premières contestations politiques de l'économie libérale que nous avons,
au niveau de chacune des trois opérations économiques fondamentales,
positionner les pratiques solidaires de notre corpus par rapport à leur mode de
réponse - alternatif ou réformateur - aux normes économiques en vigueur.
Tableau 1 : Les organisations étudiées II-
Analyse des pratiques Annexe
I : Corpus
([5]) ACEPP
(Association des collectifs enfants-parents-professionnels). ADEL
(Agence pour le développement d'une économie locale) ADIE
(association pour le droit à l'initiative économique) ADSP
(Association pour le développement des services de proximité) AIRE
(Association pour l'instauration d'un revenu d'existence) Agir
Ici Agir
Lorraine Autonomie
et Solidarité Biocoop CGSCOOP Coopératives
sociales (Italie) Cap
Service Caisse
Solidaire du Nord-Pas-de-Calais CIVILITES
(Citoyens et initiatives pour la vie locale, l'insertion sur le territoire et l'économie
solidaire) Comité
nationale des régies de quartier Conseil
national de la vie associative Conférence
permanente de la coordination des associations CJD
(Centre des jeunes dirigeants) Dispositif
emploi-Jeune Fédération
nationale des CIGALES Fédération
artisans du monde Finansol Fonda Fondation
Macif Fondation
France Active Fédération
Nationale des mutuelles de France Feuille
d'Erable Fonda Génération
Banlieue Groupement
national de la coopération INAISE
(International Association Of Investissors in the Social Economy) Jardins
de cocagne Max
Havelaar Mouvement
des réseaux d'échanges réciproques de savoirs NEF
: Nouvelle économie fraternelle. Pôles
d'économie solidaire. IRES
(Interréseau pour une économie alternative et solidaire) REPAS
(Réseau des entreprises pour une économie alternative et solidaire) SEL
(systèmes d'échanges locaux) Bibliographie Alcoléa
A. M. (1999), "De l'économie solidaire à l'économie solidaire
territoriale", La Varenne communication à la journée d'études
"Les autres figures de l'économie". Archambault
A (1995). "L'économie alternative, forme radicale de l'économie
sociale". RECMA, N°256. Bourgeois
F. (2000), "Les profils multiples de l'épargne solidaire", Problèmes
économiques, N°2677. Bucolo
E. (2001), Le commerce équitable en tant qu'espace public", CRIDA,-LSCI,
texte dactyl. Combemale
P. (1998), "Circuuit économique". Cahiers Français, N°279. Dacheux
E. (2001), Playdoyer pour une économie alternative et solidaire", Paris L'Harmattan,
(sous presse). Dacheux
E. Goujon D. (2000), "L'économie solidaire à l'aube du troisième millénaire",
Orgnaisations et territoires, Vol 9, n°2. Gallois
J.B., Duval G. (2001), "Les sirènes du capital", Alternatives économiques,
N°189. Guigue
B. (2000), "Qu'est-ce que l'économie solidaire?", Problèmes économiques,
N°2677. Laacher
S. (2000), "Les sytèmes d'echange local", Problèmes économiques, N°2677. LamberT
A. (1999), "Une nouvelle génération de fonds ethiques est née", La
Tribune, 24,sept. Laville
J.L. (2000). Economie solidaire : une perspective internationale, Paris, Desclèe
de Brouwer. Laville
J.L. (1999), "La démocratisation du travail par l'économie
solidaire", Roanne, communication aux Rencontre nationales de l'économie
solidaire. Lipietz
A. (2001), "Du halo Sociétal au tiers secteur", à paraître dans C.
Fourel "Tiers, secteur", Paris, l'Harmattan. Russo
J. (1997), Dictionnaire de philosophie, 1997. Servet
J.M. (1999), Exclusion et liens financiers, Economica Viard
B. (1998), "Pierre Leroux et les premières associations en 1830",
MAUSS, N°11. [1] Ces observations participantes se déroulent de manière longituninale au sein du GRIL (groupe de recherches sur le sinitaitves locales), à travers une action d'aide à l'émergence d'un projet de développement local solidaire (le Pôle d'initaiteves citoyennes du pays Roannais) et de manière plus épisodique dans des rassemblements consacrés à l'économie solidaire comme les rencontres européennes de Tours (novembre 2000). [2] Association pour le droit à l'initiative économique : accorde des prêts à des porteurs de projets bénéficiants de la caution de proches. [3] Tours, 23-24 novembre 2000. [4] Observation participante à une "Formation de formateur" organisée par le REAS, à Pantin, le long de l'année 1994. [5] Liste tirée de notes personnelles d'aprés a)les intervants en séances pléniéres, les stands présents, et les communications en ateliers (Tours); b)d'aprés les documents rassemblées lors de la formation (REAS). Les organismes ne sont cités qu'une fois. |
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