Dominique Villepin 

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09/12/2004 - Réunion des prefets

Première Intervention de Dominique de Villepin à l'occasion de la Réunion des Préfets le jeudi 9 décembre 2004

Mesdames et Messieurs les Préfets,

Je fais de la lutte contre l'immigration irrégulière une priorité absolue pour 2005.

C'est un combat difficile :
• Il touche des individus, des cas particuliers et il nous impose une éthique exigeante dans nos moyens d'action.
• Il demande des outils, des procédures, que vous n'avez pas toujours eus à votre disposition.
• Nous devons expliquer nos objectifs et notre méthode aux pays sources, qui sont les premières victimes de l'émigration de leurs forces vives.

Mais c'est aussi un combat nécessaire :
• Nos concitoyens ne supportent plus de voir arriver sur notre territoire des afflux massifs de populations sans titre ni droit. Ils ont le sentiment que nos contrôles ne sont pas assez efficaces. Il en va de la crédibilité de l'Etat et du respect de loi de la République.
• L'immigration irrégulière favorise les réseaux de la criminalité et les trafics de personnes. Il en va de la dignité d'hommes et de femmes dont la détresse est exploitée par des filières organisées.

Des bons résultats ont déjà été obtenus cette année. Depuis le début de l'année, plus de 13 000 étrangers en situation irrégulière ont été éloignés, contre 9 400 à la même époque l'année dernière.

Mais sur la base des propositions et des remarques que vous m'avez transmises, je veux aller beaucoup plus loin en 2005. Pour cela, nous devons travailler dans quatre directions :
• Nous donner les moyens de mieux contrôler la validité des attestations d'accueil, qui conditionnent une politique de visas efficace ;
• Augmenter fortement le nombre des éloignements d'étrangers en situation irrégulière ;
• Mettre en œuvre les nouveaux textes sur l'asile ;
• Traiter les régularisations et les mouvements de "sans papiers"

1. Nous devons d'abord nous donner les moyens de vérifier la validité des attestations d'accueil.

Le premier problème, ce sont les étrangers qui entrent légalement sur notre territoire et s'y maintiennent, alors que leur titre de séjour a expiré. C'est inacceptable. Pour y remédier, il y a une chose urgente à faire : contrôler la validité des certificats d'hébergement.
• Le rétablissement d'un contrôle effectif du maire sur les attestations qui lui sont présentées est donc fondamental.
• C'est pourquoi, j'ai tenu à ce que la circulaire d'explication paraisse le même jour que le décret, le 23 novembre dernier. Elle traite les questions transitoires liées à la mise en place du dispositif. Vous devez la porter directement à la connaissance des maires.
• Vous devez veiller à être disponibles pour les aider à appliquer ce texte. Car je vous rappelle que le maire, quand il vise les attestations d'accueil qui lui sont présentées, agit au nom de l'Etat, sous votre autorité. D'ailleurs, il vous revient de statuer sur les recours contre les refus de viser les attestations. Votre responsabilité dans la mise en œuvre de ces dispositions est donc majeure.

Un des points délicats est celui des visites domiciliaires que le maire a la faculté d'ordonner. Vous veillerez à ce que cette faculté soit bien comprise sur les points suivants :
• D'abord, la visite est une faculté et non une obligation;
• Ensuite, seuls le maire lui-même ou un de ses adjoints ayant délégation, ses services sociaux ou les services de l'Office des migrations internationales peuvent y procéder. Cela exclut donc que ces visites soient confiées à la police ou à la gendarmerie nationales ou à la police municipale ;
• Rien n'interdit en revanche que les services compétents de l'Etat transmettent au maire des informations particulières dont ils auraient connaissance sur certaines personnes susceptibles d'appartenir à des filières. A une condition : que ces renseignements soient vérifiés et qu'il puisse en être fait état dans une procédure contentieuse devant le juge administratif.
• Enfin, vous devez être attentifs à deux points fondamentaux : d'une part les cas de dispense d'attestation d'accueil prévus par le décret doivent être respectés ; d'autre part la souscription d'une assurance médicale est obligatoire : il faut que les étrangers, qui viendraient en France pour s'y faire soigner aux frais du contribuable, le sachent et s'y conforment.

L'Etat doit tout faire pour aider les élus à mettre en cette réforme. Prenez contact avec les associations d'élus et avec les maires. Faites des réunions avec eux sur la mise en œuvre de ce décret. Le ministère est aussi à votre disposition pour vous accompagner. N'hésitez pas à le contacter.

2. Nous devons ensuite poursuivre l'augmentation des éloignements.

Vous avez déjà obtenu de bons résultats :
• les éloignements effectivement exécutés ont progressé de plus 56% par rapport à 2002 et de plus 40% par rapport à 2003.
• la moitié d'entre vous aura dépassé les objectifs de 2004 à la fin de cette année

C'est la preuve que votre engagement fait ses preuves. J'y resterai très attentif.

Pour 2005, je fixe un objectif encore plus ambitieux avec 20.000 éloignements. Quand je parle d'éloignements, j'inclus les exécutions d'arrêtés de reconduites à la frontière, les expulsions et les interdictions du territoire français.

Je sais que vous avez rencontré des difficultés importantes dans ce domaine.

Première difficulté, l'insuffisance de places en Centres de Rétention Administrative. Pour la résoudre, un plan ambitieux est mis en place :
• Le nombre de places de rétention sera ainsi porté à 1600 à la fin de 2005.
• Un effort particulier sera porté sur les régions où un déficit de places important est signalé.
• Je veillerai aussi à ce que la contribution de la Gendarmerie nationale à la gestion des centres de rétention soit maintenue au niveau qui lui a été imparti, qui correspond à environ 30% des places.
• Un autre effort, également important, doit être porté sur les conditions d'accueil et la sécurité dans ces centres.
• Tout cela a un coût pour le ministère : le budget passera de 1 million d'euros en 2004 à 33 millions d'euros en 2005.

Deuxième difficulté que vous m'avez signalée : l'affectation des places de rétention entre les préfectures. Vous êtes nombreux, en effet, à m'avoir dit que certaines préfectures ont plus de facilité que d'autres à trouver les places dont elles ont besoin. Cette situation n'est pas acceptable.
• La DLPAJ et la DCPAF vont donc renforcer la mission de régulation du système, qu'elles assurent en commun.
• Il ne s'agit pas de gérer les centres depuis Paris, ce qui serait désastreux, mais de veiller à éviter des dérives préjudiciables à certains d'entre vous.

Ensuite, troisième difficulté dont vous m'avez fait part : les conditions de délivrance des laissez-passer consulaires.
• J'ai engagé un travail approfondi avec le ministère des affaires étrangères. Il sera poursuivi.
• Ce travail porte ses premiers fruits, puisque le taux de délivrance de ces laissez-passer a augmenté d'environ 7 points en 2004. Mais la situation reste très insuffisante et inégale selon les pays.
• Nous avons tous notre part dans cet effort. J'y participe personnellement lors de mes déplacements à l'étranger. Vous devez aussi vous impliquer dans ce travail, notamment en veillant à ce que la relation avec les consulats soit assurée au bon niveau hiérarchique de part et d'autre. Vous savez l'importance que la qualité et la fréquence de certains contacts directs peuvent revêtir.
• En d'autres termes, vous ne devez pas laisser reposer la relation avec les consulats, lorsqu'elle s'avère difficile, sur les seuls agents du service des étrangers.

Enfin, certains d'entre vous ont souligné l'efficacité des pôles d'éloignement. Ils devront être généralisés à toutes les préfectures.
• les départements qui en bénéficient déjà ont en moyenne, de meilleurs résultats.
• Le mode d'organisation à retenir dépend de chaque situation locale, mais l'objectif est clair : il s'agit de veiller à ce que les services concernés travaillent ensemble, de façon plus intégrée. Ils doivent partager les mêmes objectifs et comprendre les contraintes de l'autre.

3. Il nous faut également mettre en œuvre la réforme de l'asile.

Les décrets de la loi du 10 décembre 2003 sont parus en août. Les premiers mois d'application du dispositif sont essentiels pour sa compréhension par les publics concernés et pour obtenir les avantages qui en sont attendus.

Vous êtes responsables de la gestion interministérielle de ce dossier au niveau local. Vous porterez en particulier la plus grande attention à la coordination entre l'activité du service des étrangers de la préfecture et le dispositif d'hébergement et d'assistance aux demandeurs d'asile.

Les textes définissent précisément les délais et les conditions de délivrance aux demandeurs d'asile des récépissés de demandes de titre de séjour. Ces conditions sont désormais plus strictes, puisque le demandeur doit déclarer, lors du renouvellement du récépissé, l'adresse à laquelle il réside effectivement.

Des instructions de souplesse dans l'application de cette règle, lorsque les intéressés se trouvent dans une situation de précarité particulière, vous ont été données par télégramme du 31 août. Elles ont été réitérées cette semaine.

Il est essentiel que ces directives soient appliquées complètement.
• Un excès de fermeté ou, au contraire, de souplesse dans le traitement des renouvellements de récépissés a pour effet immédiat l'apparition de flux secondaires de demandeurs d'asile en direction des départements réputés les plus "accueillants" et la déstabilisation rapide des dispositifs sociaux dont vous assurez par ailleurs la responsabilité.
• De telles situations ont été signalées ces dernières semaines. Leur origine est facile à identifier, car les demandeurs d'asile et les associations parlent.
• Pour y remédier, vous devez assurer une régulation optimale entre départements voisins et associer les services déconcentrés du ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. L'approche de l'hiver rend ce travail de coordination départementale et régionale particulièrement urgent, pour que les dispositifs d'hébergement d'urgence soient efficaces en cas de grand froid.

Vous devez enfin entretenir un dialogue régulier avec les associations qui interviennent dans le domaine de l'asile.
• Les nouveaux textes soumettent à votre agrément la possibilité d'assurer la domiciliation postale des demandeurs d'asile.
• Cette procédure est un moyen d'obtenir des associations une attitude plus constructive et respectueuse du droit lorsque le besoin s'en fait sentir.
• En particulier, il est hors de question de tolérer tout ce qui peut s'apparenter à des filières d'introduction d'étrangers sur notre territoire.
• Sous ces réserves, le réseau associatif pourra utilement vous aider, en liaison avec les DDASS, à appréhender la réalité du phénomène de la demande d'asile dans votre département et à prendre les bonnes décisions.

4. Enfin, nous devons traiter les régularisations et les mouvements de "sans papiers".

Face à ces questions complexes, il faut faire preuve de la plus grande clarté : la même règle doit s'appliquer partout.

Avant 2002, l'alternance de la plus grande fermeté et d'un laxisme excessif avait conduit notre pays sur ce point dans une situation d'impasse.

La direction définie par la circulaire du 19 décembre 2002, confirmée et actualisée par ma circulaire du 30 octobre 2004, doit donc être respectée.

Je vous rappelle les points importants de notre politique en matière de régularisations :
• La régularisation n'est pas une dérogation au droit commun ou un passe-droit à conquérir au terme d'une épreuve de force ou d'interventions politiques. Elle est prévue par la loi dans certains cas, en conformité avec la Constitution et nos engagements internationaux. Il faut assumer cette réalité et aider vos services à la comprendre.
• La régularisation répond d'abord à un critère humanitaire et toute demande doit être examinée au  cas par cas. C'est un pouvoir propre du Préfet, qui doit en faire un usage légitime, modéré et utile à l'intérêt général.
• La régularisation est une procédure de droit commun : il convient donc de proscrire plus que jamais les démarches collectives, fondées sur des listes de "sans papiers" établies par des intermédiaires. Vous devez maintenir le dialogue avec les associations, notamment pour les conduire à bien distinguer ce que vous ne pouvez pas accepter – les mesures collectives - et ce qui relève du fonctionnement normal des services – l'examen au cas par cas sur la base de critères objectifs -. Vous devez entretenir ce dialogue au niveau approprié : le vôtre et celui de vos collaborateurs directs, et ne pas laisser s'instaurer des mécanismes de cogestion avec vos services.
• Face aux tentatives d'établir un rapport de force notamment par la constitution d'un abcès de fixation local au moyen d'occupations de locaux privés ou publics, votre réaction doit être immédiate et déterminée, dans le respect du droit et en liaison avec le parquet. C'est dans les premières heures ou les tous premiers jours de ces événements que se joue l'essentiel. Votre vigilance ne doit pas être mise en défaut. Votre capacité d'anticipation est décisive.
• Enfin, ces questions ne se résument pas à une relation bilatérale entre l'administration et des associations militantes. Toutes les institutions locales, les autorités civiles et religieuses, sont susceptibles d'être concernées. Notre politique doit être expliquée et illustrée en temps utile et pas seulement en temps de crise, afin de faciliter leur règlement lorsqu'elles surviennent.

Mesdames et Messieurs les Préfets,

Chacune des priorités qui viennent d'être exposée est essentielle et je continuerai à vous en parler régulièrement.

La lutte contre l'immigration irrégulière met en jeu le respect de la loi, les équilibres fondamentaux qui gouvernent notre société, notre capacité à assurer notre unité nationale et le dynamisme même de notre pays.

Ce combat représente un défi majeur pour la République. Il nous appartient de le relever et de le gagner ensemble. Avec force et détermination.

Je vous remercie.