Le matin de ce jour là roule vers Port-Royal-des-Champs un carrosse où sont montés M. Arnault, avocat, sa femme, son fils aîné et sa fille aînée, sa fille Anne. Ils vont voir leur fille et soeur Angélique, 18 ans, abbesse de Port-Royal. Elle les attend, pleine de résolution et d'émotion. Comment savons-nous cela ? Par plusieurs relations dont la plus complète a été rédigée par la seconde mère Angélique, nièce de l'héroïne de cette "journée du Guichet", car les gens de Port-Royal, tout pétris de vertus chrétiennes qu'ils fussent ne poussaient pas la modestie jusqu'à laisser dans l'ombre leurs hauts faits ; il est vrai qu'on peut dire que c'était à des fins d'édification.

La mère Angélique attend donc son père, bien décidée à lui refuser l'entrée de la clôture du couvent. Elle entend mener à bien la réforme de son monastère, la clôture apparaît un des éléments essentiels. Lors d'une précédente cérémonie elle a interdit l'entrée à la famille d'une religieuse et les autres se demandent si l'abbesse aura la même sévérité pour ses propres parents. Le matin Mère Angélique a retiré les clés des mains des soeurs tourières, elle mènera elle-même l'affaire. Il est entre dix et onze heures quand se fait entendre le bruit du carrosse entrant dans la cour extérieure. Mère Angélique, qui est à l'église, va à la porte.

Son père heurte. Elle le prie de passer dans son petit parloir où, par une grille, elle lui exposera plus commodément ses raisons de le laisser dehors. Il explose aussitôt. C'est un avocat renommé, qui a traité les affaires de la reine mère, c'est un père de famille (vingt enfants dont dix survivent), et plus précisément il a l'habitude et d'entrer à Port-Royal et d'être obéi de sa fille Angélique, qu'il a mise au couvent à neuf ans, fait abbesse à onze en mentant sur son âge pour obtenir les bulles du pape. Il la menace tandis que sa mère la traite d'ingrate, puis demande qu'on lui rende deux autres filles, encore jeunes, espérant saisir cette occasion d'entrer, au besoin de force. Aussi rusée Mère Angélique les fait sortir par une autre porte et lorsque le père tonne contre Angélique la rebelle, Agnès lui oppose le concile de Trente. "Oh pour le coup nous en tenons, en voilà encore une qui nous allègue les conciles et les canons" s'écrie le Pater Familias abasourdi. Il ne comprend pas ses filles, il n'est pas assez chrétien.

Il le deviendra et c'est justice car dans une nouvelle demande de bulle au pape il avait lui-même donné comme raison la réforme entreprise par sa fille et dont il est une des premières victimes. Mais quand la Mère Angélique voit son père passer de la violence au chagrin, devant sa figure décomposée elle tombe évanouie. Les autres religieuses dont quelques-unes trouvent l'abbesse trop dure arrivent, la Mère Angélique revient à elle, obtient de son père qu'il ne reprenne pas son carrosse, reste mais sans pénétrer dans la clôture. Elle a gagné, "dans ce combat de la Nature et de la Grâce, cette dernière l'a emporté" (Sainte-Beuve)

 

Source : "Les Yvelines - Evènements Mémorables"
Marcel Delafosse - Ed. Horvath - 1984

 

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