la secu à 60ans

                          .            Daniel Prada, est membre de la commision exécutive de la CGT  

Pour combattre l'insécurité sociale

Pour les 60 ans de la  Sécurité Sociale , la CGT , qui prépare son congrès, organisera un forum sur le thème de la protection sociale. L'occasion de questionner les principes et valeurs historiques de la Sécurité sociale pour répondre aux défis d'aujourd'hui. Entretien avec Daniel Prada, chargé pour la CGT des questions de protection sociale.

NVO- A 60 ans, la Sécurité sociale demeure-t­elle une référence?

Daniel Prada - En 1945, au sortir de la guerre, la France était confrontée à une situation sanitaire, économique, démographique, mais aussi politique particulière. Nul ne peut nier le rôle et la place de la classe ouvrière et de ses organisations dans la Résistance. Dans ce contexte, les initiateurs de la Sécurité sociale ont cherché à apporter des réponses aux importants besoins de sécurité des populations. Ils se sont inspirés des systèmes préexistants et de leurs échecs, de ceux en place ailleurs en Europe, en particulier en Grande-Bretagne et en Allemagne, pour bâtir un système original. Dès sa naissance, la Sécurité sociale s'est appuyée sur des principes d'égalité du droit et de solidarités, tout en élargissant la démocratie à la sphère sociale.

Ces principes sont-ils toujours pertinents aujourd'hui?

Ils le restent. Cela ne veut pas dire qu'il faudrait revenir à la Sécurité sociale de 1945. Cela n'aurait aucun sens. La démocratie sociale reste par exemple pertinente pour répondre à l'insécurité sociale d'aujourd'hui. II ne s'agit pas de nier le rôle de l'État mais de parvenir à un équilibre nouveau entre l'intervention des acteurs sociaux et de l'État sur un même champ, mais chacun sur son domaine de compétence.

Dans le même temps, la couverture sociale ne pourra pas répondre seule à l'insécurité sociale. Nous avons besoin de repenser le rapport au travail, de sécuriser les parcours professionnels. C'est ce que nous appelons la sécurité sociale professionnelle. Pour être efficace, nous avons besoin d'un droit du travail fort mais aussi d'un système de Sécurité sociale ancré sur le travail, permettant aux individus de s'épanouir par-delà les aléas de la vie professionnelle.

Les dernières réformes nous mettent-elles en situation d'affronter ces nouveaux défis?

Assurément non! La première rupture s'opère en 1967, tant du point de vue de l'organisation du système, qui sera désormais géré par branches, que de la place de ta démocratie sociale par l'instauration du paritarisme. Celui-ci permet au patronat de reprendre pied dans la gestion de la Sécurité sociale. La deuxième réforme fon­damentale est celle de Juppé en 1995. Si la mobilisation a fait reculer le gouvernement sur l'avenir des régimes spéciaux, la réforme a cependant permis au « politique » de prendre la main, en confiant au Parlement un rôle prépondérant à travers l'élaboration des lois de finance­ment. Sans sous-estimer l'impact de la réforme des retraites, du point de vue de l'organisation du système, la réforme Douste-Blary de 2004 marque une troisième grande étape. Elle prolonge et parachève la réforme Juppé en assurant la main mise de l'État sur la gestion même de la Sécurité sociale, à travers, notamment, le rôle et les prérogatives du directeur général. Cette réforme consacre aussi une deuxième rupture dont nous ne mesurons pas encore toutes les conséquences. La prise en charge, qui reconnaissait jusqu'alors la seule primauté de l'égalité du droit, intègre désormais la responsabilité de l'assuré social. C'est le début de la cul­pabilisation.

Quel serait le sens des réformes à opérer?

Nous avons une opportunité à saisir pour réfléchir à nouveau sur les conceptions de la Sécurité sociale et recenser les attentes et les aspirations. Nous devons questionner les principes et les valeurs qui ont prévalu, il y a 60 ans. La situation du salarié au travail provoque une insécurité sociale particulière­ment forte. Le travail s'est transformé. L'organisa­tion du travail a changé. Le salarié est de plus en plus dessaisi du sens et de la finalité de son travail. Le chômage et la précarité se sont généralisés. Les salariés sont mis en concurrence, non seulement dans l'entreprise, mais au niveau de la planète. Dans le même temps la société aussi a changé. La durée de vie a progressé de manière très importante. Les

familles ont également beaucoup évolué avec la généralisation du travail des femmes, le développe­ment des familles monoparentales... Tout cela crée des exigences fortes et pour une part nouvelles, aux­quelles il convient de répondre. Ce n'est pas un hasard si les principaux mouvements sociaux depuis 1968 ont à voir avec la Sécurité sociale ou son revers, l'insécurité sociale. C'est vrai de 1995 et de 2003 sur les retrai­tes, mais aussi de 2004 sur l'assurance maladie avec plus d'un million de signatures recueillies sur une pétition. En ne reconnaissant pas ce nouveau besoin de Sécurité sociale, le gouvernement a alimenté une grande défiance à l'égard du pouvoir politique qui contribue à la crise de la démocratie et de la représentation que nous connaissons.t

30 septembre 2005 1 La Nouvelle Vie Ouvrère