C'est ce qu'on appelle l'« honoraire de dispensation »,
censé rétribuer « la fonction du conseil de pharmacien
d'officine ». Mais de quoi parle t-on exactement
? C'est simple : pour chaque boîte de médicament remboursable
vendu, les pharmaciens perçoivent désormais 0,82 euro. Et, cerise
sur le gâteau, quand l'ordonnance comporte cinq médicaments
différents, s'ajoutent alors des honoraires pour ordonnance complexe
de
0,51 euro. Sur une prescription de cinq médicaments, votre apothicaire
encaissera donc 4,61 euros.
L'assurance maladie affirme que « l'assuré n'a rien à
payer ». Il est vrai que les honoraires de dispensation sont pris en
charge par l'assurance maladie dans les mêmes conditions (au même
taux, donc) que le médicament auquel il se rapporte, soit en moyenne
65
% (soit 0,53 euro), celui pour ordonnance complexe étant entièrement
pris en charge par le régime obligatoire.
Le remboursement de
Ce qui arrive de plus en plus fréquemment... Seuls les patients en
ALD (affection de longue durée) et les bénéficiaires de
On estime que ces honoraires de dispensation devraient représente 10 à 13 % de leur chiffre d'affaires. Les personnes âgées au faible pouvoir d'achat et les plus démunies vont en être les premières victimes. Vous êtes malade et on va vous faire payer encore plus cher le fait que vous êtes malade. Et tant pis si vous avez le malheur de ne pas avoir de complémentaire santé !
Même les principaux intéressés
dans
cette affaire reconnaissent que les patients sont pris pour les dindons de la
farce. « Là où ils seront le plus pénalisés,
c'est sur l'achat de médicaments sans prescription », indique
ainsi Gilles Bonnefond, président du
deuxième syndicat de pharmaciens (Uspo, non signataire de l'accord qui a donné lieu
agrave
cette réforme), exemple à l'appui : « Le paracétamol
et l'homéopathie représentent 25 % des médicaments
remboursables délivrés sans ordonnance.
À chaque fois qu'un pharmacien en vend une boîte ou un tube
sans prescription, les 82 centimes vont directement dans sa poche, sans
remboursement pour le patient. Il n'est plus question, là, d'honoraires,
qui sont un acte de dispensation, puisqu'on le lie uniquement à une
marchandise. Il y a ambiguïté. »
Pour comprendre l'origine de ce marché de dupes, il faut remonter
à 2009 et la fameuse loi HPST (hôpital, patients, santé,
territoire) de Roselyne Bachelot, qui officialisait de nouvelles missions p=
our
les pharmaciens. Il avait été alors convenu que la future
convention (qui lie les pharmaciens à l'assurance maladie) s'orienterait
vers un nouveau mode de rémunération de ces professionnels de
santé. L'idée étant de rétribuer les conseils
donnés par les pharmaciens.
La réforme en vigueur depuis le 1er janvier, issue d'un accord
signé entre le syndicat majoritaire des pharmaciens (FSPF) et
l'assurance maladie, s'est donc traduite par un arrêté (paru au
Journal officiel du 28 janvier 2015) qui augmente les honoraires versés
pour chaque boîte vendue de 82 centimes en 2015 puis 1 euro en 2016, et
instaure une prime de 51 centimes par ordonnance complexe.
En contrepartie, la marge commerciale que les pharmaciens perçoivent
pour chaque boîte vendue (calculée en pourcentage du prix
fabricant) a été ajustée à la baisse. Pour le
syndicat signataire, il s'agit d'une « réforme positive qui pe
rmet
de sécuriser le réseau officinal dans un contexte de baisse de
chiffre d'affaires ».
« Concrètement, avec ce nouveau mécanisme, les prix
des
médicaments les plus chers baissent un peu, mais, inversement, les prix
des médicaments pas chers augmentent, constate Bruno Bordas, pharmacien
à Messeix (Puy-deDome).
Si on ne comptabilise pas les 82 centimes d'honoraires, le tube
d'homéopathie passe de 2,02 à 2,08 euros.
Ce n'est pas énorme, mais mis bout à bout... » Pour
ce
pharmacien, ces honoraires qu'il dit « subir » sont tout bonnement
« discutables »: « Personnellement, je suis pour la
valorisation de l'acte pharmaceutique, ce moment qu'on prend avec les patients
lors de la dispensation de leur ordonnance.
Ce n'est pas seulement sortir des boîtes, mais expliquer au patient
son traitement, les dangers qu'il peut encourir... Pharmacien, ce n'est pas
faire du commerce. »
« Le but était de valoriser la
fonction
de
pharmacien en accompagnant le patient et de décrocher les prix et les
volumes, mais on fait l'inverse », dénonce Gilles Bonnefond, de l'Uspo,
qui
parle
de « marché de dupes ». « Auparavant, notre
système de rémunération faisait que plus on vendait de
boîtes, plus on était payé. Et plus les boîtes
étaient vendues chères, plus on y gagnait. Avec cette nouvelle
réforme de rémunération, on s'accroche encore plus aux
volumes.
En 2012, les pharmacies ont réalisé un chiffre d'affaires
de
38 milliards d'euros, soit 8 % de l'ensemble du commerce de détail,
selon l'Insee. Le taux de leur marge d'exploitation atteint 52 %. Entre 2000 et
2006, le chiffre d'affaires du secteur a progressé de 5,6 % par an. Entre
2006 et 2012, la hausse a ralenti pour atteindre un rythme moyen de 1,6 % par
an, qui « s'explique en partie par la baisse des prix des produits
pharmaceutiques », note l'Insee.
En 2012, les médicaments remboursables représentaient 76
%
du
chiffre d'affaires des pharmacies. « Compte tenu de la part toujours
prédominante des médicaments remboursables dans leurs ventes,
les
officines réalisent l'essentiel de leurs marges commerciales sur les
ventes de médicaments remboursables », ajoute l'Insee.
Ce qui n'augure rien de bon pour l'avenir. Si
demain, je
veux suivre les recommandations de
Pour ce dernier, on aurait tout aussi pu faire autrement : développer
de nouvelles missions comme l'entretien pharmaceutique, l'information sur le
risque de mésusage du médicament, l'éducation
thérapeutique, etc. Et être rémunéré sur ces
missions. Mais les pouvoirs publics ont manqué d'ambition et de courage,
assène Gilles Bonnefond, convaincu que le
gouvernement a plié face aux lobbies: « Il est certain que les
laboratoires ne voyaient pas d'un très bon oeil
notre intervention pour réduire l'usage des médicaments...
»
Alors que la prochaine étape de cette réforme est
prévue pour janvier 2016, un certain nombre de pharmaciens ne
désespèrent pas de faire reculer le gouvernement. « Sur
les
22 500 officines, plus de 7 000 ont écrit au directeur de
Si la loi Macron a failli sonner le glas du
monopole des pharmaciens sur la vente des médicaments sans ordonnance,
ce n'est que reculer pour mieux sauter, craint Arnaud Faucon, de l'Indecosa CGT. « L'esprit de la loi
Macron est toujours là, en filigrane. On ne
m'enlèvera pas de la tête que l'idée, c'est de
libéraliser encore plus le marché des médicaments.
En attendant, le gouvernement cherche des débouchés pour
compenser le manque à gagner que subiront les pharmaciens d'officine.
C'est un système pervers. Tout s'intègre dans un plan
préétabli qui doit amener plus de financiarisation sur le dos
des
assurés », analyse le syndicaliste.
Heureusement, tous les pharmaciens ne sont pas dans cet état
d'esprit. Bruno Bordas, ce pharmacien de zone rurale, lui, est prêt
« à baisser (s)es revenus si on sort la santé du carcan
de
la finance ».
Dans le cadre du pacte de responsabilité et de solidarité,le
gouvernement s'est engagé à mettre en oeuvre
un plan d'économies de 50 milliards d'euros entre 2015 et 2017, dont
dix
milliards sur les dépenses d'assurance maladie. En détaillant
son
plan, Marisol Touraine ambitionnait de
réaliser 3,5 milliards d'économies en trois ans, en «
baissant les prix des médicaments et en favorisant les
génériques ». En baissant le prix des médicaments
remboursés, c'est certes l'industrie pharmaceutique qui est
visée, mais les officines sont elles aussi touchées, par
ricochet, ces économies entraînant une baisse de la consommation
et donc des volumes écoulés. Si certains pharmaciens assurent
pleinement leur rôle de conseil que l'honoraire de dispensation est
censé rétribuer, un certain nombre s'en servent d'alibi, plus
inquiets de voir baisser leurs revenus que préoccupés par la
santé publique. Summum de ce marché de dupes : alors que Marisol Touraine, comme ses prédécesseurs,
fustige l'abus de médicaments qui creuserait le trou de
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