Quelques éléments d'Histoire
Imagine-t-on
aujourd'hui une vie, où maladie signifie absence de tout revenu, où il faut
travailler jusqu'au bout de ses forces voire sa mort car la retraite n'existe pas
? Peut-on, dans nos cauchemars les plus fous voir les femmes accoucher au
travail faute de congé de maternité ou les travailleurs devenus chômeurs être
jetés dans la misère du jour au lendemain ?
C'est du Zola,
direz-vous : oui mais l'écrivain n'a fait que peindre la réalité de son époque
pas si lointaine. Pas étonnant donc si, pendant plus d'un siècle et demi, la
création d'une véritable protection sociale fut l'une des principales
revendications du mouvement ouvrier.
Des
"sociétés de secours mutuel" - en l'absence de syndicats interdits
par la loi Le Chapelier de 1791 - tentent d'organiser un minimum de
"prévoyance sociale". Les corporations unies et revendicatives
(mineurs, cheminots...) obtiennent des systèmes de retraite. 1853 verra l'acte
de naissance du "droit à pension" pour les fonctionnaires d'État.
Les luttes qui
suivent la création de la CGT en 1895 obligent le gouvernement de l'époque à
créer les "Retraites ouvrières et paysannes" en 1910. Leur financement
par capitalisation et la liquidation à 65 ans (pour une espérance de vie de 48
ans) permirent aux rares qui arrivèrent à cet âge de toucher l'équivalent...
d'un paquet de tabac.
En 1930, sous la pression des grèves et
manifestations, sont obtenues les "Assurances sociales", le premier
système qui couvre la maladie, la maternité, la vieillesse, le décès et
l'invalidité.
Les
fonctionnaires sont exclus de ce système : une loi sur leur régime de
retraite, votée en 1924, est remise en cause en 1928. Des décretslois de 1934
leur donneront un système plus mauvais qu'avant 1853. Le Front populaire, en
1936, les abrogera.
La naissance de la Sécurité Sociale
e En mai 1943,
le Conseil National de la Résistance - CNR - constitué de représentants CGT,
CFTC, PCF, PS, et de mouvements de la Résistance, élabore un programme d'une
grande portée économique et sociale. Publié en mars 1944 il prévoit notamment
l'instauration d'un
système de
protection sociale pour : « mettre définitivement l'Homme à l'abri du besoin,
en finir avec l'indignité, la souffrance, le rejet, l'exclusion... ».
Ce
plan repose sur 3 bases : une politique de plein emploi, le droit à la santé
pour tous, une plus juste répartition des revenus.
Il s'établit autour de 5 mots clefs : UNICITE :
une institution unique et obligatoire pour la maladie, la vieillesse, le
décès, l'invalidité, les prestations familiales. UNIVERSALITÉ: volonté d'étendre la couverture à tous les
citoyens.
SOLIDARITÉ: entre
professions, entre les générations, entre actifs et inactifs, entre bien
portants et malades.FINANCEMENT: à partir du travail et des richesses produites. DEMOCRATIE : la gestion
doit être confiée aux assurés sociaux
A la Libération :
- Une CGT qui
compte 5 millions d'adhérents. - Un Parlement à majorité socialiste et communiste.
- Ambroise
CROIZAT, militant CGT, ministre du Travail et de la Sécurité Sociale.
- Un patronat
discrédité pour collaboration.
Tout permet la
satisfaction des revendications essentielles dans l'esprit du programme du
CNR:
L'Ordonnance du 4 octobre 1945
« Il est institué une organisation de la
Sécurité Sociale destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre
les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leurs
capacités de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille
qu'ils supportent. »
Mais tout le
monde n'est pas satisfait. Dès l'origine la Sécu est combattue.
Les
adversaires :
La mutualité: revendique son expérience comme
gestionnaire et défend le principe du libre choix : adhésion ou non à la Sécu
Les cadres: revendiquent le maintien des régimes
d'entreprises plus favorables et la création d'un plafond de cotisation
La CFTC :
revendique l'autonomie et la gestion par elle, des caisses d'allocations familiales
Le CNPF : conteste
le coût (cotisation 10 % employeurs/6 %
salariés) et la gestion des caisses (3/4 des sièges aux salariés).
Les non-salariés : commerçants,
artisans, agriculteurs... refusent leur intégration au régime général et
revendiquent des caisses autonomes.
Remises en cause de la gestion
démocratique
En 1947,
lors des premières élections pour les Conseils d'Administration des caisses :
3/4 salariés - 1/4 patronat, la CGT recueille 59,75 % des voix. Malgré la
scission (création de FO) la CGT restera largement en tête aux 3 élections
suivantes.
Première offensive en 1962 :
Les Personnes Qualifiées (PQ) siégeant dans les CA
ne sont plus proposées par les représentants salariés mais par le
gouvernement.
Attaque
d'envergure en 1967 :
De Gaulle vient d'obtenir les pleins pouvoirs.
Il décide par ordonnances :
o La
division de la Sécu en 3 caisses: CNAMTS (Caisse
Nationale d'Assurance Maladie des Travailleurs salariés), CNAF (Caisse
Nationale d'Allocations Familiales), CNAVTS (Caisse Nationale d'Assurance
Vieillesse des Travailleurs Salariés). Les caisses locales passent sous la
direction hiérarchique des caisses nationales perdant une grande partie de
leurs prérogatives.
o La création d'un organisme pour la gestion de tout le Personnel : l'UCANSS et d'une agence: ACOSS regroupant tous
les centres locaux de recouvrement des cotisations (URSSAF).
o La suppression des élections des administrateurs. Les représentants des assurés sociaux sont désignés,
le patronat a autant de sièges que les salariés. FO, CFTC et CGC approuvent. La
CGT ne compte plus que 929 administrateurs pour 1 671 auparavant.
Par le jeu des alliances, le CNPF prend
le pouvoir.
La lutte empêche un très mauvais coup
Le projet de loi
Berger prévoyant, entre autre, la séparation des branches et le renforcement
de la place des assurances doit être retiré grâce aux luttes.
Un retour limité à la démocratie en 1982
Les élections
sont rétablies, le patronat dispose de 6 sièges, les salariés de 15 ; mais disposent
également de voix délibératives 2 PQ + 2 mutualité à la CNAMTS, 2 associations
de retraités à la CNAVTS et 3 UNAF (union nationale des associations
familiales) à la CNAF. On s'écarte de la gestion par les assurés sociaux.
Reports des
élections suivantes...
Prévues en 1989
elles n'auront, en fait, jamais lieu. Seule la CGT proteste. La démocratie
s'éloigne; le patronat et les autres organisa
tions syndicales se partagent les
présidences. En 1996 la commission AT/MP (accidents du travail/maladies
professionnelles) devient une branche quasi-autonome gérée par 5 patrons et 5
salariés.
L'application
du plan JUPPÉ
1996 et les
années suivantes verront l'application du plan JUPPÉ, soutenu par la CFDT et
la mutualité, en matière de santé :
*
Suppression définitive des élections.
*
Marginalisation des représentants des assurés sociaux, rentrée en masse des PQ
et des associations dans les conseils d'administration.
* Le
parlement décide seul de l'équilibre financier de la Sécu (recettes et
dépenses).
*
Les ARH (agences régionales d'hospitalisation) émanations du gouvernement ont
tout pouvoir sur l'hospitalisation publique et privée
(les fermetures de lits, services, voire hôpitaux
vont se multiplier).
Les
administrateurs sont dessaisis de la grande majorité de leurs responsabilités.
C'est la mise en place de l'étatisation
qui risque, sans luttes, de conduire à la privatisation.
Avancées
et reculs
Les attaques
contre la gestion démocratique avaient pour but de faciliter les remises en
cause des principes de financement et du haut niveau de prestations. La
puissance des luttes a cependant imposé des succès de très grande importance
pour les salariés.
Quelques
dates marquantes :
Les
mesures DE GAULLE
1958:
instauration d'une franchise de remboursement d'un montant de 3000 francs
(anciens) qui, face à l'action, ne tiendra que
6 mois mais réduction de prestations et de remboursements
sont mis en place.
Création
de l'UNEDIC et des ASSEDIC qui auraient dus être du ressort de la Sécu.
o 1967 : dans les
ordonnances (voir plus haut) figurent baisse de remboursements et hausse des
cotisations.
Les
lois BOULIN:
succès
pour les salariés du privé.
En 1971 l'action
porte ses fruits : vote de la Ire des lois BOULIN sur les retraites. Leur montant est porté à 50 % du
salaire moyen des 10 meilleures années. 24 lois et décrets se succèderont pour
une des plus importantes réformes sociales du pays.
20
plans successifs
Entre 1975 et
1996, 20 plans au moins vont se succéder. Tous ou presque verront une augmentation
des cotisations des salariés et une restriction des droits servis. Ils émanent
de gouvernements de droite comme de gauche. Pour ne citer que quelques-uns :
* 1977, ler plan VEIL : déremboursement de 500 médicaments dits
"de confort" et cotisation maladie prélevée sur les retraites.
* 1980: le
Ticket Modérateur d'Ordre Public (part non remboursable même par les mutuelles)
prévu dans la loi BERGER finira au panier de la lutte.
* 1982:
cotisation de 5,5 % sur les pré-retraites et diminution de certains
remboursements. * 1983 : instauration du forfait hospitalier. * 1986 :
suppression du 100 % intégral et déremboursements.
Des attaques d'envergure
Rocard crée la CSG en 1991
a Il s'agit de faire voler en éclat et
d'étatiser la Sécurité Sociale »
déclare la CGT.
Les lois BALLADUR de 1993
o Avril :
exonérations importantes des cotisations sociales des employeurs sur les
salaires jusqu'à 1,3 SMIC.
o Juillet :
les retraites du secteur privé : 40 annuités de cotisation, calcul sur 25 ans
et sur l'évolution du coût de la vie. Augmentation de la CSG; création d'un
fonds de solidarité vieillesse hors Sécurité Sociale.
Le
plan JUPPÉ
Maîtrise
comptable des dépenses de santé, flicage des médecins et des assurés sociaux;
carnet de santé obligatoire (coût 40 millions pour rien).
Les
lois AUBRY
Bonnes pour la
RTT, mauvaises pour le financement : allègement progressif des cotisations
sociales des employeurs, jusqu'à 1,8 SMIC. Poursuite de la maîtrise comptable
des dépenses.
Et aujourd'hui les attaques se
poursuivent...
RETOUR à DOSSIERS SECU : O