Complémentaire en entreprise : un pas de plus vers la marchandisation

DANS UN CONTEXTE DE CRISE ÉCONOMIQUE, LES QUELQUE 600 000 ENTREPRISES NON POUVUES DE CONTRATS SANTÉ RISQUENT DE CHOISIR L'OFFRE LA MOINS CHÈRE ET DE S'EN TENIR AU PANIER MINIMUM DE REMBOURSEMENT.

La réforme instituant la complémentaire santé obligatoire en entreprise a déclenché une violente bataille commerciale entre les différents opérateurs. Des réveils douloureux sont à craindre. Vers une multiplication des inégalités de couverture entre salariés et entre entreprises.

Un montage en forme d'usine à gaz. Un système à la viabilité très incertaine. Et, au final, une menace de déstabilisation de tout le système de protection sociale... Vendue il y a trois ans comme un progrès social évident, la réforme de la généralisation de la complémentaire santé en entreprise suscitait interrogations et inquiétudes de toutes parts à la veille de son entrée en vigueur officielle, le 1er janvier. L'accord national interprofessionnel (ANI) conclu le 11 janvier 2013 entre trois syndicats (CFDT, CFTC, CGC) et le patronat, retranscrit dans la loi en juin de la même année, était paré des meilleures intentions en décrétant l'obligation pour toutes les entreprises de souscrire, avant le 1er janvier 2016, un contrat collectif d'assurance complémentaire santé pour leurs salariés. Le financement étant partagé à 50/50 entre l'employeur et les travailleurs. Jusqu'alors, la complémentaire en entreprise était essentiellement l'apanage des grandes sociétés. Avec l'ANI, 4 millions de travailleurs encore non couverts, se trouvant D principalement dans des PME et TPE, devraient l'être.

Progrès? La plupart d'entre eux (3,6 millions) disposaient auparavant d'un contrat individuel. Et, à bien y regarder, ils ne sont pas assurés de sortir gagnants de l'opération. Selon la première mouture de la loi, des négociations syndicats-patronat devaient s'engager dans les branches professionnelles pour définir les garanties de remboursement souhaitées et choisir un ou plusieurs organismes répondant aux attentes, afin de mutualiser les coûts, et d'avoir des régimes de branche plus solides. Mais, saisi par des assureurs au nom de la libre concurrence, le Conseil constitutionnel a retoqué la procédure. Aujourd'hui donc, dans une profession donnée, un opérateur peut venir démarcher les entreprises présentant les « meilleurs risques » (personnel jeune, avec faible consommation de soins, etc.), en offrant un prix plus bas que l'organisme « recommandé » par la branche qui, lui, gardera tous les « mauvais risques »... « Quel sera l'équilibre des régimes en "recommandation" avec cette liberté et ce marché un peu de dupes? » s'inquiète Jérôme Bonizec, directeur général d'Adéis, un regroupement d'institutions de prévoyance.

Beaucoup de PME-TPE choisissent l'offre la moins chère

Uneet s'en tiennent au panier minimumLa suppression de la clause de « désignation » a aiguisé la véritable guerre commerciale que se sont livrée les divers opérateurs, regroupés en trois familles ­ deux à but non lucratif, mutuelles et institutions de prévoyance (IP), et les assureurs ­ pour remporter les contrats santé des 600 000 entreprises non pourvues. Deux limites étaient posées par la loi : l'offre devait respecter un plancher de garanties minimales de remboursements (le « panier de soins » ANI) et les règles du « contrat responsable », fixées par le gouvernement, plafonnant les prises en charge des dépenses en optique, dentaire, dépassements d'honoraires...

condition impérative pour que les entreprises bénéficient de très substantielles exonérations fiscales et sociales. Cela n'a pas empêché des assureurs de se livrer à un dumping tarifaire, n'hésitant pas, « dans une stratégie d'achat de parts de marché, à vendre 30 %, 40 % au-dessous du prix normal, d'équilibre, d'une couverture santé », témoigne Jérôme Bonizec. Une spirale pouvant amener les mutuelles à « sacrifier » leurs atouts spécifiques, tels qu'agences de proximité, centres de santé, actions de prévention, souligne-t-on à la Fédération des mutuelles de France. Avec, au bout du compte, le risque de réveils douloureux : des acteurs qui se retirent assez vite, les restants redressant violemment leurs comptes et leurs tarifs. Pour l'heure, dans un contexte de crise économique où les employeurs cherchent avant tout à réduire les coûts, beaucoup de PME-TPE choisissent l'offre la moins chère et s'en tiennent au panier minimum. Lequel contient des garanties en général inférieures à celles dont leurs salariés bénéficiaient auparavant en individuel. Reste alors, pour ceux qui le pourront, la possibilité d'améliorer leur couverture en souscrivant, entièrement à leurs frais, une option surcomplémentaire. « Au final, l'entreprise aura eu un prix très bas, et le salarié, quand il voudra mieux se couvrir, "casquera" avec des prix faramineux », observe Philippe Rancé, en charge des assurances collectives à la Mutuelle familiale. Tandis que les assureurs pourront se « refaire une santé » sur ces surcomplémentaires. Se profile ainsi une explosion des inégalités de couverture, entre salariés, entre entreprises, selon leur taille, et qu'elles représentent un « bon » ou un « mauvais risque ».

L'impact de la réforme dépasse le cadre des PME-TPE non équipées jusqu'alors. Toutes les entreprises déjà dotées, avant l'ANI, d'un contrat collectif, doivent le reprendre d'ici à 2017 pour le mettre en conformité avec les obligations du « contrat responsable », sous peine de perdre le bénéfice des aides publiques. Résultat: la plupart doivent revoir les garanties à la baisse, « les précédents accords étant en moyenne nettement plus favorables », en particulier pour la prise en charge de l'optique, des dépassements d'honoraires de spécialistes, indique MarieAnnick Nicolas, en charge du dossier à la CGT. Encore une voie ouverte à la vente de surcomplémentaires. Ainsi, « ce qui avait été annoncé comme du progrès social pourrait très bien être une réduction des couvertures, et donc une perte d'avantages sociaux », craint Philippe Rancé.

4 C'EST, EN MILLIARDS D'EUROS, LE MARCHÉ DES COMPLÉMENTAIRES SANTÉ DANS LES ENTREPRISES NON POURVUES D'UN CONTRAT COLLECTIF.

Autre conséquence prévisible, pointée par Didier Tabuteau, responsable de la chaire santé à Sciences politiques : « Les 20-60 ans vont sortir massivement des contrats individuels et les cotisations de ceux qui restent vont mécaniquement augmenter. Or ce sont les plus fragiles » (lire p. III). Une évolution qui touchera les acteurs les plus positionnés sur les contrats individuels, en l'occurrence les mutuelles. Un secteur où les concentrations et regroupements pourraient s'accélérer. Difficile à ce jour de prévoir l'impact de l'ANI sur la répartition d'un marché de la complémentaire santé d'entreprise aujourd'hui divisé en trois parts à peu près égales entre mutuelles, IP et assureurs privés.

Mais un quatrième type d'acteurs émerge déjà : les banques, qui ont mobilisé pour la circonstance leurs puissants réseaux commerciaux, et joué auprès des entreprises d'un avantage non négligeable, la détention de leur trésorerie et leur financement. Jointe à l'entrée en vigueur en 2016 de la directive européenne Solvabilité 2, qui élève le niveau d'exigence de fonds propres pour les assureurs, « la trajectoire enclenchée avec cet ANI 2013 est délicate et dangereuse. On est tous en positionnement sur des schémas assurantiels, financiers », alerte Bernard Daeschler, administrateur CGT de Malakoff Médéric, président du Comité technique des institutions de prévoyance (CTIP). Reste, au bout du compte, l'interrogation majeure : quid, dans cette affaire, de l'assurance-maladie obligatoire ? « La Sécurité sociale pourrait être tentée de se désengager, en particulier des soins courants, au motif que tout le monde a aujourd'hui une complémentaire », alerte Didier Tabuteau. Elle ne rembourse plus désormais que 50 % des soins courants. « Reconquérir la Sécu, c'est le fond », le meilleur moyen de parer au développement si inégalitaire des complémentaires, conclut Marie-Annick Nicolas.

« Ce qui avait été annoncé comme du progrès social pourrait très bien être une réduction des couvertures, et donc une perte d'avantages sociaux. » PHILIPPE RANCÉ, EN CHARGE DES ASSURANCES COLLECTIVES À LA MUTUELLE FAMILIALE

YVES HOUSSON

 «Nous défendons un modèle basé sur le libre choix»

 

 Pascale Vatel Secrétaire générale de la Fédération des mutuelles de France (FMF)

Pour la responsable mutualiste, la généralisation de la couverture complémentaire multiplie les niveaux de protection sociale.

Quel regard porte votre fédération sur l'accord qui généralise la couverture santé à tous les salariés ?

PASCALE VATEL La FMF a réagi dès laconclusion de l'ANI. Nous vivions déjà un recul constant de la couverture des soins par la Sécurité sociale car le taux de remboursement, hors longue maladie, n'atteint pas les 50 % rendant nécessaire une complémentaire sans laquelle les risques sont grands de renoncement aux soins. Nous sommes favorables à une généralisation de la couverture complémentaire mais notre fédération s'est toujours battue à la fois pour un niveau élevé de Sécurité sociale et pour un modèle marqué par le libre choix, la libre adhésion qui est à la base du mutualisme. Nous sommes opposés au développement des formes obligatoires. Cet ANI « minoritaire » contribue à la dénaturation de la Sécu en multipliant les niveaux de protection sociale. Il aggrave la segmentation de la population, réservant ses effets aux seuls salariés du privé, laissant les fonctionnaires, les jeunes, les chômeurs, les retraités hors de cette généralisation. Il n'existe que par des aides publiques, évaluées à près de 5 milliards d'euros, qui représentent une injustice car essentiellement affectées aux salariés du secteur privé, et un gaspillage au regard de ce que pourrait être un véritable investissement solidaire. Cet accord accélère la disparition de tout droit commun et porte atteinte à l'idée d'universalité dont se réclame pourtant le gouvernement.

LES PERSONNES SE DÉCLARANT EN MAUVAISE SANTÉ SONT PLUS SOUVENT SANS COMPLÉMENTAIRE PAR RAPPORT À CELLES EN TRÈS BONNE SANTÉ (9,9 %, CONTRE 4,6 %).

Quelle appréciation qualitative peut être portée sur ces contrats collectifs que l'ANI tend à imposer ?

PASCALE VATEL Avec la participationpatronale, il est à craindre que ne se développent des contrats qui, à partir d'un socle médiocre, proposeraient des individualisations relevant en fait de surcomplémentaires. La Fédération des mutuelles de France et la Fédération nationale des mutuelles de France ont dénoncé ces pratiques, tout comme le recours de plus en plus répandu aux appels d'offres. Elles dénoncent le dispositif qui va être mis en place au bénéfice des retraités et qui va lui aussi créer des inégalités. Ce sont toutes les aides à l'accès aux complémentaires qu'il s'agit donc de revoir : des aides aux personnes, pas aux entreprises. Nous réclamons la suppression des surtaxes sur les complémentaires mises en place par Nicolas Sarkozy, faisant passer le taux de 3,5 % à 13 %, et maintenues, contre ses engagements, par François Hollande.

Comment l'ANI et les décisions gouvernementales récentes bouleversentils le paysage de la protection sociale ?

PASCALE VATEL Accord et mesuresviennent réduire les marges des mutuelles et des dispositifs solidaires. Ils limitent les investissements pour les services mutualistes. Il en est de même pour les règles de lvabilité imposées par les directives assurances, acceptées dans leur temps par la FNMF mais toujours dénoncées par notre fédération. Ces règles conduisent à des concentrations de structures en affaiblissant les liens mutualistes à leurs adhérents.

La marchandisation en cours de la santé pèse essentiellement sur la Mutualité qui est, devons-nous le rappeler, un mouvement social.

PASCALE VATEL La loi santé récemmentadoptée, si elle impose le tiers payant, vient encore aggraver nos inquiétudes. Les moyens mis au service de la santé des patients vont diminuant, notamment pour les hôpitaux publics, marquant un fossé entre les orientations affichées et leur mise en oeuvre.

JEAN-PHILIPPE MILESY

Tous couverts désormais ? Pas vraiment

 
Quelque 3 300 000 Français n'ont pas de complémentaire santé. La mise en oeuvre de l'accord national interprofessionnel laisserait la grande majorité d'entre eux à découvert, selon une étude de l'Institut de recherche et de documentation en économie de la santé.

La réforme de l'ANI prétend répondre à l'objectif fixé par François Hollande en 2012 : « Une complémentaire santé pour tous ». Complémentaire, on le sait, devenue indispensable pour se soigner, au point que, selon des études, le risque de renoncer à des soins est multiplié par deux pour les personnes qui en sont démunies. En 2012, 5 % de la population, soit environ 3,3 millions de personnes, n'étaient pas couverts. Mais l'ANI, au-delà de son vice profond, sa nature inégalitaire, ne devrait guère changer la donne. Sur les 4 millions de salariés employés dans une entreprise qui n'avaient pas souscrit de contrat collectif, seuls 400 000 n'étaient pas couverts en individuel. Surtout, outre les agents de la fonction publique, la réforme « laisse de côté l'ensemble des gens qui sont hors du monde du travail et qui sont de plus en plus nombreux : retraités, chômeurs de longue durée, jeunes précaires, souligne-t-on à la Mutualité. Or, c'est principalement dans cette population qu'on trouve les gens qui renoncent à financer une complémentaire ». Le premier motif étant le manque de moyens financiers. Un actif devenant retraité voit en moyenne sa cotisation à la mutuelle tripler...

80 % resteraient non couverts

L'Irdes, Institut de recherche et de documentation en économie de la santé, s'est livré à une simulation pour évaluer les effets du dispositif de l'ANI sur la non-couverture par une complémentaire. Résultat : « Parmi l'ensemble des individus ne bénéficiant d'aucune complémentaire santé en 2012, 80 % resteraient non couverts après la généralisation. » Et « des inégalités sociales perdureraient » : « En effet, après l'ANI, les plus de 70 ans, les inactifs, les individus en mauvaise santé » et les personnes à faible revenu « resteraient le plus souvent concernés par la non-couverture », précise l'Irdes. La désaffiliation pourrait même s'accroître du fait de la hausse des tarifs des contrats individuels que la mise en oeuvre de l'ANI devrait engendrer.

67 C'EST EN POURCENTAGE LE TAUX DE COUVERTURE SANTÉ POUR LES ENTREPRISES DE 1 À 2 SALARIÉS ; 86 % POUR LES TPE DE 6-9 SALARIÉS ; 99 % POUR LES PLUS DE 500 SALARIÉS.

Pour la Fédération des mutuelles de France (FMF), c'est clair : « L'amélioration réelle de la couverture des salariés et de l'ensemble des Français ne peut s'envisager qu'en renforçant le régime obligatoire de Sécurité sociale, solidaire et universel, et en cessant l'éparpillement de l'argent public dans des dispositifs toujours plus segmentants. » Pas moins de huit types d'aide à l'acquisition d'une complémentaire (CMU-C, ACS, ANI, etc.) existent à ce jour et un neuvième, pour les seuls retraités, est en préparation. La FMF préconise un système d'aide individuelle unique, dégressif selon le revenu, et RIÉS.non lié au statut. Qui pourrait être financé avec la manne d'argent public aujourd'hui versée aux entreprises pour les contrats collectifs.

 

 

Une segmentation sans précédent de la couverture sociale

 

Jean Samut Militant mutualiste

Le 11 janvier 2013, signature par la CFDT de l'ANI (accord sur la compétitivité et la sécurisation de l'emploi ­ NDLR). Décembre 2015, le négociateur du Medef, Patrick Bernasconi, est élu à la tête du Conseil économique, social et environnemental, avec les voix de la CFDT. Dans ce donnant-donnant et dans cette continuité, une profonde transformation du droit social est à l'oeuvre. Non seulement dans le contenu des accords, mais aussi et surtout dans les rapports de forces, dans la structuration de notre société, finalisée encore et toujours sur une refonte du social. L'ambition est de construire et de piloter une cogestion à la française, conduite directement par le conseiller social du président de la République, en réduisant le nombre d'acteurs concernés, en intéressant dans tous les sens du terme les syndicats réformistes à la démarche. Une démarche dans laquelle il serait possible de se mettre d'accord entre dirigeants « modernes et raisonnables » afin de réformer le droit du travail. Si l'article concernant l'obligation de couverture complémentaire des salariés a fait tant de bruit, c'est sans doute parce que, pour la première fois, l'objectif et la méthode étaient clairement perceptibles.

3 C'EST LE NOMBRE DE SYNDICATS QUI ONT SIGNÉ L'ANI : LA CFDT, LA CFE-CGC ET LA CFTC. UNE VOLONTÉ MINORITAIRE A PRIS FORCE DE LOI.

Le président de la République s'engage, à la demande de la Mutualité, sur une généralisation de la couverture complémentaire des Français et sur sa facilitation par l'État. Puis, une mesure de dernière minute déposée par certains syndicats s'impose dans le cadre de l'ANI. Elle rend obligatoire une couverture complémentaire santé des salariés et impose une prise en charge à 50 % par les employeurs. Toute chose qui aurait pu apparaître positive. En fait, la couverture ne concerne que 400000 salariés, coûte 2 milliards d'euros

à l'État et conduit à un abaissement dans bon nombre de cas de la couverture sociale des salariés et de la participation des employeurs à cette couverture complémentaire. Mais, le plus grave, c'est que cette mesure provoque un bouleversement structurel à l'intérieur du secteur social car elle alimente une transformation des rapports institutionnels et économiques. Dans un secteur où la solidarité faisait progressivement place au marché, à la banalisation des offres et à la concurrence, l'ANI a exacerbé toutes ces tendances. Seule la censure du Conseil constitutionnel, en interdisant les clauses de désignation qui auraient rendues captives les entreprises des institutions de prévoyance, a permis d'éviter l'institutionnalisation du financement syndical par la protection sociale, sans pouvoir l'empêcher dans les faits. Cet ANI a marqué le départ d'une segmentation sans précédent de la couverture sociale.

Les solidarités sont brisées, ramenées à des seuls critères économiques incompréhensibles par les bénéficiaires théoriques, qui ne les utilisent même pas ! Communication et restructuration sont les mots clés de cette période. La très faible mobilisation de la gauche de la gauche, qu'elle soit politique, syndicale ou mutualiste, a sa part de responsabilité dans cette situation. Outre que la couverture complémentaire des salariés n'a jamais été sa préoccupation majeure ­ défense de la Sécurité sociale oblige ­, la guerre de tranchées n'a pas grande efficacité dans ce qui est devenu depuis bien longtemps une guerre de mouvements. Le mouvement mutualiste, atone pendant cette période, à l'exception notable des petites mutuelles de proximité, porte la principale responsabilité. Incapable de renouveler son modèle démocratique de gestion sociale, il s'est neutralisé lui-même dans ses guerres intestines, dans ses préoccupations gestionnaires et dans le mirage de son ambition à singer les grands groupes assurantiels. La seule espérance, bien mince, est que la Mutualité retrouve ses fondamentaux dans la gestion démocratique du social, dans la décentralisation de ses actions pour la santé, la vie, en collaboration avec les professionnels de santé, les populations, la société civile, l'économie solidaire. Si nous ne renouvelons pas le modèle, si nous ne remettons pas de l'humain dans la solidarité, si nous ne faisons pas de la démocratisation de la société et de l'économie notre moyen et notre objectif, nous sommes morts.

 

 

Un festin de roi pour les financiers

Nathalie Hiraux Présidente de l'Union nationale alternative mutualiste (Unam).

La généralisation de la couverture santé pour les salariés est présentée par le gouvernement de François Hollande comme une avancée sociale aussi importante que la création de la CMU. Au 1er janvier 2016, les 20 millions de salariés que compte la France doivent avoir une couverture complémentaire. C'est obligatoire. Est-ce à dire que jusqu'à maintenant ils n'en bénéficiaient pas ? La plupart d'entre eux avaient souscrit des couvertures individuelles auprès de mutuelles de proximité, non loin de leur habitation, et bénéficiaient ainsi de services tiers payant, d'accès aux soins dans des réalisations mutualistes locales (centres dentaires ou optiques). Mais voilà, ce marché de 15 millions de personnes libres de leur choix en matière d'assurance complémentaire échappait aux appétits financiers des grandes sociétés d'assurance privées et des institutions de prévoyance. Marisol Touraine leur a offert sur un plateau d'argent un festin de roi en généralisant la couverture complémentaire santé par le biais des conventions collectives nationales.

Car les opérateurs recommandés ne sont autres que les grands groupes financiers de l'assurance. Qu'importe à madame la ministre socialiste le service rendu par les mutuelles de proximité, que lui importe également le tiers payant local, la relation humaine mutuelle-assuré social mutualiste qui brise l'isolement des individus.

Si le souhait du gouvernement de François Hollande avait été réellement la recherche du bien-être des salariés, il aurait mieux valu généraliser la couverture prévoyance en matière de maintien des revenus (salaires) afin d'assurer aux 20 millions de salariés un revenu constant en cas de longue maladie. Mais le marché de la couverture complémentaire santé est plus juteux car les cotisations sont plus élevées et génèrent davantage de flux financiers. Ainsi les financiers du monde de l'assurance seront bien les seuls qui tireront leur épingle de ce jeu de dupes. Car les accords de branche sont signés sur la base de niveaux de prestations peu élevés, obligeant les salariés à souscrire des garanties surcomplémentaires sur lesquelles il n'y a pas de participation de l'employeur. Conséquence, les employeurs dépensent moins, les familles de salariés dépensent plus, les assurances privées et les institutions de prévoyance encaissent un maximum. Et puis, dès lors que les salariés vont être corsetés dans des contrats obligatoires avec les financiers de l'assurance, qui s'opposera à de nouveaux désengagements de la Sécurité sociale dans le remboursement des soins et des médicaments ? Le boulevard sera ouvert pour aller vers une Sécurité sociale bis, totalement privée, telle qu'elle existe aujourd'hui en Allemagne, financée par les assurés sociaux eux-mêmes et non plus par les cotisations patronales.

Les mutuelles communales en plein développement

STÉPHANE GUÉRARD

MUNICIPALITÉS Caumont-sur-Durancea fait naître la première mutuelle municipale. Face à l'afflux des demandes d'aides, d'autres communes développent ce service.

Deux ans que son téléphone sonne, qu'elle répond inlassablement. Depuis septembre 2013 et l'entrée en activité de la mutuelle municipale de Caumont-sur-Durance (Vaucluse), dont elle est initiatrice, Véronique Debue a lancé, sans vraiment l'avoir anticipé, un mouvement en pleine expansion. Depuis 2010, le nombre de personnes ne bénéficiant pas de complémentaire santé est en constante augmentation, une tendance que tentent non sans mal d'amortir les services sociaux des communes. Véronique Debue en avait fait le constat, en 2011, au centre communal d'action sociale dont elle est vice-présidente : « C'est le nombre grandissant de demandes d'aides liées à la santé qui nous a fait imaginer une solution. J'étais indignée de voir le peu d'accès à la santé de certains habitants. La santé ne devrait pas être un choix, mais un droit. » Le temps de l'action est vite venu : « Ce que nous avons réalisé, c'est beau. Mais il faut aussi l'assumer. La détresse des gens, l'espoir suscité malgré le détricotage du système de santé, c'est parfois lourd à porter. »

L'offre de mutuelle complémentaire que cette élue a forgée pour ses administrés privés de couverture santé, ou qui croulaient sous les coûts de leur ancien contrat, a pris les atours d'une formule que, depuis, d'autres villes aimeraient adopter. À Caumont-sur-Durance, commune de 4700 âmes située à quelques encablures d'Avignon, ils étaient 267 foyers au départ. Aujourd'hui, plus de 400 ont adopté ce contrat collectif unique souscrit auprès d'une mutuelle locale qui a remporté le marché. Contre 47 euros par personne et par mois, sans conditions d'âge ni de santé, les affiliés profitent d'une couverture santé la même pour tous, mieux-disante par rapport aux autres offres individuelles du marché, avec des délais courts de remboursement. Tout cela a été rendu possible en amont par une définition des besoins réels de la population, base de négociation au contrat collectif qui permet de mutualiser les frais.

L'expérience, largement médiatisée, a suscité l'espoir. Trois cents municipalités sont sur les rangs pour établir leur complémentaire. Certaines ont franchi le pas. Sentant l'aubaine, des cabinets de conseil aux municipalités se sont même créés. Ces faux nez de courtiers en assurance placent des offres de marché peu regardantes sur le caractère sélectif et lucratif des contrats proposés.