1. Huma du 15  mai 2015

Un nouveau racket sur le dos des malades

RÉVÉLATION MÉDICAMENT Sécu et malades passent au tiroir-caisse

ALEX ANDRA CHAIGNON

Depuis le 1er janvier 2015, les pharmaciens facturent 0,82 euro pour la délivrance de chaque boîte de médicament remboursable, censé « rétribuer la fonction du conseil de pharmacien ». Un alibi pour maintenir la rentabilité des officines sur le dos des usagers.

À l'heure où de plus en plus de patients se voient contraints de diminuer leurs dépenses de santé, une réforme passée quasiment inaperçue grève encore un peu plus le budget santé des Français. Depuis le 1 er janvier, les pharmaciens facturent en effet 0,82 euro la délivrance de chaque boîte de médicament remboursable, qu'il soit prescrit ou non d'ailleurs.

C'est ce qu'on appelle l'« honoraire de dispensation », censé rétribuer « la fonction du conseil de pharmacien d'officine ». Mais de quoi parle t-on exactement ? C'est simple : pour chaque boîte de médicament remboursable vendu, les pharmaciens perçoivent désormais 0,82 euro. Et, cerise sur le gâteau, quand l'ordonnance comporte cinq médicaments différents, s'ajoutent alors des honoraires pour ordonnance complexe de 0,51 euro. Sur une prescription de cinq médicaments, votre apothicaire encaissera donc 4,61 euros.

UN DÉCRET PASSÉ INAPERÇU PERMET AUX PHARMACIENS DE FACTURER 0,82 EURO LA DÉLIVRANCE DE NOMBREUX MÉDICAMENTS.

Prenons un exemple concret: l'année dernière, une boîte de Clamoxyl 1 g (antibiotique) de 14 comprimés coûtait 4,46 euros; désormais, le patient la paye 5,28 euros (4,46 + 0,82 euro).

L'assurance maladie affirme que « l'assuré n'a rien à payer ». Il est vrai que les honoraires de dispensation sont pris en charge par l'assurance maladie dans les mêmes conditions (au même taux, donc) que le médicament auquel il se rapporte, soit en moyenne 65 % (soit 0,53 euro), celui pour ordonnance complexe étant entièrement pris en charge par le régime obligatoire.

Le remboursement de la Sécu sur la boîte de Clamoxyl 1 g interviendra donc sur la somme globale ­ 5,28 euros , remboursée à 65 %, le reliquat (0,29 euro) étant remboursé par les complémentaires santé; si le contrat le prévoit ou, et c'est là que le bât blesse, restera à la charge des patients qui n'ont pas de mutuelle.

Ce qui arrive de plus en plus fréquemment... Seuls les patients en ALD (affection de longue durée) et les bénéficiaires de la CMU (couverture maladie universelle) ou de l'AME (aide médicale d'État) bénéficient d'une exonération totale. « La ficelle est un peu grosse, s'agace Arnaud Faucon, secrétaire général de l'association de consommateurs Indecosa CGT. On ré-munère soi-disant un conseil alors qu'il s'agit seulement d'augmenter la rémunération des pharmaciens.

On estime que ces honoraires de dispensation devraient représente 10 à 13 % de leur chiffre d'affaires. Les personnes âgées  au faible pouvoir d'achat et les plus démunies vont en être les premières victimes. Vous êtes malade et on va vous faire payer encore plus cher le fait que vous êtes malade. Et tant pis si vous avez le malheur de ne pas avoir de complémentaire santé !

Des honoraires tout bonnement « discutables »

Même les principaux intéressés dans cette affaire reconnaissent que les patients sont pris pour les dindons de la farce. « Là où ils seront le plus pénalisés, c'est sur l'achat de médicaments sans prescription », indique ainsi Gilles Bonnefond, président du deuxième syndicat de pharmaciens (Uspo, non signataire de l'accord qui a donné lieu agrave cette réforme), exemple à l'appui : « Le paracétamol et l'homéopathie représentent 25 % des médicaments remboursables délivrés sans ordonnance.

À chaque fois qu'un pharmacien en vend une boîte ou un tube sans prescription, les 82 centimes vont directement dans sa poche, sans remboursement pour le patient. Il n'est plus question, là, d'honoraires, qui sont un acte de dispensation, puisqu'on le lie uniquement à une marchandise. Il y a ambiguïté. »

Pour comprendre l'origine de ce marché de dupes, il faut remonter à 2009 et la fameuse loi HPST (hôpital, patients, santé, territoire) de Roselyne Bachelot, qui officialisait de nouvelles missions p= our les pharmaciens. Il avait été alors convenu que la future convention (qui lie les pharmaciens à l'assurance maladie) s'orienterait vers un nouveau mode de rémunération de ces professionnels de santé. L'idée étant de rétribuer les conseils donnés par les pharmaciens.

La réforme en vigueur depuis le 1er janvier, issue d'un accord signé entre le syndicat majoritaire des pharmaciens (FSPF) et l'assurance maladie, s'est donc traduite par un arrêté (paru au Journal officiel du 28 janvier 2015) qui augmente les honoraires versés pour chaque boîte vendue de 82 centimes en 2015 puis 1 euro en 2016, et instaure une prime de 51 centimes par ordonnance complexe.

En contrepartie, la marge commerciale que les pharmaciens perçoivent pour chaque boîte vendue (calculée en pourcentage du prix fabricant) a été ajustée à la baisse. Pour le syndicat signataire, il s'agit d'une « réforme positive qui pe rmet de sécuriser le réseau officinal dans un contexte de baisse de chiffre d'affaires ».

« Concrètement, avec ce nouveau mécanisme, les prix  des médicaments les plus chers baissent un peu, mais, inversement, les prix des médicaments pas chers augmentent, constate Bruno Bordas, pharmacien à Messeix (Puy-deDome). Si on ne comptabilise pas les 82 centimes d'honoraires, le tube d'homéopathie passe de 2,02 à 2,08 euros.

Ce n'est pas énorme, mais mis bout à bout... » Pour ce pharmacien, ces honoraires qu'il dit « subir » sont tout bonnement « discutables »: « Personnellement, je suis pour la valorisation de l'acte pharmaceutique, ce moment qu'on prend avec les patients lors de la dispensation de leur ordonnance.

Ce n'est pas seulement sortir des boîtes, mais expliquer au patient son traitement, les dangers qu'il peut encourir... Pharmacien, ce n'est pas faire du commerce. »

« Il faut rouvrir des négociations sur la rémunération »

« Le but était de valoriser la fonction de pharmacien en accompagnant le patient et de décrocher les prix et les volumes, mais on fait l'inverse », dénonce Gilles Bonnefond, de l'Uspo, qui parle de « marché de dupes ». « Auparavant, notre système de rémunération faisait que plus on vendait de boîtes, plus on était payé. Et plus les boîtes étaient vendues chères, plus on y gagnait. Avec cette nouvelle réforme de rémunération, on s'accroche encore plus aux volumes.

En 2012, les pharmacies ont réalisé un chiffre d'affaires  de 38 milliards d'euros, soit 8 % de l'ensemble du commerce de détail, selon l'Insee. Le taux de leur marge d'exploitation atteint 52 %. Entre 2000 et 2006, le chiffre d'affaires du secteur a progressé de 5,6 % par an. Entre 2006 et 2012, la hausse a ralenti pour atteindre un rythme moyen de 1,6 % par an, qui « s'explique en partie par la baisse des prix des produits pharmaceutiques », note l'Insee.

En 2012, les médicaments remboursables représentaient 76 % du chiffre d'affaires des pharmacies. « Compte tenu de la part toujours prédominante des médicaments remboursables dans leurs ventes, les officines réalisent l'essentiel de leurs marges commerciales sur les ventes de médicaments remboursables », ajoute l'Insee.

OPÉRATION DÉMINAGE « Les patients ne seront ni moins bien soignés ni moins bien remboursés. » Marisol Touraine, ministre de la Santé.

LE PRÉTEXTE DU CONSEIL La ministre de la Santé s'est félicitée de ces accords. Selon elle, ils « permettent de renforcer le rôle de conseil et d'action de proximité des pharmaciens » et offriront aux malades « un accompagnement » et « des conseils renforcés sur leurs médicaments ».

Ce qui n'augure rien de bon pour l'avenir. Si demain, je veux suivre les recommandations de la HAS (Haute Autorité de santé), quel sera mon intérêt si je suis lié aux volumes, si chaque fois que je pratique le bon usage, je suis pénalisé financièrement? » interroge le président de l'Uspo.

Pour ce dernier, on aurait tout aussi pu faire autrement : développer de nouvelles missions comme l'entretien pharmaceutique, l'information sur le risque de mésusage du médicament, l'éducation thérapeutique, etc. Et être rémunéré sur ces missions. Mais les pouvoirs publics ont manqué d'ambition et de courage, assène Gilles Bonnefond, convaincu que le gouvernement a plié face aux lobbies: « Il est certain que les laboratoires ne voyaient pas d'un très bon oeil notre intervention pour réduire l'usage des médicaments... »

Alors que la prochaine étape de cette réforme est prévue pour janvier 2016, un certain nombre de pharmaciens ne désespèrent pas de faire reculer le gouvernement. « Sur les 22 500 officines, plus de 7 000 ont écrit au directeur de la Cnam (Caisse nationale d'assurance maladie) pour ne pas passer à l'étape de 2016; cela montre bien que la profession n'adhère pas à ce projet et qu'il faut rouvrir des négociations sur la rémunération », insiste le président de l'USPO, rappelant la tenue en fin d'année des élections professionnel les, qui pourraient changer la donne en matière de représentativité. En concluant: « La profession et les patients méritent mieux que de voir les pharmaciens courir apr&egraves des boîtes de médicament! »

Si la loi Macron a failli sonner le glas du monopole des pharmaciens sur la vente des médicaments sans ordonnance, ce n'est que reculer pour mieux sauter, craint Arnaud Faucon, de l'Indecosa CGT. « L'esprit de la loi Macron est toujours là, en filigrane. On ne m'enlèvera pas de la tête que l'idée, c'est de libéraliser encore plus le marché des médicaments.

En attendant, le gouvernement cherche des débouchés pour compenser le manque à gagner que subiront les pharmaciens d'officine. C'est un système pervers. Tout s'intègre dans un plan préétabli qui doit amener plus de financiarisation sur le dos des assurés », analyse le syndicaliste.

Heureusement, tous les pharmaciens ne sont pas dans cet état d'esprit. Bruno Bordas, ce pharmacien de zone rurale, lui, est prêt « à baisser (s)es revenus si on sort la santé du carcan de la finance ».

« LA DISPENSATION DE L'ORDONNANCE, ÇA NE CONSISTE PAS SEULEMENT À SORTIR DES BOÎTES DE MÉDICAMENTS », SELON BRUNO BORDAS, PHARMACIEN.

Dans le cadre du pacte de responsabilité et de solidarité,le gouvernement s'est engagé à mettre en oeuvre un plan d'économies de 50 milliards d'euros entre 2015 et 2017, dont dix milliards sur les dépenses d'assurance maladie. En détaillant son plan, Marisol Touraine ambitionnait de réaliser 3,5 milliards d'économies en trois ans, en « baissant les prix des médicaments et en favorisant les génériques ». En baissant le prix des médicaments remboursés, c'est certes l'industrie pharmaceutique qui est visée, mais les officines sont elles aussi touchées, par ricochet, ces économies entraînant une baisse de la consommation et donc des volumes écoulés. Si certains pharmaciens assurent pleinement leur rôle de conseil que l'honoraire de dispensation est censé rétribuer, un certain nombre s'en servent d'alibi, plus inquiets de voir baisser leurs revenus que préoccupés par la santé publique. Summum de ce marché de dupes : alors que Marisol Touraine, comme ses prédécesseurs, fustige l'abus de médicaments qui creuserait le trou de la Sécu, la  ministre participe à la mise en place d'une rémunération qui in= cite à vendre des médicaments. Sans oublier le coût de cette réforme pour la Sécu, et donc indirectement pour les assurés sociaux : environ deux milliards d'euros en 2015 et 2,5 milliards en 2016 !

« LE PARACÉTAMOL ET L'HOMÉOPATHIE REPRÉSENTENT 25 % DES MÉDICAMENTS REMBOURSABLES DÉLIVRÉS SANS ORDONNANCE. À CHAQUE FOIS QU’UN PHARMACIEN EN VEND UNE BOÎTE OU UN TUBE SANS PRESCRIPTION, LES 82 CENTIMES VONT DIRECTEMENT DANS SA POCHE, SANS REMBOURSEMENT POUR LE PATIENT », INDIQUE GILLES BONNEFOND, PRÉSIDENT DE L’USPO, NON SIGNATAIRE DE L’ACCORD.

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