Le gouvernement Chirac-Raffarin est un gouvernement de combat contre la classe ouvrière, directement en prise sur le grand capital qui siège à Bercy en la personne de Francis Mer, et sur le MEDEF. Il n’a ni fléchi ni reculé devant la révolte des enseignants et la force de la mobilisation qui y avaient contraint la gouvernement Jospin en février 2000. Et ce n’est pas seulement en paroles qu’il a affiché sans attendre sa détermination à poursuivre son offensive, en profitant de l’échec de celle ci et de l’appui des dirigeants syndicaux. Le tableau en est impressionnant.
Le gouvernement a réussi à étendre à tous les travailleurs, public et privé, la destruction des 37 annuités et demie et à engager la durée de carrière exigée vers les 42 ans. Il ouvre maintenant la porte aux fonds de pensions en remplaçant les PEP (Plans d’épargne populaire) par un Plan individuel d’épargne retraite (PEIR). Ceux qui ont commencé à travailler à 14, 15, 16 ans, auront droit à la retraite à 60 ans, mais les périodes de maladie et de chômage ne seront pas prises en compte. Une mesure qui ne demande qu’à être étendue
Face au déficit “ de faillite ” de celle ci, et en attendant les “ mesures structurelles ” prévues pour l’automne 2004, dans le sens de son démantèlement au profit des assurances privées (dans la ligne du rapport Chadelat, la Fédération française des sociétés d’assurances s’était déclarée en juin prête à prendre en charge une série de prestations), le projet de loi présenté par Mattei se limite à quelques “ mesures d’urgence ” : fiscalité accrue sur le tabac, augmentation du forfait hospitalier, deuxième vague de déremboursement des médicaments, diminution des prises en charge à 100 %, en particulier pour les affections de longue durée, projet de ticket modérateur pour l’aide médicale aux plus démunis, sans couverture sociale ou sans papiers ! A quoi s’ajoute la probable augmentation de la CSG après les élections régionales.
On trouvera plus loin une analyse de la façon dont la politique du gouvernement entend mener l’hôpital public vers la privatisation avec le plan “ Hôpital 2007 ”. Il est cependant intéressant de noter qu’en fin juillet était annoncée la fermeture de 25 à 30 % des lits pendant l’été afin de “ contenir les déficits financiers ”, en particulier au niveau des urgentistes (Le Monde du 30/7). Ajoutée à la diminution de l’allocation dépendance et des subventions aux maisons de retraites, c’est une certaine façon de prévoir la canicule…pour diminuer le nombre de retraités.
A la baisse du pouvoir d’achat des fonctionnaires (- 3,6 % depuis 2000), le gouvernement répond par le renvoi à une éventuelle décision en novembre pour une nouvelle “ cure d’austérité ”, voire une nouvelle “ année blanche ”.
Mais les salaires des fonctionnaires grèvent trop le budget de l’Etat. Il faut donc revoir leur nombre et leur rémunération. Raffarin a annoncé la couleur : ne remplacer qu’un départ en retraite sur deux, ce qui est appliqué strictement dès cette année entre autres au ministère des finances (2002 départs non remplacés) et le sera en 2004 chez les administratifs de l'Education nationale. Même s’il a renoncé à supprimer 30 000 postes d’un coup, le projet de loi de finances en prévoit “ près de 10 000 sur l’ensemble des ministères civils ” (Le Monde du 26/9).
Quant aux rémunérations, le ministre Delevoye en prévoit la refonte. Installation d’un “ observatoire ” (analogue au Conseil d’orientation des retraites) pour une réforme qui permette de “ responsabiliser les agents publics ”, et d’en finir avec un système selon lequel ils “ font principalement carrière à l’ancienneté (…) quelles que soient leurs performances ”. Il faut “ un changement culturel qui permettrait de favoriser le mérite ”. Un tel plan, que tous les fonctionnaires ont toujours refusé depuis l’instauration du statut de la Fonction publique en 1945, et qu’aucun gouvernement n’a tenté de mettre en œuvre, vise la destruction d’un acquis historique qui ne concerne pas seulement la rémunération des personnels, mais leurs garanties d’indépendance.
Le chômage atteint 9,6 % de la population active, et il grandit chaque jour : + 0,1 % entre juin et juillet, soit 25 900 chômeurs en plus ; + 5,7 % en un an, soit 130 000 et le nombre de chômeurs de longue durée a cru de 8 % dans le même temps, atteignant 716 000.
Entre autres causes, les faillites d’entreprises qui se multiplient. Au premier semestre, les faillites de grosses entreprises (+ de 15 Millions d’euros de chiffre d’affaire) ont battu le record de puis 10 ans, avec 82 dépôts de bilan, dont Air Lib, Métaleurop, Daewoo, Danone, Lu, Arcelor, GIAT, EADS, Yoplait, Singer, Tati… Au total plus de 16 000 emplois concernés. Toutes entreprises confondues, on enregistre une augmentation de 8 % par rapport à l’an passé, et 24 % par rapport au second semestre 2002. Quant à l’indemnisation des travailleurs licenciés pour cette raison, un décret paru au Journal officiel du 27 juillet, et pris à la demande du MEDEF, vient d’en abaisser le plafond de moitié : de 126 000 à 58 000 euros…
Nous n’égrènerons pas le détail des suppressions d’emplois annoncés ou en cours depuis la mi juin par d’autres entreprises qui ne sont pas en faillite, comme Scneider, Altadis, Peugeot, Atofina… Le Monde du 27-28 juillet en a publié la carte, pour un total de 9 421. On peut y ajouter des PME à Roanne, Perpignan, Epinal, Fumel, Rouen, Strasbourg, soit 1 053. Et encore 2 500 à 3 000 non-renouvellements de contrats annoncés chez Peugeot entre juillet et octobre ; et à Tatexpress, filiale de La Poste pour les colis, 479 (1/3 de l’effectif) ; et à la SNCF, le plan Starter qui pour trouver 10 Millions d’économies, après 1 273 suppressions au budget 2003, annonce 2 000 gels d’embauches.
Ces chiffres qui s’abattent sur la classe ouvrière sont le fruit des vices intrinsèques à l’économie capitaliste dont le gouvernement Raffarin est un serviteur zélé. A l’heure où il annonce “ une loi sur l’emploi ” avant Noël, et l’illustre par le projet de l’allongement de la durée du travail par la suppression d’un jour férié, au grand enthousiasme du baron Sellières qui y voit à juste raison une machine de guerre contre les conventions collectives, à l’heure ou Fillon estime “ qu’il faut revoir le Code du travail ”, c’est bien d’une politique d’ensemble qu’il s’agit, où patronat et gouvernement marchent la main dans la main contre les travailleurs.
Et contre les chômeurs, aidés de leurs complices syndicaux les plus directs, comme le prouvent les mesures suivantes : le “ Plan de retour à l’emploi ” (PARE) n’ayant pas donné les résultats escomptés dans l’expulsion des chômeurs de leurs droits à indemnité, un accord a été signé le 20 décembre 2002 entre le patronat et les syndicats CFDT, CFTC et CFE-CGC. Cet accord doit entraîner l’exclusion de 613 900 chômeurs du régime d’assurance-chômage en 2004, dont 150 à 180 000 perdront leurs allocations dès le 1° janvier. Mais ce n’est pas tout. Ces derniers basculent dans le “ bénéfice ” de l’Allocation spécifique de solidarité (ASS) dont le gouvernement vient précisément de diminuer de 40 % le montant (406 euros au lieu de 584) et d’en réduire le bénéfice à deux ans (alors qu’il était sans limite de durée) avant d’être remplacé par le RMI qui est maintenant à la charge des départements). Economies pour le budget de l’Etat : 150 Millions d’euros en 2004, 500 en 2005…
Cet automne doit passer à l’Assemblée nationale le projet de loi sur la décentralisation, sur laquelle on peut ici se borner à rappeler qu’elle est porteuse de démantèlement des cadres nationaux qui confèrent aux travailleurs de l’enseignement public leur unité de corps, facteur essentiel de leur force dans la défense de leurs intérêts, de ceux des jeunes et de l’enseignement public. Le mouvement de mai-juin a tout dit par ailleurs sur les conséquences de cette destruction pour les TOS, le recrutement local des “ assistants d’éducation ”, etc…
A l’université où la décentralisation est depuis longtemps engagée, la “ loi de modernisation universitaire ” en institue une nouvelle étape : globalisation du budget qui donne tout pouvoir à chaque Conseil d’université, par exemple sur les statuts et les rémunérations des personnels, renforce la course aux ressources propres et la concurrence entre universités ; statut permettant une gestion de type privé, la sélection, des droits d’inscription variables, l’introduction de représentants du patronat, un rôle renforcé des collectivités territoriales, en particulier des régions, en matière d’enseignement et de recherche ; ouverture aux établissements privés de la collation des grades et de la délivrance des diplômes… Quant aux effectifs enseignants, le projet de budget 2004 prévoit la suppression de 2 500 postes de professeurs stagiaires, de 1 500 professeurs titulaires, 1 000 agents administratifs, 9 000 surveillants. Les augmentations de crédit affichées s’appliqueront aux seuls matériels pédagogiques et à la gestion des rémunérations.
Il en va de même pour la recherche, où la hausse des crédits n’efface pas leur baisse catastrophique en 2003 (l’Etat n’a toujours pas versé la moitié de la subvention qu’il doit au CNRS pour 2002 : 172 Millions d’euros). Le gouvernement favorise également la recherche privée (1,2 Millions)… et la collecte de dons ! Quant aux personnels, 500 départs seront remplacés par des CDD.
Outre ces grands secteurs, il faudrait ajouter les fabuleux cadeaux en soutien aux grands patrons en difficulté et à leurs actionnaires : Crédit Lyonnais, Alstom… ; les projets de liquidation du monopole de l’ANPE, vers un retour aux “ bureaux de placement ” privés, donc payants ; la suppression de l'aide à l'amélioration des transports urbains; le projet d’un nouveau CDD dit “ de projet ” qui exonèrerait le patronat des contraintes de la législation du travail ; la mise en cause des “ privilèges exorbitants ” des fonctionnaires d’outre-mer, cause d’un surcoût de 2,2 Milliards d’euros ; les privatisations en cours ou prévues : Air France, EDF, Télécom, Aéroport de Paris, etc, etc…
Aussi bien par ces mesures immédiates que par ses intentions affichées, le gouvernement Chirac-Raffarin a montré dès les lendemains de l’affrontement de mai et juin qu’il entendait frapper dans toutes les directions, toutes les catégories : enseignants, fonctionnaires, travailleurs du privé, chômeurs, jeunes, malades, sans papiers… aussi rapidement et profondément qu’il le peut, de telle façon que ces mesures soient instaurées de façon durable, et survivent non seulement à son existence mais même éventuellement à celle de sa majorité.
Ce faisant, il prend évidemment quelques risques, masi il compte sur le concours de la CFDT et des dirigeants CGT, FO, FSU et autres pour lui faciliter le travail. De toute façon, la situation de crise économique le lui impose : c’est maintenant ou jamais.
Le 26 septembre, Pierre AUTRIVES.