Le texte ci dessous a pour origine une réunion du cercle pour le P.O.R. qu’animent régulièrement nos camarades de Lyon. Il témoigne de la réflexion qu’il est possible d’engager, y compris avec des jeunes qui n’ont pas été amenés à participer au mouvement de mai-juin derniers mais qui s’interrogent sur celui ci, sur ses suites et sur les conditions de la victoire ouvrière.
Il y a un an à peine, Chirac, candidat soutenu par le Médef était réélu, malgré une chute sensible de ses voix au premier tour, avec le soutien de la quasi totalité des organisations ouvrières, partis et syndicats, au nom de la défense des valeurs républicaines contre un prétendu danger fasciste incarné par Le Pen.
En réalité, il s’agissait pour leurs dirigeants d’interdire à la classe ouvrière et à la jeunesse dont le vote venait de sceller la défaite du gouvernement Jospin, de se regrouper sur leur terrain de classe, avec le mot d’ordre « Ni Chirac - Ni Le Pen ! » et d’exiger un gouvernement à leur service et non au service des intérêts capitalistes.
A la suite, une crise politique majeure étant ainsi évitée, une large majorité de députés UMP était élue à l’Assemblée nationale et immédiatement le nouveau gouvernement mettait en chantier une des plus vastes offensive connue contre les travailleurs et leurs conquêtes : réforme de l’Etat, réforme des retraites, décentralisation, réforme de l’hôpital public, mesures contre la Sécurité sociale, lois sécuritaires…
Tout semblait aller pour le mieux pour le gouvernement : sur la décentralisation, PS, PCF et syndicats participaient au nom de la défense du service public aux Assises pour les libertés locales mises en place par le gouvernement pour préparer la réforme constitutionnelle et les transferts de personnels. Aucun n’exigeait le retrait du projet. Sur les retraites, toutes les directions syndicales s’engageaient dans la négociation, reprenant à leur compte l’exigence d’une réforme, alors même que le système capitaliste en crise ne peut avoir d’autre objectif que de liquider les acquis ouvriers, alors même que le gouvernement avait dès le départ clairement indiqué qu’il s’agissait d’aligner les fonctionnaires sur les 40 annuités du privé et d’allonger la durée de cotisation pour tous. Aucun n’exigeait le retrait du projet Fillon. Mieux : à EDF GDF, dont le gouvernement voulait faire un modèle pour la « réforme » des retraites, la négociation aboutissait à la remise en cause du statut et du régime spécial de retraite et la direction de la CGT, majoritaire, appelait par référendum à l’approuver. Pourtant tout n’allait déjà plus pour le mieux et les premières grèves éclataient dans l’Education nationale avant les vacances de Pâques, comme en Seine Saint-Denis. A la Réunion, la grève générale de la Fonction publique s’imposait.
Tout semblait aller pour le mieux, mais les travailleurs d’EDF GDF votaient non, signifiant ainsi, au nom de toute la classe ouvrière, aux directions syndicales : « contre le gouvernement, défense des statuts, pas touche à nos régimes de retraites ! »
Le 13 mai, la grève est massive dans toute la Fonction publique et les manifestations, auxquelles se joignent des délégations de travailleurs du privé, sont imposantes. Le mot d’ordre « 37.5 annuités pour tous » est le plus largement repris, malgré la position qui vient d’être prise par le congrès de la CGT refusant de défendre le maintien inconditionnel des 37.5 annuités dans le public. Le soir du 13, le gouvernement indique sa volonté d’aboutir sur le plan Fillon et la décentralisation. Dès lors, la question de la grève générale pour faire céder le gouvernement sur des mots d’ordre unifiant tous les salariés, « retrait du plan Fillon, retrait des lois et mesures de décentralisation » était ouvertement posée et allait gagner peu à peu la conscience de dizaines de milliers de travailleurs cherchant à imposer le retrait des projets gouvernementaux.
C’est contre cette volonté que vont s’acharner les dirigeants des organisations syndicales, alors que, très nombreux, des appels, fax, courriers électroniques d’assemblées générales, de sections syndicales leurs demandent d’appeler à la grève générale. Marc Blondel résume : « La grève générale est un mot d’ordre insurrectionnel », pas question d’y appeler, Bernard Thibault déclare : « La grève générale ne se décrète pas » et refuse d’y appeler, tout comme Gérard Aschieri pour la FSU. Alors que la mobilisation est la plus forte dans l’Education nationale, la direction de la FSU le 26 mai se « prononce pour une grève générale reconductible interprofessionnelle », mais évite soigneusement de commencer par appeler elle-même à la grève générale dans son secteur !
Au contraire, dans les AG, les dirigeants syndicaux, aidés par les militants du PCF, PS, LO, LCR, PT, s’opposent ouvertement à l’exigence : « dirigeants des syndicats, appelez immédiatement à la grève générale » et défendent la grève reconductible « partout où c’est possible », expliquant que les conditions ne sont pas réunies, que la base n’est pas prête, qu’elle est assez grande pour décider toute seule sans en appeler aux directions nationales, que la grève générale ne se décrète pas en appuyant sur un bouton etc…Autrement dit, au plus fort de la mobilisation, alors que la combativité et l’exigence de centralisation du mouvement permettent d’envisager la défaite du gouvernement, les directions syndicales se dressent pour le défendre, cherchant à tout prix à éviter la centralisation politique du mouvement dans la grève générale contre le gouvernement, laissant à chaque AG le soin de décider quoi faire au jour le jour, comme s’il n’était pas du rôle et du devoir des syndicats, construits par les travailleurs, de réaliser cette centralisation ! Mais pendant que les AG cherchaient les moyens de surmonter les obstacles à la grève générale, les directions syndicales nationales organisaient scientifiquement le sabotage en multipliant les journées d’action, en faisant reprendre les grévistes à la RATP au lendemain du 13 mai, en différant d’une semaine l’appel à la grève à la SNCF, en continuant à négocier avec le gouvernement, lui permettant de manœuvrer alors qu’il n’y avait rien à négocier et que les centaines de milliers de manifestants scandaient « retrait du plan Fillon, aucun transfert de personnels, grève générale ».
Et lorsque enfin, malgré la détermination des grévistes, le mouvement reflue et que semblent liquidées les possibilités de la grève générale, Marc Blondel alors se « prononce », sans y appeler, « pour une grève générale interprofessionnelle », façon de se racheter une virginité et surtout de tenter de démontrer que la grève générale était impossible !
De la même manière, les dirigeants syndicaux ont empêché que soit organisée une manifestation centrale à l’Assemblée nationale pour lui interdire de voter le projet Fillon. Lors de la manifestation du 12 juin à Paris, des milliers de manifestants, qui n’avaient rien de casseurs comme on a tenté de le faire croire, se dirigent spontanément vers l’Assemblée nationale qui a commencé la discussion du texte. C’est le service d’ordre de la CGT qui les repousse et permet ensuite la provocation policière !
Il faut, pour l’avenir, tirer le bilan de ces semaines de lutte.
A l’issue de ce combat, le gouvernement Chirac remporte une victoire. Un an plus tôt cependant, c’était aussi pour Chirac une victoire indéniable. Néanmoins, malgré la campagne de mystification subie par la classe ouvrière et les jeunes, s’étaient manifestés les signes annonciateurs des combats de grande ampleur. Les combats pressentis se sont engagés. Ils ne se sont pas conclu par une victoire.
Cependant, les travailleurs et en premier lieu les enseignants ont fait l’expérience à la fois de leur force spontanée et de ses difficultés et de ses limites. Ils ont fait l’expérience de la contradiction entre leur volonté de défaire le gouvernement et la politique des dirigeants syndicaux et des partis se réclamant des salariés, qui l’ont protégé, et sans doute sauvé, contre eux.
Sans pouvoir prédire de délais, de nouveaux combats sont inévitables, car le capitalisme pour se survivre n’a de cesse d’attaquer de tous côtés la classe ouvrière et la jeunesse. Poussée à aller de l’avant par la crainte qu’une crise économique majeure n’éclate, à nouveau comme expression de l’impasse du système capitaliste, la bourgeoisie française comme les autres bourgeoisies, n’a d’autre voie, pour tenter de maintenir son taux de profit, pour défendre ses parts de marché quand le marché se rétrécit et la concurrence s’aiguise, que de diminuer les salaires réels, organiser les licenciements, liquider les acquis arrachés par le prolétariat comme la Sécurité Sociale ou les retraites. Il lui faut détruire tout ce qui est un frein à l’exploitation, les statuts et les conventions collectives, généraliser la précarité et la flexibilité, en finir avec les diplômes nationaux et leurs corollaires, la reconnaissance d’un niveau de qualification pour y substituer la validation de compétences individuelles subordonnées aux besoins immédiats du capitalisme.
Pour se survivre, la bourgeoisie doit passer au crible de la rentabilité toutes les couches de la société, toutes les activités de la société : ouvriers, fonctionnaires, étudiants, services de santé et jusqu’aux intermittents du spectacle ou aux archéologues ! La tâche de l’heure est de préparer les nouvelles batailles, de s’y préparer.
Il s’agit de partir de l’expérience acquise pour surmonter les obstacles dressés par les appareils syndicaux. Les traditions ouvrières que ceux-ci s’efforcent d’étouffer peuvent le permettre : c’est le contrôle du mouvement par les travailleurs organisés, à tous les niveaux, en Comités de grèves élus, intégrant les responsables syndicaux, et leur imposant, jusqu’au Comité Central de grève, de jouer le rôle qui doit être le leur, pour la défense des travailleurs.
Mais l’expérience montre également qu’à elle seule même la grève générale ne peut résoudre la question principale : celle du gouvernement. Car si l’objectif reste d’en finir avec le gouvernement Chirac-Raffarin et d’abroger toutes ses mesures anti-ouvrières, seul peut avancer dans cette voie le combat pour un gouvernement des organisations ouvrières unies (partis et syndicats) imposé par la mobilisation des travailleurs qui exigeront qu’il s’attaque au capitalisme.
Dans ces combat, pour vaincre le gouvernement, pour aider le mouvement à submerger les obstacles des vieilles directions ouvrières qui lui sont liées, la construction d’un Parti ouvrier révolutionnaire est une nécessité vitale. Pour y réussir, il est indispensable de s’organiser. C’est à cette tâche que nous entendons contribuer. Nous appelons tous les lecteurs de ce bilan à en discuter.
Lyon, 16 juillet - 30 août 2003.