Tendance pour le redressement du Comité

Plateforme de tendance

I° Partie

A l’origine du Comité

Le Comité a été créé en 1984 par des militants exclus du PCI où ils constituaient, avec Stéphane Just un obstacle à la marche révisionniste de la direction pour la liquidation de toute organisation trotskyste en France.

Le Comité s’est construit sur la ligne du redressement politique et organisationnel du PCI, dont l’évolution liquidatrice n’était pas achevée, et sur l’hypothèse que cette évolution pouvait encore se heurter à l’opposition d’une fraction notable de militants.

Ce combat a échoué. En 1987, la VIIème Conférence constatait que la politique de la direction lambertiste avait détruit cette possibilité, scellant la disparition du PCI comme force politique intervenant sous son propre sigle dans la lutte de classes et le subordonnant à un futur « Parti des Travailleurs » sans programme. La Conférence estimait le moment venu de réaffirmer dans son titre que l’objectif du Comité était la construction du Parti Ouvrier Révolutionnaire (sans pour autant cesser toute intervention vers les miitants du PCI PT pour les détacher de leur direction).

Cinq ans plus tard, en novembre 1991, ce furent les possibilités de redressement sur le plan international et la perspective de reconstruction de la IVème Internationale qui durent être abandonnés, à la suite de l’alignement du PCI et de IVème Internationale CIR sur les staliniens et pacifistes de tout poil lors de la guerre contre l’Irak. Le Comité prit alors son sigle actuel, pour la construction conjointe du Parti Ouvrier Révolutionnaire et de l’Internationale Ouvrière Révolutionnaire. Il devenait alors la seule organisation susceptible d’assurer en France la continuité du trotskisme, malgré sa faiblesse numérique, et celle de son écho dans la classe ouvrière et la jeunesse.

Dès les premières réunions du Comité, celui-ci précisait en quoi consistait le « redressement » qui pouvait sauver le PCI, redressement sur deux terrains conjugués, politique et organisationnel, se répercutant sur le Comité lui-même.

Redressement politique

Sur le premier, le Comité et Stéphane en particulier ont, dès la première brochure « Où en est et où va la direction du PCI ? » et par la suite jusqu’en 1991 et au-delà, analysé et dénoncé toutes les manifestations concrètes de la politique du PCI puis du PT, depuis les « réformes nécessaires » et la couverture « gauche » du gouvernement d’Union de la Gauche, la « ligne de la démocratie » substituée à celle de la lutte des classes, l’abandon de la tactique du Front Unique et la subordination à l’appareil de FO, le renoncement à la construction d’un Parti ouvrier révolutionnaire et au programme d’action que cela implique, etc… jusqu’à la trahison de l’internationalisme prolétarien.

Toutes ces positions traduisaient fondamentalement le renoncement au combat pour la prise du pouvoir, renoncement qui se concentrait à chaque moment dans le refus de poser la question du gouvernement.

En même temps, de façon progressive furent rectifiées un certain nombre de positions politiques et de formulations erronées ou confuses. Par exemple :

La liste n’est pas close. Ce qui importe, c’est l’importance du travail effectué, non seulement concernant le redressement politique du PCI lorsqu’il était théoriquement encore possible, mais également pour passer au crible l’héritage que les militants du Comité en ont reçu sous l’égide de Lambert afin d’éviter que des idées reçues ne passent pour de sacro-saintes traditions.

A cet égard, la seconde brochure, « Comment le révisionnisme s’est emparé de la direction du PCI », malgré son caractère souvent lapidaire, est un outil irremplaçable.

Redressement organisationnel du PCI et constitution du Comité comme organisation

Il ne l’est pas moins concernant la perspective de redressement organisationnel du PCI, en montrant comment les méthodes de fonctionnement de celui-ci, en relation avec sa ligne opportuniste puis révisionniste, appliquaient une conception d’appareil héritée du stalinisme.

Dénonçant comme tel les procédés utilisés contre les opposants pour fausser ou interdire la discussion, Stéphane écrit dans « Où en est et où va la direction du PCI ? » :

« Il règne dans le PCI une conception du « centralisme démocratique » que la direction a imposée et qui n’a rien à voir avec ce qui se passait dans le parti bolchevique. Elle procède directement de son interprétation par les staliniens. » (p. 17)

Et p. 13 :

« Une expérience de 38 ans m’en a convaincu : on ne construira pas un authentique parti révolutionnaire avec ce mode de fonctionnement. »

C’est sur la base de la critique ainsi développée dans ces deux brochures que furent définies, dans les documents de la première conférence, les bases principielles et les normes de fonctionnement du Comité.

Ainsi, le rapport politique préparatoire pour cette Conférence traite t il des conditions de direction, de discussion, de recrutement, du droit de tendance, et des garde-fous indispensables, l’essentiel étant formalisé ensuite dans le « règlement intérieur » inspiré des anciens statuts de l’OCI.

Ces documents gardent toute leur valeur et toute leur actualité, bien que le Comité National ait choisi depuis d’en fouler aux pieds la lettre et l’esprit. Ils expriment non seulement la continuité politique du trotskisme, mais sa continuité ²organisationnelle² c’est-à-dire son intervention dans la lutte de classes sous la forme d’une organisation structurée et centralisée.

La direction actuelle, interprétant abusivement une phrase de « Nouvelle perspective » a nié cette continuité organisationnelle. Si l’on entend par là que les forces militantes et matérielles du Comité étaient et restent sans commune mesure avec celles du PCI (et à plus forte raison celles de l’organisation internationale pour la reconstruction de la IVème Internationale), c’est une évidence. Mais c’est oublier qu’après l ‘exclusion en 1952 de la section française de la IVème Internationale par les pablistes, et malgré la constitution du Comité International en 1953, le PCI qui comptait alors 200 membres ne comptait plus en 1958, réduit au « groupe Lambert », que 52 adhérents. Comment celui ci aurait-il pu reconstruire quoi que ce soit en France et internationalement s’il n’avait pas eu d’une part la sagesse de ne pas se prendre pour le parti à construire, mais en même temps la volonté de continuer organisationnellement le combat pour ce faire ?

Comme lui à cette époque, le Comité a perdu des militants et en a gagné de nouveaux, la plupart issus du PCI, mais sans réussir cette fois à franchir le seuil qui aurait modifié qualitativement son implantation et ses capacités d’intervention et de contacts internationaux.

Il n’en a pas moins répondu, à la mesure de ses moyens, sous la direction politique de Stéphane Just, aux tâches qui étaient les siennes :

On pourrait sans doute relever des insuffisances ou des lacunes, mais compte tenu des possibilités militantes, on peut affirmer que le cap a été maintenu. Il suffit pour s’en convaincre de parcourir la collection de CPS jusqu’en 1997, ses suppléments (enseignement, RATP, métallurgie, Fonction Publique, Hôpitaux…) et les documents des neuf premières conférences, ainsi que les publications de la tendance syndicale dans l’enseignement : TSU, puis « Lettre de liaison ».

Toutes les difficultés politiques n’ont pas été levées pour autant. La crise de 1997 lors de la Xème conférence, soldée par l’éclatement de l’organisation, en a été le témoignage.

La crise de 1997 - 1998

Nous ne reprendrons pas ici l’histoire de la crise, mais seulement, au-delà des péripéties et des affrontements [1], les éléments significatifs des questions d’orientation politique qui y furent posées.

La première, chronologiquement, fut la mise en cause défaitiste de la continuité du Comité. Sous prétexte de la mort de Stéphane Just et de « ne pas se prendre pour ce qu’on n’est pas », le Comité « décapité » ne pouvait plus être le même Comité, ni CPS le même CPS. Surtout, il ne pouvait être question de lui donner l’objectif de se développer et de se construire, comme l’avait proposé Serre en adjonction au rapport de Lombard préparatoire à la Xème Conférence [2].

Une telle position poussait le défaitisme organisationnel jusqu’à la négation du combat engagé sur ce plan depuis 1984 par Stéphane dans la voie de la construction du POR. Elle ne pouvait aboutir qu’au repli sur un cercle de « réflexion » (voir Carré Rouge) ou sur une secte idéologique.

Rappelons ce qu’en a conclu la XIème Conférence, en avril 1998 :

« Dans la situation politique actuelle, telle qu’elle est définie à l’échelle internationale par le document « Une Nouvelle Perspective » et, pour la situation française ouverte le 1er juin, telle qu’elle est définie par les documents préparatoires à cette Conférence, il est possible de renforcer le Comité. C’est cette nécessité et cette possibilité qui ont été niées quand Picaret a combattu pour que soit retiré du document préparatoire à la Xème Conférence le développement sur la construction du Comité qui concluait ce document. C’est cette nécessité et cette possibilité qui fut réaffirmée par l’adoption, le 15 octobre par le CN, de la résolution complémentaire au rapport préparatoire à la Xème Conférence » (supplément à CPS 72, p.9)

Cette question n’avait rien de formel. Assurer la continuité et la construction du Comité sur les bases organisationnelles du trotskisme, c’était assurer sa continuité politique.

Derrière les considérations sur l’avenir du Comité se cachait une divergence de fond sur l’analyse des rapports de classes. La XIème Conférence l’analysait en ces termes :

«  Toutes les analyses produites sont marquées d’un pessimisme profond, dont témoignent les formules utilisées par Hannibal à la fin de la précédente Conférence « ça ne bouge pas ! On en prend plein la gueule ! » (et quand « ça bouge », les travailleurs sont «  floués, bernés, trompés… »)(…)
Toute appréciation est cadrée par la lecture faite avec des lunettes noires du document « Nouvelle Perspective ». De l’ensemble des conclusions, ils ne retiennent que le désarroi politique de la classe ouvrière – leur « Nouvelle Perspective », c’est l’absence de perspective, en attendant «  l’effondrement » de l’économie capitaliste… C’est là une appréciation non marxiste, anti-dialectique de la situation réelle » (id. p.4)

et plus loin :

«  Aujourd’hui, il est remarquable que les membres de la clique Massino, comme les militants influencés par cette clique, ont une lecture unilatérale du document « Nouvelle Perspective » : ils ne voient plus qu’une seule dimension, la défaite historique (…)
Tout se passe comme si ceux-là même qui avaient d’abord voulu fermer les yeux face à la réalité étaient aujourd’hui comme « assommés » par la conscience de cette défaite et ne voyaient plus qu’elle (…) »

avec cette conclusion :

« Ce qui apparaît, c’est l’incapacité à distinguer les aspects combinés dans une situation, ce que pourtant les conclusions de « Nouvelle Perspective » s’évertuent à faire » (id. p.7)
« Les concessions formelles admises rapidement dans certains textes (majorité « relative », gouvernement « de type Front Populaire ») ne peuvent masquer l’essentiel : c’est le prolétariat qui est nié, son aspiration à en finir avec la politique anti-ouvrière.
C’est pourquoi l’exigence d’un « gouvernement PS-PCF sans ministre bourgeois » est avancée de manière purement formelle, en dehors de l’espace et du temps : ce qui rend aujourd’hui ce mot d’ordre directement saisissable pour les masses – l’existence d’une majorité PS-PCF à l’Assemblée nationale – est systématiquement mis de côté. Est ainsi retiré à la classe ouvrière le point d’appui qu’elle a elle-même mis en place (…)
Cette manière de banaliser les mots d’ordre, de nier l’existence d’une majorité PS-PCF, constitue une adaptation flagrante à la politique des appareils » (id. p.4)

Des traits particuliers en découlent inévitablement :

« De manière générale, l’analyse qu’ils font de la lutte des classes, des rapports entre les classes se réduit à l’observation superficielle de la politique des appareils, des partis, des superstructures… » (id. p.4)
« Une politique de « dénonciation » des appareils tend de plus en plus à se substituer à une véritable politique de Front unique, il y a refus du combat réel pour le Front Unique » (…) et « la combinaison de cette propension à la « dénonciation » avec l’attente de mouvements de classe et d’organisations « pures ». » (id. p.4-5).

Mais surtout en découle un abandon de la méthode du programme de transition, avec la séparation de la « lutte économique »  et de la « lutte politique » :

« D'un côté, la nécessité « d’ouvrir une alternative gouvernementale, de poser la question du pouvoir » et de l'autre la possibilité de « lever les obstacles les plus immédiatement saisissables pour le prolétariat ».(…) (cela) signifie que certes la question du pouvoir est une nécessité, mais qu’elle n’est pas « immédiatement saisissable » par le prolétariat comme le serait la question de la rupture des organisations syndicales avec la bourgeoisie, avec le gouvernement, l’exigence qu’ils appellent à la grève générale…
De fait, on instaure une hiérarchie : en premier lieu la lutte économique préhensible « immédiatement » par les masses et sur cette base (et si les masses se mobilisent) la lutte politique. Cela revient surtout à soumettre à la mobilisation des masses l’agitation inlassable que doit mener le Comité sur la question du pouvoir, et sa formulation concrète (arithmétique) correspondant à la situation actuelle (…)
En procédant « par étapes », c’est toute la stratégie du gouvernement ouvrier et la tactique du Front unique qui lui est organiquement liée comme méthode de construction du POR qui est niée au profit de ce qui ressemble à la « vieille stratégie » celle qui dissociait « le programme minimum » du « programme maximum ». » (id. p.16-17).

A Hannibal qui écrit :

« Cette revendication d’un gouvernement PS-PCF sans représentant de la bourgeoisie est une revendication transitoire qui couronne l’ensemble des revendications » (amendement 5).

La XIème Conférence répond :

« Couronner signifie parfaire, compléter, achever, mener jusqu’à son terme. C’est prendre les problèmes à l’envers. C’est dans la lutte pour la satisfaction de chaque revendication que la classe ouvrière et la jeunesse se heurtent aujourd’hui à la question du pouvoir. C’est cela qui fait de la question du gouvernement une revendication centrale, non celle qui s’ajoute aux autres, à leur sommet, qui serait atteint par étape, mais celle qui en quelque sorte les imprègne toutes » (id. p.13)

Elle précise également :

«  A bas Chirac !
A bas la Vème République !
Pour un gouvernement du PS et du PCF sans ministre membre de partis bourgeois » (…)
(Ces mots d’ordre)  «  donnent une perspective politique immédiatement préhensibles par les masses. Ces mots d’ordre qui découlent des rapports objectifs réels issus du 1er juin restent des mots d’ordre agitatifs (et ce indépendamment du fait que les masses engagent ou non de grands combats de classe) tant que ces rapports entre les classes subsistent. ». (id. p.10)

Elle conclut qu’à l’opposé

« L’orientation de Massino aboutit à l’impasse totale pour les masses : « arracher le retrait du projet de loi exige… que les masses imposent la mise en place d’un gouvernement PS-PCF sans représentant d’organisations bourgeoises » (CPS 70, article 35 heures) et développe la confusion politique qui mène à la liquidation des acquis du Comité » (id. p.20).

et rappelle la nécessité, occultée par Hannibal et ses amendements, de mener «  une agitation inlassable autour des revendications transitoires qui devraient à notre avis constituer le programme du « gouvernement ouvrier et paysan » (Programme de transition) ».

De telles divergences pouvaient-elles être surmontées dans un cadre commun ?

Il est certain que parmi les faiblesses du Comité, l'assimilation insuffisante de la dialectique et de la méthode des revendications transitoires (en particulier dans l'animation du secteur étudiant) a pesé lourdement. Elles n'auraient pu l'être, de toutes façons, que par un débat politique mené honnêtement, ce qui ne fut pas le cas. Le Comité en sortit amputé numériquement. Mais sur le plan politique, on pouvait croire que ses acquis et sa continuité organisationnelle étaient préservés et que les problèmes posés étaient réglés. Ce n'était malheureusement pas le cas non plus.

En effet, il n’est pratiquement aucune des critiques faites ci-dessus à la ligne Hannibal-Massino qui ne puisse s’appliquer au cours suivi par le CN à partir du début 2000, cours qui s’est affirmé progressivement et a suscité une nouvelle crise dont le Comité n’est toujours pas sorti trois ans après.

La deuxième crise du Comité

Le point de départ en est d’une importance capitale : ce fut le rapport de Mélusine sur la situation internationale, prévu pour la XIIème Conférence, et spécialement sa première partie. Titré « Retour et précisions sur Une nouvelle perspective », il examinait de façon approfondie les conditions du rétablissement du capitalisme en URSS et à l’Est de l’Europe, les rapports de classe qui l’ont permis, nationalement et internationalement, la question de la révolution politique et la position des trotskistes à chaque étape de ces développements. L’analyse de la situation présente en prolongeait et actualisait les conclusions.

Un tel examen était parfaitement justifié. L’interprétation défaitiste de « Nouvelle Perspective » avait été au cœur de la crise précédente et seul un solide armement théorique permettait aux membres du Comité d’en comprendre les racines et d’éviter toute rechute. Un tel rapport justifiait un examen sérieux au CN d’abord, à la XIIème Conférence ensuite, et éventuellement au-delà. Ce ne fut pas le cas. Cette question fut au contraire le révélateur d’une incapacité de la majorité du CN de répondre à ses responsabilités, et de nouveaux dangers pour le Comité tant au plan des méthodes de direction qu’à celui de la ligne politique sous-jacente.

La direction, plongée dans un embarras manifeste, adopta d’abord la publication du rapport et sa discussion à la Conférence, sans vote. Puis annula cette décision (après transmission du rapport aux cellules !), en bidouillant de façon aussi improvisée qu’infaisable, quatre axes pour une future discussion. Et tout débat sur la situation internationale fut supprimé à la XIIème Conférence de novembre 1999. On promettait néanmoins une Conférence extraordinaire « dans des délais brefs ». Tout cela sans que le contenu du rapport soit véritablement discuté au CN. Tout ce que les délégués en surent, c’est qu’il contenait « des aspects problématiques ».

Les arguments invoqués pour annuler cette discussion – c’est à dire pour son interdiction dans les cellules – concernaient tous le fonctionnement du Comité et du CN « l’unité » de celui-ci, son manque de temps pour se présenter « au carré » à la Conférence sur ces problèmes, « les traditions », le danger d’une « discussion non maîtrisée »… En fait le seul objectif était : repousser à tout prix la discussion d’un texte gênant auquel la direction était incapable de répondre politiquement, comme elle l’était de justifier son refus de revenir à sa décision initiale (discussion sans vote, poursuivie après la Conférence et conclue à la suivante).

L’importance donnée, dans ces artifices manœuvriers, à la crainte d’une discussion « non maîtrisée » doit être soulignée. Elle était le corollaire de maintes appréciations sur la faiblesse du Comité, « en danger », « forteresse assiégée », « en survie », etc… que n’auraient pas reniées Hannibal-Massino. En réalité, ce n’était pas tant la discussion que la majorité du CN craignait de ne pas maîtriser, mais les militants. La conception (dialectique) de leur armement et de l’élaboration à travers la discussion laissait place à une autre : l’approbation de « la tête » qui dirige par la base qui doit approuver. Autrement dit une conception des rapports politiques internes héritée de la caricature lambertiste du bolchevisme, ce qui ne fut pas immédiatement perceptible mais que révéla la suite de la crise que la majorité du CN venait de prendre la responsabilité de déclencher.

Il fallut attendre huit mois après la Conférence de novembre 1999 pour savoir ce que la direction avait « omis » de dire à celle-ci, c’est-à-dire ce qu’elle pensait réellement du rapport de Mélusine.

Les seules bribes de critiques politiques entendues auparavant étaient qu’on n’avait pas besoin de « savoir si le rétablissement du capitalisme en Russie s’était effectué à telle ou telle date » (sic) ; que Nouvelle Perspective était « un texte abouti » et qu’il n’y avait pas à y revenir, que le texte de Mélusine, avec ses retours historiques et théoriques ne répondait pas à « nos besoins d’activité pratique » de construction ; et surtout que son axe n’était pas la construction du POR (ce qui était notoirement faux) ou plus exactement « qu’il ne partait pas du point de vue de la construction du POR ».

Cette dernière assertion était indubitable. Son texte partait en effet de l’analyse marxiste des conditions objectives et subjectives de la défaite que constitue la disparition de l’URSS, pour aboutir et conclure, plus que jamais, au besoin absolu de construire ce qui précisément a manqué, à savoir la direction révolutionnaire, nationalement et internationalement. Il suivait strictement en cela la méthode même de Nouvelle Perspective. A cet armement marxiste, on opposait déjà verbalement, sans que la Conférence soit à même d’en discuter, la conception idéologique qui devait servir d’axe en novembre 2000 au rapport international de Lombard : partir d’un « point de vue » a priori et lui conformer la réalité.

Mais pour y parvenir, il fallait écarter définitivement le rapport de Mélusine. Or, personne jusqu’ici ne l’avait apprécié comme faux et inamendable. Ce fut l’objet du texte du 17 juin « De quel rapport international avons-nous besoin ? ». Les militants y apprenaient brutalement que Mélusine avait voulu présenter au Comité un texte politique :

Il avait fallu tout ce temps à la majorité du CN pour mettre au point ces « découvertes » et quelques autres dont elle n’avait pas cru devoir alerter les délégués. Les « aspects problématiques » se muaient tout à coup en révisionnisme (dont l’auteur avait été réélu au CN sans objection !)

Bien entendu, tout cela était faux, ce qui fut démontré point par point par Amadis et Serre, sans qu’aucun démenti ne leur ait jamais été apporté.

Quel était donc le contenu du projet de Mélusine pour susciter un tel effort ?

Ceux qui sont « tombés du wagon de pommes » en 1996 ont du mal à comprendre que pendant treize ans de direction du Comité, Stéphane ne cultivait ainsi aucune illusion ni sur les conditions du combat, ni sur ses échéances, et pour autant n’a jamais sombré dans le pessimisme et le défaitisme. Le rappel qu’en faisait le rapport de Mélusine était inacceptable pour qui, cédant à son tour à l’impressionnisme, était en train de chausser les « lunettes noires » de Massino.

Ces divergences auraient-elles pu être débattues et traitées autrement que dans une atmosphère de crise ? Oui, en ouvrant la discussion franchement et honnêtement, pour faire avancer tout le Comité et sans vouloir écraser à tout prix l’adversaire. Ce ne fut pas plus le cas qu’en 1997. Mais cette fois, c’est la direction Lombard Neuvial qui reprit à son compte les méthodes reprochées alors à Hannibal-Massino, en particulier le refus de rouvrir la discussion après la Conférence en application des statuts [5] et les mesures « administratives » de direction chères à Elido. Mais avant même la Conférence de novembre 2000, elle s’employa à fausser la discussion.

Non seulement la réponse du CN a dû triturer le texte de Mélusine pour lui faire dire autre chose, y compris le contraire de ce qu’il disait, mais parallèlement s’est développée au sein du CN une atmosphère de « guerre de tranchées » qui ne le cédait en rien à celle de la Xème Conférence et de la cohabitation au CN avec Hannibal et Picaret en 1997. Elle empoisonnait également les cellules de Lyon. L’ « activisme » agitatif des camarades de Saint-Etienne auprès des routiers en 1997 revint dans le collimateur après avoir subi à l’époque un procès de la part d’Hannibal. Il en fut de même à propos du mouvement des lycéens. Dans chaque cas Mélusine en était responsable. Quand le 29 mars 2000, il mit en question dans ses « Notes d’urgence » les oscillations de la ligne pendant le mouvement de février-mars et l’appréciation de la situation politique, le CN répondit le 15 avril qu’il véhiculait « un point de vue politique qu’il faut éradiquer ». Le 17 juin, Mélusine donna sa démission. Seul Serre demanda que le CN la refuse (et donc reprenne le problème sur d’autres bases) [6].

La façon dont la direction du Comité avait abouti à ce résultat n’avait rien à envier aux méthodes que les mêmes camarades reprochaient à Hannibal-Massino. Elle annonçait la manière dont fut rejeté par la suite notre appel à tendance, au mépris du règlement intérieur, et la discussion étouffée depuis la dernière Conférence. La dérive était enclenchée.

Ce n’est pas un problème « de méthode » :

Personne ne peut empêcher qui que ce soit de « mordre le trait » dans une polémique, de déformer soit par incompréhension soit par mauvaise foi ce qu’un autre camarade a écrit. Mais, lorsque ce débordement est le fait d’une direction, ou approuvé par elle, comme ce fut le cas pour la réponse aux « Notes d’urgence » de Mélusine ou « l’analyse » de son projet de rapport international, ou la réponse à l’appel à tendance, réponse qui a entraîné la démission du CN du camarade Serre, alors il ne s’agit pas de dérapages, mais d’une politique. C’est celle-là même que Stéphane caractérisait, de la part de la direction du PCI comme héritée de l’appareil stalinien, et que l’on peut dire ici héritée du mini-appareil lambertiste. A elle seule elle justifiait le regroupement des camarades qui ne l’acceptaient pas.

Cette question renvoie inévitablement à : quelle organisation voulons-nous construire ? Question qui sera abordée à la fin de ce texte.


Notes

1 Cela ne signifie pas qu’ils soient sans importance politique. Il suffit de rappeler à cet égard le texte de Neuvial : « En défense du Comité, contre la scission, pour une Conférence de réunification », et celui de Serre, en réponse, tous deux publiés dans le B.I. n°1 de mars 1998.

2 et également Stéphane, au CN du 3 mai en définissant les perspectives d’organisation pour la période électorale : vote PC-PS – revendications transitoires – à bas la participation – vers le gouvernement ouvrier et paysan – recruter au Comitéélargir la vente de CPS.

3 Picaret disait, lui, « sans Stéphane », mais c’est la même conception.

4 Mélusine aurait même pu remonter au 27 août 1984, où Stéphane écrivait : « Mais la nécessité impérieuse de disposer de nouveaux moyens politiques l’emportera. Ce que seront ces moyens politiques n’est pas donné à l’avance, car cela se fera dans la pire des confusions, vraisemblablement pas d’un seul coup, au prix de contradictions, de flux et de reflux et sur une longue période. En tout cas, en agissant ainsi que nous allons le faire, nous aiderons ce processus à se développer, nous nous y insérerons. Non, décidément, nous ne recommençons pas à zéro. Nous poursuivons, selon des conditions données, à un moment donné, le combat séculaire du prolétariat pour se doter des moyens de son émancipation ». (Derniers paragraphes de la brochure « Comment le révisionnisme s’est emparé de la direction du PCI »).

5 Pour mémoire, rappelons que ce fut sur la base d’un appel à tendance de Lombard, Mélusine, Jean Louis et Serre que fut convoquée la XIème Conférence, comme « Conférence ouverte sans préalable » (adresse du 31 janvier 98 à tous les militants).

6 Que Mélusine ait depuis choisi de « rentrer dans le rang » ne change rien à notre approbation de ses positions jusqu’à cette date.