Tendance pour le redressement du Comité
La simultanéité entre les dérives organisationnelles et les dérapages politiques est remarquable.
Entre l'éclatement de 1997 et la montée du mouvement de février-mars 2000, la ligne et les mots d'ordre exprimés par les publications du Comité ont été corrects et en accord dans la pratique avec les critiques faites à Hannibal-Massino. Il en est de même pour la perspective de renforcement et de développement du Comité, tracée dans le même temps par le rapport France pour la XIIème Conférence.
Cependant, et contradictoirement, s'est déjà amorcé un glissement dans les discussions au CN, où revient, en leitmotiv, l'idée d'un Comité "en survie, démoralisé par la défaite en URSS, etc…". Parallèlement, apparaissent périodiquement dans nos écrits des formules qui deviendront récurrentes, comme la rupture des appareils avec la participation présentée comme un préalable au "combat efficace", l'intervention vers la majorité PS-PCF pour qu'elle "satisfasse les revendications (et non plus qu'elle prenne le pouvoir), la présentation "journalistique" du gouvernement (de Front populaire) comme un "gouvernement de cohabitation" voire « gouvernement Chirac-Jospin » (CPS 84) et celle de la majorité PS-PCF comme « relative » (quatre pages Municipales).
C'est cependant avec CPS 82 du 15 février 2000 qu'apparaît le dérapage décisif.
A partir de fin 1999 – début 2000 se développe chez les enseignants, dans les hôpitaux, aux impôts, dans la Fonction publique, une mobilisation contre les plans Sauter et Zucarelli, contre la réforme Allègre, c’est à dire contre le gouvernement.
L’édito de CPS se contente d’apprendre aux lecteurs que « les travailleurs qui se mobilisent, cherchent à combattre contre la destruction de leurs acquis » (mais pas contre le gouvernement !). Suit tout le détail de l’offensive, en quinze pages de "dénonciation", avec comme mots d'ordre la rupture de toutes les négociations « cadre nécessaire à tout combat efficace » à imposer aux dirigeants. Silence total du CN sur l’aspiration à la grève générale (bien que les six pages qui suivent publient des appels pour celle-ci, votés dans les Finances et les Hôpitaux !) Même silence sur la question du gouvernement, sauf en huit lignes finales, en « incantation », sans aucun lien avec la mobilisation en cours.
L’article qui suit, sur l’enseignement, consacre six pages à la même ligne de dénonciation, dont deux sur la démission de Lebret, secrétaire général du SNUIPP et … seulement deux paragraphes d’écho au combat des masses qui est en train de se développer. Aucun mot d’ordre, aucune perspective n’y apparaît. Reconnaissons que poussés par les événements, les résolutions locales et les suppléments à CPS devront rectifier, et que CPS n°83 « redressera la barre » dans son titre (mais pas dans son contenu) en écrivant : « il faut défaire ce gouvernement, il faut combattre pour un gouvernement PS-PCF sans ministres bourgeois »… avec deux mois et demi de retard, une fois le combat terminé..
Ainsi étaient engagées les oscillations qui ont justifié les "Notes d'urgence" de Mélusine, et simultanément les méthodes de direction visant à "éradiquer" les désaccords.
Cette orientation se poursuivra et s'affirmera à partir de là, sur les deux plans conjugués, tantôt aiguisant tantôt niant les divergences. Elle affectera peu ou prou, non sans contradictions, flottements et embardées, tous les événements politiques et par voie de conséquence les conditions de notre intervention.
Elle sera particulièrement sensible en février mars 2000 sur l’appréciation du mouvement, des rapports de classes, de la situation du gouvernement, de ses changements et des difficultés des appareils face aux masses ; sur le cadre de la situation politique lors de la loi Aubry ; sur le PARE et le refus de signer de la CGT et de FO ; sur la crise politique de la Vème République, le quinquennat, le référendum et ses résultats ; sur les élections (municipales, présidentielles, législatives) et leurs résultats ; sur les rapports politiques après le 11 septembre ; sur l’intervention internationaliste du Comité : Palestine, Algérie, Afghanistan, Irak…
La liste n'est malheureusement pas exhaustive.
La préparation et la tenue de la Conférence de novembre 2000 ont démontré le sens général de ce qui avait pu paraître au premier abord comme des faux-pas passagers. Le rapport "international" de Lombard s'en chargeait d'ailleurs lui-même. Fondé sur une méthode non marxiste, ouvert par un satisfecit à la direction et à sa politique depuis la Conférence précédente, il se terminait par une déformation défaitiste des conclusions de Nouvelle Perspective, sur l'analyse des rapports de classe comme sur la place du Comité.
A partir de cette vision des conditions objectives et subjectives dominées par la décomposition mondiale du mouvement ouvrier, tout se liait : la surestimation des forces de la bourgeoisie française et des appareils, "le prolétariat nié"dans ses aspirations et son mouvement, l'action du Comité qui "ne doit pas se prendre pour ce qu'il n'est pas", ses mots d'ordre et les perspectives revues à la baisse.
C'est à partir de ce constat qu'outre les "Notes d'urgence" de Mélusine, huit contributions à la discussion préparatoire à la deuxième section de la XIIème Conférence, ont tracé, dans leur ensemble, les premiers linéaments d'une plate-forme de redressement, par un examen critique de l'orientation de la majorité du CN, sur le plan théorique comme sur le plan pratique et sur celui du rôle et du fonctionnement du Comité.
Après le refus du rapport de Lombard par un tiers des délégués à la Conférence, un appel au regroupement d'une tendance était inévitable. Son interdiction par la direction ne fut qu'une illustration supplémentaire de sa ligne politique.
Avant d'en définir précisément les caractéristiques, soyons clairs. Jusqu'ici, les divergences se sont situées dans un cadre commun (bien que la décision du CN sur la tendance lui ait porté un coup non négligeable). Nous pensons que depuis trois ans, bientôt quatre, ont été multipliées les erreurs d'analyse et de tactique (nous avons parlé plus haut de dérapages et de dérives), mettant parfois en cause les acquis du Comité et entravant son développement. Les efforts pour les théoriser n'ont fait que les aggraver.
Cela n'en fait pas pour autant une orientation traître ou révisionniste, même s'il s'agit de graves déviations.
Disons cependant que la volonté du CN d'étouffer depuis deux ans et demi l'expression des désaccords et leur discussion démocratique a désormais atteint une limite. Rarement des militants résolus à mener une telle discussion ont fait preuve d'un tel degré de patience. Si la prochaine Conférence n'y met bon ordre, le résultat ne pourra en être que d'accentuer un peu plus la perte de substance du Comité.
Formellement, la direction actuelle du Comité se réclame toujours des acquis de celui-ci, résumés au début de ce texte. La méthode et les mots d'ordre transitoires, le Front Unique, le gouvernement ouvrier etc… sont toujours invoqués comme la colonne vertébrale de l’orientation. Mais il ne suffit pas d’avoir une colonne vertébrale, si les muscles la déforment dans la pratique quotidienne.
Nous avons dit et écrit que les positions du CN se caractérisent par une tendance au défaitisme. Précisons.
Le défaitisme ne se résume pas au découragement, bien que celui-ci puisse y contribuer.
Nombre de révolutionnaires ont abandonné le combat, face à la répression, aux trahisons ou simplement à ses difficultés. La démoralisation, ne plus avoir envie de se battre, se retirer, avec ou sans maintien d'une adhésion purement formelle, tout cela a touché même des cadres trotskistes importants. Le Comité n'en est pas indemne. Les seuls antidotes sont une solide formation marxiste, théorique et pratique (qui manque aujourd'hui) et une organisation qui sache où elle va (ce qui ne manque pas moins).
Le défaitisme, c'est autre chose : un type de déviation politique, qui met en doute, implicitement ou explicitement la possibilité d'une issue révolutionnaire, les capacités de la classe ouvrière, la possibilité de construire une direction révolutionnaire [1], en imprègne ses analyses et sa pratique et tend à le théoriser pour justifier le "recentrage" de son orientation.
Cette déviation peut mener au sectarisme, qui conserve formellement principes et mots d'ordre, mais les brandit de façon abstraite et idéologique face aux masses déboussolées, trompées et "qui ne comprennent pas". Elle peut aussi engendrer un alignement plus ou moins prononcé ou critique sur les appareils, l’opportunisme, la recherche de « voies royales », un abandon des principes et des mots d'ordre non immédiatement "saisissables". Les deux ne sont pas forcément incompatibles et c'est à cette double tendance qu'obéit la direction actuelle du Comité.
Quelle était la substance et la conclusion de « Nouvelle perspective » ? C’était, de façon précise, à la fois le recul politique du fait de l’effondrement de l’URSS, c’est-à-dire l’achèvement de la victoire de la contre-révolution bourgeoise sur la Révolution d’Octobre, et le maintien de la puissance du prolétariat. Après Mélusine [2], nous avons souligné ces deux éléments contradictoires dans notre appel à tendance (« la situation mondiale… » voir en annexe)
A la XIIème Conférence et à partir d’elle, ce constat est devenu : « Ce qui domine, en particulier en Europe, c’est la poursuite de la décomposition du mouvement ouvrier ». Les militants étaient appelés à en « prendre l’exacte mesure » pour ne pas se faire d’illusions, ni sur « l’état de l’avant-garde » ni sur celui de « la conscience politique du prolétariat ». Au lieu des termes mesurés et précis de Stéphane faisant état de leur « désarmement politique », ces formulations évoquaient un mal touchant aux racines mêmes des efforts des masses pour passer de la classe en-soi à la classe pour soi. Un camarade du CN alla même jusqu’à parler, le terme « recul » lui semblant désormais insuffisant, de « quasi-absence de la conscience de classe » et d’une régression « qui nous ramène en 1848 » [3].
C’est de cette nouvelle « Nouvelle perspective », celle de l’impasse et de l’impuissance des masses exploitées, au moins jusqu’à un futur indéterminé et hypothétique [4] qu’en novembre 2000 la direction nous a appelé à prendre conscience. Elle en éclairait d’ailleurs tout le reste du rapport sur la situation mondiale, majoritairement consacré à l’illustration de l’état déplorable du mouvement ouvrier, inexistant ou lorsqu’il existe, accablé, laminé, écrasé de toute part.
A la Conférence il nous fut expliqué que « le pont entre capitalisme et socialisme est détruit, que la classe ouvrière ne voit plus la berge d’en face et en est réduite à défendre son morceau de pain » [5], sans pouvoir poser la question d’une issue politique. On nous a aussi asséné comme preuve à la RP : « Y a-t-il aujourd’hui des mouvements de masse qui avancent vers la prise du pouvoir ? Y a-t-il des avancées vers la construction d’une avant-garde ? [6» Cet argument était d’ailleurs repris dans la note du 7 juillet 2001 : « Les combats menés en défense des acquis ne donnent même pas lieu, au stade actuel, à la recherche d’organisation sur le terrain de classe du prolétariat ». C’était un an après la grève des impôts et du mouvement des enseignants, six ans après 1995 ! Que faut-il donc comprendre par « le terrain de classe » ? des mouvements « purs » ?
En fait la direction du Comité, à son tour, se montrait réfractaire à l’attitude fondamentale des marxistes qui consiste à « distinguer les aspects combinés d’une situation » [7]; à voir que les rapports de classe obéissent à des processus vivants, contradictoires et non pas linéaires (« marche à la décomposition », « marche à la dislocation »…) ; à comprendre que du fait de la pourriture de l’impérialisme, et de celle conjuguée des appareils traîtres, la situation est bien plus contradictoire qu’il n’y paraît à un œil « journalistique » pour qui la politique n’est pas « la science des perspectives » [8], mais celle des événements au jour le jour.
Le rapport international du CN a correspondu, indéniablement, aux besoins d’une orientation défaitiste. Avant d’en voir les conséquences quant à la mise en cause du Comité lui-même et de son avenir, comparons là à celle-ci :
« Naturellement, si une nouvelle guerre ne se termine que par la victoire militaire de tel ou tel camp impérialiste ; si une guerre n’appelle ni un soulèvement révolutionnaire ni une victoire du prolétariat ; si une nouvelle paix impérialiste, plus terrible encore que celle de Versailles, impose pour des décades de nouveaux liens enchaînant les peuples ; si la pauvre humanité se soumet et supporte tout cela en silence, alors (…) la décomposition effroyable du capitalisme entraînera le recul de tous les peuples pour plusieurs décades à venir. Naturellement, si cette perspective de passivité, de capitulation, de défaites et de déclin se réalise, les masses opprimées et des peuples entiers seront forcés de grimper à nouveau, versant leur sueur et leur sang, rampant sur leurs mains et leurs genoux, la voie historique qui a déjà été une fois parcourue.
Une telle perspective est-elle exclue ? Si le prolétariat supporte sans fin la direction des social-impérialistes et des communo-chauvinistes ; si la IVème Internationale s’avère incapable de trouver une voie vers les masses ; si les horreurs de la guerre ne poussent pas les ouvriers et les soldats à la rébellion ; si les peuples coloniaux continuent à saigner patiemment pour les intérêts de leurs maîtres, alors dans ces conditions le niveau de la civilisation baissera inévitablement et le recul et la décomposition générale pourront à nouveau inscrire à l’ordre du jour des guerres nationales en Europe. Mais alors, nous ou plutôt nos fils, devront déterminer leur politique (…) d’après la nouvelle situation. Aujourd’hui nous n’envisageons pas la perspective du déclin, mais celle de la Révolution. Nous sommes défaitistes aux dépends des impérialistes et non aux dépends du prolétariat (…) Nous regardons en avant et non pas en arrière ». (Trotsky – Extrait de l’article « Après Münich » 1938)
Nous aurions pu aborder cette question de l’avenir du Comité avant la précédente, car comme en 1997, c'est d'abord à propos de celle-ci que la tendance au défaitisme s'est manifestée, au sein d'un CN empreint majoritairement de "pessimisme et de scepticisme" [9].
Que signifient en effet, de la part des membres de la direction au cours des discussions sur le rapport de Mélusine, des propos comme : le Comité est "en survie" après sa "défaite politique de 1997" ; la période est telle "qu'on ne peut imaginer recruter quatre camarades à la fois" ; "nos illusions sur ce qui reste possible compte tenu de ce qu'on est" ; "on ne subsistera pas comme ça pendant quinze ans" ou "ce n'est pas à partir du Comité que se construira le Parti"…
Si ces propos n'avaient reflété que des découragements individuels et passagers, le mal n'aurait pas été très grand. Mais le rapport international de novembre 2000 a enfoncé le clou. Non seulement le Comité « ne doit pas se prendre pour ce qu’il n’est pas » (p.4), mais cette évidence a été explicitée : « le Comité n’est pas la continuité », doublé de la précision : « Avec la destruction du PCI comme organisation trotskiste, le fil de l’histoire s’est cassé, la continuité a été rompue, et ce n’est pas le Comité en tant que tel qui pourra faire un nouveau nœud » [10]. Le dernier membre de phrase est lourd de sens : on aimerait savoir alors qui s’en chargera, mais la question reste sans réponse, et on ne sait plus trop qui nous sommes et où nous allons. Faut-il ensuite s’étonner des camarades démoralisés et des défections ?
Par contre, en 1958, rappelons le à nouveau, les quelques cinquante camarades du « groupe Lambert » ne se prenaient pas pour ce qu’ils n’étaient pas, mais au lieu de décréter le trotskisme en survie, ou simple « ferment » pour un avenir incertain, ils se fixaient la tâche fondamentale, avec tous les moyens nécessaires, d’en assurer la continuité, « renouer le fil cassé » et reconstruire. Cela pour la raison simple qu’au lieu de se regarder le nombril, et de juger de leur groupe en soi (faible, en butte à la formidable régression constituée par le stalinisme, etc…), ils appréciaient les fluctuations des rapports de classes, la recherche du prolétariat dans son combat toujours renouvelé, contre la bourgeoisie, et en même temps la solidité des principes et du programme dont ils étaient porteurs. Et ils jugeaient de l’avenir en fonction de ces données et non par rapport à eux-mêmes.
Les circonstances politiques étaient-elles plus favorables ? On peut certes l’admettre. Un début de regroupement international s’était opéré avec le Comité International. Mais c’était sur leur initiative. La révolution hongroise avait conforté l’avenir de la révolution politique. Mais le soutien de la SFIO et du PCF à De Gaulle rendait il plus clair qu’aujourd’hui l’horizon immédiat en France ? Et que penser de celui qu’affrontaient les militants révolutionnaires pendant la guerre entre Gestapo et Guépéou ? Si l’on tient à reprendre ce mot, les trotskistes se battent pour leur « survie » depuis les années 20. Et si la proclamation de la IVème Internationale fut de la part de Trotsky une opération destinée à la « survie » du mouvement à travers et après la guerre, il ne s’est jamais laissé aller à de tels discours démoralisateurs, y compris sur son lit de mort.
Stéphane en 1984 a donné une preuve analogue de lucidité politique. Il a maintenu, avec le Comité, le fil de la continuité. Et, contrairement à ce qu’affirmait le CN dans la citation reproduite plus haut, il n’a jamais considéré que celle ci était rompue « en 1991 » par « la destruction du PCI », du fait, justement de l’existence (et de l’avenir) du Comité. Il en fut ainsi après 1991, jusqu’à sa mort, et on peut dire jusqu’à aujourd’hui. Ou faudrait il croire, avec Lombard, Neuvial, Lantier, etc, qu’il s’est bercé d’illusions pendant six ans ? Et cela au point de ne jamais avoir évoqué ce problème, même pas dans « Nouvelle Perspective »… et même au point d’y dire expressément le contraire [11] ?
Comparons encore cette citation et les propos sur le Comité « en survie » etc… avec Trotsky :
« Tous les grands mouvements ont commencé comme des "débris" de mouvements antérieurs. (…) Le groupe de Marx-Engels a émergé comme un débris de la gauche hégélienne. L'Internationale communiste a été préparée en pleine guerre par les débris de la social-démocratie internationale. Si ces initiateurs apparurent capables de se créer une base de masse, ce fut seulement parce qu'ils ne craignaient pas l'isolement. Ils savaient d'avance que la qualité de leurs idées se transformeraient en quantité. Ces" débris" ne souffraient pas d'anémie [12], au contraire, ils contenaient en eux la quintessence des grands mouvements historiques du lendemain. » (Trotsky, Littérature et Révolution p.459)
A quoi l’on peut encore ajouter la déclaration suivante, pour illustrer la ligne qui devrait être celle du Comité, et qui reste la nôtre, pour sa construction :
« Naturellement tel ou tel soulèvement peut se terminer et certainement se terminera par une défaite par suite du manque de maturité de la direction révolutionnaire. Mais il n’est pas question d’un simple soulèvement. Il est question d’une époque révolutionnaire tout entière. Le monde capitaliste n’a plus d’issue, à moins qu’on ne considère comme telle l’agonie prolongée de la mort. Il est nécessaire de se préparer à de longues années, sinon à des décades de guerres, de soulèvements, de brefs intermèdes, de trêves, de nouvelles guerres et de nouveaux soulèvements. Un jeune parti révolutionnaire doit se baser lui-même sur une telle perspective [13]. L’histoire lui fournira assez d’occasions de possibilités de s’éprouver, d’accumuler des expériences et de mûrir. »
C’est ce qu’écrivait le 26 mai 1940 la « Conférence d’alarme » de la IVème Internationale. Quelle leçon !
C’est cependant et seulement sur une telle conception politique que le Comité pour le POR peut se construire, non pas comme un groupe de « survivants » spectateurs éclairés espérant être un jour un « ferment » [14], mais comme un agent actif, agitateur et organisateur sur un programme politique dans la recomposition du mouvement ouvrier.
La préoccupation principale du CN actuel n’est pas celle-là. C’est celle de la « dénonciation » naguère reprochée à Hannibal-Massino. Cette dénonciation, documentée et circonstanciée, des attaques qui s’abattent sur les masses populaires et des trahisons qui les accompagnent occupe l’essentiel des textes publiés par la direction, et imprègne non seulement CPS, mais nombre de ses suppléments et des interventions qu’elle dirige.
En règle générale, les réactions des masses, leurs mobilisations sont traitées de façon secondaire tant par leur volume que par l’intérêt suscité et les leçons positives à en tirer. Souvent corrigées immédiatement par un « mais » qui rappelle qu’elles sont cadenassées et « sans perspective politique », voire « sans issue », elles ne font parfois l’objet que de simples allusions.
Le numéro 82 de CPS, cité plus haut, en est un modèle. On pourrait en citer bien d’autres exemples, en particulier CPS 83, où il est affirmé, après 6 pages 1/2 que la « force de combat reste entière », mais où celle des travailleurs des hôpitaux ne mérite pas plus d’une ligne et demi, alors qu’ils ont cherché pendant six mois la voie de l’affrontement, de la grève générale et de la manifestation centrale à l’Assemblée nationale. Le supplément central à CPS 90 du 29 septembre 2002 se conclut par un simple « les travailleurs devront combattre », avec le même futur que celui reproché à Hannibal-Massino (voir plus haut) etc…
Ce qui est en cause ici, ce n’est pas la nécessité d’analyser le plus précisément possible la situation et les rapports de force pour éclairer le combat à mener, mais la distinction à opérer entre information, propagande et agitation. C’est la nécessité de les lier de façon variable selon les circonstances mais toujours sans négliger la dernière.
On peut en effet toujours ajouter en conclusion de 2, 4, 8 pages ou plus qu’il faut un POR, la rupture avec le gouvernement, un gouvernement ouvrier etc… Si l’on n’en démontre pas la possibilité, fondée sur la tendance permanente des travailleurs, y compris dans les pires conditions, au combat revendicatif et politique, cela ne peut avoir de sens que pour les initiés et les attentistes du « grand soir ».
En réalité, cette méthode correspond à l’illusion que c’est seulement par des explications et démonstrations les plus fouillées possibles qu’on peut convaincre et recruter. C’est la croyance que l’adhésion se fonde d’abord sur des idées, principes et bases théoriques, et sans relation avec la volonté de combat et la recherche d’issues. C’est reculer devant l’agitation indispensable (« inlassable ») pour y répondre. C’est une position idéologique et sectaire.
Le supplément à CPS publié par le CN après le refus des agents EDF-GDF du projet contre leur système de retraite (et la révolte des militants au sein de la CGT !) l’illustre parfaitement [15].
Ce refus de l’agitation politique [16] est une caractéristique évidente de l’orientation du CN.
Il ne s’agit pas ici de se mettre à faire du porte à porte, ni du soulèvement des masses par le Comité etc… dont on nous a seriné la caricature. Il s’agit de la méthode pour le construire, donc à son échelle et selon ses forces. Il s’agit de donner toute leur place dans nos textes aux mots d’ordre transitoires, et dans une forme qui accroche l’attention, plutôt qu’à des discours didactiques sur les coups reçus.
Cette préoccupation a manqué en février-mars 2000 (si l’on excepte, par son ton, le tract du 12 mars rédigé par Serre). Il aurait fallu, pour l’éviter, une autre perception des événements que celle du CN, qui s’est traduite par une contribution à la banalisation de la crise au gouvernement, par l’affirmation que le retrait d’un plan équivalait à son maintien, etc…, bref par la conviction que malgré les apparences on s’acheminait vers une défaite.
Cela a manqué également en 2001 lors des municipales : aucun tract avant le 1er tour, et après celui-ci un 4 pages (donc à diffusion restreinte) démoralisant. Cela a manqué lors des présidentielles : retard analogue et tonalité identique (les carottes sont cuites, retrait sur l’Aventin électoraliste, mais « pur » !) [17].
Cela a manqué pour l’Afghanistan [18] et pour l’intervention dans les hôpitaux [19]. Sur tous ces points, nous avons fait à la direction des propositions écrites. Sans écho.
Insuffisances ? L’inconvénient c’est que celles-ci se sont manifestées nous l’avons dit, à chaque moment important de la situation politique, à chaque fois que celle-ci se révélait particulièrement propice à une agitation sur nos mots d’ordre politiques.
Une politique qui rend rigoureusement impossible de construire une fraction jeune, comme l’avait décidé la Conférence de 1999, en tournant le dos à leur volonté de se battre [20]. Les jeunes ne sont pas les seuls concernés, mais également tous nos contacts.
Comment peut-on en effet les regrouper, mais surtout les conserver utilement et de façon durable :
Que peuvent penser des enseignants regroupés à notre initiative quand, à Lyon, le 10 mars 2000, on les convoque à une réunion « centrale » pour leur faire adopter une position qui, en plein mouvement, est un modèle de défaitisme et de sectarisme :
« On ne peut combattre (souligné par nous) une politique globale qui vise à la destruction des fondements mêmes de l’enseignement public, sans que soient définies clairement les revendications à mettre en avant ». (Ce qui témoigne déjà d’une belle incompréhension des conditions dans lesquelles un mouvement se déclenche et se développe : comme si on avait un jour soumis l’engagement du combat pour les salaires à l’adoption du mot d’ordre d’échelle mobile).
Et plus loin : « On ne peut combattre contre ce plan d’ensemble si dans le même temps, les dirigeants syndicaux acceptent de participer aux négociations (…) Il ne peut y avoir de combat efficace (…) si les dirigeants participent aux discussions » etc… [21]
Quelle conclusion peuvent en tirer les participants qui savent pertinemment que les dirigeants participent, et qui veulent néanmoins se battre ? Celle d’aller chercher ailleurs des propositions moins démobilisatrices. C’est en définitive ce qui s’est passé.
Or, celle-ci est indispensable pour construire autre chose qu’une petite secte satisfaite d’elle-même. Elle l’est, à plus forte raison, pour déboucher sur la construction du POR qui reste notre objectif quelque « petit et faible » que l’on soit, ce qui ne peut se faire que selon les mêmes méthodes, auxquelles le CN tourne le dos.
On sait depuis longtemps qu’opportunisme et sectarisme ne sont nullement incompatibles, et sont souvent le recto et le verso d’une même orientation. LO et le PT en sont deux bons exemples.
Pour ce qui concerne le Comité, si le défaitisme de sa direction débouche sur le trade-unionisme, il se traduit aussi souvent par un sectarisme politique marqué.
Marx, définissant l’auto-isolement qui caractérise une politique de secte écrivait : « La secte voit la justification de son existence et son "point d’honneur" non dans ce qu’elle a de commun avec le mouvement de la classe mais dans les traits particuliers qui l’en distinguent » (lettre à Schweitzer 13/10/1860).
Il visait ainsi Lassalle, qui à l’instar de Proudhon « ne cherchait pas la base de son agitation dans les éléments réels du mouvement de classe, mais en voulant prescrire à ce dernier sa marche d’après une recette déterminée ».
Des manifestations de cette erreur ont été relevées plus haut ou apparaîtront plus loin :
C’est cependant à l’égard des manifestations spontanées de l’après 21 avril et de celles du 1er mai que le repli sectaire de la direction s’est révélé le plus crûment. C’est en effet une chose de constater que les masses en mouvement ne sont pas orientées sur nos mots d’ordre, et de se délimiter clairement, dans l’intervention auprès d’elles, des slogans que leur insufflent les appareils ou leurs flanc-gardes. C’en est une autre de se réfugier dans l’autosatisfaction de son propre “ combat pour le socialisme ” en regardant de loin les mouvements de classe qui n’ont pas réussi à se libérer de leurs chefs.
Ce qui s’est révélé là, c’est à quel point la direction du Comité est devenue incapable de comprendre quels mots d’ordre (Ni Chirac, Ni Le Pen, gouvernement des organisations ouvrières) et quelle agitation au sein du mouvement devaient traduire son affirmation de vouloir construire le POR [22].
Plus inquiétant encore est d’y voir confirmé par la pratique, la théorie inscrite dans le rapport international de la XIIème Conférence, qui écrivait, en reproduisant ce passage de Que Faire ? :
“ Le développement spontané du mouvement ouvrier aboutit à le subordonner à l’idéologie bourgeoise. C’est pourquoi notre tâche, celle de la social-démocratie, est de combattre la spontanéité, de détourner le mouvement ouvrier de cette tendance spontanée qu’a le trade-unionisme à se réfugier sous l’aile de la bourgeoisie et de l’attirer sous l’aile de la social-démocratie. ”
En invoquant en 2000 ce “ combat contre la spontanéité ” évoquée par Lénine à l’aube du mouvement socialiste en Russie, le CN reprenait à son compte l’idée que la conscience politique devait être apportée “ du dehors ” au prolétariat, par les théoriciens marxistes. Il oubliait simplement que Lénine, lui-même, en 1905, avait corrigé cette appréciation en affirmant que “ la classe ouvrière est sociale-démocrate d’instinct, spontanément ” [23]. Ce que Trotsky a repris également à maintes reprises, ainsi que Stéphane Just dans un long article de La Vérité n°592, où l’on trouve ce passage :
“ La spontanéité des masses est toujours une spontanéité historiquement déterminée [24. Elle est le produit de toute une expérience politique de lutte de classe (souligné par nous) parvenue, en des circonstances données, à un point donné. Des dizaines d’années d’activité des organisations et des partis ouvriers au sein des masses la nourrissent, avec l’acquis et aussi les contradictions et limites que cela implique, surtout à l’époque actuelle où les partis ouvriers traditionnels sont passés du côté de la contre-révolution, de la défense de l’ordre bourgeois. Cette spontanéité inclut le rejet de la soumission à l’ordre bourgeois, le rejet de la politique et des méthodes qui soumettent le prolétariat à la bourgeoisie, le rejet des méthodes de défense des régimes politiques de domination de classe de celle-ci. Elle inclut aussi les illusions des masses. La spontanéité du prolétariat est donc une notion qui demande à être précisée en fonction d’un ensemble de déterminations. De toute façon, elle a ses limites ”.
Elle “ a ses limites ”, pas “ il faut la combattre ”.
A ses limites intrinsèques, que Stéphane a analysées par ailleurs (à propos du mouvement de 1995, par exemple), il faut ajouter évidemment la faiblesse de l’avant-garde révolutionnaire, et en particulier des trotskistes, dans le combat pour affranchir cette spontanéité du poids des appareils bourgeois et l’orienter sur la voie du combat classe contre classe. Cela va de soi, et nous ne sommes pas spontanéistes.
Mais l’extrait ci-dessus restait entièrement d’actualité en avril 2002, et il l’est toujours à un moment où, sous l’effet des conditions objectives de la crise de l’impérialisme et de la bourgeoisie française, de celle des partis ouvriers-bourgeois, la classe ouvrière, les masses populaires, la jeunesse et y compris des fractions de la petite bourgeoisie, ont de plus en plus conscience que le système capitaliste met en cause toute la vie sociale et économique à l’échelle mondiale. A un moment où elles expriment le besoin d’organisations qui ne se bornent pas à la défense du “ morceau de pain ”, mais dont l’agitation débouche sur les vrais problèmes à résoudre.
Que dans ces conditions, le CN s’obstine dans l’idéologie sectaire inscrite dans le rapport international de la XIIème Conférence parce que ces mêmes masses, lorsqu’elles font irruption par centaines de milliers sont détournées sur des mots d’ordre “ qui ne sont pas les nôtres ”, c’est proprement suicidaire pour le Comité.
A partir du moment où nous sommes entrés non dans une « Nouvelle perspective » de combat révolutionnaire, mais dans une nouvelle période de recul, désarroi et par conséquent défaites, où ce combat est relégué dans un lointain obscur quand nos « idées » révèleront enfin leur justesse, que reste-t-il si l’on veut quand même agir ?
Puisque le prolétariat n’a plus d’autre horizon que la « défense du morceau de pain [25] », il ne reste qu’à faire comme lui, être les meilleurs dans la lutte revendicative et pour la défense des acquis, en espérant qu’elle permettra un jour de rejoindre « l’autre berge », celle d’une… « nouvelle perspective » politique, actuellement inexistante, mais qui se trouvera alors nécessairement être la nôtre.
Autrement dit, ce qui reste possible, que les camarades en aient conscience ou non, c’est le repli à la fois sur le sectarisme et sur le trade-unionisme.
Mais comme nous avons l’expérience du rôle joué par les dirigeants au service de la classe dominante pour saboter cette lutte pour le morceau de pain, la première tâche pour le CN c’est d’abord de faire comprendre aux travailleurs qu’ils constituent l’obstacle qui empêche d’obtenir satisfaction.
Cela explique que depuis trois ans bientôt, le contenu des interventions locales et dans les syndicats soit de plus en plus limité à l’horizon revendicatif et à celui des appareils dirigeants, au détriment de la ligne politique qui peut leur donner leur signification.
Bien entendu, il est parfaitement normal que des motions issues de sections syndicales ou d’assemblées dont nous ne sommes pas maîtres, réunies sur des questions précises, et en particulier au cœur d’un mouvement, soient circonscrites aux mots d’ordre revendicatifs immédiats, mobilisateurs, contre les attaques, et contre la politique des bureaucrates. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici.
Ce dont il s’agit, c’est du contenu de la Lettre de Liaison, des plate-formes syndicales, des interventions faites librement, comme délégués ou simple militant, qu’elles recueillent ou non l’approbation, et des axes sur lesquels nous réunissons autour de nous. Or, force est de faire les constations qui suivent.
D’une façon générale, les textes que nous proposons dans les instances syndicales, quelle que soit la justesse de leur argumentation, se bornent à exiger des dirigeants « qu’ils se prononcent » pour des revendications correctes, et qu’ils rompent avec la participation, sous telle ou telle forme.
Ce que les travailleurs attendent des dirigeants, c’est non seulement qu’ils se prononcent clairement pour leurs revendications mais qu’ils prennent en charge ces revendications, en agissant pour les faire aboutir. Se pose alors la question des moyens d’action, intégralement liés. C’est l’application même de notre méthode fondamentale, ce qui n’est pas le cas avec la simple demande d’une prise de position correcte à nos « partenaires » de la direction.
Exiger des dirigeants qu’ils « se prononcent pour » ne peut être séparé de l’exigence qu’ils « organisent le combat pour ». Ce second terme relègue du coup le premier au second plan, quand il ne l’efface pas, tout simplement, parce qu’il l’intègre obligatoirement.
Croire ou laisser croire que « se prononcer », c’est « un premier pas » ou pire « un préalable », c’est semer illusions et confusion au lieu d’éclaircir les données politiques.
De même, on se fait des illusions si l’on croit (ou laisse croire) que le boycott de tel ou tel organisme de concertation réalise la rupture « avec la participation » et à plus forte raison une rupture avec le gouvernement. Toutes les directions syndicales ont un jour « quitté la table », sans que cela les empêche de collaborer avec le patron ou le ministre, et d’y revenir. D’ailleurs, si en France, la « participation », en tant que doctrine, date du gaullisme, la trahison des directions (y compris sous cette forme) est bien plus ancienne et ne s’y limite pas plus aujourd’hui qu’autrefois.
Il est donc parfaitement juste d’exiger des dirigeants qu’ils refusent les pseudo-négociations, etc… Mais en donnant toute la dimension politique. En tant que tel ce refus n’est qu’un moyen d’action, extrêmement important, mais au même titre que la grève générale ou pas. Son importance vient de ce qu’il peut ouvrir la voie de la rupture avec la politique de participation, et que ce mot d’ordre doit constituer une injonction aux appareils d’avoir à s’y engager, c’est-à-dire à passer du refus de siéger motivé par telle ou telle circonstance, attaque, etc… à l’opposition de principe à la participation inspirée elle-même des principes de l’association capital-travail, c’est-à-dire sur une orientation classe contre classe, de rupture avec le gouvernement et au-delà avec la bourgeoisie.
C’est le fond du problème : cette orientation ne sera jamais celle des appareils. C’est pourtant celle qui doit être présentée aux travailleurs, dans toute sa dimension, comme justification politique de tous les appels syndicaux au boycott et au refus de siéger, etc… Cela n’a rien de nouveau. Rappelons le Programme de Transition :
« De tous les partis et organisations qui s’appuient sur les ouvriers et les paysans et parlent en leur nom, nous exigeons qu’ils rompent politiquement (souligné par nous) avec la bourgeoisie et entrent dans la lutte pour le gouvernement ouvrier et paysan ».
Or, la plupart de nos interventions syndicales se dispensent de donner cette dimension, même quand cela est parfaitement possible. Cela ne peut signifier, pour les travailleurs qui nous écoutent, autre chose que l’illusion d’un combat par étapes (après le refus de négocier on passera à celui de soutenir le gouvernement, etc…) ou pire celle d’un redressement possible des appareils.
Il en est de même pour la manifestation à l’Assemblée nationale. Dans les textes des trois dernières années, elle a été présentée de plus en plus comme l’appel à une sorte d’arbitrage des conflits, permettant « d’obtenir satisfaction » contre la volonté du gouvernement. Que les travailleurs des hôpitaux, par exemple, le ressentent ainsi, c’est normal. Mais en même temps qu’ils se dirigent précisément vers les députés a une autre signification, sous-jacente, politique et non syndicale, qu’il nous revient de mettre en pleine lumière. Le mot d’ordre de manifestation à l’Assemblée nationale est une réponse concrète aux aspirations de la classe ouvrière à un autre gouvernement, à la question de qui doit assurer le pouvoir. Si nous ne le formulons pas clairement, sur la ligne définie de longue date par Stéphane, nous ne manifestons rien d’autre que des illusions trade-unionistes. C’est malheureusement ce qui se passe.
Nous ne pouvons citer ici tous les exemples où ce mot d'ordre est escamoté, que ce soit dans l’enseignement ou dans la métallurgie (RVI, CGT-Loire..), à la RATP etc… Nous nous bornerons ci-dessous à en rappeler quelques-uns des plus patents.
Lors de la préparation du congrès du SNES de Strasbourg, l’appel pour la constitution de la liste, au lieu de partir de la volonté de combat exprimée par les enseignants en février-mars 2002 et de la nécessité de combattre contre le gouvernement, pour un gouvernement des seuls PS et PC, non seulement n’en disait pas un mot, mais n’était qu’un texte de dialogue (« de réponse ») avec l’appareil [26]. Quant aux interventions et motions au congrès lui-même [27], elles n’offraient aucune perspective en terme d’action, et pas davantage sur la nécessité d’ouvrir une issue politique, et laquelle : la question du gouvernement et de la majorité PS-PC étaient aux abonnés absents. C’était déjà le cas lors des élections à la CA académique de Clermont-Ferrand, et on peut faire une critique analogue à la plate-forme pour les élections au CDFN de la FSU .
On peut ajouter dans ces « professions de foi » qui définissent donc, par essence, notre orientation, ce qui domine en guise de ligne politique, c’est encore la « dénonciation » ; alors qu’au congrès FEN de La Rochelle en 1988, par exemple, notre intervention était centrée sur la crise du régime capitaliste jusqu’à aborder la voie menant au socialisme, et en prime demandait à la FEN d’appeler à voter pour le candidat ouvrier aux présidentielles, celle du Congrès 1991 s’ouvrait sur la condamnation de l’agression impérialiste dans le Golfe et le mot d’ordre de retrait des troupes françaises, etc.. On peut aussi se référer aux dernières interventions du Congrès de Toulouse de la FSU, en 1997…
Autre remarque : la rubrique « les militants interviennent »… dans CPS montre que l’intervention des cellules ne déborde pas en général du registre « syndical » et des revendications. Les interventions proprement politiques (Palestine, Algérie, Afghanistan, municipales, présidentielles, législatives, Irak…) sont d’une rareté notable, même dans les secteurs les plus actifs (Marseille, Clermont, RATP…). S’en remettre aux textes centraux n’est qu’une excuse commode, et en même temps un frein pour les camarades susceptibles de prendre des initiatives « incontrôlées »…
Qu’on se souvienne des innombrables motions, adresses, signatures, etc, dans les entreprises, établissements, réunions locales, etc.. sur le Chili, la Tchécoslovaquie ou la libération des militants emprisonnés, dans les années 60 à 80.
Mais ce n’est pas qu’un problème d’interventions locales. Centralement, sur le combat syndical internationaliste, force est de constater que le trade-unionisme actuel est très en deçà même du syndicalisme révolutionnaire de la vieille Ecole Emancipée, alors que cette tradition avait été maintenue après 1984 par la tendance Syndicalisme Unitaire et son bulletin TSU. Il suffit de se reporter à sa collection. Pour mémoire : en 1988, une large place y est faite à une discussion sur la Nouvelle Calédonie ; lors de la guerre du Golfe cette question occupait l’éditorial du n° 31, sept pages sur treize du n° 32, six sur neuf du n° 34, et un encadré de deux pages en tête de la plate-forme présentée pour le Congrès de la FEN.
On cherchera vainement l’équivalent sur l’Afghanistan. La Lettre de Liaison n° 67, dans son « Introduction » ( ?) « pose la question » non pas des mots d’ordre de combat contre l’impérialisme, mais… du « renforcement du courant FU », et se borne à reproduire la motion proposée au CDFN où il n’est question que de l’opposition à « l’Union sacrée ».
Une conclusion s’impose : le combat politique contre la bourgeoisie, dans l’enseignement, là où nous sommes le plus implantés, se résume désormais à la défense des revendications et des acquis.
La constatation suivante le démontre : depuis quelle date les suppléments à CPS-Enseignement publiés sans interruption depuis 1985 ont-ils disparu ? à notre connaissance depuis mars 2000.
Il faut aussi noter la réapparition d’une ligne politique héritée de l’Ecole Emancipée et conservée précieusement par Lambert, mais que le Comité avait écartée en 1991, à savoir la vocation de la tendance syndicale à être une « direction de rechange » du syndicat, dans le cadre de la « ré-appropriation des organisations syndicales par les syndiqués ». C’est cet axe qui est présenté comme « l’enjeu » des élections au CDFN de la FSU dans le n° 64 de la Lettre de Liaison.
Les trotskistes ne nourrissent (et ne répandent) aucune illusion sur la « régénération des syndicats » indépendamment d’une crise révolutionnaire et en particulier au niveau des directions ! Quelle que soit leur organisation dans ce cadre, lors des élections comme à tout moment, « l’enjeu » est d’abord, pour eux, l’affirmation du programme et la construction de la fraction. [28]
Comment surmonter l’obstacle des appareils bureaucratiques ? Il y longtemps que la question a été tranchée. N’importe quel trotskiste sait que les directions syndicales sont toutes liées, à des degrés variables, aux appareils politiques traditionnels (ou directement à la bourgeoisie, comme la CFDT, etc…). En tant que telles, et contrairement aux syndicats qu’elles dirigent, elles sont, comme eux, « définitivement passées du côté de l’ordre bourgeois ».
C’est donc seulement sur la ligne du combat contre la bourgeoisie, son Etat, son gouvernement, pour la prise du pouvoir, et non sur celle d’une meilleure orientation des dirigeants que doit être menée l’agitation auprès des travailleurs, des personnels de l’enseignement, etc… pour les dresser au passage contre ceux ci. C’est d’ailleurs ce qui s’opère ou tend à s’opérer spontanément dans tout mouvement de classe de quelque importance.
Toute autre attitude revient, en dernière analyse, à une orientation opportuniste de dialogue avec les appareils, de pression sur ceux-ci, de subordination à leur égard.
Plus nettement encore que dans tout ce que nous avons relevé plus haut, cela se vérifie dans les invocations, récurrentes dans les textes issus de la direction du Comité ou induits par elle, des « conditions », voire du « préalable » à réaliser par les dirigeants, pour pouvoir engager « l’action efficace » , voire « le combat » contre les mesures gouvernementales et pour la défense des acquis.
On en a vu plus haut le prototype (texte préparatoire à la réunion de contact de Lyon le 10 mars 2000). Il ne s’agissait pas d’un accident : ces formulations sont devenues systématiques depuis cette date [29]. Trois exemples permettront d’en dégager les implications.
1er exemple : le 12 novembre 2001, le S1 du SNES du lycée Lacassagne vote un texte répondant à la consultation nationale du SNES. Il se termine par : « La défense de ces revendications est contradictoire à toute « négociation » de mise en œuvre des plans gouvernementaux ». Mais au lieu de se conclure par « les syndiqués réunis… exigent donc de la direction du SNES qu ‘elle rompe avec la politique du gouvernement, et refuse par conséquent toute participation à ces pseudo-négociations, ou toute autre phrase similaire, la déclaration se clôt simplement par : « Tel est le préalable à tout combat efficace ».
C’est-à-dire qu’au lieu de saisir l’occasion de la consultation pour permettre aux enseignants de se situer sur une ligne de rupture avec le gouvernement, on entre dans le jeu des dirigeants auxquels, consultés et l’arme au pied, ils donnent leur avis… et même un conseil de tactique.
2ème exemple : Un supplément Fonction publique à CPS daté du 15 janvier 2001, écrit : « On ne peut défendre ces revendications sans que soit imposée aux dirigeants la rupture avec le gouvernement. Telles sont les conditions du combat efficace ». Cette fois, l’exhortation s’adresse indéniablement aux personnels, et non aux appareils. Cependant, on retombe dans la même tactique, par étapes : d’abord réaliser les « conditions » en imposant la rupture des dirigeants avec le gouvernement, ce qui permettra aux fonctionnaires d’engager alors, avec eux, le « combat efficace ». Ce qui veut dire que celui capable d’imposer aux bureaucrates la rupture (avec le gouvernement) n’est pas encore un combat efficace.
La méthode transitoire, les enseignements de 1968, 1986, de la manifestation sur la loi Falloux, 1995, etc… passent aux oubliettes.
3ème exemple : le 13 janvier 2003, les sections SNADGI-CGT, SGI-FO et SI-CFDT des impôts d’Aix en Provence, dans un texte approuvé par 70 agents en Assemblée générale, lancent un ultimatum aux dirigeants. Sur la base : retrait du plan Bert-Champsaur, rupture des négociations, boycott des CTPM, il se termine par : « appelez immédiatement à la grève générale du ministère ».
Nulle question ici de préalable ou de conditions. Il n’est pas question de « se prononcer d’abord ». La mobilisation pour la grève générale et les exigences qui la justifient y constituent un tout. La grève générale est antinomique à la participation. Réalisée, elle la rend temporairement inopérante. Victorieuse, elle en balaye les résultats. Ce texte est intégralement correct.
Mais au même moment, à Lyon, sort un appel des agents des finances où les trois exigences ci-dessus deviennent des « conditions à toute action efficace » ce qui rejette au second plan, comme subsidiaire, ou reporté à une seconde étape le mot d’ordre qui suit, à savoir « d’appeler dans l’unité à la grève générale ».
Le texte dirigé à Aix contre les appareils, soutiens du gouvernement, se transforme ici en une supplique qui les laisse maîtres de réaliser ou non « les conditions », et leur pouvoir est en quelque sorte souligné, légitimé par les rédacteurs.
« Il ne convient nullement au parti révolutionnaire d’être optimiste pour le compte de la bourgeoisie : c’est lui qui pénètre le premier sur le champ de bataille et qui le quitte en dernier » (Trotsky : L’heure de la décision approche… sur la situation en France – 18/12/38).
Trotsky est revenu à plusieurs reprises sur ce principe. Son abandon engendre nécessairement des conséquences très concrètes.
La première est “ d’anticiper les défaites ” en accordant à l’impérialisme, à la bourgeoisie et à ses complices des forces qu’ils sont loin d’avoir, et à sous-estimer de façon complémentaire celles du prolétariat.
C’est ainsi que, d’une façon générale, la direction du Comité tend à confondre les intentions, les déclarations, les projets du patronat et du gouvernement avec leur réalisation.
Il est notable cependant que tous les objectifs de la bourgeoisie française ont été formulés dès les années 1960 par l’UIMM, le CNPF, les partis et gouvernements qui se sont succédés et les ont réaffirmés sans cesse… faute d’avoir pu les réaliser jusqu’au bout. Car elle ne peut le faire sans écraser physiquement la classe ouvrière.
Une défaite comme celle de 1958 ne suffit pas par elle-même : on l’a vu avec l’échec de De Gaulle, et ses suites. Or, la bourgeoisie française n’en a actuellement pas les forces. Depuis quarante ans, elle a dû se contenter d’avancées partielles, de projets limités aux effets très éloignés des résultats escomptés et de ses besoins, du fait de la résistance de la classe ouvrière, des enseignants, de la jeunesse. On pourrait en donner de multiples exemples dans les réformes de l’enseignement, de l’Université, de l’apprentissage, de la Sécurité sociale, de l’assurance chômage, des retraites.
Le mouvement de février-mars 2000, qui a constitué l’événement politique le plus important entre 1995 et les dernières élections, en a donné une nouvelle illustration, que le CN a pourtant interprété comme celle d’une impasse de la classe ouvrière.
Il a accumulé pour cela une série d’oublis et d’analyses erronées. Il a fait l’impasse sur la fragilité maintes fois affirmée en théorie du gouvernement de Front populaire, et estimé qu’il sortait renforcé du conflit. Pour cela il lui a fallu, non sans quelques contorsions [30], faire passer le renvoi de quatre ministres clefs pour un simple arrangement du dispositif gouvernemental, “ permis ” par les appareils, alors qu’il s’agissait d’une soupape de sûreté ouverte par Jospin de peur d’une déstabilisation totale mettant en danger l’existence même du gouvernement.
Il a aussi oublié que les masses n’avaient pas reflué depuis 1997, que cette absence de reflux devait permettre aux trotskistes de faire fond sur l’irruption, même partielle, du mouvement spontané (quelles qu’en soient les limites) et donc de ne pas être optimistes au compte de la bourgeoisie. En témoignaient : les combats, fussent-ils limités, cadenassés, émiettés, etc… des routiers, des journalistes de la radio-télévision (automne 97), des enseignants en Seine-Saint-Denis, puis en Guadeloupe (printemps 98), la grève des lycées (automne 98), les grèves contre la “ charte Allègre ” (printemps 99), à la Poste, puis dans les hôpitaux (fin 99, début 2000) et contre la loi Aubry ; à quoi il faut ajouter les résultats des élections paritaires de l’enseignement (décembre 99).
Aussi handicapés, fragmentés, enfermés qu’ils aient été, ces mouvements s’étaient nourris l’un l’autre, et la grève des enseignants du Gard, fin janvier 99, ne peut en être dissociée, avec les développements qui s’en sont suivis.
Le CN n’a retenu du mouvement, sans oser le formuler clairement comme une défaite, qu’un échec des revendications. Il a expliqué (CPS n°85) que si le prolétariat conservait sa puissance sociale, elle était inopérante parce que paralysée par celle des appareils traîtres ; que si la situation avait subi une “ inflexion ”, rien n’était vraiment changé car le plan Sautter était écarté “ mais ” …, Allègre démissionné “ mais ”… Zuccarelli remercié “ mais ”… leurs objectifs étaient maintenus.
Il n’a pas compris que le mouvement spontané témoignait d’une maturation politique et que celle-ci avait toute chance de n’être pas perdue pour l’avenir, “ le véritable résultat de la lutte étant moins le succès immédiat que la solidarité croissante des travailleurs ” pour reprendre les termes du Manifeste. Ce n’est pas ainsi que la direction l’envisageait lorsqu’elle écrivait : « les trotskistes ne se gargarisent pas avec les luttes » (c’est-à-dire avec celle des impôts et des enseignants !). « Ils apprécient chaque fois le résultat du combat » (Réponse à Mélusine). Or au CN du 24 février, Lombard appréciait ainsi celui ci : « ce qui domine aujourd’hui, c’est la marche à la dislocation des organisations ouvrières », idée reprise au CN du 11 mars, avec en prime : « la spontanéité est historiquement déterminée dans une situation où elle n’a plus de perspective politique ». Tout était donc bloqué d’avance.
La vision “ défaitiste, pessimiste ” de février-mars 2000, qui est à la base des oscillations dénoncées par Mélusine, s’explique par celle de la situation créée en 1999 à partir de la loi Aubry. Au comité parisien du 24 janvier, Lombard explique que la loi sur les 35 heures a réussi à tout cadenasser : “ ce qui se passe dans la lutte de classes se situe dans ce cadre ”, et au CN du 12 février : “ Les mouvements spontanés se situent dans le cadre des efforts des appareils ”. S’il s’agissait de dire que se dressant contre la bourgeoisie, ils se dressent contre ces efforts, nous serions d’accord. Mais il s’agissait au contraire de souligner leur impuissance.
Quelle que soit la rudesse du coup porté par la loi Aubry, y voir le cadre de la situation n’était qu’une vue de l’esprit. Ce n’était même pas le cadre de l’offensive du Medef. Que sa réussite ait servi de tremplin à celui ci, c’est évident (votée en première lecture à l’Assemblée le 19 octobre, elle est suivie le 2 novembre par le lancement de la “ Nouvelle constitution sociale de la France ”). Mais le projet du Medef visait à “ remettre à plat tout ce qui régit les relations sociales depuis l’après-guerre ” (Le Monde) c’est-à-dire bien au-delà de la flexibilité du travail, les retraites, l’assurance chômage, l’épargne salariale, le code du travail, la Sécu, les mutuelles, l’apprentissage, les impôts, etc… donnant ainsi (si l’on tient à ce terme) le cadre politique dont la loi Aubry n’était qu’un élément. Et l’offensive du Medef (encore à l’état d’intentions) était elle-même “ cadrée ” par la crise de l’impérialisme, les contradictions de la bourgeoisie française, les difficultés du gouvernement de Front populaire à remplir sa tâche, et surtout les capacités de résistance de la classe ouvrière.
Le “ point de vue ” du CN, outre qu’il donnait une vision étriquée, tronquée des rapports de classe, les inscrivaient surtout dans le “ cadre ” d’une défaite. Il ne niait pas la possibilité de mouvements spontanés, mais décrétait à l’avance leur échec, leur impuissance à se centraliser, à s’organiser, à soulever le poids des appareils. Pour la direction, le mouvement de février-mars ne pouvait donc qu’entrer dans ce “ cadre ” alors qu’il le contredisait.
C’est ce “ point de vue ” qu’elle a, depuis, constamment projeté sur tous les événements politiques des trois dernières années.
Dans la foulée de ce qui précède, CPS n° 83 n’hésitera pas devant l’absurde thèse de la liquidation “ de fait ” de la convention nationale de la métallurgie… qui n’a jamais existé. Mais surtout, elle renoncera à toute perspective de combat sur l’instauration du PARE.
On connaît les faits : tentative du Medef, en avril 2000, de soumettre les allocations chômage à l’acceptation de n’importe quelle offre de travail gratuit intitulée “ formation ” ; participation des appareils syndicaux aux concertations préalables ; accord escompté par le gouvernement, mais entravé par le refus de signer de la CGT et de FO (29 juin) et de la CGC à leur suite, refus devant lequel le gouvernement estimera impossible de donner l’agrément indispensable (juillet 2000).
C’était au moins une grosse pierre sur le chemin allègre de la “ refondation sociale ”. Il fallait revenir en arrière et reprendre les négociations, en recul, pour trouver un accord acceptable pour les dirigeants de la CGT et de FO, et par les députés du PC et du PS qui manifestaient leur hostilité.
Une perspective de combat était donc ouverte.
Au lieu de cela, le supplément CPS de juillet ignore délibérément le refus de signature par la CGT et FO, anticipe en spectateur : qu’adviendra-t-il du PARE ? on verra ; et prophétise qu’un jour “ le prolétariat cherchera à l’annuler ”, alors qu’il n’est pas encore instauré et que d’intenses pourparlers se déroulent pour “ rattraper le coup ”.
Mais pour la direction du Comité, si le gouvernement ne l’agrée pas, ce n’est que par “ manœuvre ”, et non parce qu’il ne s’en sent pas l’assurance politique sans l’accord des syndicats. D’ailleurs, argumente le CN, tout est déjà dit dans le préambule, signé lui par tous les dirigeants (bizarre quand même que Jospin ne le comprenne pas !). Donc à quoi bon s’agiter ? Il suffit de dénoncer, à quoi CPS s’emploie à fond, sans tenir compte que même après l’agrément enfin signé, un délai de six mois existe encore entre l’arrêté (janvier 2001) et l’entrée en vigueur. Mais pour le CN, bouchant lui-même toute issue pour “ l’annulation ”, “ la boucle est bouclée ”.
La conclusion est qu’avec les appareils, le Comité fut sans doute parmi les premiers à “ quitter le champ de bataille ”.
Lorsque la direction de la CGT s’est excusée auprès du patronat de ne pas pouvoir aller jusqu’au bout de la compromission en l’assurant que sa « non signature » était « non conflictuelle », le CN s’en est emparé pour prouver que signature ou non signature ne changeait rien et que les dirigeants restaient des traîtres. Cette belle découverte servait surtout à tenir pour négligeables les raisons qui les avaient empêchés de signer et obligés à s’excuser, à savoir le risque d’avoir à affronter la classe ouvrière prête à faire rebondir le mouvement des mois précédents.
La raison en est la propension de la direction à négliger, au profit des appareils, les contradictions dans lesquelles ils sont pris à chaque moment (quoiqu’elle les connaisse en théorie).
C’est pourtant ce qui s’est passé en 1995 dans l’échec de la commission Levert, que le CN rappelle volontiers en donnant comme raison le refus de participation de l’appareil CGT, ce qui est juste, mais sans remonter le plus souvent à la cause : le combat de la classe ouvrière.
C’est aussi ce qui s’est passé pour le projet Zuccarelli sur les 35 heures dans la Fonction publique. En janvier-février 2000, tous les dirigeants syndicaux FSU, FO, CGT étaient prêts à le signer. Or après trois jours de négociations, et parce que les grèves se développaient, ils ne l’ont pas pu. Echec pour le gouvernement, la bourgeoisie, les appareils syndicaux. C’est cet échec qui a fait de Zuccarelli l’une des quatre victimes de l’épuration gouvernementale. Il appartenait aux trotskistes de le mettre en évidence pour montrer que les appareils ne sont pas tout puissants, donner confiance aux travailleurs dans leurs propres forces, au lieu d’en nier l’importance avec la nomination de Sapin.
Celui-ci, à la demande des bureaucrates, a repris les négociations, prudemment, “ sous embargo ”. Trop tôt : une fois encore, ceux-ci ne peuvent pas signer. Sapin décide alors d’annoncer seul le projet de décret, qui sera finalement publié, et sa mise en œuvre négociée.
Est-ce la même chose que si les dirigeants syndicaux avaient signé d’emblée ? Oui pour les prophètes du “ je l’avais bien dit ”.. Non pour les travailleurs qui peuvent en conclure, même s’ils savent que l’adversaire ne renonce jamais, qu’il est possible de mettre en échec le gouvernement et les bureaucrates.
Et ils le comprennent d’autant mieux si les révolutionnaires ne renoncent pas à s’en servir de point d’appui pour le leur expliquer, suivant l’exemple de CPS n° 1 (janvier 85) dans le cas analogue où FO refusa de signer l’accord sur la flexibilité, apprécié par Stéphane comme : « un succès politique des militants et des travailleurs, un échec du CNPF, du gouvernement, des appareils confédéraux ».
La direction du Comité a réitéré dans les hôpitaux, où les dirigeants de FO – pourtant signataires des protocoles de mars 2000 et 2001 – se sont dérobés à la signature de l’accord du 27 novembre, entraînant le refus de la CGT. Pourtant Thibault était personnellement intervenu pour tenter de l’éviter.
Le seul commentaire du CN a été que signature ou non, c’était pareil « puisqu’ils avaient participé ». La combativité des hospitaliers et leurs rapports tendus avec les appareils étaient, pour lui, sans importance. Si l’on se place du point de vue du gouvernement, le raisonnement est tout à fait juste. Si l’on se place aux côtés des travailleurs concernés, cela équivaut encore à déserter le terrain du combat.
Certes, les bureaucrates syndicaux se sont abstenus un nombre incalculable de fois de parapher des accords, sachant que d’autres s’en chargeraient, et qu’ils passeraient. On ne comprend rien si l’on ne voit pas qu’il s’agit déjà d’une précaution (ne pas apparaître trop visiblement mouillé) face à la classe ouvrière. Mais en tirer mécaniquement une leçon générale, comme nous l’avons entendu (« ils font toujours ça, faire semblant, c’est leur façon d’être complices ») quels que soient les enjeux et les rapports de force, c’est ignorer le BA-Ba de la dialectique.
Pour nous, l’analyse correcte de ces faits, qui sont appelés à se reproduire, reste celle du rapport de la 2ème Conférence, qui indiquait :
“ Inéluctablement, la soumission à la participation développe des contradictions puissantes, à la limite explosives, à l’intérieur des centrales et organisations syndicales et des rapports conflictuels entre la classe ouvrière et les organisations et centrales syndicales se soumettant à la participation qui peuvent provoquer des retournements inattendus comme celui de la direction FO qui, après avoir été la locomotive des accords avec le patronat sur “ la flexibilité ” a dû, en décembre 84, refuser de signer les accords conclu, les autres organisations syndicales étaient contraintes également de renoncer à les signer (…) les appareils, tout en s’enfonçant dans la participation, sont effrayés de ses conséquences : soit qu’elle aboutira au corporatisme, soit aussi que la politique ultra-réactionnaire du gouvernement provoque l’irruption révolutionnaire des masses ” (…) “ Ils peuvent même aller jusqu’à exercer une certaine résistance, une espèce de chantage vis à vis du gouvernement et du patronat ”.
Faut-il croire que Stéphane “ donnait un signe plus aux appareils ” ? Non, mais il savait analyser la complexité des rapports au sein de la classe, et s’en saisir pour montrer la voie du combat.
C’est ce que la direction du Comité a du mal à faire, comme le montre ce qui suit.
Selon la même méthode de pensée qu’après la loi Aubry, le CN a focalisé toute l’intervention du Comité depuis la rentrée 2002 sur la loi constitutionnelle de décentralisation.
Celle-ci est certes une pièce importante du dispositif de la bourgeoisie. Ce n’est pas seulement dans le but de liquider le statut de la Fonction publique, comme la direction le présente volontiers, selon son penchant trade-unioniste, mais parce que la libération du jeu du capital, la baisse des charges, la liberté des prix et des marges, les dénationalisations, les privatisations, etc… supposent le maximum de déréglementation de la production et des échanges. De ce point de vue, politique et non para-syndical, “ remettre à leur juste place l’Etat et les collectivités locales ” (selon l’expression déjà ancienne du CNPF), exige de donner à celles-ci plus d’indépendance politique et économique.
Le démantèlement de la Fonction publique et de son statut en est la conséquence indispensable, ainsi que celui de nombreux autres acquis (dans l’éducation, la santé, la culture, les transports, etc…). Le combat pour leur défense passe donc bien par la dénonciation de ces objectifs, le refus du projet de loi constitutionnelle, en particulier en direction des députés PS et PCF à l’Assemblée nationale, avant, mais aussi après l’échéance de son passage au Parlement, lors des transferts de compétences et des décrets d’application.
Mais, pendant que cette loi se prépare, le gouvernement Chirac-Raffarin n’a pas attendu pour poursuivre son offensive. Une bonne partie en sera favorisée par l’application de la loi constitutionnelle, mais ne lui est pas organiquement liée (il y a longtemps que des mesures de décentralisation ont été déjà opérées) et d’autres attaques, comme les lois “ sécuritaires ” et les crédits militaires lui sont totalement indépendants.
Or, si le CN a tout centré depuis octobre sur la préparation de cette loi, c’est volontairement au détriment des interventions et des mots d’ordre sur des attaques immédiatement subies : loi Fillon, budget, Hôpital 2007, privatisation d’EDF-GDF avec son volet capital sur les retraites, lois Sarkozy… Il n’a pas estimé que ces menaces justifiaient une agitation particulière, toute la situation politique étant “ cadrée ” par la loi constitutionnelle. Les militants ne devaient même pas particulariser en fonction des attaques formulées dans leur milieu d’intervention comme cela a été formellement proscrit par Lombard, au Comité parisien en octobre, à propos de l’intervention à Lariboisière. Suivant scrupuleusement cette consigne, la secrétaire de la section CGT du CHU de Clermont Ferrand a réalisé le tour de force, au congrès de son syndicat, de ne pas dire le moindre mot , dans la motion qu’elle y a présentée, sur les problèmes posés aux hôpitaux par le plan « Hôpital 2007 » de Mattei (pourtant articulé sur la régionalisation). Seule la future loi constitutionnelle a mérité son attention, en tous cas, d’après ce qu’on peut lire dans CPS.
En défiant le gouvernement sur les retraites, 53,5 % des travailleurs d’EDF-GDF ont, en janvier 2003, infligé à cette vision un démenti cinglant, malgré le procédé pourri du référendum par lequel l’appareil de la CGT espérait les juguler. Ils n’ont attendu de personne l’autorisation de « particulariser » leur combat, ce qui a fourni un “ cadre ” beaucoup plus tangible si l’on prend comme point de vue non les intentions de la bourgeoisie mais la combativité de la classe ouvrière, si l’on se place sur le champ de bataille et non au-dessus.
C’est en même temps une démonstration éclatante des rapports explosifs entre celle-ci et les bureaucrates, et sur la situation contradictoire de ces derniers telle que l’exprimait Stéphane en 1985.
Après les élections municipales d’avril 2001, le CN concluait :
Concernant le 1°, on savait depuis 1997 que, fidèle à la tâche de tout gouvernement de Front populaire, celui de Jospin devait passer le relais à un nouveau gouvernement bourgeois après avoir fait refluer la classe ouvrière. Cette “ signification politique ” n’était donc pas une découverte. Le problème est qu’il n’avait pu l’accomplir jusqu’alors et que le potentiel de combat de celle-ci restait intact. Mais pour le CN, le “ baromètre ” des élections indiquait le contraire, de même qu’il indiquait la dissolution du PS dans le “ Front républicain ”.
L’inconvénient, c’est qu’il n’y avait pas de Front républicain, mais seulement le bénéfice local du vote de quelques fractions de l’UDF, et donc aucune “ dissolution ” du PS. Confondre dissolution et alliances, c’est prendre des flaques pour une inondation.
Comme on pouvait s’y attendre après février-mars 2000, les résultats révélaient par contre que des millions de votants s’étaient détournés des partis de la Gauche plurielle-Front populaire, mais sans pour autant basculer du côté du retour des partis bourgeois. La preuve évidente en était donnée entre autres à Lyon et surtout à Paris où l’enjeu était ressenti comme d’importance nationale, et où les abstentionnistes déjà en baisse de 10% au premier tour se sont massivement reportés sur le PS, ainsi que la totalité des voix LO-LCR. Dans les conditions piégées que l’on connaît, ce vote n’en était pas moins un vote de classe.
En quoi, par conséquent, la classe ouvrière était-elle sans perspective politique ? Ce n’était pas à cause d’un désarroi consécutif à une situation de défaite, mais à cause de la contradiction suivante : en 1997, l’objectif était clair : chasser le gouvernement Juppé et constituer un autre gouvernement favorable aux masses populaires pour lequel celles-ci pensaient que le PS et le PCF étaient candidats. En 2001, elle repoussait à la fois le gouvernement dirigé par Jospin qui en était dérivé, et le retour des partis réactionnaires, sans savoir quoi mettre à leur place.
Ce dilemme expliquait à la fois le refuge massif dans l’abstention, et la recherche par des secteurs non négligeables du prolétariat d’autres solutions politiques vers LO et la LCR.
Aborder les choses de cette façon aboutissait à conclure que rien ne permettait de prévoir les évènements et les configurations politiques de l’année à venir, et encore moins celles des futures élections présidentielles, ce qui ne pouvait que favoriser notre intervention et nos mots d'ordre.
A l’évidence, cependant, pour la direction du Comité, une fois de plus, les carottes étaient pratiquement cuites, et l’essentiel restait de se battre pour la défense des acquis.
Or, la conclusion qui aurait dû être tirée était, au contraire, celle d’une campagne d’agitation sur l’axe donnant la seule solution du dilemme, vers un gouvernement ouvrier, c’est-à-dire pour la réélection d’une majorité PS-PCF et pour un gouvernement du PS et du PCF sans ministre bourgeois, auquel la classe ouvrière mobilisée dictera ses exigences.
Il faut le reconnaître, la déclaration du CN l’indiquait, mais simplement comme une issue pour la lutte contre les licenciements et pour les revendications, et seulement comme une perspective hypothétique et théorique. Pas comme une réponse politique immédiate au problème qui se dégageait des résultats du vote.
La ligne ci-dessus ne sera donc pas développée, ni entre les élections municipales et les présidentielles, ni pour celles-ci, et encore moins pour les législatives.
Avant celles-ci, l’onde de choc du 11 septembre plongea la direction du Comité dans le fantasme de “ l’Union sacrée contre les prolétariats ”.
Déjà promise à la défaite électorale, la classe ouvrière française l’était soudain à la paralysie et à l’oppression. Comme il est difficile de croire que le CN ignore le sens des mots, on est obligé de penser qu’il ignorait le sens des réalités. Car au moment même où il caractérisait “ d’Union sacrée ” la nouvelle situation, les dirigeants syndicaux, plus clairvoyants, s’y déclaraient formellement opposés, Blondel et Thibault en tête. Et les mouvements de classe qui se succédèrent de septembre à décembre, et au-delà, au ministère de la Culture, à la Monnaie, chez les cheminots et les dockers, dans les banques et les hôpitaux, chez les instituteurs parisiens, à la FNAC… ont permis de comprendre le “ pourquoi ” de ces prudentes déclarations.
Face à la réalité, le CN qui avait commencé par dénoncer comme preuves “ d’Union sacrée ” tout et n’importe quoi [31], et poussé le catastrophisme jusqu’à évoquer une menace de “ dissolution du prolétariat dans l’Union sacrée ” (déclaration du 16 septembre) a ensuite discrètement renoncé à cette caractérisation des rapports politiques, comme si ceux ci avaient secrètement changé… ou comme s’il n’en avait jamais été question dans ses écrits.
Aucun texte du Comité ne s’en est expliqué.
Cet épisode pourrait sembler mineur, s’il ne montrait jusqu’où le parti pris de la défaite peut mener, dans la divagation théorique et dans l’évaluation aberrante d’une situation politique, une direction déboussolée.
C’est surtout face aux tournants politiques qu’une organisation révèle la valeur de sa ligne, ses hésitations ou oscillations. C’est ce qui s’est passé aux présidentielles. Il est difficile, quand on a prophétisé une défaite inéluctable, de mener vraiment le combat pour l’empêcher.
C’est pourquoi le quatre pages du Comité daté de trois semaines avant le scrutin, tout en titrant “ Pour en finir avec Chirac ” ne “ se prononçait pas clairement ” (ce que l’on exige pourtant des appareils) en faveur des candidats ouvriers. Le texte était essentiellement consacré à “ tirer le bilan ” du mandat de Jospin, c’est-à-dire à démontrer ses trahisons et la similitude de son programme avec celui du RPR et du Medef. De même pour le PCF. Quant à LO et à la LCR, ils étaient accusés de “ faciliter la victoire de Chirac ”. Que restait-il ? L’appel au vote “ classe contre classe ” était vidé de son contenu. Il fallait attendre la fin de la troisième page pour lire ce qui aurait dû être le point de départ et l’axe du texte : “ La défaite de Chirac, candidat de la bourgeoisie, ouvrirait une faille que la classe ouvrière pourrait utiliser ” [32]. Ces deux lignes mises à part, ce supplément à CPS se différenciait à peine de Carré Rouge renvoyant dos à dos les deux “ candidats bourgeois ”. Le tract pouvait titrer “ pour une solution ouvrière à la crise ” : en ne menant aucun combat pour ce qui devait, dans les conditions concrètes des présidentielles, en constituer le premier acte, il le réduisait encore une fois à une proclamation purement idéologique.
Le résultat du premier tour n’a eu d’autre effet que d’accentuer cette position jusqu’à la démission politique. Une analyse détaillée a été effectuée dans la contribution pour la XIIIème Conférence : “ Le Comité face aux élections ”. On peut la résumer ainsi :
On peut dire pour conclure qu’au lieu “ d’exprimer consciemment le mouvement inconscient ”, la direction du Comité, face à un événement de cette importance a surtout exprimé la distance qui la séparait de la classe ouvrière et des masses en général, et de la traduction pratique des acquis du trotskisme.
En avril-juin 2002, la direction du Comité n’a pas été la première à quitter le terrain du combat. Elle n’y est simplement pas entrée.
A partir de là, en octobre, CPS n°91 prend la victoire de Chirac et ses 82 % “ napoléoniens ” pour la résurrection du gaullisme, avec sa “ société du 2 décembre ” et son “ gouvernement au-dessus des partis ”, sa marche au corporatisme et à l’association capital-travail, la liquidation des organisations et partis ouvriers, la destruction des libertés ouvrières, l’Etat policier, bref, la fin de la crise de la Vème République, et voit la nouvelle situation comme “ un tournant politique par rapport aux vingt dernières années ”, c’est-à-dire depuis 1981. Autant dire que nous sommes entrés dans une nouvelle période des rapports de classe, marquée par la puissance de la bourgeoisie.
Et la classe ouvrière ? L’éditorial, consacré à l’évoquer et à détailler les offensives en cours ou prévues par le gouvernement Chirac-Raffarin, se souvient de son existence au bout de huit pages (sur neuf) en ces termes : “ Bien évidemment (sic !) la classe ouvrière n’est pas écrasée ”. Cette “ évidence ” dispense les rédacteurs d’expliquer sur quoi ils fondent ce diagnostic. Par exemple sur les 10% de LO-LCR ? les manifestations ? le 1er mai ? la remontée du PS aux législatives ? Mais non. En fait, c’est seulement qu’ “ inévitablement, par son mouvement spontané, elle reprendra le combat ” au futur. Il faut donc “ préparer les combats efficaces ”. Pour plus tard. Pas sur la loi Fillon, ni sur les mesures Sarkozy, ni sur “ l’hôpital 2007 ”, ni sur les retraites… questions immédiates sur lesquelles le CN, en octobre, n’avance aucun mot d’ordre.
Nous avons relevé plus haut sa “ fixation ” sur la loi constitutionnelle de décentralisation, mais sans en expliquer la raison. Elle est simple : si Chirac, clone de De Gaulle, est en position de réaliser par cette loi les projets du général en 1969, la mettre en échec serait frapper le nouveau gaullisme au cœur de sa stratégie. Or c’est possible en s’appuyant sur la défense des statuts de la Fonction publique. Le reste est donc secondaire.
Le CN a seulement oublié une chose : c’est qu’infliger au gouvernement une défaite politique ne passe pas forcément par des voies tactiques préétablies quatre mois à l’avance. La classe ouvrière, pour combattre, se saisit de la première occasion à sa portée. L’éditorial de CPS n° 91 semble le comprendre lorsqu’il parle de “ la nécessité d’ouvrir à chaque moment une issue politique aux combats engagés par la classe ouvrière et la jeunesse ” mais l’oublie aussitôt dans ses conclusions pour lesquelles tout “ se concentre dans le vote du projet de loi constitutionnelle ” … prévu en février-mars 2003.
Remettons les choses à leur place. Effectivement, la classe ouvrière n’est pas écrasée. Mais ce constat, formulé depuis longtemps dans des situations très différentes, ne renseigne pas sur l’évolution concrète des rapports de force à chaque moment.
Elle vient de subir une défaite. Son exclusion de la “ scène électorale ” (mais pas de la lutte des classes) entre le premier tour des présidentielles et les législatives, c’est-à-dire pendant un mois et demi, n’est pas le plus grave. L’essentiel c’est la réélection de Chirac (non pas grâce à ses 82% du second tour, mais malgré ses 19% du premier) et la perte de la majorité PS-PC aux législatives. Ces résultats ont permis à la bourgeoisie de colmater pour un temps la division politique de ses partis par la création de l’UMP, ce qui lui permet de retrouver un maximum de cohérence dans la direction de ses institutions, et donc dans la conduite de sa politique contre la classe ouvrière.
Mais on a vu que dans le même temps, celle-ci a sanctionné la collaboration de classe du gouvernement de Front populaire et sa politique au service de cette même bourgeoisie, en particulier en condamnant le PCF à un effondrement sans doute irrémédiable. Surtout, elle a montré que des fractions importantes du prolétariat et de la jeunesse étaient prêtes à combattre sur un terrain de classe et cherchaient les voies de l’organisation.
Ces rapports politiques n’ont rien à voir avec ceux de 1958-59, lors de l’accession de De Gaulle au pouvoir, sur fond de guerre coloniale, d’impasse des partis bourgeois et de décomposition de la SFIO. Si l’on veut à tout prix faire une comparaison, ils sont plus proches de ceux de 1969, après la crise de 1968, et la “ chambre introuvable ”… mais aussi avant l’échec définitif de De Gaulle au référendum. Le “ vote plébiscitaire (qui) remet sur pied la Vème République ” n’est qu’un nouveau fantasme catastrophiste du CN, comme la “ dissolution du prolétariat dans l’Union sacrée ” ou celle du PS dans le Front républicain.
Il est tout à fait vrai, par contre, que la bourgeoisie et son gouvernement cherchent à avancer à marche forcée pour mener jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à une défaite de la classe ouvrière sur son terrain de classe, ce que le gouvernement de Front populaire n’a pas pu réaliser. Elle attaque sur tous les fronts : privatisations, impôts, décentralisation, santé, conditions de travail et garanties collectives, retraites, mutuelles, budget, menaçant toutes les catégories, et en première ligne les fonctionnaires et agents des services publics. A quoi il faut ajouter la masse des licenciements en cours.
Il est clair que cette situation ne peut que déboucher sur une vague de combats de classe dont on ne peut prédire l’ampleur, malgré les obstacles dressés par les appareils, et contre ceux-ci. Nul ne peut en prévoir les formes ni les délais, mais c’est vers cela que n’importe quel responsable trotskiste doit s’orienter, c’est à cela qu’il doit se préparer, et non s’installer dans la défaite.
Et plus que jamais, dans de tels rapports de classe, les mots d’ordre transitoires ont une importance essentielle, y compris et surtout la perspective du gouvernement ouvrier.
Il faut ajouter que ce qui pousse le gouvernement de la bourgeoisie française, c’est la dégradation de sa situation économique, dans le cadre de la crise mondiale, et l’urgence d’en faire payer les frais au prolétariat. C’est dire que sa force est loin de celle que lui prête la direction du Comité, en oubliant le camouflet de Chirac au premier tour, ce que la suite a mis entre parenthèses sans l’effacer. Et il est totalement schématique de voir dans l’UMP un nouveau RPF et non un conglomérat appelé à concentrer en son sein les divisions antérieures des partis bourgeois, fruits des conditions objectives de la bourgeoisie française face à ses difficultés économiques toujours non résolues, ainsi que face à l’Europe et aux problèmes mondiaux.
Elle se débat, elle aussi, de façon “ historiquement déterminée ”, et 2002 n’est ni 1958 ni 1981. Cela l’oblige à prendre le risque d’affronter une classe ouvrière susceptible d’entrer en révolte, malgré l’appui des appareils indispensable au gouvernement. Celui-ci le sait, et ses précautions sur les retraites, au moment où nous écrivons, le prouvent. Par exemple, la réaction des agents d’EDF-GDF contre le gouvernement vient de le confirmer et doit servir de point d’appui à toute notre expression politique et de point de repère à notre orientation.
Le dernier tract du CN, sur les retraites, montre qu’il est toujours aussi loin de le comprendre.
Après le premier tour des présidentielles, nous nous sommes entendus objecter : dans une situation de défaite, on n’ouvre pas de perspective. Toute l’orientation du CN est là. Car, a contrario, à la IXème Conférence, tirant les leçons de la défaite en Russie, le Comité adoptait un rapport crucial. Il s’intitulait “ une Nouvelle Perspective ”.
1 Dans sa critique du projet de rapport de Mélusine, le CN écrivait : « Au cœur du révisionnisme pabliste, il y a (…) une conception erronée de l’activité de construction du parti révolutionnaire » (p. 11). Le CN révisait ainsi en deux lignes l’analyse faite en particulier par Just d’un courant orienté non sur une « erreur de conception », mais sur la volonté de détruire le parti révolutionnaire, et pour l’entrée de ses militants dans le giron des partis traitres. Par contre on peut dire qu’il a été alimenté chez les militants par un défaitisme envers la possibilité de construire le parti devant la puissance des appareils, et en particulier celui du stalinisme. Ce rapport entre déviations, révisionnisme et finalement trahison mérite de rester en mémoire.
2 et Neuvial dans son texte de 1998, pour une Conférence de réunification ! (indiqué plus haut)
3 Lantier, CN du 4 septembre 1999
4 Voir plus haut les critiques à Hannibal-Massino
5 Neuvial
6 Lombard
7 Voir plus haut les critiques à Hannibal-Massino
8 « La politique en définitive n’est rien d’autre que la science des perspectives » (Trotsky, conversation avec Van Eijenoort, dans son livre « 7 ans auprès de Léon Trotsky » p. 93).
9 Voir plus haut les critiques à Hannibal-Massino
10 La correction ultérieure : « continuité organisationnelle » ne change rien sauf à signifier que la seule continuité que puisse assurer le Comité actuel est celle des principes. Picaret, Jeanine et Yann n’ont pas dit autre chose en 1997. Cela équivaut à faire de lui un groupe de donneurs de leçons et à ravaler le trotskisme au niveau d’une secte idéologique.
11 Voir le texte « la situation mondiale et le combat du Comité », en annexe
12 Souligné par nous.
13 Souligné par nous.
14 C’est à peu de chose près la position des rédacteurs de « Carré Rouge », qui viennent de renoncer à entrer dans la LCR, par peur d’avoir à militer.
15 Voir la contribution « Après le vote des salariés d’EDF-GDF » pour la XIIIème Conférence.
16 Nous abordons plus loin la question du travail syndical.
17 Voir la contribution de Serre : « Le Comité face aux élections ».
18 Voir les contributions de la cellule Serre.
19 Voir la contribution de Magat et Mort Subite.
20 Refus du mot d’ordre « Ni Chirac, ni Le Pen », pour lequel, nous en avons fait l’expérience à notre échelle, des centaines de jeunes étaient disponibles et qui sont partis ailleurs.
21 texte proposé par Lombard au CN avant cette réunion. Les deux derniers points ne sont pas apparus dans le compte-rendu fait par la Lettre de Liaison. Seul le premier subsiste. Ils n’en sont pas moins significatifs, on le verra plus loin.
22 Ce paragraphe était depuis longtemps rédigé lorsqu’il fut confirmé par le renoncement, à Lyon, de diffuser le tract du Comité lors de la manifestation du 15 février contre la guerre en Irak. Récupérées au nom du pacifisme pour un alignement sur Chirac et l’ONU, ces manifestations n’en révélaient pas moins, sous ce carcan, en France comme ailleurs dans le monde, et notamment en Grande-Bretagne, en Espagne et en Italie, où elles se heurtaient par contre aux Chirac locaux, une volonté spontanée de larges masses de combattre la domination impérialiste à travers son intervention miitaire en Irak.
23 “ De la réorganisation du parti ” (12/11/1905). On peut aussi se référer à son “ Discours sur la question du programme du parti ” (22/07/1903) et à sa préface au recueil “ En douze ans ” (septembre 1907).
24 La direction du Comité reprend volontiers cette expression, mais pour en restreindre le sens : pour elle, la spontanéité est “ historiquement déterminée ”… par la dernière défaite et la décomposition du mouvement ouvrier, et non par toute son expérience historique, victoires et acquis politiques compris.
25 Interprétation abusive de : « le prolétariat est réduit à combattre selon son instinct de classe » (Nouvelle Perspective).
26 cf. le contre-texte proposé par Serre en annexe de sa lettre de démission du CN.
27 rappelons que nous y participions pour la première fois depuis 1985.
28 Voir plus loin l’importance de cette question, avec le rappel de la discussion dans le Comité en 1990-91.
29 Un bref recensement, certainement incomplet, en fait apparaître une quinzaine en 2000-2001, dans les interventions, les suppléments à CPS, la Lettre de Liaison, les plate-formes syndicales…, et ils figurent toujours en bonne place aujourd’hui.
30 cf. Editorial de CPS n° 85.
31 Voir la contribution “ Union sacrée imaginaire et rapports politiques irréels ”
32 Il faut reconnaître que cette phrase microscopique était reprise par un paragraphe en page 4 où, enfin, on apprenait qu’avec “ nombre de travailleurs ” qui allaient voter pour les candidats PS et PCF “ C’est à quoi appelle le Comité ” (toujours en minuscule). Ultime profession de foi du “ bout des lèvres ”, incapable de gommer le sentiment d’impasse suscité par le reste du texte.