LEGION III CYRENAICA

Une légion en Arabie

 

1) Histoire générale

 

a) La question du départ de l'Egypte et de l'annexion de l'Arabie

Buste de l'Empereur HadrienAu premier quart du second siècle, d'importants changements sont intervenus sur la frontière sud-est de l'Empire: une nouvelle province est créée se substituant au royaume nabatéen et les légions d'Egypte ont été totalement renouvelées. L'une d'elles a même disparu sous un silence complet des auteurs anciens. Lesquier remarque que presque toutes les unités après 119 sont nouvelles en Egypte, comme si l'on avait voulu effacer le souvenir de quelque chose.

Je ne prétend pas ici trouver la solution à l'épineux et troublant problème qui concerne le rôle précis de certaines unités lors de l'annexion de l'Arabie. Je souhaite tout au plus attirer l'attention sur certains détails passés sous silence, et que l'on ne peut pourtant pas écarter. Je me trompe peut-être. Il me manque des données certainement. Mais d'autres ont écrit des articles sans prendre en considération toutes les informations.

l'annexion du royaume nabatéen

On connaît mal les conditions précises de l'annexion de l'Arabie. La mort de Rabbel II en a certainement fourni l'occasion. Le gouverneur de la Syrie, Cornelius Palma, fut chargé des opérations, et ne semble pas avoir rencontré de résistance (comme en témoigne une monnaie de Trajan: Arabia adquista). Il a été montré que la légion syrienne qui a participé à la conquête de l'Arabie est la VIe légion Ferrata, d'après une inscription de Gerasa et une autre de Bostra. Après la conquète, les 6 cohortes Ulpia Petraerorum equitata créées par Trajan ont dû inclure la grande majorité de la cavalerie nabatéenne mais elle furent envoyées ailleurs: Cappadoce, Arménie et Syrie.

 

Il me semble qu'il a tout de même nécessité un peu de préparation pour coordonner les actions de la VIe légion Ferrata et de la IIIe légion Cyrenaica. Cette préparation est peut-être visible dès 105, puisque les deux cohortes d'Egypte, que l'on retrouve ensuite en Arabie, se trouvent en Judée à cette date. La VIe Ferrata est entrée par le Nord, tandis que notre légion entrait par le Sud, jusqu'à Pétra puis Bostra. Les opérations furent rapidement menées pour qu'Apollinarius puisse écrire à sa famille sans faire allusion à des combats, mais à des travaux de taille de pierres (sans doute construit-on la via Traiana nova qui relie Bostra, Pétra et Aila). Il est ébloui par la richesse des produits qui sont amenés à Pétra par les caravanes: le commerce a donc reprit à cette époque.

 

La participation de la IIIe légion Cyrenaica en collaboration avec la VIe légion Ferrata ne fait donc plus de doute. Il me semble qu'alors elle ne pouvait plus assurer toutes ses missions en Egypte: il me semble difficile d'être à la fois présent à Alexandrie, dans les déserts arabiques, sur la frontière sud, sur la côte, et, en Arabie, de Pétra à Bostra. Il faut peut-être ajouter à la liste tout le sud de la nouvelle province qu'elle connaît mieux que la VIe légion Ferrata (qui, elle, connaît mieux le nord) et qu'elle a dû, si l'on conçoit que Rome a contrôlé immédiatement tout le royaume nabatéen, surveiller aussi.

Or une inscription nous fait connaître la présence de la IIe légion Traiana dès 109 à Pselcis. Beaucoup ont vu là un détachement. La seconde date sûre concernant cette légion provient d'une inscription d'un centurion sur le colosse de Memnon, datée du 19 avril 127 ap. J.-C.. Bowersock ignorait le problème en rejetant la première information: il ne croit pas à cette date de 109 et garde celle de 127 comme première preuve de la présence de la IIe légion Traiana en Egypte. Pour Cl. Préaux, la présence de la IIe légion Traiana en 109 s'expliquerait par la volonté de renforcer les garnisons d'Egypte après le départ d'un contingent de la IIIe légion Cyrenaica pour l'Arabie.

Je crois qu'elle a raison mais qu'il faut aller plus loin: la IIe Traiana a dû remplacer la IIIe Cyrenaica dans ses tâches sur la frontière sud. Cette dernière avait ainsi les mains libres en Arabie où il était bien plus raisonnable qu'elle intervienne elle-même non seulement parce qu'elle devait connaître le terrain et la population après plus d'un siècle de contacts avec les marchands de l'autre rive, mais aussi parce qu'elle était la mieux placée pour compléter la tactique classique de la "prise en tenailles". La IIe légion Traiana, nouvellement créée, ne connaissait pas les lieux et se serait peut-être révélée trop inexpérimentée pour réussir la manoeuvre; mais surtout elle n'était pas sur place pour intervenir immédiatement, car il semble qu'il s'est écoulé peu de temps entre la mort de Rabbel II, la décision d'intervenir et l'accomplissement.

la garnison de Doura Europos

D'après l'inscription gravée sur l'arc de triomphe de Doura-Europos, il est possible que la IIIe légion Cyrenaica ait participé dans son entier (ou presque) à la guerre parthique au moins en 116. C'est à partir de cette époque que la via Nova Traiana est terminée (les milliaires datent de 111 à 115). Puisque le remplacement s'était effectué en Egypte, et que la province d'Arabie était alors contrôlée, pacifiée et équipée d'un réseau routier, Trajan pouvait se permettre de déplacer toute la IIIe légion Cyrenaica et de laisser dans la nouvelle province la VIe légion Ferrata seule. Après avoir obtenu les succès que l'on sait lors de sa campagne, il décide de tenir Doura-Europos en en faisant le lieu de garnison pour une légion: la IIIe légion Cyrenaica continuait ainsi sa mission de protection de l'Egypte en avançant vers l'est. Les Nabatéens n'étant plus des adversaires potentiels, elle pouvait avancer encore plus loin.

Or en 115, le gouverneur consulaire C. Claudius Severus quitte sa fonction. Après lui, les gouverneurs gèrent leur consulat pendant leur légation en Arabie. Sartre remarquait le rang élevé et l'expliquait par la tâche qu'il devait accomplir.

Ne faut-il pas plutôt y voir un indice selon lequel il commande à deux légions (même si le déplacement complet de la IIIe légion Cyrenaica ne s'est pas effectué dès 106)? D'ailleurs on connaît un légat de légion anonyme qui vient étayer cette hypothèse: cela signifie que la IIIe légion Cyrenaica s'est trouvée à un moment avec une seconde légion dans une province qui ne peut pas être l'Egypte. Au moment de la guerre contre le Parthes (en 115), Trajan retire alors la IIIe légion Cyrenaica pour l'engager dans sa campagne. On n'a plus besoin alors d'un gouverneur d'un si haut rang pour gérer la province puisqu'il ne reste plus qu'une seule légion.

retour en Egypte

Le 4 août 119, le camp de Nicopolis est dit "camp de la IIIe légion Cyrenaica et de la XXIIe légion Deioterana" ce qui prouve la présence de ces légions. C'est une lettre d'Hadrien réglant généreusement des problèmes d'héritage après une campagne.

A mon avis, dès son avènement, Hadrien décide d'évacuer les nouvelles conquêtes de Trajan, parce qu'il les considère difficiles à tenir. Parmi les postes à évacuer il y a Doura-Europos. La IIIe légion Cyrenaica est donc rappelée en Egypte en 117. Elle y reprend son ancienne place, mais cela n'a pas dû plaire aux soldats qui avaient fait la campagne. Hadrien se doit donc de les calmer en permettant plus de souplesse dans la reconnaissance des héritages.

La IIe légion Traiana n'est donc plus utile ici: elle est envoyée en Judée ou en Syrie: on connaît une épitaphe d'un soldat de cette légion mort à Sidon en 117, et un milliaire de Judée (dans la Colonia Claudia Ptolemais), daté de 120, porte le nom de la IIe légion Traiana.

Ce que je ne comprend pas encore, c'est la rotation qui a lieu, peut-être en 123, entre la IIIe légion Cyrenaica, le IIe légion Traiana et la VIe légion Ferrata. Cette année là Hadrien eut des problèmes avec les Parthes. Ti. Claudius Quartinus est peut-être chef d'une force sur la frontière pour appuyer la diplomatie d'Hadrien à ce moment.

Le mystère de la disparition de la XXIIe légion Deioterana y est peut-être lié. De plus on a aucune preuve de sa présence en Egypte entre 115 et 118. Aucun document ne prouve que la XXIIe légion Deioterana participe à la guerre juive d'Hadrien (132 ap. J.-C.) même si Lesquier pense qu'elle y a fini ses jours. Schwartz ne croit pas que la XXIIe légion Deioterana fut anéantie pendant la révolte juive de 115-117 puisqu'on la retrouve nommée dans la lettre d'Hadrien. Pour Moi, sa disparition se situe alors entre les deux, soit entre 119 et 130. Pour ma part, je me demande si les problèmes d'Hadrien avec les Parthes en 123 ne seraient pas effectivement liés à la disparition de la XXIIe légion Deioterana.

b) L'installation à Bostra et dans la province

Dès 106, Bostra est la capitale de la province. Elle devient donc immédiatement le centre de l'administration romaine, et de l'armée aussi. C'est pourquoi la cohorte d'Apollinarius est déplacée de Pétra à Bostra. S'il précise que sa propre cohorte part pour Bostra, cela signifie qu'au moins une autre reste à Pétra ou dans le reste de la province.

Il faut remarquer que la IIIe légion Gallica tenait garnison légèrement plus au nord de Bostra: vers Damas. Cette concentration de troupes à cet endroit doit s'expliquer autrement que par la volonté de pouvoir prêter main forte aux légions de Judée en cas de problèmes. Car il existe d'autres sites plus proche de cette province, dans lesquelles la légion aurait pu s'installer (Gerasa, Philadelphie,...). Il doit aussi y avoir un rapport avec les pistes venant de l'Est. Plusieurs en effet aboutissent à Damas et même à al-Azraq. Elle peuvent servir de passage à une armée parthe. Ces deux légions ont donc été rassemblées au point d'aboutissement de ses routes. L'attitude de la population locale est peut-être une autre explication.

Peu d'informations existent sur l'Arabie au cours des IIe et IIIe siècles. Les fouilles de Gerasa ont pu établir une certaine chronologie des événements concernant cette ville. La première enceinte de Gerasa est de faible épaisseur et sans tour, daté vers 66-67 au moment de la révolte juive, détruite peu de temps après, et reconstruite à la fin du IIe siècle. Le quartier sud (au moins) est détruit fin IIIe siècle, et une nouvelle enceinte est reconstruite vers 285. Celle-ci comporte des tours carrées et un casernement près de la porte sud. La reprise économique des Ve et VIe siècles est brutalement et définitivement arrêtée peu avant la conquête arabe.

L'enceinte reconstruite à la fin du IIe siècle s'explique peut-être par les troubles intervenus au début du règne de Septime Sévère. On apprend que la légion se serait proclamée en faveur d'Albinus (alors qu'elle n'a jamais eu de contacts avec lui, et que l'Orient dans son ensemble soutien Septime Sévère). Puis l'Histoire Auguste précise que Sévère a rétabli l'ordre en Arabie. Je crois donc plutôt que ce sont les tribus arabes qui se sont agitées, d'où l'enceinte de Gerasa et l'intervention de Septime Sévère.

Les destructions de la fin du IIIe siècle correspondent avec le passage ravageur de Zénobie. On retrouve aussi des destructions à Bostra.

 

Au IIe siècle, on trouve les troupes auxiliaires suivantes:

deux ailes: - ala dromadariorum

- ala vetrana Daetulorum;

6 cohortes: - I Augusta Canathenorum equitata

- I Hispanorum

- VI Hispanorum

- I Thebaerorum

- I Augusta Thracum equitata

- I Thracum milliara .

Deux cohortes (la I Hispanorum et la I Thebaerorum) se trouvaient déjà en Haute Egypte. Elles ont donc suivi la IIIe légion Cyrenaica dans ses déplacements.

c) Depuis la fin du IIIe siècle jusqu'à la fin du Ve siècle

Les informations manquent cruellement. Le renforcement de la présence militaire s'effectue dès l'époque des Sévères, certainement à la fin du IIIe siècle - début IVe siècle: arrivée de la IVe Martia à Lejjun et de la Xe Fretensis à Aila. Ce doit être le signe d'une dégradation de la sécurité dans la région.

La Ière légion Parthica Philippiana, a dû aussi intervenir en Arabie vers 245-250, après l'expédition perse. Elle appartient normalement à la province de Mésopotamie.

La création de la IVe Martia est généralement attribuée à l'empereur Galère vers 293, très attaché à Mars. Son arrivée à Lejjun (près de Karak) se situe vers 300, dans un camp légèrement plus petit que celui de Bostra: 250m sur 200m.

Sous la tétrarchie, avant 314, toute la région située au sud du wadi al-Hasa, le Negev et le Sinaï, est détachée de l'Arabia. Puis entre 451 et 535, la frontière de la Palestina Tertia est déplacée vers le nord sans doute sur le cours du wadi Mujib (Arnon), englobant ainsi tout le pays de Moab; mais peut-être dès avant 441 si D. Van Berchem a raison pour la date de l'édit de Barsabée.

La Notitia Dignitatum parle d'un "praefectus legionis tertiae Cyrenaicae" à Bostra. Sur la garnison du IVe siècle, je renvois à l'article de S.T. Parker.

Le territoire que la IIIe légion Cyrenaica devait contrôler s'est donc considérablement réduit. Elle se consacre alors entièrement à la surveillance du nord de la province.

Pourtant les troupes de la région sont incapables d'empêcher les chefs locaux du Hidjaz de venir razzier l'Arabie. Vers 473, l'émir Imrulqays (Amorkésos) s'empare de l'île de Jotabé, à l'entrée du golf d'Aqaba et l'empereur Léon ne peut que lui reconnaître le titre de philarque allié. Les troupes byzantines ne reprennent l'île que 25 ans plus tard.

 

2) Les événements ponctuels

 

a) L'invasion de Zénobie

A la fin du IIIe siècle, la reine Zénobie de Palmyre se révolte contre Rome. Cela conduit à la création d'un nouvel état en Orient. Elle fit campagne en Arabie et jusqu'en Egypte.

La destruction du temple de Zeus Ammon à Bostra témoigne de la violence des combats qui ont eu lieu lors de sa descente de Zénobie vers l'Egypte. Le chef de la légion aurait même été tué au cours des combats. Will pensait aussi que la IIIe légion qui contribua à la ruine de Palmyre devait être la IIIe légion Cyrenaica: en pillant le temple du Soleil à Palmyre, elle aurait vengé la destruction du temple de son dieu. L'hypothèse est séduisante, mais la IIIe légion Gallica résidait aussi en Syrie, et d'autres corps de troupes avaient pu subir les mêmes exactions.

 

b) Les activités en Mésopotamie

Deux soldats sont connus pour être décédé en Mésopotamie. Je remarque aussi que la légion a tenu garnison à Doura-Europos, aux portes de cette région. Un autre soldat nous fait savoir qu'il a été muté dans la Ière légion Parthica qui stationna à Nisibis, en Mésopotamie.

Avec tous ces indices, je me demande si la frontière de l'Arabie ne s'est pas étendue jusqu'à l'Euphrate Pendant une courte période; à moins que la IIIe légion Cyrenaica ait changé de province pendant cette même période. Ceci expliquerait que des soldats de la IIIe légion Cyrenaica connaissent cette région suffisamment pour qu'il se soit révélé utile d'en enrôler une partie pour créer cette nouvelle légion sous Septime Sévère.

 

c) La participation aux guerres extérieures

Nous avons déjà vu que la IIIe légion Cyrenaica a participé à la guerre parthique de Trajan.

Chapot pense qu'elle participe aussi à la 2e guerre de Judée (révolte de Bar Kochba) et à la guerre parthique de Caracalla; mais qu'elle n'est pas présente à la guerre parthique de Lucius Verus, ni à celle de Sévère Alexandre, ni de Gordien III, ni contre Zénobie.

Certains ont pensé que la IIIe légion Cyrenaica a participé à une guerre contre les Maures sous Antonin le Pieux, mais Ritterling en doute. Je suis d'accord avec lui car aucune inscription de cette région ne peut le laisser sous-entendre. Ce sont en effet des inscriptions mentionnant le plus souvent de longs cursus; ce ne sont pas des inscriptions funéraires.

On a pas la preuve de sa participation à la guerre de Marc Aurèle contre les Marcomans (malgré les 2 inscriptions de Salona?). Cependant des centurions qui ont fait des carrières totalement en Occident, se trouvent subitement envoyés dans la IIIe légion Cyrenaica. Ce dépaysement est étrange. Il faut peut-être se demander s'ils n'ont pas été incorporés dans des détachements de la IIIe légion Cyrenaica lorsque ceux-ci sont allés participer à des campagnes en Europe.

Il parait ensuite étonnant, vu sa position, qu'elle ne participe pas à la guerre en Orient de Lucius Verus (165-166), puisque celui-ci obtient comme résultat l'entrée pour un siècle de Doura-Europos dans l'Empire. Mais elle est peut-être occupée dans la guerre "arabique" qui a lieu en même temps. C'est peut-être grâce à cette opération, "en nettoyant les arrières", que Lucius Verus a pu conservé Doura.

Avidius Cassius menait ces opérations. On peut donc supposer que la IIIe légion Cyrenaica a fait partie des troupes qui l'ont soutenu lorsqu'il se proclama Empereur après l'annonce mensongère de la mort de Marc Aurèle (en 175), même si dans son discours, Marc Aurèle ne mentionne pas l'Arabie parmi les provinces rebellées.

Elle a dû aussi apporter son soutient au gouverneur de Syrie Pescenius Niger en 193. Peut-être s'est-elle entêtée contre Septime Sévère en soutenant Albinus, mais j'ai déjà dit plus haut pourquoi je n'y crois pas. D'ailleurs la modification de frontière effectuée par Septime Sévère, lui donne le contrôle d'un espace plus grand, au détriment de la Syrie (et surtout de la IIIe Gallica qui stationne légèrement au nord). Mais, en plus une monnaie de Septime Sévère porte l'effigie de Zeus Ammon et la légende " IOVI VICTORI" (célébrant une victoire inconnue).

Ritterling n'avait pas de preuve de la participation de la IIIe légion Cyrenaica à la guerre parthique de Caracalla. En effet la fouille de Doura-Europos n'était pas encore réalisée. On sait maintenant qu'elle y tenait garnison au moins de 214 à 216.

La contre-offensive parthe mît l'armée romaine en déroute et Macrin fut obligé d'acheter la paix. Après l'offensive, en 230, des Perses Sassanides qui avaient renversé les Parthes Arsacides, Alexandre Sévère lança une offensive (231-234). A Doura-Europos les détachements de la IIIe légion Cyrenaica avaient dû subir de lourdes pertes puisqu'ils étaient aux avant-postes. C'est pourquoi je ne crois pas qu'elle ait participé, par la suite, à la campagne de Sévère Alexandre.

 

 

3) Le rôle en Arabie

 

a) La localisation: rapports avec les routes et les points d'eau ?

En regardant la répartition des inscriptions en Arabie, on s'aperçoit clairement que la IIIe légion Cyrenaica a patrouillé plus fréquemment dans le nord de la province que dans le sud. Mais cette vision est certainement déformé par le fait que les soldats ont peut-être moins été tentés d'inscrire leur nom lorsqu'ils patrouillaient dans les déserts du sud.

Cependant sa présence dans le Sinaï, et aussi loin qu'Hégra ou Djawf montre clairement que Rome s'est totalement substituée au royaume nabatéen et qu'elle a occupé les mêmes postes de surveillance. L'occupation fut donc calquée sur les pratiques nabatéennes.

Cette localisation des inscriptions montre aussi que les grands centres de population (les villes de Gerasa, Philadelphie, Madaba et Pétra) devaient abriter des troupes. Cela expliquerait en plus l'étroitesse du camp de Bostra. Tous ces points sont reliés par des routes (surtout celle qui remonte du Sud au Nord: d'Aila à Bostra), ce qui permet une circulation plus aisé.

Il se dégage clairement aussi que sa présence est assurée aux extrémités des grandes pistes désertiques, et aux points d'eau (Namara, al-Azraq). Je suppose qu'elle doit continuer aussi à contrôler la Mer Rouge en collaboration avec la IIe légion Traiana sur l'autre rive. Mais la piste qui part vers le sud de l'Arabie et qui reste en permanence à une centaine de kilomètre de la côte, n'échappe pas à son contrôle. D'ailleurs ce peintre que l'on rencontre à Hégra, est sans doute chargé de ramener des vues de la région, comme on prend des photos de nos jours. Cela montre bien que Rome cherche à se renseigner sur les régions qu'elle connaît peu et dont elle peut un jour avoir besoin de connaître pour y mener quelques opérations.

b) La surveillance du commerce et des carrières

Le rattachement de Gérasa et Philadelphie à la création de la province de Syrie par Pompée coupait le commerce nabatéen circulant sur la route Pétra - Bostra - Damas. Le retour de ces deux villes à la province d'Arabie dès avant 112 marque la victoire de la logique des routes.

Le commerce caravanier est très important dans le royaume nabatéen. Il est le lien obligatoire entre l'Extrême Orient et la Méditerranée (malgré les efforts de détournement en faveur de l'Egypte dont j'ai déjà parlé). Il n'est pas seulement vital pour les Nabatéens: il est aussi essentiel pour l'Inde. C'est à mon avis le sens de l'ambassade indienne auprès de Trajan en 107 ap. J.-C.. En effet ceux-ci devaient se soucier de l'avenir de leurs relations avec l'occident après la main mise de Rome sur leur principal intermédiaire. Mais, si l'on interprète correctement la stupéfaction d'Apollinarius, le commerce a déjà repris en 107.

Ce commerce provenant de l'Inde peut emprunter deux routes. Par le Golfe Persique, il arrive en Perse; ensuite une partie remonte le long du Tigre et de l'Euphrate vers la Syrie du Nord; l'autre partie non négligeable passe par les déserts de l'Arabie, par Djawf puis atteint la Méditerranée. La seconde route empreinte les eaux de la Mer Rouge jusqu'aux ports de la côte (Aila, Leuké Komé, ou plus au sud vers Médine, ou encore au Yémen) puis remonte par la piste parallèle à la côte jusqu'à Pétra avant d'atteindre la Méditerranée. Il ne faut pas oublier la route égyptienne. Dans deux cas sur quatre, le commerce passe par la province d'Arabie, qu'elle enrichie au passage. Ce commerce est donc nécessaire à l'économie locale et doit être protégé. C'est ce que fit Rome en calquant ses pratiques sur celles des Nabatéens. La IIIe légion Cyrenaica a déjà joué ce rôle de protection des pistes dans les déserts arabiques de l'Egypte. C'est peut-être là qu'il faut trouver la raison de son remplacement de la VIe légion Ferrata après les menaces Perses de 123.

L'autre ressource de la région est constituée des extractions du sous-sol. Or les données archéologiques sont assez pauvres. Elles reposent sur des explorations de surface, couplées à une connaissance imprécise de la céramique. Les travaux en cours apporteront des éclaircissements sur l'exploitation ou non des carrières à l'époque romaine. Ces carrières sont localisées dans le wadi 'Arabah et vers Phaino. Je remarque que la IIIe légion Cyrenaica exerçait déjà une surveillance sur les carrières égyptiennes. Peut-être l'administration entière qui était sous la responsabilité du préfet de Bérénice, fut-elle transférée en Arabie dans le but d'utiliser là son expérience.

c) La surveillance de la frontière Est

Les invasions venues de l'Est ont toujours suivi les mêmes routes pendant des siècles. Les armées perses pouvaient atteindre les bords de la Méditerranée en suivant l'Euphrate jusqu'à Alep, ou prendre les pistes qui mènent à Palmyre et qui se poursuive vers Homs ou vers Damas (pour éviter les Monts Liban), ou encore emprunter les pistes plus au Sud qui mènent à Namara ou al-Azraq (par Rutba) ou celle qui passe par Djawf. De ce côté là ce sont les seules routes possibles.

Pour ce qui concerne l'Arabie, la IIIe légion Gallica tient la route de Damas et protège donc la province d'une invasion par le nord. La IIIe légion Cyrenaica se tient elle à égale distance de Namara et d'al-Azraq. La politique romaine me semble claire en ce domaine: une légion tient garnison à chaque extrémité d'une voie susceptible d'être empruntée par les armées perses.

Mais cela n'empêche pas de patrouiller plus avant, et même de tenir des postes fixes. C'est même le seul moyen (grace aux rapports des nomades) d'avoir des informations sur les préparatifs d'une armée ennemie. Ce rôle pouvait être tenu par toute autre légion; ce n'est donc pas là la raison principale du choix de la IIIe légion Cyrenaica pour le remplir.

L'autre danger provient des tribus arabes nomades. J'ai signalé plus haut les guerres que Rome leur a livrées. Le maintient de la paix était essentiel au commerce. Il fallait donc absolument tenir ces populations en respect. On a même une inscription parlant d'un gouverneur qui a ramené la paix entre des tribus rivales. Cela montre bien à quel point les gouverneurs d'Arabie devaient s'en préoccuper.

Pour contrôler ces nomades, il n'y a pas besoin de tenir des postes permanents dans le désert. Il est bien plus efficace de connaître les habitudes des tribus et de savoir à quelle époque elles sont susceptibles de passer à tel endroit. La présence de troupes, même en quantité infime, mais entretenant de bonnes relations avec ces populations, lors des rassemblements autour des tombeaux des ancêtres ou aux points d'eaux, est largement suffisant pour se faire respecter et pour obtenir des informations. C'est certainement pourquoi les postes fixes sont si petits et si peu nombreux.