LEGION III CYRENAICA

 

  Les cultes

1) Un culte officiel: Zeus Ammon ?

 

a) Le dieu des soldats

Il n'existe pas de renseignement sur le culte officiel à Alexandrie. Pour la "période arabe", Sourdel fut le premier à montrer le lien qui existe entre Zeus Ammon et des militaires dans le Hauran. En constatant que ce dieu n'était invoqué que par les soldats de la IIIe légion Cyrenaica, il en a déduit qu'il devait être le dieu tutélaire de la légion.

On retrouve en effet Zeus Ammon dans 9 inscriptions dont la moitié sont écrites en grec. Trois inscriptions proviennent de Bostra, 3 autres du nord de la province d'Arabie, une de Djawf, et deux de d'Egypte (Fayoun et Eléphantine). Mais le lien est écrit clairement seulement sur celle du Fayoun, celle de Sour et celle de Djawf. Ammon est appelé "très grand" dans la première; il est associé à Jupiter Optimus Maximus dans les deux autres. Dans toutes les autres inscriptions, il est lié à des soldats (lorsque l'inscription est suffisamment complète).

Sur les monnaies de Bostra, il est représenté barbu avec des cornes de bélier sur la tempe: monnaie n°2 et 3 ("Ammon" en légende). Il a souvent en plus un disque sur la tête ce qui signifie qu'il fut assimilé à Hélios. Une monnaie le montre différemment: debout de front, et regardant à gauche.

Pour être clair, il faut remarquer le nom de la divinité est passé directement et phonétiquement du grec au latin. On trouve ainsi "Zeus Ammon" en grec et "Jupiter Hammon" en latin.

 

b) Un dieu déjà connu

L'effigie de Zeus Ammon fut introduite dans la numismatique romaine par les deniers de Q. Cornuficius après la mort de César, puis par Pinarius Scarpus. Tous les deux ont dirigé la Cyrénaïque d'où est originaire Zeus Ammon. Ce dieux semble avoir impressionné de grands personnages.

En effet, la Cyrénaïque s'est soumise à Alexandre le Grand en 331. Ce sont alors des cavaliers cyrénéens qui le conduisent à l'oasis de Siwa. Alexandre se disait fils de Zeus Ammon. Ses successeurs, les rois de Syrie et de Cyrénaïque, portent une corne de bélier sur les monnaies pour rappeler ce lien avec Zeus Ammon. En Egypte, c'est un dieu de la fécondité et de la production. Sur l'origine égyptienne et cyrénéenne de Zeus Ammon avant la période romaine, je renvoie à l'article de A.M. Bisi.

Je crois qu'il faut donc faire attention à ne pas oublier que Zeus Ammon n'est pas seulement le dieu tutélaire de la légion. Son culte s'est largement répandu dans le monde grec à l'époque hellénistique. On le retrouve bien sûr à Cyrène, mais aussi dans de nombreuses cités d'Asie Mineure. Or parmi celles-ci, beaucoup n'ont jamais repris, à l'époque romaine, son effigie pour illustrer des monnaies. Il me semble que celles qui l'on repris, l'ont fait à des moments biens précis ayant relation avec des événements concernant la IIIe légion Cyrenaica.

A Alexandrie, l'effigie de Zeus Ammon n'est reprise sur les monnaies qu'après le départ de la légion. De même, en Egypte, les noms théophores en -ammon, inconnus sous les Ptolémées, peu utilisés au début de l'occupation romaine, sont très fréquents à partir de 132 et revêtent 18 formes différentes. Il a bien fallu qu'un événement suffisamment important pour être connu en Asie Mineure et en Egypte, soit à l'origine de ce retour de Zeus Ammon au début du Ier siècle.

On peut donc penser que Zeus Ammon était déjà le dieu tutélaire de la IIIe légion Cyrenaica, lorsque la légion se trouve en Egypte. Les victoires de la légion sous Trajan (l'invasion de l'Arabie et pendant la guerre parthique) ont certainement rehaussé la popularité d'Ammon. Il est vrai qu'on ne le trouve pas souvent mentionné en Egypte, mais l'inscription d'Eléphantine montre clairement qu'il était associé à d'autres dieux. Il faut donc le chercher derrière la mention d'autre divinités.

 

c) Les représentations cachées de Zeus Ammon

Sur les monnaies d'Alexandrie, il est le plus souvent accompagné du disque solaire. Cet attribut signifie sans doute qu'il est assimilé à Hélios. D'ailleurs un soldat de la IIIe légion Cyrenaica a élevé une inscription en l'honneur d'Hélios Sauveur à Ptolemais Hermiu.

Il est appelé "dieu très grand" dans le Fayoun et à Eléphantine. Il est associé à Jupiter Optimus Maximus à Bostra et à Djawf. D'ailleurs celui-ci n'apparaît seul sans Zeus Ammon qu'une fois, à Madaba, où il est associé à Neptune. Cependant l'autel porte la représentation de cornes: cela doit permettre d'y retrouver Zeus Ammon.

A Bostra, Jupiter Optimus Maximus est désigné comme étant le gardien (Conservator) de la légion. Sur une autre inscription, il est nommé aussi "Génie" de la légion avec le nom d'Ammon en épithète. On doit aussi le retrouver au travers de la mention du "Génie de la légion" dans une inscription de Bostra.

On retrouve "Zeus cornu" à Gérasa et sur une fontaine de Deir al Qal'a, qui ne peut être que Zeus Ammon.

Zeus Ammon était donc assimilé à Jupiter Optimus Maximus (qui demeure certainement le dieu de l'armée). Il a porté les épithètes Conservator, Sanctus et "Très grand". Il est le Génie (c'est à dire le dieu tutélaire) de la légion. C'est un dieu bélier représenté avec des cornes sur la tête, et avec un bélier à ses pieds sur les monnaies.

On retrouve le culte de Zeus Ammon à Rome, à Aquincum , en Tripolitaine.

Un article de A. Laronde, ayant pour titre "Les cultes de la Cyrénaïque à la fin de l'époque hellénistique et à l'époque romaine", devrait paraître dans ANRW, "religion", 18, 5. Il apportera peut-être des éclaircissements sur le cultes de Zeus Ammon et sur son extension.

 

2) Les autres divinités

a) Sérapis

Lesquier pensait que Sérapis était la divinité principale de la légion en Egypte. Mais il faut certainement faire remonter l'adoption de Zeus Ammon par la IIIe légion Cyrenaica dès la période égyptienne, comme nous venons de le voir. Je croix plutôt que ces deux dieux devaient cohabiter, car Sérapis est très populaire chez les Egyptiens.

Il existe plusieurs styles de représentation de Sérapis. Dès le milieu du premier siècle, il est le dieux solaire par excellence (Zeus-Hélios-Sérapis). L'attribut solaire se retrouve aussi pour Zeus Ammon sur les monnaies d'Alexandrie et de Bostra.

Je pense donc qu'Ammon a été adopté dès l'origine par la légion (puisque Zeus Ammon est le dieu principal de Cyrène), mais l'influence égyptienne et la présence d'Egyptiens ont obligé à adopter aussi Sérapis. Après le départ pour l'Arabie, les Egyptiens se sont faits de plus en plus rares parmi les effectifs des soldats: l'influence de Sérapis a donc diminué au profit de Zeus Ammon alors seul protecteur officiel de la légion. D'ailleurs à Bostra, Sérapis est représenté avec un temple et un petit animal (pourquoi pas un bélier?), qui est peut-être la marque le l'influence de Zeus Ammon sur Sérapis.

A Actium, Octave inflige une défaite à la "Nouvelle Isis" (titre qu'à pris Cléopatre). Vainqueur à Alexandrie, il se rend dans le temple de Sérapis. En 69, Vespasien proclamé empereur par l'armée d'Egypte, se rend dans le Sérapeum où les prêtres le laissent seul avec le Dieu. Il reçoit une sorte de consécration de la part de Sérapis, puisqu'il bénéficie d'un oracle (le Nil déborde le jour où il fait son entré à Alexandrie) et d'un miracle (il rend la vue à un aveugle et soigne un infirme). "Il a été reconnu par Sérapis avant de l'être par le Sénat".

Le Serapeum est longtemps resté une forteresse du paganisme, mais il cède à la fin du IVe siècle. Sérapis est le dieu d'Egypte le plus populaire. Il est normal de le retrouver parmi les légionnaires. Sozomène raconte que les païens y sont encore très actif et fort attachés à leurs temples en 383 lors de la fermeture du Serapeum d'Alexandrie.

 

b) Les autres cultes

Les divinités suivantes ne sont évoquées que par quelques inscriptions.

Chnoub

Chnoub "le grand seigneur d'Eléphantine" est à l'origine un dieu bélier, qui a été assimilé à l'époque grecque à Ammon, bélier lui-aussi, d'autant plus facilement que dès le Nouvel Empire il est identifié à Râ. L'assimilation à Zeus puis Jupiter a suivi naturellement. Il avait pour femme Satis, qui est devenue Héra pour les grecs, puis Junon-reine; ces deux divinités sont celles de la cataracte , de ses rives et de ses îles. Le néoplatonicien Porphyre, dans Sur les statues, parle à Eléphantine, d'un statue assise, de teint bleu foncé, avec une tête de bélier à cornes de bouc surmontées d'un disque".

les Chrétiens

Aucun document n'associe le christianisme à la IIIe légion Cyrenaica. Il ne doit donc pas avoir séduit les soldats.

Il y a une communauté chrétienne à Bostra dès le début IIIe siècle. Ils subissent des persécutions tout le long du IIIe siècle. La IIIe légion Cyrenaica doit certainement y participer. Au cours de la grande persécution de 303-304, Eusèbe signale les martyres de Bostra exécutés à la hache mais ne précise pas par qui.

Hélios

On le trouve dans une inscription de Ptolemais Hermiu. Il existe un dieu solaire nommé Hélios dans le Hauran à partir du Ier ou IIe siècle, assimilé à Zeus dès le IVe siècle. Son influence est grande, même s'il est peu mentionné par les légionnaires. En effet Zeus Ammon a adopté le disque, son attribu principal.

Pan

Dans le Wadi Semma, près des carrières, un sanctuaire à Pan a été levé. Pan est le dieu des carriers.

Zeus Kyrios et Héra

Ils n'apparaissent qu'à Bostra et sont désignés comme les "dieux ancestraux" d'un soldat dont on ne connaît pas l'origine. Sourdel voit dans le Zeus Kyrios le grand dieu syrio-phénicien Baalshamin dont le culte est bien attesté dans le Hauran. L'épithète Kyrios qui lui est appliquée apparaît fréquemment à coté du nom de dieux orientaux. Plus étrange est la mention de Héra qui ne semble jouir d'aucun culte en particulier dans le Hauran. Il est vraisemblable qu'elle figure ici comme parèdre de Baalshamin-Zeus Kyrios.

Diane

Elle n'apparaît qu'une fois avec un légionaire, à Gérasa, où elle est la divinité de la cité. Cependant une autre inscription fut retrouvé dans le temple d' Artemis-Diane à Ephèse.

Dolichenus

Il apparaît dans deux inscriptions de Rome, élevées par le même personnage. Le surnom de Jupiter Dolichenus vient de Doliché, ville de Commagène, aujourd'hui Dülück en Turquie; le culte semble s'être propagé dans l'Empire (surtout à l'ouest) par le biais des armés de Trajan. Un temple existait sur l'Aventin, qui fut remanié sous les Sévères et Gallien.

 

Sulmus

Il n'est mentionné qu'une fois, à Djawf, en association avec Jupiter Optimus Maximus Hammon.

Héracles Kallineicos

Le culte est d'origine locale. Il est déjà attesté dans le Hauran, à Aqraba, à Nedjran, à Nawa.

Tyché

Le culte de Tyché est attesté dans sept localités du Hauran en sus de Bostra. C'est un culte encore mal défini, recouvrant plusieurs notions. Tyché recouvre, sous des attributs différents, des divinités telles que Astarté de Phénicie, Athéna casquée qui cache souvent la grande divinité nabatéenne Allat, etc.