Guillaume Sorel (interview du site www.actusf.com)
"C'était un défi assez tentant"
Au premier coup d'oeil, on reconnait en général assez
facilement un dessin de Guillaume Sorel. Le style, le trait,
l'ambiance... sa patte est unique et superbe. En fans enthousiastes,
nous sommes trés heureux de vous offrir son interview à
l'occasion de la sortie de L'œil Fé, le premier tome
d'Algernon Woodcock.
Nous : Comment est né le personnage d'Algernon Woodcock
?
Guillaume Sorel : Contrairement à mes autres bandes
dessinées, avec Mathieu Gallié je me suis retrouvé
il y a 3 ou 4 ans avec, sous les yeux, ce qui va devenir la
troisième histoire d'Algernon. Intégralement
écrite, détaillée, découpée
scène par scène, presque case par case. Ensuite j'ai lu
le scénario du premier puis du deuxième tome. Cela s'est
curieusement fait dans cet ordre. J'ai véritablement
craqué sur le personnage. Tout est donc parti de l'esprit de
Mathieu.
Nous : Qu'est ce qui vous a plu dans ce personnage-là ?
Guillaume Sorel : La première idée était d'abord
de retravailler avec Mathieu. Nous avions déjà fait il y
a quelques années un album qui s'appelait le Fils du Grimacier.
Et l'idée de retravailler avec lui était tout à
fait plaisante. Ensuite ensemble, nous avons véritablement un
univers commun, des goûts communs en lecture ou dans les
atmosphères. Et donc le fait de travailler dans les brumes
écossaises était enthousiasmant. Autant que le personnage
lui-même. C'est un nain. Il est médecin. Et ce qui
ressortait surtout dans ce qu'avait écrit Mathieu,
c'étaient les dialogues remplis d'humour. Or, je n'ai pas pour
habitude de travailler des personnages pleins d'humour. C'était
donc un défi assez tentant.
Nous : Vous travaillez sur des histoires
généralement assez courtes, sauf pour ce qui est de
L'Île des morts avec cinq tomes. N'appréhendez-vous pas le
fait de vous engager pour 10 tomes ?
Guillaume Sorel : Effectivement, l'angoisse est là.
L'idée est belle. Les personnages intéressants. Il y a
vraiment une progression. Les cinq aventures sont quasiment
indépendantes, c'est à dire que les albums pourraient
très bien se lire deux par deux. Mais, en fin de compte, il y a
vraiment une continuité entre tous les volumes. En fait,
j'étais à la limite de m'arrêter après
Typhaon. J'avais envie de faire une vraie pause avec la bande
dessinée parce que cela prend énormément de temps,
et de développer d'autres choses, la peinture ou l'illustration
par exemple. Mais ce projet et la collaboration avec Mathieu m'ont
donné envie d'aller jusqu'au bout. Après, qu'il
s'étale sur vraisemblablement sur 8 à 10 années,
c'est assez inquiétant.
Nous : Parallèlement, pensez-vous pouvoir vous consacrer à d'autres projets ? Guillaume Sorel : Pas vraiment. Ce projet est considérable. J'ai du mal à imaginer pouvoir développer autre chose. Cependant, je me suis engagé avec Dieter pour une autre BD dans la lignée de Typhaon à paraître chez Casterman. Une histoire maritime dont les bases sont déjà posées et qui me permettra de m'aérer la tête. |
Nous : On retrouve dans Algernon la mer, le mysticisme... Ce sont des thèmes qui vous sont chers ?
Guillaume Sorel : Les thèmes récurrents de Mathieu
Gallié que nous avions déjà
développés lors de notre première collaboration
m'avaient déjà séduit. Et pour cause, ils sont
assez proches des miens. Nos lectures tournent autour du fantastique,
nos bibliothèques, nos univers se rejoignent. Même pour un
projet aussi personnel que celui qu'il a écrit, Mathieu ne peut
que décrire des thématiques assez proches de moi. Tout
est bourré de références. Après avoir lu
les histoires d'Algernon Woodcock et avant de démarrer
véritablement le projet. J'ai sorti tous les livres de ma
bibliothèque qui faisaient référence à
l'Ecosse. Puis, quand j'ai comparé mes ouvrages à ceux de
Mathieu, c'étaient les mêmes ! Stevenson, Walter Scott et
bien d'autres écrivains anglais.
Nous : Quel est votre lien avec le genre Fantastique ?
Guillaume Sorel : Mes liens avec le Fantastique se font d'abord via ma
bibliothèque. Les deux tiers de mes livres appartiennent
à ce genre. Je peux donc coller chaque BD à deux ou trois
livres en relation directe. C'est une aide également. A chaque
nouveau projet, je n'ai pas honte de dire que je me prévois une
petite pile de ce qui a déjà été fait sur
cet univers, afin de m'inspirer des ambiances, des décors
imaginés par d'autres et que je vais par la suite assimiler et
réinterpréter avec mon imaginaire.
Nous : Qu'est-ce qui retient votre attention dans le Fantastique ?
Guillaume Sorel : L'intérêt du Fantastique, quand il n'est
pas grand-guignolesque, c'est d'aller chercher au fond de l'esprit
humain, de traduire la monstruosité qui est au fond de chacun de
nous. Le Fantastique n'est intéressant que quand il se situe
à la limite du réel, quand le doute est présent
sur les interprétations. C'est vrai que dessiner de bons vieux
monstres, c'est très agréable mais je
préfère, en fait, qu'il y ait toujours ce doute et donc
donner vie ou vérité à des choses étranges.
Certains auteurs m'ont particulièrement marqué. En fait
j'ai un faible pour les représentants du Fantastique belge ;
Thomas Owen, Jean Ray, Michel de Gelderoode et puis de temps en temps,
la bonne vieille histoire de fantômes anglais. Tous ces auteurs
ont la particularité de jouer avec cette limite fragile entre
réel et fantastique.
Nous : Quel est votre relation avec la peinture ? Guillaume Sorel : Eh bien, j'en fais ! La peinture est une partie de mon travail, comme l'illustration ou la sculpture. Mais la bande dessinée exige une narration et c'est d'abord ce qui prime. Moi, je fais des planches très grandes, mon dessin est dynamique, mon trait est vif du fait aussi de la taille de mes planches. Je travaille également à la mine de plomb, des dessins de 2m par 1,5m,tout ça forme un tout, cela définit ma technique. Mais de là à s'entendre dire " est-ce encore de la bande dessinée ? On dirait plutôt de la peinture. ", ça a le don de m'énerver, je ne vois pas ce que ça change. A partir du moment où l'on raconte une histoire avec des images et des textes dessus, c'est de la BD, peu importe la technique en fait. Les références picturales dans mes BD sont évidentes. La mort de Sardanapale (Delacroix) ou Le Radeau de la Méduse (Géricault) donnent des ambiances très dix-neuvièmistes et sont d'ailleurs liées à mes lectures. Le Fantastique qui m'intéresse est très traditionnel. Les préoccupations des écrivains modernes sont plus éloignées des miennes. |
Nous : Sur Algernon
Woodcock, vous avez travaillé en couleurs directes, pourquoi avoir abandonné
le recours à un coloriste extérieur (Amnesia par exemple) ?
Guillaume Sorel : Au départ sur L'Île des morts, tous les albums devaient être
en lavis, c'est à direque des nuances de gris, tout simplement parce que la
couleur n'était pas mon truc. C'est sur les conseils de Thomas Mosdi que je
me suis mis à la couleur. D'abord par touches, ensuite de manière plus importante
sur les planches directement. Pour Amnesia, le problème était différent. J'avais
envie de boucler l'album rapidement, et vu que je passe en moyenne 40 heures
par planche (couleurs comprises), l'idée était de demander directement à Michel
Crespin de faire les couleurs ce qu'il a accepté.
Nous : Chaque collaboration est-elle différente en fonction
des scénaristes avec lesquels vous travaillez ?
Guillaume Sorel : Tout à fait. Pour Le Fils du Grimacier, Mathieu Gallié m'avait
envoyé le scénario complet et je lui avais donné un accord tacite en lui précisant
toutefois que je devais finir le quatrième tome de L'Île des morts. Dès la fin
de ce volume, j'ai attaqué l'album tout seul dans mon coin sans en reparler
à Mathieu. On s'est revus des mois après, une fois les planches terminées. Heureusement
pour moi, les planches lui plaisaient. Par contre, pour Algernon, on se voit,
on discute. En fait, une rencontre, c'est une méthode de travail.
Nous : L'album atypique c'est Mother. Même si l'on se
doute de la réponse, pourquoi avoir fait un tel album ?
Guillaume Sorel : C'est avant tout un album personnel que j'avais démarré bien
avant de le dessiner, environ 7 ans avant que l'album ne sorte. En fait, j'avais
lu une nouvelle d'un auteur américain qui m'avait bien plu et qui résonnait
de manière particulière par rapport à mon histoire. Du coup, je suis parti de
cette nouvelle et j'ai fais un premier scénario. J'ai laissé le tout tranquillement
dans un coin tout y jetant un œil et en revenant dessus durant plusieurs années
pour arriver à un gros travail de découpage. Et puis lors d'une période un peu
particulière, j'ai ressenti le besoin de m'isoler totalement du reste du monde.
J'ai fais l'album en 4 mois, seul. Je ne voyais absolument personne si ce n'est
le fils de Régis Loisel qui était mon voisin à l'époque et qui m'apportait à
manger puisque je ne sortais plus du tout.
Nous : Cela vous plairait-il de recommencer à faire des
histoires tout seul ?
Guillaume Sorel : Oui, j'ai deux ou trois histoires en cours mais j'ai attendu
longtemps pour faire Mother et je préfère attendre également pour ces scénarios-là.
Ensuite, j'ai Algernon Woodcock qui me prend beaucoup de temps. A court et à
moyen terme, j'ai plusieurs projets BD notamment un avec Dieter. Cela sera sans
doute un one-shot sur fond maritime que j'espère pouvoir caler entre le quatrième
et le cinquième tome d'Algernon. Pour les projets en solo, j'en ai un sur les
loups-garous. Bon, on ne verra pas forcément de loups-garous mais c'est plus
pour me donner une direction, une visite des thèmes fantastiques qui me tiennent
à cœur.
Nous : Au niveau des médias vous êtes assez réservé…
Guillaume Sorel : Cela dépend. Il est vrai que j'ai arrêté les dédicaces mais
pendant de nombreuses années, j'ai fais les festivals et les tournées d'auteurs.
Ensuite, en ce qui concerne la médiatisation, il faut avoir quelque chose qui
attire et qui sorte de l'ordinaire. Par ailleurs, nous sommes beaucoup dans
ce cas-là, je pense à Olivier Ledroit dont personne n'évoque le travail et qui
est pourtant très productif. En fait, nous ne faisons pas partie de l'Association
ou des labels indépendants. Nous ne faisons pas non plus partie des auteurs
classiques, on ne fait pas dans les séries à succès. Bref, nous sommes entre
deux et de ce fait, on n'attire pas les feux de la rampe. Ni moi, ni beaucoup
d'autres.
Nous : On l'a vu, vous travaillez énormément en illustration,
avez-vous des couvertures de prévues pour les prochains mois ?
Guillaume Sorel : Chez Bifrost, des couvertures de Thomas Day, une chez Gallimard
en folio SF sur Edgar Poe, une autre pour Denoël sur des ouvrages de Bradbury.
De quoi me ralentir pour la suite des aventures d'Algernon Woodcock !
Nous : Illustration et BD. Est-ce vraiment si éloigné
?
Guillaume Sorel : De plus en plus. Dans l'Île des morts, je pars dans des grandes
illustrations de pleine page qui rendent la narration très délicate pour le
lecteur. On ne sait plus où aller, ni comment prendre l'histoire. Par la suite,
je me suis reconcentré sur le fil de l'histoire pour privilégier davantage la
lecture par rapport au dessin. Le dessin est au service de l'illustration, non
l'inverse.
Propos recueillis par Charlotte Volper, Hugues Leroyer et Jérôme Vincent en
Juin 2002 www.actusf.com