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ASSOCIATION POUR LE DEVELOPPEMENT & L'ÉPANOUISSEMENT PROFESSIONNEL
PAR LE TRAVAIL ET LES LOISIRS DE PERSONNES EN SITUATION DE HANDICAP

Citoyenneté et Situation de handicap

 


DOSSIERS

 

 

      

           

 

Disparues de l'Yonne :

l'enquête doit aller jusqu'au bout

 

par Jacques Cheminade      http://solidariteetprogrès.online.fr         

 

Les jeunes filles disparues de l'Yonne étaient des humiliées et des offensées de la vie, handicapées et orphelines, que l'Etat et l'Administration avaient pour mission d'aider et de protéger. Elles étaient pupilles de la Direction départementale de l'Action sanitaire et sociale (Ddass) d'Auxerre, et au moins quinze d'entre elles ont été violées, ou violées et tuées, entre 1977 et 1989, pendant les « années Mitterrand ». Beaucoup d'autres n'ont pas osé ou pas pu porter plainte. Le plus atroce des crimes a été commis à leur égard, emblématique d'une époque d'injustice sociale, d'argent-roi, « d'affaires » et de mépris de la dignité humaine. C'est pourquoi l'enquête sur ces crimes doit aller jusqu'au bout, quelles que soient les personnalités mises en cause.

La presse ayant abondamment commenté le sujet, nous nous bornerons ici à rappeler ses principaux aspects et à poser les questions qui doivent l'être. Quatre cas s'enchevêtrent, constituant sans doute une seule affaire.

Tout d'abord, un chauffeur de bus, émile Louis, qui faisait la navette entre les instituts spécialisés d'Auxerre et les familles d'accueil, a reconnu, le 13 décembre, avoir tué et enterré sept jeunes femmes (pupilles de la Ddass) entre 1977 et 1979. Une des jeunes victimes dont émile Louis a reconnu l'assassinat, était encore scolarisée à l'IME Grattery (Institut médico-éducatif d'Auxerre) au moment de sa disparition, et trois autres en étaient sorties quelques mois avant leur disparition. En outre, trois jeunes filles de l'IME -- dont émile Louis n'a pas reconnu l'assassinat -- ont disparu à la même époque. Celui que les enfants appelaient « tonton » avait des relations sexuelles avec deux autres jeunes femmes placées chez sa concubine, Gilberte Binoche, assistante maternelle. Les deux ont, elles aussi, disparu pendant ces années-là. Le corps de l'une d'entre elles, Sylviane Lesage, a été découvert en juillet 1981, enterré nu sous un hangar agricole de Rouvray, dans l'Yonne, proche du domicile d'émile Louis.

 

En décembre 1981, un gendarme, l'adjudant Jambert, a fait arrêter émile Louis pour « homicide ». Celui-ci a bénéficié d'un non-lieu, bien que le 7 mars 1983, il ait été condamné à cinq ans de prison dont une avec sursis pour « abus sexuel par personne ayant autorité » sur trois fillettes placées elles aussi chez sa concubine. Libéré après deux ans et demi, il s'est séparé de Geneviève Binoche et s'est installé dans le Var, où il a été condamné une deuxième fois à cinq ans de prison pour abus sexuel avec violence sur des mineurs ! A sa seconde sortie, en 1992, il s'est remarié avec Chantal P., une femme dépressive et renfermée.

Le 21 décembre 2000, une jeune femme de 32 ans, amie du couple Louis, a déposé plainte contre émile à Draguignan pour viol et séquestration. En 1986, cette légère handicapée mentale était venue faire le ménage chez émile Louis, alors que sa nouvelle femme se trouvait en maison de repos. Le lendemain matin, elle s'était retrouvée nue et ficelée sur le lit. Chantal P. a reconnu que la même chose lui était arrivée. Dans les deux cas, cependant, il a épargné la vie des deux femmes, assurant aux gendarmes que la « bestiole » qui le poussait autrefois à tuer après avoir eu des relations sexuelles soi-disant « consenties » avec ses petites victimes l'avait laissé tranquille. émile Louis, jusqu'à son interpellation du 12 décembre 2000, n'avait jamais été réellement inquiété, malgré la conviction du gendarme Jambert, pour les meurtres des jeunes-filles. Christian Jambert s'est lui-même suicidé en 1997, après avoir sombré dans l'alcoolisme.

 

Actuellement, émile Louis a signalé l'endroit au Rouvray, près de la rivière Serein, où il aurait enterré les sept cadavres. Si ceux-ci sont retrouvés, la prescription de dix ans jouera en sa faveur.

Ensuite, deuxième affaire à Auxerre, une jeune fille de l'Assistance publique a été retrouvée dans les rues de l a ville le 20 janvier 1984. Affirmant qu'elle était enfermée depuis trois mois dans un sous-sol d'un pavillon d'Apoigny, un village voisin, constamment enchaînée, torturée et violée, elle a indiqué qu'une autre fille y était encore.

 

Les policiers ont effectivement délivré une jeune femme de 22 ans, retrouvée nue dans une cave qui servait de chambre de torture, suspendue à une échelle par les poignets. Claude Dunand, propriétaire du pavillon, a assuré s'être d'abord livré à des tortures sur sa propre femme, puis avoir passé des petites annonces dans le journal et à l'ANPE pour recruter des jeunes filles afin de s'occuper « d'une vieille tante malade ». Ces jeunes filles, torturées à l'électricité et à l'arme blanche, nourries à la pâtée pour chien, étaient présentées à une trentaine de clients fortunés, qui arrivaient encagoulés au pavillon, « où il y avait une ardoise, avec inscrit à la craie le menu [les tortures] du jour », suivant l'avocat de Claude Dunand. L'une des jeunes filles était élève à l'IME Grattery. Claude Dunand a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité le 31 octobre 1991, sans dire un mot de ses « clients », sinon « qu'il s'agissait de gens importants ». La police ne les a pas retrouvés.

 

Peu de victimes (trois recensées en quinze ans de tortures...), pas de clients. Jean-Yves Liénard, l'avocat de Dunand, a déclaré au Monde : « Nous avions tous eu l'impression qu'il y avait une partie cachée, des corps qu'on n'a pas retrouvés. Il est absolument impossible, quand on voit l'état de ces deux jeunes filles, à la limite de la mort, qu'il n'y en ait pas eu d'autres. Dunand a déménagé quinze fois, l'affaire a fait du bruit, mais personne ne s'est manifesté. C'est un mystère absolu .»

 

Le troisième cas a fait plus de bruit. L'Yonne républicaine du 6 octobre 1989 titrait : « Un notable auxerrois inculpé de viol ». Pierre Charrier, secrétaire général de l'Association pour adultes et jeunes handicapés (Apajh) de l'Yonne -- fondateur et cheville ouvrière de l'association depuis vingt-six ans -- était accusé d'avoir violé pendant un an une handicapée de 23 ans qui résidait dans l'établissement dirigé par son épouse Nicole à partir de 1986 : le foyer Guette Soleil. Pierre Charrier était également directeur de l'IME de Grattery, et avant 1986, Nicole Charrier y était éducatrice et chef de service. Pierre Charrier, qui aurait dû normalement être jugé en Cour d'assises, alors qu'il était inculpé pour des faits criminalisables, fut condamné en correctionnelle, le 18 mai 1992, à six ans de prison. Nicole Charrier vit aujourd'hui avec Georges Decuyper, actuel président de l'Apajh. Elle dirige toujours le foyer Guette Soleil, qui dépend de l'Apajh. En 1993, soit un an après la condamnation de Pierre Charrier, la jeune femme qu'il avait violée résidait toujours dans l'établissement de son épouse qui, d'après une jeune éducatrice (citée par Libération) la traitait publiquement de « petite pute ». En 1993 également, un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) s'étonne de cette situation et parle de Nicole Charrier en termes très durs : « L'hostilité qu'elle suscite auprès des directeurs des autres établissements de l'Apajh et l'image dévalorisée qui est la sienne au sein de l'Association. » Ce qui n'empêche pas Mme Charrier de rester en poste, malgré la plainte d'un jeune garçon du foyer Guette Soleil pour viol par le veilleur de nuit.

Le quatrième cas est celui de Joanna Parrish, une jeune anglaise violée puis tuée en 1990 aux environs d'Auxerre, dont le corps a été retrouvé dans le Serein à quelques kilomètres du Rouvray (où fouillent les gendarmes à la recherche des sept cadavres enterrés là par émile Louis) et de Seignelay (où habitait Louis). Roger Parrish, son père, s'est étonné des conditions de l'enquête : « En dépit de tous les comportements mystérieux, nous avons tout fait pour ne pas céder aux théories de la conspiration. Mais franchement, je ne vois que deux explications. Ou bien nous avons affaire à une des équipes d'enquêteurs les plus incompétentes sur terre, ou quelqu'un protège quelqu'un d'autre. Dans les deux cas, je veux qu'ils sachent que nous n'allons pas abandonner .»

Me Pierre Gonzalez de Gaspard, avocat de l'Association de défense des handicapées de l'Yonne (Adhy), qui regroupe les familles des victimes et qui a déposé six plaintes en 1996 pour « enlèvements et séquestrations arbitraires », résume les choses de la manière suivante :

«émile Louis n'est pas l'arbre qui cache la forêt, mais celui qui pourrait l'annoncer. Le fait, entre autres, qu'il y ait eu tant de résistances du côté de la justice peut laisser imaginer qu'il y a eu des complicités et que certaines personnes avaient intérêt à dissimuler la vérité .»

Georges Decuyper, l'actuel président de l'Apajh, s'indigne : « Quel rapport [du cas Charrier] avec émile Louis ? Il y a aujourd'hui des règlements de compte qui, passé un certain niveau d'indécence, donneront lieu à des poursuites judiciaires .»

Les journalistes de L'Yonne républicaine s'exclament : « Il est ridicule de croire qu'il [émile Louis] aurait pu se servir [des jeunes filles] pour alimenter les parties fines entre notables. On nage en plein fantasme Dutroux .»

Les faits sont cependant lourds d'implications :

1) L'IME Grattery et le foyer Guette Soleil se retrouvent pratiquement à chaque moment du dossier, au moins dans les trois premiers « cas » (Louis, Dunand, Charrier).

2) Il est incroyable que sans protections ou complicités, tant de disparitions inscrites sous la rubrique « fugue », au cours d'une période de temps relativement courte, et pour des jeunes filles de profil semblable, n'aient pas fait l'objet d'un examen sérieux.

3) Certains notables de la région ont la réputation bien établie de se livrer à des partie dites « fines ». Il est très curieux qu'aucun des riches clients de Dunand n'ait pu être identifié.

4) Nous sommes en mesure d'indiquer que Nicole Charrier, qui se situait au confluent du mitterrandisme parisien et du soissonisme régional, a pu de ce fait bénéficier de protections solides. Elle a été conseillère municipale à Auxerre entre 1989 et 1995, Jean-Pierre Soissons étant maire.

5) Les gens se croyant au-dessus des lois dans la région étaient et sont encore nombreux, y créant un climat délétère.

6) L'Apajh, au niveau national, a décidé de suspendre la fédération de l'Yonne, devant « l'urgence et la gravité des faits », ce qui ne plaide pas en faveur du couple Decuyper-Charrier.

7) émile Louis a pu tuer ou violer certaines des jeunes filles, mais on le voit mal s'étant, seul, livré à un travail à la chaîne d'une telle ampleur. Le chauffeur de bus n'aurait-il pas pu être aussi livreur ? L'hypothèse mérite au moins d'être examinée.

Les déclarations du lieutenant-colonel de gendarmerie Michel Pattin sont à ce sujet troublantes : « C'est un peu comme si les meurtres qu'il a commis ne le concernaient pas. Il n'a pas l'air ému de les évoquer .»

En tous cas, jusqu'à la fin de l'an dernier, émile Louis a toujours assuré à qui voulait l'entendre qu'il était « protégé ».

Nous dirons en conclusion que ces quatre cas méritent, comme un « tout » éventuel, un examen attentif, sans préjugés, en respectant les présomptions d'innocence, mais sans complaisance ni lâcheté. Justice est due aux victimes, innocentes parmi les innocentes. Il faut pour cela rétablir le respect du droit et nettoyer les écurie d'Auxerre, quel que soit le niveau où se situent les responsables et les coupables. http://solidariteetprogrès.online.fr

 



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Les principaux facteurs de maltraitance au sein des établissements d'accueil

a) Le rôle de l'organisation et du management internes

Les situations de maltraitance sont souvent liées au fonctionnement des établissements eux-mêmes.

Une grande partie des problèmes de maltraitance survient dans des établissements où un certain nombre de modes d'organisation et de fonctionnement ne sont pas structurés et où l'attention à la façon de travailler du personnel est insuffisante. Sont en cause la qualité du projet d'établissement, les conditions du management interne, la qualité et la qualification des personnels.

Il existe encore aujourd'hui des structures où le projet d'établissement8(*) est inexistant, n'est pas formalisé ou n'est pas connu des personnels parce qu'il n'a pas été construit collectivement, malgré les termes de la loi ou parce qu'il a été élaboré avant sa publication. Dans ces structures, les comportements ne sont pas maîtrisés, ce qui peut favoriser l'émergence de cas de maltraitance.

Le rôle des dirigeants et des personnels d'établissements est en tout cas essentiel, à tel point que les situations de carence durable ou passagère du management interne sont des conditions favorables à l'émergence de phénomènes de maltraitance.

M. Claude Meunier, directeur général adjoint de l'APF, a ainsi noté qu'« il convient enfin d'évoquer la forme du management. Ainsi, un mode de management « à l'ancienne », « paternaliste » ou « dictatorial » - je caricature un peu - débouchera sur un établissement fermé sur lui-même ».

M. Pascal Vivet a illustré la façon dont un directeur d'établissement pouvait exercer une sorte de chantage envers les familles qui « feraient des problèmes », ce chantage n'étant du reste pas nécessairement intentionnel : « qu'on le veuille ou non, le directeur d'établissement fait preuve d'hypocrisie. Je l'affirme d'autant plus facilement que j'ai moi-même été directeur d'un institut médico-éducatif. J'avais beau dire aux parents qu'ils avaient le choix entre signer et ne pas signer la feuille d'inscription de leur enfant au sein de mon établissement, quelle possibilité leur laissais-je vraiment ? S'ils ne signaient pas, ils se retrouvaient face à un immense vide. Dans ces conditions, comment voulez-vous que, pour un motif ou un autre, ils refusent d'inscrire leur enfant au sein de tel ou tel établissement ? ».

De même, lorsque la possession par la famille d'informations relatives au fonctionnement régulier d'un établissement est à l'origine de tracasseries, voire de pressions sur la famille, c'est que le responsable de l'établissement cherche à cacher des dysfonctionnements internes, qui peuvent, le cas échéant, engendrer des actes de maltraitance.

Le témoignage de M. Jean-Pierre Picaud, président de la Confédération des personnes handicapées libres, est extrêmement instructif : « lorsque vous indiquez à un directeur que vous détenez la dernière circulaire du ministère, vous êtes soudain pris pour une bête noire. Il ne faut absolument pas dire que cette circulaire est entre vos mains. (...) La directrice de cet établissement m'a demandé comment j'avais eu connaissance de ces documents. Je lui ai répondu que j'avais consulté le Journal Officiel et je lui ai demandé si le fait que j'aie les annexes XXIV9(*) en ma possession la dérangeait. Cela était effectivement le cas. Je me suis installé à la porte de l'institution et ai remis une photocopie des annexes XXIV aux parents qui rendaient visite à leur enfant. J'ai, bien évidemment, reçu un appel anonyme dès le lendemain. Son auteur ne faisait nul doute. Il ne faut pas que les parents sachent ce qui se passe dans une institution ».

Les syndicats eux-mêmes seraient, selon M. Pascal Vivet, parfois à l'origine de la maltraitance institutionnelle, car la dénonciation de cas de violences les placerait face à un arbitrage douloureux entre manifestation de la vérité et protection de l'établissement et donc de l'emploi : « j'ai néanmoins en tête, dans cette affaire précise, la réflexion de syndicats m'affirmant que les affaires de mauvais traitements sur enfants étaient susceptibles de leur faire perdre soixante emplois sur l'ensemble du département. Ils m'ont donc demandé de ne pas les porter en justice ».

M. Jean-Pierre Picaud a relaté son expérience personnelle, rappelant que la directrice de l'établissement dans lequel se trouvait sa fille lui avait « un jour indiqué que [s'il n'était pas] satisfait, [il n'avait] qu'à voir ailleurs ». Il a ajouté que « les directeurs d'établissements raisonnent immédiatement en termes financiers. L'argent est leur préoccupation majeure ».

 

b) Le renversement des priorités : privilégier l'institution plutôt que les résidents

La commission d'enquête a pu observer, dans certains cas, un indéniable problème de hiérarchie des priorités de la part des responsables d'établissements : lorsque les intérêts de l'institution passent avant ceux des personnes handicapées, les risques de maltraitance se multiplient.

 

Les intérêts financiers

La commission d'enquête, au cours de ses déplacements, notamment dans un établissement de l'Oise, a été amenée à constater l'existence d'une situation dans laquelle l'intérêt financier de l'établissement était âprement défendu par ses responsables.

La commission d'enquête estime que le fait que des établissements fassent passer leurs intérêts financiers avant l'intérêt de l'adulte ou de l'enfant constitue une forme de maltraitance.

Elle a pu constater que certains établissements gardaient volontairement dans l'institution les résidents. Ceux-ci sont ainsi privés de retours dans leur famille à l'occasion de fêtes de familles, par exemple, ou de vacances, parce que la direction de l'établissement impose une présence minimale dans l'institution afin de ne pas perdre les moyens financiers qui lui permettent d'assurer son équilibre financier à la fin de l'année.

D'ailleurs, pour éviter une telle situation, la directrice d'un établissement qu'a visité la commission d'enquête, situé en banlieue parisienne, a reconnu spontanément avoir déclaré la présence de pensionnaires certains week-ends alors qu'ils ont été remis à leurs familles, afin de ménager la liberté des personnes handicapées tout en assurant la poursuite de leur prise en charge.

L'activité et la détermination du nombre de journées

La détermination de l'activité constitue une phase déterminante dans la construction du budget.

Pour les établissements et services financés sur la base d'un ou plusieurs tarifs unitaires (prix de journée, prix de séance, tarif horaire), l'activité constitue le diviseur nécessaire pour ramener le coût de financement annuel à un coût unitaire.

Dans le cas d'établissements ou services financés par dotation globale (CAT, CHRS10(*), hôpitaux, etc.), le nombre de journées constitue un indicateur important dans l'évolution de l'enveloppe financière.

 

Le calcul du nombre de journées va donc tenir compte :

- de la capacité agréée,
 
- du nombre de jours d'ouverture,
 

- du taux d'occupation.

Exemple : un établissement de 100 places, ouvert 252 jours par an, avec un taux d'occupation de 92 %, retiendra un nombre de journées égal à : 100 x 252 x 92 % = 23.184 journées.

1. Conséquences d'une mauvaise évaluation du nombre de journées

Les conséquences sont différentes selon qu'il s'agit d'établissements financés par dotation globale ou sur la base d'une facturation de prix de journée.

 

Les établissements à dotation globale

Le financement par dotation globale s'appuie sur le principe d'un financement principal, quelle que soit l'importance de l'activité. Ainsi, un établissement social, financé par dotation globale (CAT, CHRS), ne subira pas de conséquences financières, à court terme, dans le cas d'une mauvaise période d'activité.

Pour ce qui concerne les établissements sanitaires participant au service public hospitalier, la dotation globale ne constitue qu'une partie des produits. En effet, la facturation des tarifications journalières aura une incidence sur les produits réalisés. Une mauvaise évaluation de ces produits ou une mauvaise évaluation de la répartition de l'activité entre l'activité financée par dotation globale et l'activité financée par facturation de prix de journée peut entraîner un déséquilibre.

Enfin, sur un moyen terme, une mauvaise évaluation du niveau de l'activité (ou une variation importante) peut remettre en cause le niveau des crédits accordés. Dans ce cas, une révision de la dotation globale peut s'avérer nécessaire.

 

Les établissements à prix de journée

En ce qui concerne les établissements financés par prix de journée ou les services financés par tarif horaire, la conséquence est immédiate. Une surévaluation prévisionnelle de l'activité entraînera un déficit de journées, donc un déficit de produits. Si des économies de charges équivalentes ne sont pas réalisées dans ce cas, il y a déficit comptable.

 

2. Les conditions de facturation des prix de journée

Dans la détermination du nombre de journées réalisable, il est nécessaire de ne prendre en compte que les journées facturables. Dès lors, il est nécessaire de préciser le traitement réservé aux journées de sortie ou de permission.

La circulaire du ministère des affaires sociales du 12 décembre 1985, concernant l'ensemble des établissements sanitaires et médico-sociaux financés par dotation globale ou par prix de journée préfectoral, rappelle que, « à compter du 1er janvier 1986, aucune journée de permission ne pourra être facturée, quel que soit le statut de l'établissement (une journée de permission correspondant à toute absence supérieure à 12 heures consécutives dans une journée calendaire) ».

 

 

 

Source : document communiqué par la direction des interventions sanitaires et sociales du conseil général de l'Oise Comme en témoigne le courrier-type saisi par la commission d'enquête au cours de ses investigations, et reproduit ci-contre, la « rétention » des enfants handicapés par les établissements est annoncée aux familles d'une façon brutale en des termes presque choquants.

Dans cet établissement, le transfert vers d'autres structures, pendant les vacances par exemple, est considéré comme une absence, ce qui pèse encore sur le contingentement familial. Ces contraintes seraient en fait imposées par la tutelle, c'est-à-dire le conseil général. Il existe toutefois un accord tacite avec les autorités de tarification : la journée entière est facturée dès lors qu'un seul repas est pris.

Certes, les associations condamnent officiellement ce type d'agissements. Ainsi, M. Laurent Coquebert, de l'UNAPEI, a tenu à rassurer la commission d'enquête : « je puis vous certifier que, lorsqu'une famille nous saisit sur ce type de problème, nous lui répondons que cette pratique est anormale et qu'il s'agit effectivement d'une forme de dévoiement de la vocation première d'un établissement. Un établissement condamnant les personnes handicapées à ne revenir dans leurs familles qu'un week-end sur deux ou un week-end sur trois pour ne pas perdre le prix de journée est un établissement fonctionnant mal et pratiquant une forme de maltraitance ». Il n'empêche que la réalité, parfois observée sur le terrain par la commission d'enquête n'est pas de nature à la rassurer. Du reste, M. Coquebert a ajouté des propos qui lui paraissent relativement fatalistes : « ce type de comportement est induit par le système »...

M. Patrick Gohet, délégué interministériel aux personnes handicapées, a d'ailleurs estimé, devant la commission d'enquête, que ce système ne correspondait pas à l'esprit de la loi de 2002 qui entendait placer l'usager au centre du dispositif.

 

Certes, dans la plupart des établissements visités par la commission d'enquête, une telle dérive n'a pas été constatée. Il n'en demeure pas moins choquant que des considérations tenant à la réglementation tarifaire puissent, dans certains cas, se traduire par des privations de sortie et de vie familiale.

 

Les 35 heures

La commission d'enquête a pu relever un autre exemple de renversement des priorités, à propos du temps de travail des personnels.

À cet égard, il est certain, comme l'ont confirmé tant les personnes auditionnées que les responsables d'établissements rencontrés au cours des déplacements de la commission d'enquête, que « les 35 heures sont effectivement porteuses d'une certaine maltraitance », selon l'expression de M. Régis Devoldère, président de l'UNAPEI.

La mise en place de la réduction du temps de travail s'est indéniablement traduite par une baisse de la qualité d'accueil des enfants, des adolescents et des adultes. Les 35 heures ont soulevé le problème du nombre de personnes mais surtout de l'organisation du temps de travail. Alors que deux personnes intervenaient auprès d'une personne handicapée dans une maison d'accueil spécialisé, il est aujourd'hui nécessaire d'avoir trois salariés. L'accompagnement de la personne a été parcellisé.

M. Patrick Gohet, actuel délégué interministériel aux personnes handicapées, a considéré que la façon dont les 35 heures avaient été mises en place dans les établissements sociaux et médico-sociaux « mérite réflexion ». Il a ajouté qu' « il aurait fallu effectuer une franche évaluation des conséquences de la réduction du temps de travail dans ces institutions », concluant : « selon moi, cela a modifié la nature des relations entre l'employeur et ses collaborateurs ».

Dans de nombreuses structures, en raison d'un manque de moyens humains et financiers, le temps d'accueil des usagers a dû être réduit. L'état d'esprit a également changé : la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail a montré que la préoccupation première était de respecter scrupuleusement les horaires au détriment de la qualité de service et d'adaptation à apporter aux usagers.

Les responsables des établissements que la commission d'enquête a visités ont d'ailleurs tous été d'accord sur ce point.

Ainsi, dans un foyer de vie créé en 2000 et situé en Seine-Saint-Denis, les 35 heures, appliquées dès l'origine, n'ont fait qu'accentuer la difficulté, car la charge horaire de travail, et donc sa pénibilité, sont plus importantes.

Le directeur d'un centre d'accueil pour grands handicapés situé dans l'Oise s'est plaint, lui aussi, des conséquences de la réduction du temps de travail. Il a estimé que la mise en place des 35 heures avait entraîné la perte de l'équivalent de quinze postes, alors que seulement neuf embauches compensatrices avaient eu lieu. Les variables d'ajustement ont été les temps de rencontre et de réunion, et surtout les sorties. Mais d'après le directeur, même un complément de six embauches ne suffirait pas à retrouver la souplesse qui prévalait avant les 35 heures.

Dans le département du Rhône, la réduction du temps de travail a correspondu à 70 emplois à plein temps, soit à deux années de création d'emplois dans le secteur ! Dans un CAT, le directeur a indiqué que les 35 heures avaient engendré un état d'esprit préjudiciable à une bonne gestion, même si une nouvelle organisation du travail est toujours possible. En contrepartie d'une perte globale de 10 % du temps de travail, les créations d'emplois ont concerné 6 % de ce temps. La différence s'est traduite, pour l'essentiel, par une réduction des temps de réunion.

Sans formuler une opposition de principe irréductible à l'applicabilité des 35 heures dans les établissements sociaux et médico-sociaux, la commission d'enquête ne peut que déplorer, comme la quasi totalité de ses interlocuteurs, que cette réforme n'ait pas été suffisamment préparée.

Il lui apparaît paradoxal qu'au cours d'une même période, soient mises en oeuvre, d'une part, une réduction du temps de travail sans réflexion préalable suffisante sur ses incidences pour la vie quotidienne des personnes handicapées, et, d'autre part, la loi du 2 janvier 2002 précitée qui organise, en particulier, un approfondissement de la vie sociale et du dialogue dans ces établissements, ce qui nécessite une plus grande disponibilité.

c) Les relations « incestueuses » entre les associations et les établissements

La commission d'enquête est convaincue que le silence gardé sur les cas de maltraitance institutionnelle tient également, pour partie, à des relations parfois trop étroites, pour ne pas dire « incestueuses », entre les associations gestionnaires et les établissements qui accueillent des personnes handicapées. Ces associations, dont la vocation première demeure la protection des personnes handicapées, sont, dans certains cas, juges et parties : elles doivent alors concilier protection des résidents et protection de leurs intérêts, la bonne réputation de leurs établissements par exemple.

Posée ainsi, l'équation devient un dilemme, un véritable conflit d'intérêts. Que peut faire un gestionnaire qui est aussi un parent d'enfant handicapé résidant dans l'établissement, lorsqu'il constate un cas de maltraitance ?

Les grandes associations en sont d'ailleurs elles-mêmes parfaitement conscientes. M. Laurent Coquebert, directeur général par intérim de l'UNAPEI, a ainsi expliqué que « la distinction entre les fonctions tutélaires et les fonctions gestionnaires a toujours été au coeur des positions de l'UNAPEI », précisant que « cette prise de position partait initialement d'un constat de bon sens, selon lequel on ne pouvait pas être à la fois juge et partie, ni responsable du bien-être de la personne handicapée et de la saine gestion de ses biens, d'une part, et logeur de la personne handicapée mentale ou « employeur » de la personne handicapée mentale, d'autre part. La multiplication des casquettes peut entraîner des conflits d'intérêt qui peuvent se révéler ingérables ».

D'ailleurs, une association, comme la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (FNATH), a expliqué à la commission d'enquête qu'elle avait fait le choix politique de ne pas gérer d'établissement, car elle a toujours considéré que la défense des personnes accidentées et handicapées et la gestion d'établissements d'accueil étaient deux missions qui ne pouvaient être exercées simultanément « en toute neutralité », selon l'expression de son secrétaire général, M. Marcel Royez.

Il serait cependant injuste de ne pas observer que cette situation tient dans le peu d'intérêt qu'ont longtemps porté les pouvoirs publics pour l'accueil des personnes handicapées, préférant laisser les associations intervenir et combler le vide laissé dans ce domaine.

Mme Dominique Gillot, ancienne secrétaire d'Etat aux personnes âgées et aux personnes handicapées, a parfaitement exposé cette situation : « ces grandes associations ont répondu à des besoins à la place des pouvoirs publics durant quinze ou vingt ans et sont devenues elles-mêmes de véritables institutions à qui peu de bilans étaient demandés, les responsables publics considérant que le dévouement de ces institutions suffisait. La majorité des personnes qui les composent sont effectivement de grands experts et des gestionnaires à qui nous n'avons rien à reprocher. Mais il peut se produire des dérapages liés à des problèmes matériels, de compétences ou encore de contexte. Quelquefois, cela aboutit à des situations de maltraitance ou de mauvaise gestion. Et les pouvoirs publics éprouvent des difficultés pour les sanctionner car, d'une part, il est difficile de sanctionner ou de porter un jugement défavorable sur des personnes sur lesquelles on s'est appuyé et qui sont socialement au-dessus de tout soupçon - ce qui s'est passé dans l'Yonne relève complètement de cette logique -, et, d'autre part, les gestionnaires sont fondés à rappeler qu'ils ont été laissés seuls en première ligne durant des années ».

M. Pascal Gobry, auteur de l'ouvrage L'enquête interdite - Handicapés : le scandale humain et financier, avec le style qui est le sien, a lui aussi mis en évidence cette situation, qu'il appelle le « cumul des casquettes » : « j'évoquerai ensuite « le cumul des casquettes » pour décrire le fait que ce sont toujours les mêmes personnes morales que la personne handicapée rencontre tout au long de sa vie. Qu'il s'agisse de son patron, de son représentant, de celui qui lui tend la main ou encore d'un membre de telle commission, la personne handicapée trouve systématiquement en face d'elle les mêmes associations, que je n'ai pas besoin de citer. Il me semble que l'on ne peut pas assumer à la fois un rôle de patron, de possédant d'une structure et un rôle de « défenseur » des personnes handicapées ».

La proposition de loi précitée11(*), cosignée par le président de la commission d'enquête et par le président de la commission des Affaires sociales, en établissant une incompatibilité entre le caractère d'association représentative des personnes handicapées et la gestion des établissements sociaux et médico-sociaux, permet d'utilement relancer ce débat difficile. www.senat.fr