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DOSSIERS
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Disparues
de l'Yonne :
l'enquête
doit aller jusqu'au bout
par
Jacques Cheminade
http://solidariteetprogrès.online.fr
Les
jeunes filles disparues de l'Yonne étaient des
humiliées et des offensées de la vie,
handicapées et orphelines, que l'Etat et l'Administration
avaient pour mission d'aider et de protéger.
Elles étaient pupilles de la Direction départementale
de l'Action sanitaire et sociale (Ddass) d'Auxerre,
et au moins quinze d'entre elles ont été
violées, ou violées et tuées, entre
1977 et 1989, pendant les « années
Mitterrand ». Beaucoup d'autres n'ont pas
osé ou pas pu porter plainte. Le plus atroce
des crimes a été commis à leur
égard, emblématique d'une époque
d'injustice sociale, d'argent-roi, « d'affaires
» et de mépris de la dignité humaine.
C'est pourquoi l'enquête sur ces crimes doit aller
jusqu'au bout, quelles que soient les personnalités
mises en cause.
La
presse ayant abondamment commenté le sujet, nous
nous bornerons ici à rappeler ses principaux
aspects et à poser les questions qui doivent
l'être. Quatre cas s'enchevêtrent, constituant
sans doute une seule affaire.
Tout
d'abord, un chauffeur de bus, émile Louis, qui
faisait la navette entre les instituts spécialisés
d'Auxerre et les familles d'accueil, a reconnu, le 13
décembre, avoir tué et enterré
sept jeunes femmes (pupilles de la Ddass) entre 1977
et 1979. Une des jeunes victimes dont émile Louis
a reconnu l'assassinat, était encore scolarisée
à l'IME Grattery (Institut médico-éducatif
d'Auxerre) au moment de sa disparition, et trois autres
en étaient sorties quelques mois avant leur disparition.
En outre, trois jeunes filles de l'IME -- dont émile
Louis n'a pas reconnu l'assassinat -- ont disparu à
la même époque. Celui que les enfants appelaient
« tonton » avait des relations
sexuelles avec deux autres jeunes femmes placées
chez sa concubine, Gilberte Binoche, assistante maternelle.
Les deux ont, elles aussi, disparu pendant ces années-là.
Le corps de l'une d'entre elles, Sylviane Lesage, a
été découvert en juillet 1981,
enterré nu sous un hangar agricole de Rouvray,
dans l'Yonne, proche du domicile d'émile Louis.
En
décembre 1981, un gendarme, l'adjudant Jambert,
a fait arrêter émile Louis pour « homicide ».
Celui-ci a bénéficié d'un non-lieu,
bien que le 7 mars 1983, il ait été condamné
à cinq ans de prison dont une avec sursis pour
« abus sexuel par personne ayant autorité »
sur trois fillettes placées elles aussi chez
sa concubine. Libéré après deux
ans et demi, il s'est séparé de Geneviève
Binoche et s'est installé dans le Var, où
il a été condamné une deuxième
fois à cinq ans de prison pour abus sexuel avec
violence sur des mineurs ! A sa seconde sortie,
en 1992, il s'est remarié avec Chantal P., une
femme dépressive et renfermée.
Le
21 décembre 2000, une jeune femme de 32 ans,
amie du couple Louis, a déposé plainte
contre émile à Draguignan pour viol et
séquestration. En 1986, cette légère
handicapée mentale était venue faire le
ménage chez émile Louis, alors que sa
nouvelle femme se trouvait en maison de repos. Le lendemain
matin, elle s'était retrouvée nue et ficelée
sur le lit. Chantal P. a reconnu que la même chose
lui était arrivée. Dans les deux cas,
cependant, il a épargné la vie des deux
femmes, assurant aux gendarmes que la « bestiole »
qui le poussait autrefois à tuer après
avoir eu des relations sexuelles soi-disant « consenties »
avec ses petites victimes l'avait laissé tranquille.
émile Louis, jusqu'à son interpellation
du 12 décembre 2000, n'avait jamais été
réellement inquiété, malgré
la conviction du gendarme Jambert, pour les meurtres
des jeunes-filles. Christian Jambert s'est lui-même
suicidé en 1997, après avoir sombré
dans l'alcoolisme.
Actuellement,
émile Louis a signalé l'endroit au Rouvray,
près de la rivière Serein, où il
aurait enterré les sept cadavres. Si ceux-ci
sont retrouvés, la prescription de dix ans jouera
en sa faveur.
Ensuite,
deuxième affaire à Auxerre, une jeune
fille de l'Assistance publique a été retrouvée
dans les rues de l a ville le 20 janvier 1984. Affirmant
qu'elle était enfermée depuis trois mois
dans un sous-sol d'un pavillon d'Apoigny, un village
voisin, constamment enchaînée, torturée
et violée, elle a indiqué qu'une autre
fille y était encore.
Les
policiers ont effectivement délivré une
jeune femme de 22 ans, retrouvée nue dans une
cave qui servait de chambre de torture, suspendue à
une échelle par les poignets. Claude Dunand,
propriétaire du pavillon, a assuré s'être
d'abord livré à des tortures sur sa propre
femme, puis avoir passé des petites annonces
dans le journal et à l'ANPE pour recruter des
jeunes filles afin de s'occuper « d'une vieille
tante malade ». Ces jeunes filles, torturées
à l'électricité et à l'arme
blanche, nourries à la pâtée pour
chien, étaient présentées à
une trentaine de clients fortunés, qui arrivaient
encagoulés au pavillon, « où
il y avait une ardoise, avec inscrit à la craie
le menu [les tortures] du jour », suivant
l'avocat de Claude Dunand. L'une des jeunes filles était
élève à l'IME Grattery. Claude
Dunand a été condamné à
la réclusion criminelle à perpétuité
le 31 octobre 1991, sans dire un mot de ses « clients »,
sinon « qu'il s'agissait de gens importants ».
La police ne les a pas retrouvés.
Peu
de victimes (trois recensées en quinze ans de
tortures...), pas de clients. Jean-Yves Liénard,
l'avocat de Dunand, a déclaré au Monde :
« Nous avions tous eu l'impression qu'il
y avait une partie cachée, des corps qu'on n'a
pas retrouvés. Il est absolument impossible,
quand on voit l'état de ces deux jeunes filles,
à la limite de la mort, qu'il n'y en ait pas
eu d'autres. Dunand a déménagé
quinze fois, l'affaire a fait du bruit, mais personne
ne s'est manifesté. C'est un mystère absolu .»

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Le
troisième cas a fait plus de bruit. L'Yonne républicaine
du 6 octobre 1989 titrait : « Un notable
auxerrois inculpé de viol ». Pierre
Charrier, secrétaire général de l'Association
pour adultes et jeunes handicapés (Apajh) de l'Yonne
-- fondateur et cheville ouvrière de l'association
depuis vingt-six ans -- était accusé d'avoir
violé pendant un an une handicapée de 23
ans qui résidait dans l'établissement dirigé
par son épouse Nicole à partir de 1986 :
le foyer Guette Soleil. Pierre Charrier était également
directeur de l'IME de Grattery, et avant 1986, Nicole
Charrier y était éducatrice et chef de service.
Pierre Charrier, qui aurait dû normalement être
jugé en Cour d'assises, alors qu'il était
inculpé pour des faits criminalisables, fut condamné
en correctionnelle, le 18 mai 1992, à six ans de
prison. Nicole Charrier vit aujourd'hui avec Georges Decuyper,
actuel président de l'Apajh. Elle dirige toujours
le foyer Guette Soleil, qui dépend de l'Apajh.
En 1993, soit un an après la condamnation de Pierre
Charrier, la jeune femme qu'il avait violée résidait
toujours dans l'établissement de son épouse
qui, d'après une jeune éducatrice (citée
par Libération) la traitait publiquement de « petite
pute ». En 1993 également, un rapport
de l'Inspection générale des affaires sociales
(IGAS) s'étonne de cette situation et parle de
Nicole Charrier en termes très durs : « L'hostilité
qu'elle suscite auprès des directeurs des autres
établissements de l'Apajh et l'image dévalorisée
qui est la sienne au sein de l'Association. »
Ce qui n'empêche pas Mme Charrier de rester en poste,
malgré la plainte d'un jeune garçon du foyer
Guette Soleil pour viol par le veilleur de nuit.
Le
quatrième cas est celui de Joanna Parrish, une
jeune anglaise violée puis tuée en 1990
aux environs d'Auxerre, dont le corps a été
retrouvé dans le Serein à quelques kilomètres
du Rouvray (où fouillent les gendarmes à
la recherche des sept cadavres enterrés là
par émile Louis) et de Seignelay (où habitait
Louis). Roger Parrish, son père, s'est étonné
des conditions de l'enquête : « En
dépit de tous les comportements mystérieux,
nous avons tout fait pour ne pas céder aux théories
de la conspiration. Mais franchement, je ne vois que deux
explications. Ou bien nous avons affaire à une
des équipes d'enquêteurs les plus incompétentes
sur terre, ou quelqu'un protège quelqu'un d'autre.
Dans les deux cas, je veux qu'ils sachent que nous n'allons
pas abandonner .»
Me
Pierre Gonzalez de Gaspard, avocat de l'Association de
défense des handicapées de l'Yonne (Adhy),
qui regroupe les familles des victimes et qui a déposé
six plaintes en 1996 pour « enlèvements
et séquestrations arbitraires », résume
les choses de la manière suivante :
«émile
Louis n'est pas l'arbre qui cache la forêt, mais
celui qui pourrait l'annoncer. Le fait, entre autres,
qu'il y ait eu tant de résistances du côté
de la justice peut laisser imaginer qu'il y a eu des complicités
et que certaines personnes avaient intérêt
à dissimuler la vérité .»
Georges
Decuyper, l'actuel président de l'Apajh, s'indigne
: « Quel rapport [du cas Charrier] avec émile
Louis ? Il y a aujourd'hui des règlements de compte
qui, passé un certain niveau d'indécence,
donneront lieu à des poursuites judiciaires .»
Les
journalistes de L'Yonne républicaine s'exclament
: « Il est ridicule de croire qu'il [émile
Louis] aurait pu se servir [des jeunes filles] pour alimenter
les parties fines entre notables. On nage en plein fantasme
Dutroux .»
Les
faits sont cependant lourds d'implications :
1)
L'IME Grattery et le foyer Guette Soleil se retrouvent
pratiquement à chaque moment du dossier, au moins
dans les trois premiers « cas »
(Louis, Dunand, Charrier).
2)
Il est incroyable que sans protections ou complicités,
tant de disparitions inscrites sous la rubrique « fugue »,
au cours d'une période de temps relativement courte,
et pour des jeunes filles de profil semblable, n'aient
pas fait l'objet d'un examen sérieux.
3)
Certains
notables de la région ont la réputation
bien établie de se livrer à des partie dites
« fines ». Il est très curieux
qu'aucun des riches clients de Dunand n'ait pu être
identifié.
4)
Nous sommes en mesure d'indiquer que Nicole Charrier,
qui se situait au confluent du mitterrandisme parisien
et du soissonisme régional, a pu de ce fait bénéficier
de protections solides. Elle a été conseillère
municipale à Auxerre entre 1989 et 1995, Jean-Pierre
Soissons étant maire.
5)
Les gens se croyant au-dessus des lois dans la région
étaient et sont encore nombreux, y créant
un climat délétère.
6)
L'Apajh, au niveau national, a décidé de
suspendre la fédération de l'Yonne, devant
« l'urgence et la gravité des faits »,
ce qui ne plaide pas en faveur du couple Decuyper-Charrier.
7)
émile Louis a pu tuer ou violer certaines des jeunes
filles, mais on le voit mal s'étant, seul, livré
à un travail à la chaîne d'une telle
ampleur. Le chauffeur de bus n'aurait-il pas pu être
aussi livreur ? L'hypothèse mérite
au moins d'être examinée.
Les
déclarations du lieutenant-colonel de gendarmerie
Michel Pattin sont à ce sujet troublantes :
« C'est un peu comme si les meurtres qu'il
a commis ne le concernaient pas. Il n'a pas l'air ému
de les évoquer .»
En
tous cas, jusqu'à la fin de l'an dernier, émile
Louis a toujours assuré à qui voulait l'entendre
qu'il était « protégé ».
Nous
dirons en conclusion que ces quatre cas méritent,
comme un « tout » éventuel,
un examen attentif, sans préjugés, en respectant
les présomptions d'innocence, mais sans complaisance
ni lâcheté. Justice est due aux victimes,
innocentes parmi les innocentes. Il faut pour cela rétablir
le respect du droit et nettoyer les écurie d'Auxerre,
quel que soit le niveau où se situent les responsables
et les coupables. http://solidariteetprogrès.online.fr


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Les
principaux facteurs de maltraitance au sein des établissements
d'accueil
a)
Le rôle de l'organisation et du management internes
Les
situations de maltraitance sont souvent liées
au fonctionnement des établissements eux-mêmes.
Une
grande partie des problèmes de maltraitance
survient dans des établissements où
un certain nombre de modes d'organisation et de fonctionnement
ne sont pas structurés et où l'attention
à la façon de travailler du personnel
est insuffisante. Sont en cause la qualité
du projet d'établissement, les conditions du
management interne, la qualité et la qualification
des personnels.
Il
existe encore aujourd'hui des structures où
le projet d'établissement8(*) est inexistant,
n'est pas formalisé ou n'est pas connu des
personnels parce qu'il n'a pas été construit
collectivement, malgré les termes de la loi
ou parce qu'il a été élaboré
avant sa publication. Dans ces structures, les comportements
ne sont pas maîtrisés, ce qui peut favoriser
l'émergence de cas de maltraitance.
Le
rôle des dirigeants et des personnels d'établissements
est en tout cas essentiel, à tel point que
les situations de carence durable ou passagère
du management interne sont des conditions favorables
à l'émergence de phénomènes
de maltraitance.
M.
Claude Meunier, directeur général adjoint
de l'APF, a ainsi noté qu'« il convient
enfin d'évoquer la forme du management. Ainsi,
un mode de management « à l'ancienne »,
« paternaliste » ou « dictatorial »
- je caricature un peu - débouchera
sur un établissement fermé sur lui-même ».
M. Pascal
Vivet a illustré la façon dont un directeur
d'établissement pouvait exercer une sorte de
chantage envers les familles qui « feraient
des problèmes », ce chantage n'étant
du reste pas nécessairement intentionnel :
« qu'on le veuille ou non, le directeur
d'établissement fait preuve d'hypocrisie. Je
l'affirme d'autant plus facilement que j'ai moi-même
été directeur d'un institut médico-éducatif.
J'avais beau dire aux parents qu'ils avaient le choix
entre signer et ne pas signer la feuille d'inscription
de leur enfant au sein de mon établissement,
quelle possibilité leur laissais-je vraiment ?
S'ils ne signaient pas, ils se retrouvaient face à
un immense vide. Dans ces conditions, comment voulez-vous
que, pour un motif ou un autre, ils refusent d'inscrire
leur enfant au sein de tel ou tel établissement ? ».
De
même, lorsque la possession par la famille d'informations
relatives au fonctionnement régulier d'un établissement
est à l'origine de tracasseries, voire de pressions
sur la famille, c'est que le responsable de l'établissement
cherche à cacher des dysfonctionnements internes,
qui peuvent, le cas échéant, engendrer
des actes de maltraitance.
Le
témoignage de M. Jean-Pierre Picaud, président
de la Confédération des personnes handicapées
libres, est extrêmement instructif : « lorsque
vous indiquez à un directeur que vous détenez
la dernière circulaire du ministère,
vous êtes soudain pris pour une bête noire.
Il ne faut absolument pas dire que cette circulaire
est entre vos mains. (...) La directrice de cet établissement
m'a demandé comment j'avais eu connaissance
de ces documents. Je lui ai répondu que j'avais
consulté le Journal Officiel et je lui ai demandé
si le fait que j'aie les annexes XXIV9(*) en ma possession
la dérangeait. Cela était effectivement
le cas. Je me suis installé à la porte
de l'institution et ai remis une photocopie des annexes
XXIV aux parents qui rendaient visite à leur
enfant. J'ai, bien évidemment, reçu
un appel anonyme dès le lendemain. Son auteur
ne faisait nul doute. Il ne faut pas que les parents
sachent ce qui se passe dans une institution ».
Les
syndicats eux-mêmes seraient, selon M. Pascal
Vivet, parfois à l'origine de la maltraitance
institutionnelle, car la dénonciation de cas
de violences les placerait face à un arbitrage
douloureux entre manifestation de la vérité
et protection de l'établissement et donc de
l'emploi : « j'ai néanmoins
en tête, dans cette affaire précise,
la réflexion de syndicats m'affirmant que les
affaires de mauvais traitements sur enfants étaient
susceptibles de leur faire perdre soixante emplois
sur l'ensemble du département. Ils m'ont donc
demandé de ne pas les porter en justice ».
M. Jean-Pierre
Picaud a relaté son expérience personnelle,
rappelant que la directrice de l'établissement
dans lequel se trouvait sa fille lui avait « un
jour indiqué que [s'il n'était pas]
satisfait, [il n'avait] qu'à voir ailleurs ».
Il a ajouté que « les directeurs
d'établissements raisonnent immédiatement
en termes financiers. L'argent est leur préoccupation
majeure ».
b)
Le renversement des priorités : privilégier
l'institution plutôt que les résidents
La
commission d'enquête a pu observer, dans certains
cas, un indéniable problème de hiérarchie
des priorités de la part des responsables d'établissements :
lorsque les intérêts de l'institution
passent avant ceux des personnes handicapées,
les risques de maltraitance se multiplient.
Les
intérêts financiers
La
commission d'enquête, au cours de ses déplacements,
notamment dans un établissement de l'Oise,
a été amenée à constater
l'existence d'une situation dans laquelle l'intérêt
financier de l'établissement était âprement
défendu par ses responsables.
La
commission d'enquête estime que le fait que
des établissements fassent passer leurs intérêts
financiers avant l'intérêt de l'adulte
ou de l'enfant constitue une forme de maltraitance.
Elle
a pu constater que certains établissements
gardaient volontairement dans l'institution les résidents.
Ceux-ci sont ainsi privés de retours dans leur
famille à l'occasion de fêtes de familles,
par exemple, ou de vacances, parce que la direction
de l'établissement impose une présence
minimale dans l'institution afin de ne pas perdre
les moyens financiers qui lui permettent d'assurer
son équilibre financier à la fin de
l'année.
D'ailleurs,
pour éviter une telle situation, la directrice
d'un établissement qu'a visité la commission
d'enquête, situé en banlieue parisienne,
a reconnu spontanément avoir déclaré
la présence de pensionnaires certains week-ends
alors qu'ils ont été remis à
leurs familles, afin de ménager la liberté
des personnes handicapées tout en assurant
la poursuite de leur prise en charge.
L'activité
et la détermination du nombre de journées
La
détermination de l'activité constitue
une phase déterminante dans la construction
du budget.
Pour
les établissements et services financés
sur la base d'un ou plusieurs tarifs unitaires (prix
de journée, prix de séance, tarif horaire),
l'activité constitue le diviseur nécessaire
pour ramener le coût de financement annuel à
un coût unitaire.
Dans
le cas d'établissements ou services financés
par dotation globale (CAT, CHRS10(*), hôpitaux,
etc.), le nombre de journées constitue un indicateur
important dans l'évolution de l'enveloppe financière.
Le
calcul du nombre de journées va donc tenir
compte :
- de
la capacité agréée,
- du
nombre de jours d'ouverture,
Exemple :
un établissement de 100 places, ouvert 252
jours par an, avec un taux d'occupation de 92 %,
retiendra un nombre de journées égal
à : 100 x 252 x 92 % = 23.184 journées.
1.
Conséquences d'une mauvaise évaluation
du nombre de journées
Les
conséquences sont différentes selon
qu'il s'agit d'établissements financés
par dotation globale ou sur la base d'une facturation
de prix de journée.
Les
établissements à dotation globale
Le
financement par dotation globale s'appuie sur le
principe d'un financement principal, quelle que
soit l'importance de l'activité. Ainsi, un
établissement social, financé par
dotation globale (CAT, CHRS), ne subira pas de conséquences
financières, à court terme, dans le
cas d'une mauvaise période d'activité.
Pour
ce qui concerne les établissements sanitaires
participant au service public hospitalier, la dotation
globale ne constitue qu'une partie des produits.
En effet, la facturation des tarifications journalières
aura une incidence sur les produits réalisés.
Une mauvaise évaluation de ces produits ou
une mauvaise évaluation de la répartition
de l'activité entre l'activité financée
par dotation globale et l'activité financée
par facturation de prix de journée peut entraîner
un déséquilibre.
Enfin,
sur un moyen terme, une mauvaise évaluation
du niveau de l'activité (ou une variation
importante) peut remettre en cause le niveau des
crédits accordés. Dans ce cas, une
révision de la dotation globale peut s'avérer
nécessaire.
Les
établissements à prix de journée
En
ce qui concerne les établissements financés
par prix de journée ou les services financés
par tarif horaire, la conséquence est immédiate.
Une surévaluation prévisionnelle de
l'activité entraînera un déficit
de journées, donc un déficit de produits.
Si des économies de charges équivalentes
ne sont pas réalisées dans ce cas,
il y a déficit comptable.
2.
Les conditions de facturation des prix de journée
Dans
la détermination du nombre de journées
réalisable, il est nécessaire de ne
prendre en compte que les journées facturables.
Dès lors, il est nécessaire de préciser
le traitement réservé aux journées
de sortie ou de permission.
La
circulaire du ministère des affaires sociales
du 12 décembre 1985, concernant l'ensemble
des établissements sanitaires et médico-sociaux
financés par dotation globale ou par prix
de journée préfectoral, rappelle que,
« à compter du 1er janvier
1986, aucune journée de permission ne pourra
être facturée, quel que soit le statut
de l'établissement (une journée de
permission correspondant à toute absence
supérieure à 12 heures consécutives
dans une journée calendaire) ».

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Source :
document communiqué par la direction des interventions
sanitaires et sociales du conseil général
de l'Oise Comme en témoigne le courrier-type
saisi par la commission d'enquête au cours de
ses investigations, et reproduit ci-contre, la « rétention »
des enfants handicapés par les établissements
est annoncée aux familles d'une façon
brutale en des termes presque choquants.
Dans
cet établissement, le transfert vers d'autres
structures, pendant les vacances par exemple, est considéré
comme une absence, ce qui pèse encore sur le
contingentement familial. Ces contraintes seraient en
fait imposées par la tutelle, c'est-à-dire
le conseil général. Il existe toutefois
un accord tacite avec les autorités de tarification :
la journée entière est facturée
dès lors qu'un seul repas est pris.
Certes,
les associations condamnent officiellement ce type
d'agissements. Ainsi, M. Laurent Coquebert, de l'UNAPEI,
a tenu à rassurer la commission d'enquête :
« je puis vous certifier que, lorsqu'une
famille nous saisit sur ce type de problème,
nous lui répondons que cette pratique est anormale
et qu'il s'agit effectivement d'une forme de dévoiement
de la vocation première d'un établissement.
Un établissement condamnant les personnes handicapées
à ne revenir dans leurs familles qu'un week-end
sur deux ou un week-end sur trois pour ne pas perdre
le prix de journée est un établissement
fonctionnant mal et pratiquant une forme de maltraitance ».
Il n'empêche que la réalité, parfois
observée sur le terrain par la commission d'enquête
n'est pas de nature à la rassurer. Du reste,
M. Coquebert a ajouté des propos qui lui paraissent
relativement fatalistes : « ce type
de comportement est induit par le système »...
M. Patrick
Gohet, délégué interministériel
aux personnes handicapées, a d'ailleurs estimé,
devant la commission d'enquête, que ce système
ne correspondait pas à l'esprit de la loi de
2002 qui entendait placer l'usager au centre du dispositif.
Certes,
dans la plupart des établissements visités
par la commission d'enquête, une telle dérive
n'a pas été constatée. Il n'en
demeure pas moins choquant que des considérations
tenant à la réglementation tarifaire
puissent, dans certains cas, se traduire par des privations
de sortie et de vie familiale.
Les
35 heures
La
commission d'enquête a pu relever un autre exemple
de renversement des priorités, à propos
du temps de travail des personnels.
À
cet égard, il est certain, comme l'ont confirmé
tant les personnes auditionnées que les responsables
d'établissements rencontrés au cours
des déplacements de la commission d'enquête,
que « les 35 heures sont effectivement
porteuses d'une certaine maltraitance »,
selon l'expression de M. Régis Devoldère,
président de l'UNAPEI.
La
mise en place de la réduction du temps de travail
s'est indéniablement traduite par une baisse
de la qualité d'accueil des enfants, des adolescents
et des adultes. Les 35 heures ont soulevé
le problème du nombre de personnes mais surtout
de l'organisation du temps de travail. Alors que deux
personnes intervenaient auprès d'une personne
handicapée dans une maison d'accueil spécialisé,
il est aujourd'hui nécessaire d'avoir trois
salariés. L'accompagnement de la personne a
été parcellisé.
M.
Patrick Gohet, actuel délégué
interministériel aux personnes handicapées,
a considéré que la façon dont
les 35 heures avaient été mises
en place dans les établissements sociaux et
médico-sociaux « mérite réflexion ».
Il a ajouté qu' « il aurait fallu
effectuer une franche évaluation des conséquences
de la réduction du temps de travail dans ces
institutions », concluant : « selon
moi, cela a modifié la nature des relations
entre l'employeur et ses collaborateurs ».
Dans
de nombreuses structures, en raison d'un manque de
moyens humains et financiers, le temps d'accueil des
usagers a dû être réduit. L'état
d'esprit a également changé : la
mise en oeuvre de la réduction du temps de
travail a montré que la préoccupation
première était de respecter scrupuleusement
les horaires au détriment de la qualité
de service et d'adaptation à apporter aux usagers.
Les
responsables des établissements que la commission
d'enquête a visités ont d'ailleurs tous
été d'accord sur ce point.
Ainsi,
dans un foyer de vie créé en 2000 et
situé en Seine-Saint-Denis, les 35 heures,
appliquées dès l'origine, n'ont fait
qu'accentuer la difficulté, car la charge horaire
de travail, et donc sa pénibilité, sont
plus importantes.
Le
directeur d'un centre d'accueil pour grands handicapés
situé dans l'Oise s'est plaint, lui aussi,
des conséquences de la réduction du
temps de travail. Il a estimé que la mise en
place des 35 heures avait entraîné la
perte de l'équivalent de quinze postes, alors
que seulement neuf embauches compensatrices avaient
eu lieu. Les variables d'ajustement ont été
les temps de rencontre et de réunion, et surtout
les sorties. Mais d'après le directeur, même
un complément de six embauches ne suffirait
pas à retrouver la souplesse qui prévalait
avant les 35 heures.
Dans
le département du Rhône, la réduction
du temps de travail a correspondu à 70 emplois
à plein temps, soit à deux années
de création d'emplois dans le secteur !
Dans un CAT, le directeur a indiqué que les
35 heures avaient engendré un état
d'esprit préjudiciable à une bonne gestion,
même si une nouvelle organisation du travail
est toujours possible. En contrepartie d'une perte
globale de 10 % du temps de travail, les créations
d'emplois ont concerné 6 % de ce temps.
La différence s'est traduite, pour l'essentiel,
par une réduction des temps de réunion.
Sans
formuler une opposition de principe irréductible
à l'applicabilité des 35 heures
dans les établissements sociaux et médico-sociaux,
la commission d'enquête ne peut que déplorer,
comme la quasi totalité de ses interlocuteurs,
que cette réforme n'ait pas été
suffisamment préparée.
Il
lui apparaît paradoxal qu'au cours d'une même
période, soient mises en oeuvre, d'une part,
une réduction du temps de travail sans réflexion
préalable suffisante sur ses incidences pour
la vie quotidienne des personnes handicapées,
et, d'autre part, la loi du 2 janvier 2002 précitée
qui organise, en particulier, un approfondissement
de la vie sociale et du dialogue dans ces établissements,
ce qui nécessite une plus grande disponibilité.
c)
Les relations « incestueuses »
entre les associations et les établissements
La
commission d'enquête est convaincue que le silence
gardé sur les cas de maltraitance institutionnelle
tient également, pour partie, à des
relations parfois trop étroites, pour ne pas
dire « incestueuses », entre
les associations gestionnaires et les établissements
qui accueillent des personnes handicapées.
Ces associations, dont la vocation première
demeure la protection des personnes handicapées,
sont, dans certains cas, juges et parties : elles
doivent alors concilier protection des résidents
et protection de leurs intérêts, la bonne
réputation de leurs établissements par
exemple.
Posée
ainsi, l'équation devient un dilemme, un véritable
conflit d'intérêts. Que peut faire un
gestionnaire qui est aussi un parent d'enfant handicapé
résidant dans l'établissement, lorsqu'il
constate un cas de maltraitance ?
Les
grandes associations en sont d'ailleurs elles-mêmes
parfaitement conscientes. M. Laurent Coquebert,
directeur général par intérim
de l'UNAPEI, a ainsi expliqué que « la
distinction entre les fonctions tutélaires
et les fonctions gestionnaires a toujours été
au coeur des positions de l'UNAPEI », précisant
que « cette prise de position partait initialement
d'un constat de bon sens, selon lequel on ne pouvait
pas être à la fois juge et partie, ni
responsable du bien-être de la personne handicapée
et de la saine gestion de ses biens, d'une part, et
logeur de la personne handicapée mentale ou
« employeur » de la personne
handicapée mentale, d'autre part. La multiplication
des casquettes peut entraîner des conflits d'intérêt
qui peuvent se révéler ingérables ».
D'ailleurs,
une association, comme la Fédération
nationale des accidentés du travail et des
handicapés (FNATH), a expliqué à
la commission d'enquête qu'elle avait fait le
choix politique de ne pas gérer d'établissement,
car elle a toujours considéré que la
défense des personnes accidentées et
handicapées et la gestion d'établissements
d'accueil étaient deux missions qui ne pouvaient
être exercées simultanément « en
toute neutralité », selon l'expression
de son secrétaire général, M. Marcel
Royez.
Il
serait cependant injuste de ne pas observer que cette
situation tient dans le peu d'intérêt
qu'ont longtemps porté les pouvoirs publics
pour l'accueil des personnes handicapées, préférant
laisser les associations intervenir et combler le
vide laissé dans ce domaine.
Mme Dominique
Gillot, ancienne secrétaire d'Etat aux personnes
âgées et aux personnes handicapées,
a parfaitement exposé cette situation :
« ces grandes associations ont répondu
à des besoins à la place des pouvoirs
publics durant quinze ou vingt ans et sont devenues
elles-mêmes de véritables institutions
à qui peu de bilans étaient demandés,
les responsables publics considérant que le
dévouement de ces institutions suffisait. La
majorité des personnes qui les composent sont
effectivement de grands experts et des gestionnaires
à qui nous n'avons rien à reprocher.
Mais il peut se produire des dérapages liés
à des problèmes matériels, de
compétences ou encore de contexte. Quelquefois,
cela aboutit à des situations de maltraitance
ou de mauvaise gestion. Et les pouvoirs publics éprouvent
des difficultés pour les sanctionner car, d'une
part, il est difficile de sanctionner ou de porter
un jugement défavorable sur des personnes sur
lesquelles on s'est appuyé et qui sont socialement
au-dessus de tout soupçon - ce qui s'est
passé dans l'Yonne relève complètement
de cette logique -, et, d'autre part, les gestionnaires
sont fondés à rappeler qu'ils ont été
laissés seuls en première ligne durant
des années ».
M.
Pascal Gobry, auteur de l'ouvrage L'enquête
interdite - Handicapés : le
scandale humain et financier, avec le style qui est
le sien, a lui aussi mis en évidence cette
situation, qu'il appelle le « cumul des
casquettes » : « j'évoquerai
ensuite « le cumul des casquettes »
pour décrire le fait que ce sont toujours les
mêmes personnes morales que la personne handicapée
rencontre tout au long de sa vie. Qu'il s'agisse de
son patron, de son représentant, de celui qui
lui tend la main ou encore d'un membre de telle commission,
la personne handicapée trouve systématiquement
en face d'elle les mêmes associations, que je
n'ai pas besoin de citer. Il me semble que l'on ne
peut pas assumer à la fois un rôle de
patron, de possédant d'une structure et un
rôle de « défenseur »
des personnes handicapées ».
La
proposition de loi précitée11(*), cosignée
par le président de la commission d'enquête
et par le président de la commission des Affaires
sociales, en établissant une incompatibilité
entre le caractère d'association représentative
des personnes handicapées et la gestion des
établissements sociaux et médico-sociaux,
permet d'utilement relancer ce débat difficile.
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