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Je m'affiche donc je suis |
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Il faut s'afficher sur la toile d'araignée mondiale, être un membre actif de la société de l'information. Au mieux, montrer que l'on fait ; au pire, montrer que l'on est. Montrer sa femme, son chien, ses vacances, son établissement. Montrer à qui ? Peu importe. Il y aura toujours quelqu'un pour voir donc pour valider. Le compteur, pilier de la page d'accueil au même titre que les boutons et les rubriques, en attestera. Pourquoi montrer ? Qui le demande ? Du moment qu'on est sur Internet, c'est bien qu'on a quelque chose à afficher, non ? A l'heure où 3 w ont supplanté 3615 au coeur des spots de publicité, des journaux télévisés ou radiodiffusés, la tentation de rajouter un .com à son patronyme ou à ses compétences est grande. Qu'en est-il du danger que représente une telle démarche, où l'acte - techniquement accessible - précède presque toujours la réflexion, quand il ne la remplace pas ? Au final, on est en droit de se demander si les pages d'un site internet ainsi créé ont encore un quelconque rapport avec l'information et la communication dont se réclame notre société. La communauté éducative n'est pas
épargnée par le phénomène. Il ne
s'agit pas de remettre en cause la bonne volonté et
les meilleures intentions de ses contributeurs, enseignants,
élèves, formateurs, membres des corps
d'inspection. Il est donc impératif pour ses membres de se positionner, d'occuper un espace, aussi virtuel soit-il, d'être là où ça se passe, sur Internet. Pour le reste, on verra après et c'est sûrement là que le bât blesse, dans cette précipitation à occuper sans se préoccuper.
Trois petits clics et puis s'en vont
Les exemples ne manquent pas pour illustrer cette «pathologie» que l'on pourrait décliner en autant de syndromes qu'il y a de requêtes décalées. Le premier d'entre eux est celui de la rubrique sans contenu. «Je pense à faire un site. Il devrait être prêt dans six mois. En attendant, mettons un bouton, que mes collègues sachent que quelque chose se prépare». L'interlocuteur formule cette demande avec le plus grand sérieux et accueille avec presque autant d'incompréhension que d'indignation le refus qui lui sera opposé. Comparons avec un journal, autre vecteur d'information. Cette personne imagine-t-elle en une de son quotidien préféré la promesse d'un article qui ne se trouve pas à la page annoncée ? Autre syndrome, dans la droite lignée du
précédent : celui du clic de souris. La
question est cruciale : «Combien de fois quelqu'un
devra-t-il cliquer avant de parvenir à mon
site» ? Deux fois et le sourire cordial
disparaît. Au-delà de trois, c'est un
tollé. En appeler à la hiérarchisation
ou à la cohérence de l'information pour
expliquer cette «relégation» ne suffit pas
à calmer l'intéressé. Il faut donc être vu, et de préférence en premier. Mais vu de qui, au fait ? Eh bien, du monde entier
puisque Internet offre cette possibilité. Or, une
fois le bouton vide créé, le nombre de clics
réduit, qu'avons-nous à offrir à ce
monde, qui n'attend évidemment que cela ? Des
sigles, à n'en plus finir.
www.moi-education.com
Cette prédominance de la politique d'affichage s'exprime aussi de façon plus subtile. Les sites des établissements en disent souvent long sur les gens qui les conçoivent ou qui y contribuent. Il y a d'abord le site que l'on doit à l'enseignant ou à l'aide éducateur chevronné, celui qui a tout compris aux nouvelles technologies bien avant tout le monde. Les élèves - et accessoirement les collègues - n'auront qu'à prendre exemple sur le résultat. Oui, c'est cela, une mise en ligne pour l'exemple. A moins que... la vérité soit ailleurs et moins louable. A moins qu'il soit juste question d'un besoin d'être admiré, reconnu, estimé pour sa modernité, son savoir-faire, sa maîtrise d'un langage que tout le monde devrait parler mais que personne ne comprend. Narcisse au pays des TICE. Il y a le site dont la réalisation a été confiée aux bons soins d'un élève, également très au fait des nouvelles technologies. La page d'accueil aux couleurs psychédéliques clignote dans tous les sens, ce qui la rend à peine lisible. Le code rempli d'applets java pour la dynamiser, elle met un temps infini à se charger ; de quoi décourager ceux qui n'ont qu'un modem pour se connecter. Qu'importe, les images empruntées à d'autres sans vergogne et sans autorisation sont «fun» et les MP3 sont là pour fidéliser. Lui aussi a tout compris à l'ego soudain démesuré, au besoin d'occuper un petit bout de cet espace virtuel et infini où l'autre a la place et l'importance d'un faire-valoir. Il y a le site où un enseignant et sa classe ont travaillé plus d'un an pour quelques pages. Le résultat est certes moins «fun» mais au moins procède-t-il d'une démarche authentiquement pédagogique. Reste au chef d'établissement à signer la prise en charge avant publication. Il signera parfois sans consulter le site ou alors pour vérifier qu'il y possède bien une rubrique illustrée d'une photo de lui. Enfin, il y a les établissements qui n'ont pas de site. Ceux pour lesquels c'est un projet. Il faut encore réfléchir à quelques «détails» : le contenu, le public que l'on vise, une charte graphique, le respect de la loi, l'aspect pédagogique du «qui fera quoi ?». Et les TICE dans tout cela ? Elles attendront, au moins le temps de la réflexion. Réfléchir à quoi, au fait ? Au moins à l'idée que l'outil ne fait pas l'idéeau risque de voir les TICE changer de sigle en perdant une lettre et une notion.
Gwen Pomares
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