1. Le méchant.

Sphère d'anihilation

Sur le champ de bataille maintenant rougeoyant sous le soleil couchant, le prince du Mal hurle sa victoire.

Il contemple son œuvre, des milliers de cadavres, ennemis et alliés, et surtout ça : la Sphère du Néant.

Son camp était au bord de la défaite lorsqu'il l'a conjuré, et maintenant il est le seul vainqueur. Tout le monde fuit devant cette zone d'ombre noire qui s'étend. Mais ils auront beau fuir jusqu'au bout de la Terre, la noirceur maudite les rattrapera.

Le prince du Mal le sait, mais il sait aussi que sa création lui échappera tôt ou tard, car il doit rester éveillé pour maîtriser la chose, et sa magie ne lui permet pas d'abolir le sommeil.

Aussi sa décision est prise. Ce monde est condamné. Il lui faut aller ailleurs. Le prince du Mal, qui est aussi prince du Chaos, s'avance, déterminé, vers sa Némésis.

Après un temps indéfini, il reprend ses esprits. Il a réussi. En avançant dans la sphère noire tandis qu'il la contrôle encore, au lieu de le détruire, elle lui a donné accès à un nouvel univers.

Le prince se réveille dans ce qui semble être une cuisine, près d'une cheminée où rôtit un cochonnet à la broche. La graisse fait grésiller le feu.

- Et bien, coquin, laisseras-tu brûler mon repas ? Je vais t'apprendre à t'endormir!

C'est un homme de forte corpulence qui parle, et qui apparaît en haut des marches qui mènent à la cuisine. Le prince se retourne dans sa direction. Par la seule puissance de sa volonté, il oblige l'homme à s'agenouiller devant lui.
- A terre ! Chien ! Et sache qui est ton maître !
- Pardon... maître.
- Tiens, pour ta peine, prends ceci.
Le prince lui jette un couteau de boucherie, puis, toujours grâce à sa volonté, il force le malheureux à se trancher les veines.

Une fois son méfait achevé, le prince examine le cadavre. Il l'a tué à seule fin de vérifier que son pouvoir mental restait entier dans cet univers. Puis il s'examine. Il est grand, mince, peu différent en fait de ce qu'il était dans son précédent monde.
- Qu'importe ce nouveau corps dont je me suis emparé. Mes capacités sont intactes, allons inspecter mon domaine.

Il monte l'escalier et découvre le rez-de-chaussée de la maison. Il y a une salle à manger avec deux portes, l'une donne sur l'extérieur et l'autre sur une chambre richement décorée. Le prince choisit de nouveaux vêtements dans un coffre pour remplacer ses haillons. Son ancien patron n'avait pas les mêmes dimensions, et il utilise quelques broches prises dans un coffret à bijoux pour fixer ses habits.

Il y a là différents types d'armes et d'armures, mais le prince répugne à utiliser des outils aussi primitifs à ses yeux. Il se contente de prendre une petite arbalète de poing finement ouvragée, puis il sort explorer les alentours.

La maison est à flanc d'une colline. Le prince découvre un jardin décoré à son goût, avec des bosquets d'aubépine sauvage, des oliviers taillés avec soin dont les branches noueuses font de grandes arabesques, quelques carrés d'herbe folle.

Il monte au sommet de la colline pour observer l'horizon. Il y arrive après une petite heure de marche. Là il découvre la mer, de toutes parts. Il est donc sur une île. Il y a un village de pêcheurs au bord de la côte.

Il redescend.

De retour à la maison il y trouve une petite troupe de villageois.
- Est-ce toi, le simple, qui a fait cela à notre bon maître ?
- Qui est votre chef ?
- Allons, c'est moi Rha le sage, ne me reconnais-tu point ? demande un vieil homme en s’avançant.
Et le prince, sous les yeux horrifiés des autres, lui fait subir le même sort qu'à son maître.
- Sachez désormais que celui que vous appeliez le simple n'est plus, et que vous avez un nouveau seigneur.

Puis il ordonne qu'on lui monte un repas froid, ainsi que différents ingrédients. Son dîner apporté, il le fait d'abord goûter à la jeune fille qui le lui a amené, mais la nourriture n'est pas empoisonnée. - Le vieil homme que vous avez tué était notre guérisseur.
- Dommage. Tu peux te retirer.

Une fois seul, le prince essaie différentes combinaisons et formules magiques avec les ingrédients qu'on lui a remis. Mais il est fort dépité de constater que rien ne marche. Peut-être que la magie n'existe pas sur ce monde, ou qu'on ne l'a pas encore inventée?

Durant le mois suivant, il arme quelques villageois en vue de se composer une milice. Malgré leurs réticences, ceux-ci obéissent tant bien que mal. Le climat est sec et chaud, le temps au beau fixe. Le prince songe à faire construire une galère de son choix pour investir les îles avoisinantes, dont les villageois ne lui parlent que très vaguement, lorsqu'une voile fait son apparition à l'horizon.

Le navire semble déterminé à mouiller dans la crique du village. Il jette l'ancre à moins de cent brasses. Puis un canot s'apprête à accoster sur la plage. Le prince fait s'aligner sa troupe.
- Après tout, songe-t-il. Pourquoi bâtir une galère quand on m'offre un voilier ?

Quatre hommes vêtus de fer débarquent, suivi d'un homme en robe, qui semble être leur officier. Le prince ordonne à sa milice d'attaquer. Mais au lieu de cela, ils se prosternent tous à terre sous les yeux rigolards des guerriers qui s'avancent.
- Il faudra donc que je me débrouille tout seul.

Le prince exerce sa volonté sur le soldat le plus fort, du moins en apparence. Diable ! Ceux-ci sont d'une autre trempe que les villageois. Mais il parvient tout de même à forcer l'un d'eux à se retourner contre ses camarades.

C'est alors que l'officier, qui était resté en retrait, prononce une formule magique. De ses doigts jaillit un éclair, qui foudroie le malheureux soldat, rebelle malgré lui car possédé.
- La magie existe donc bien sur ce monde, découvre le prince.
- Essaie donc ton truc sur moi, toi, le simple, dit l'officier en faisant quelques pas.

Les deux hommes s'affrontent. Leur duel est terrible, car chacun reste silencieux et immobile en apparence. Les muscles de leur visage sont contractés. La sueur perle à leur front. Ce sont deux volontés pures qui se combattent.

Mais que se passe-t-il ? Le prince se sent défaillir. C'est le cerveau du simplet dont il a pris possession. Il ne supporte pas le choc, et il s'écroule sur le sable.

- Ranimez cet homme. Qu'on ne lui fasse pas de mal. J'ai besoin de gens comme lui.

Sul, c'est le nom de l'officier, fait jeter un seau d'eau sur le corps du vaincu pour le ranimer, puis il dit :
- Ecoute-moi bien. Je suis un puissant magicien, qui gouverne plusieurs îlots, ici dans cet archipel des Iles Anciennes. Je vais t'enseigner quelques rudiments de magie, puis je t'enverrai sur le continent afin d’espionner les évolutions de la nouvelle civilisation qui s'y construit. Sache que si jamais tu me trahis ma colère sera terrible. Souviens-toi de ta défaite ! As-tu compris?

Le prince saisit alors que les villageois l'ont berné en lui cachant l'existence d'un maître aussi redoutable. Il est bien forcé d'acquiescer.

- Autre chose, désormais tu répondras au nom de Brand.

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