1. Retrouvailles.

Georg et Laura traversent les territoires du prince Corn. Plus ils remontent vers le nord, plus ils trouvent de neige.
- Explique-moi encore pourquoi nous ne pouvons aller dans un village ? Il commence à faire froid, dit la prêtresse.
- Je te l'ai déjà dit. Je suis recherché par l'armée du prince. Avec ma taille je risque de me faire remarquer. Mais voilà une grange isolée. Nous allons y trouver refuge.

Cela fait dix jours qu'ils sont partis. Le duc a confié sa fille au grand guerrier, ainsi que l'épée du vétéran Eric. "Un bon conseil : ne fais pas comme moi, ne te laisse pas trop mener par elle" lui a répété Patatras, qui l'apprécie.

Ils entrent dans la grange. Elle est déjà occupée par un voyageur.
- Bonjour. Vous aussi êtes sur les routes.
- Oui. Nous nous rendons à la Frontière.
- Triste temps. C'est l'hiver. Venez vous réchauffer à mon feu.

Ils s'assoient et discutent un peu.
- Alors vous vous rendez à la Frontière ? Puis-je vous accompagner ? Je suis un peu magicien. Je peux vous aider.
- Nous n'avons besoin de personne.
- Oh si ! Un magicien! Pourquoi pas ?

L'homme plaît à Laura, et, par voie de conséquence, il déplaît à Georg.
- C'est bon. Faites comme vous voulez. Moi je vais me coucher.
Et le guerrier s'écarte et s'allonge sur un lit de paille tandis que la prêtresse de Kita et l'inconnu discutent de magie blanche et noire...

Georg se réveille en sursaut au milieu de la nuit. Il aperçoit alors un monstre penché sur Laura dévêtue. Le guerrier se lève et saisit son épée. La créature se défend. Elle est de forme humanoïde avec une fourrure, des griffes et une gueule de loup. Le combat est bref et violent. Heureusement Georg dormait avec sa cotte de maille, et ainsi il est vainqueur. Il examine la dépouille de son adversaire à terre. Celle-ci se transforme, et apparaît comme le corps nu de l'inconnu.
- Un loup-garou ! Par bonheur j'avais l'épée magique d'Eric.

Laura soigne sans un mot les blessures du guerrier.
- Tu l'as échappé belle. Il ne t'a pas fait de mal? demande-t-il.
- Mais il ne... gloups !
- Qu'y a-t-il ?
- Pourvu que j'ai pensé à en prendre.
La prêtresse fouille dans son sac.
- Tu vas avaler ça.
Elle prépare en hâte une potion avec des herbes.
- C'est inutile. Mes blessures sont guéries maintenant.
- Avale ça te dis-je !

Georg en boit un peu. Puis il est pris de violents soubresauts.
- Qu'est-ce que c’est ? Du poison?
- Oui, mais c'est pour ton bien. Tu vas être pris de fièvre pendant quelques jours. Je vais te soigner. J'espère que la dose suffira.

Ils restent dans la grange une semaine. Un matin, après avoir longtemps déliré, Georg est de nouveau sur pied.
- Il est temps de repartir maintenant. Mais je m'en souviendrai de ton inconnu !

Trois jours plus tard ils quittent les terres du prince Corn et pénètrent dans les collines. Comme Laura a un peu d'argent, ils vont au village "Le rendez-vous des deux rivières" acheter ce qui leur manque pour la saison.
- Et maintenant que faisons-nous ?
- Nous pourrions aller vers la forêt elfique. Il paraît que c'est un lieu magique.
- J'y suis déjà allé. Pourquoi pas ? Il suffit de remonter la rivière.

Ils voyagent donc en direction du nord-est. Le gibier est rare, et ils sont obligés de se rationner. Le dixième soir, alors qu'ils sont assis autour du maigre feu qu'ils ont fait pour tenter de se réchauffer :
- Nous ne sommes plus très loin maintenant, à peine deux ou trois jours de marche.
- Et pour rencontrer des elfes ?
- Le problème est qu'il faut les trouver, ou plutôt attendre qu'ils nous trouvent. Là, selon leur humeur, ils peuvent nous accueillir ou nous cribler de flèches. Mais n'as tu pas entendu un bruit ?
- Sans doute un animal sauvage.
- Ou pire.

Georg éteint précipitamment le feu avec de la neige. Mais c'est trop tard. Ils sont soudain entourés d'orques. Le guerrier sort ses armes, essayant de protéger Laura de son mieux. Mais les êtres aux faciès porcins n'attaquent pas tout de suite, ils se contentent de les encercler.
- Rendez-vous !

Georg ne sait pas par quoi il est le plus surpris : d'entendre un orque parler le langage des humains, ou de se voir proposer une reddition sans combat.
- Venez nous chercher !
Un homme s'avance.
- Vous pourriez causer des dégâts, mais je doute que votre compagne puisse résister à un assaut.

Le guerrier examine Laura et sa légère cotte de maille. De plus elle n'a pas une très grande expérience des combats, songe-t-il.
- Accepte toujours, cela nous laisse un répit, lui murmure-t-elle.
- C'est bon, nous vous suivons. Mais nous gardons nos armes.
- A votre guise.

Brand, qui a appris le langage des orques, réussit à convaincre le chaman de ses méthodes :
- Plutôt que de massacrer nos ennemis, il faut les rallier à nous, comme nous avons fait avec les Eclate-foies.
- Certes, mais n'oubliez jamais que c'est moi le chef.
- Je vous ai laissé vivre une fois, ne l'oubliez pas non plus.
- Je vous l'ai bien rendu. Sans moi vous ne pourriez contrôler mes orques. A ce propos, j'ai des problèmes avec les Eclate-foies. Les jeunes sont turbulents et prompts à la révolte. Je pense qu'une nouvelle démonstration avec le démon s'impose. Mais qu'est-ce ?
C'est Jack et son parti d'orques qui sont de retour avec des prisonniers.
- Nous avions repéré leurs traces dans la neige depuis la veille. Nous les avons pris sans coup férir, annonce-t-il triomphant.
- Etes-vous prêt à nous donner allégeance en échange de votre vie ? demande le magicien.
- Si ça peut vous faire plaisir, répond Laura sur un ton ironique.

Brand étend son esprit, prend possession de l’esprit de la prêtresse, la force à déposer ses armes et à se prosterner à ses pieds.
- Et toi, es-tu prêt également à me rendre hommage ? demande-t-il à Georg.
- N'essaie pas ta magie sur moi, ou il t'en cuira !
Les deux volontés s'affrontent. Le guerrier est forcé de mettre un genou à terre, mais au prix d'un effort surhumain, il se relève et tire son épée.
- Je vais te tuer, sorcier !

C'est alors que Jack l'assomme par-derrière. Aidé d'une dizaine d'orques, il le ligote.
- Qu'en faisons-nous maintenant ? demande l'éclaireur du prince Corn.
- Il faut le tuer ! s'exclame le magicien.
- Livrons-le à la bête.
- Bonne idée.

Georg, encore à moitié inconscient, est mené jusqu'au bord du trou. Il voit la fange s'agiter et des tentacules en surgir.
- Un instant ! hurle Laura.
- Qu'y a-t-il ? Tu veux sauver ton compagnon?
- Ce n'est pas ça, mais il est recherché par les armées du prince Corn. Nous pourrions le livrer et en obtenir une récompense.
- Ce n'est pas une mauvaise idée, commente Jack.
- Il n'en est pas question ! répond Brand.
- Pourquoi autant d'acharnements ? D'autres gens vous ont déjà résisté par le passé.
- Mais pas comme lui. C'est comme s'il y avait quelque chose de monstrueux au fond de son esprit.
Le chaman demande de quoi il retourne, puis :
- Je suis de l'avis de la femme. Comme ça nous pouvons peut-être nous attirer les bonnes grâces des troupes du prince Corn, qui ne cessent de nous harceler depuis une lune.
- Je me range à la décision générale, mais je ne veux plus revoir cet homme.

Arnus s'entraîne avec le commandant Mors, comme tous les matins depuis un mois.
- Je ne comprends pas ton insistance à vouloir combattre les orques. Plus haut ta garde !
- Mes patrouilles donnent de l'exercice aux hommes. Et nous obtenons des résultats : une trentaine de ces maraudeurs tués contre un seul homme chez nous. Bientôt l'ordre régnera dans la région.
- Que tu es jeune ! Sache que l'ordre n'est rien pour le prince si ce n'est le sien, et il a d'autres choses en tête que d'asservir une bande d'orques. Mais qu'est-ce?
Un soldat s'avance et interrompt l'exercice.
- C'est un messager de la tribu des Broyeurs de crânes.
- Un messager ? C'est nouveau. Que nous veut-il ?
- Il dit qu'il a un prisonnier à nous livrer, en échange de la paix, et d'une petite somme d'argent.
- Peste, comme il y va, et quel est donc ce prisonnier ? Le prince des elfes ?
- Il dit que c'est un humain géant, et gaucher.
- Un géant gaucher ? Si c'est celui auquel je pense, je paierai moi-même la prime sur ma solde !

La "livraison" a lieu quinze jours plus tard, le temps de faire l’aller et le retour, car le château occupé par le commandant Mors et celui occupé par les orques sont assez distants.
- Comme on se retrouve ? Je ne vais pas te pendre tout de suite. La mort serait trop douce pour toi, jubile le gros homme.

Georg est mis au cachot. Puis le commandant Mors vient le visiter, et le roue de coups de fouet. Le guerrier ne desserre pas les dents.
- Ceci n'est qu'un amusement à côté de ce qui t'attend demain, bonsoir.

Plus tard dans la nuit, Arnus vient également voir le prisonnier.
- Tu viens te repaître de ta bonne fortune, ou t'exercer toi aussi au bourreau ?
- Je me suis dit que tu pouvais être une source de renseignements.
- De quel ordre ?
- D'ordre militaire. Durant ta captivité tu as pu observer les orques.
- Si je vous aide, j'aurai la vie sauve ?
- Je vais en parler.

Il en discute le lendemain avec le commandant.
- Il n'en est pas question. Je ne vois pas pourquoi nous gaspillerions nos forces contre des orques qui ne nous sont pas franchement hostiles.
- Il en est question au contraire, intervient Dreuze, qui avait surpris la conversation. J'ai pu déchiffrer les rares inscriptions en état que j'ai trouvées dans les souterrains, explique-t-il. Il semblerait qu'il existe dans le pays un château où se concentrait tout le pouvoir de la région, du temps de la première civilisation. Et il semblerait que ce soit précisément le château qu'occupent les Broyeurs de crânes. Il est vital que je puisse aller l'examiner.

Après débat, ils vont trouver Georg.
- Tu auras un duel à la loyale si tu nous aides, dit Arnus.
- Et je serais amnistié, si je gagne ?
- Tu seras amnistié.
- Je vous aiderai.
- Que l'on remette cet homme sur pied, conclut Mors.

Huit jours plus tard, avec dix hommes, et trois prêtres, ils sont aux environs du repaire des Broyeurs de crânes.
- C'est le jour. Les orques dorment. Ils n'ont que quelques hommes de garde.
- C'est aux éclaireurs de jouer maintenant.

Les trois éclaireurs escaladent la muraille. Ils se débarrassent aisément des deux guetteurs. La porte du château s'ouvre enfin, mais l'alerte est donnée.
- Allons-y ! Il faut les prendre de vitesse.

Ils chargent et pénètrent dans la première cour.
- Les chefs se situent dans la deuxième enceinte !

Mors, Georg et Arnus en tête, ils balaient une frêle résistance, passent le pont-levis aux chaînes rouillées, et entrent dans la seconde cour.
- Ils sont là ! dit Georg en désignant le bâtiment juste à gauche du pont.
Mais les orques ont eu le temps de fermer l'ouverture.
- Il faut forcer cette porte. Que les hommes retiennent les autres orques sur le pont ! ordonne le commandant.
- Où vas-tu ? demande Arnus à Georg, qui court en direction du second bâtiment, l'arme au poing.
- Régler mes comptes !

Mais la salle du trône est vide. Déçu, le guerrier retourne vers ses compagnons. Mors a déjà entamé la porte à coup de hache. Un prêtre confirmé, Jard, entonne un chant pour attirer la grâce de son dieu. Les trois guerriers défoncent rapidement la porte. Deux orques gardent l'entrée. Mors s'avance, en tue un, et force le passage.

Les trois hommes combattent les quatre gardes de la pièce et s'en débarrassent vivement. La deuxième porte est fermée.
- Tu as été blessé, dit Georg à Arnus.
- Moins que toi.
- J'ai reçu un mauvais coup de pertuisane en passant le pont.
- Ces orques sont plus féroces et aguerris que d'habitude.
- Ce sont les meilleurs, choisis par le chaman.
- Toi, soigne-nous, ordonne Mors à un prêtre novice, et attaquons cette nouvelle porte.

Le commandant en vient à bout. Là deux nouveaux adversaires s'opposent à lui. Il essaie sur sa lancée d'entrer, mais il ne récolte que des coups.
- Rien à faire. Ils sont têtus comme des mules.

Arnus essaie lui aussi, mais est également repoussé.
- A mon tour, dit Georg.

Le géant utilise son allonge pour frapper. Il réussit à passer. C'est le combat. Les hommes prennent la deuxième pièce d'assaut. La troisième porte donne sur un escalier, vide.

Arnus et Georg sont de nouveau soignés, cette fois-ci par le second novice. Mors monte l'escalier. Il y a une nouvelle porte, qu'il enfonce. D'autres orques lui barrent le chemin. Il est encore blessé. Il se retire pour souffler.
- Mais que se passe-t-il ?
- Le chant s'est tu.

Jard arrive en courant.
- Les orques ont pris le pont-levis. Nous nous sommes repliés dans l'étage du bas. Nous avons perdu deux hommes.
- Que les survivants tiennent les entrées sans essayer de sortir ! L'expérience prouve que c'est une bonne tactique. Quant à nous, finissons notre ouvrage, déclare Mors.
- Laisse-moi passer, dit Georg.

Le géant réussit une nouvelle fois à entrer. Arrivés dans la pièce, à un contre un, ils vainquent leurs adversaires.

Jard soigne nos héros.

La quatrième pièce est vide, puis il y a un autre escalier, puis une nouvelle porte, plus solide celle-là.
Arnus en vient à bout.
Deux nouveaux gardes interdisent le passage.
Georg s'avance, et passe quand même.
Harassés, à bout de force, les trois guerriers tuent leurs adversaires.
Reste une dernière porte.

- Nos soldats ont abandonné le rez-de-chaussée. Encore deux des nôtres sont tombés, annonce Jard.

Dans un dernier effort, ils brisent la porte. Pas de résistance. Ils avancent dans la pénombre, toutes les ouvertures de la pièce sont bouchées.

Ils entendent une incantation. Mors s'arrête, paralysé. Soudain une dizaine d'orques s'élancent, les renversent, cherchent à les tuer de leurs mains nues. Georg et Arnus frappent de taille et d'estoc pour se dégager.

Le chaman s’apprête à lancer un deuxième sortilège, c'est alors qu'il reçoit un coup d'épée dans le dos ! C'est une femme humaine, probablement une esclave. Elle donne un ordre bref en langage orque, puis déclare :
- Arrêtez, elles se rendent !
- Elles ?
- Ce sont les femelles du chaman et des gardes.
Blanche tranche la tête du chef mort, les six femelles rescapées se replient. Mors reprend la parole.
- C'était horrible. Je voyais, j'entendais, mais je ne pouvais plus bouger.
Blanche descend les escaliers, exhibe la tête du chaman aux autres orques.
- C'est fini, ils se rendent tous.

Le combat a duré près d'une heure. Ils descendent dans la cour.
- Tu as dû subir beaucoup de sévices. Comment as-tu fait pour survivre ? demande Arnus à Blanche.
- Ils me faisaient confiance. Je n'ai tué que pour éviter un massacre inutile. En fait, vous aviez déjà gagné.
- Merci quand même de nous avoir aidés.

Le commandant se penche au-dessus du puits.
- Je me demande ce que c'est ?
- Mors ! Retourne-toi ! crie Georg.
- Quoi ? Ah oui ! Ton duel. En garde !

Mais il n'a même pas le temps de sortir son épée que le géant le plaque aux jambes, et le bascule dans le trou. Il tombe dans un mètre de fange.
- Attends que je sorte d'ici ! Mais qu'est-ce ?
La bête sort.
- C'est idiot de se faire avoir une seconde fois par le même truc, n'est-ce pas ? jubile Georg, se redressant.
Regardant précautionneusement dans l'ouverture, il ajoute :
- Cette fois-ci le prince Corn aura du mal à te ressusciter, je pense.
Puis le géant s'écroule.
- Que t’arrive-t-il ? demande Arnus.
- Un des tentacules m'a touché aux cuisses. Tu m'as à ta merci maintenant.
- Le duel a été loyal. Tu as prévenu le commandant avant de le tuer. J'en suis témoin.
- Moi aussi, ajoute Jard.
- Mais que nous veulent-ils ? demande Arnus à Blanche en désignant un petit groupe d'orques prosternés à leurs pieds.
- Ils demandent votre protection. Vous avez tué leurs élites. Ils sont à la merci des Eclate-foies désormais.
- Je ne sais que faire. Jard ?
- C'est à vous de décider maintenant, répond le prêtre.
- Dis-leur que j'irai moi-même plaider leur cause auprès du prince, et qu'ils seront secourus pour peu qu'ils se montrent de fidèles vassaux, répond le jeune chef.
Puis il demande à Blanche :
- Que sont devenus les humains qui étaient leurs alliés ?
- Ils m'ont abandonnée. Ils sont partis peu de jours avant votre arrivée.

Le lendemain, sitôt magiquement soigné, Georg fait ses adieux.
- Où iras-tu ? lui demande Arnus.
- Sur la piste des trois traîtres qui m’ont vendu.
- Bonne chance. Tu es vraiment un guerrier exceptionnel.

Quinze jours plus tard, le temps d'un aller et d’un retour avec la nouvelle de la victoire, et le magicien Dreuze arrive. Mais il ne peut que constater que toutes les inscriptions de la salle du trône ont été effacées.
- Je ne comprends pas. Si vous étiez en mission pour le prince, comme vous dites, demande-t-il à Blanche, pourquoi avoir saccagé ces vestiges des temps anciens ?
- Brand ne voulait rien laisser derrière lui, à part moi, répond-elle en haussant les épaules.

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