1. Le château improbable.

La procession s’approche de l’étrange donjon. Les villageois ont revêtu leurs plus beaux atours en l’honneur de la déesse. L’air embaume l’encens.
- O Aana, écoute notre prière. Prends pitié de tes enfants. Délivre-nous de l’ombre de ce château maudit.
Soudain une porte apparaît à la base du mur qui leur fait face, et une troupe en armes en jaillit.
- Des hobgobelins !
La foule s’enfuit devant les guerriers inhumains, laissant là leurs branches de gui, leurs encensoirs, et même le reliquaire d’un saint disparu.

- Et depuis des bandes armées infestent et pillent la région. Les habitants offrent une fortune à ceux qui les en délivreront.
- Comment cela a-t-il commencé ? demande Julius.
- Un soir on a entendu un grand bruit. Les plus courageux sont allés voir, mais la plupart sont restés terrés dans leurs lits. Le château est apparu dans la nuit, porté par quatre grands dragons noirs. Ils l’ont déposé dans la clairière des sorcières, et sont repartis.
- Pourquoi ce lieu s’appelle-t-il la clairière des sorcières ?
- Il paraît que c’était le lieu de rendez-vous des femmes de mauvaise vie, adeptes de Kita.
- Une dernière question, interroge Georg à son tour. Où les gens ont-ils trouvé mille pièces d’or ?
- Le commerce des fourrures est florissant, et je soupçonne les paysans d’avoir déterré un trésor.
- Très bien. Nous te suivons. Quel est ton nom déjà ?
- Ach’Ben’Wit, dit l’Astucieux. Pour vous servir.

Ils se dirigent vers le village pour voir le prêtre d’Aana. Mais là on leur apprend qu’une expédition est déjà en route.
- Rattrapons-la, suggère Julius. Plus nombreux nous serons, et mieux cela sera.
- Mais plus nous serons, soupire Ach’Ben’Wit, et plus nous devrons partager.

Sous la conduite de l’Astucieux, ils les rejoignent aux abords du château.

C’est un cube de granit, de cent pas d’arête. La seule ouverture est un porche, dans un coin à la base du cube.
- Bonjour, nous sommes les renforts.
- J’ai l’habitude de travailler seul, avec mon équipe, répond un guerrier en lourde armure.
Ils sont une dizaine, costauds, bien armés, et l’air décidé. Le prêtre du village est avec eux.
- Que viens-tu faire ici, maraud ? s’exclame celui-ci à l’adresse de Ach’Ben’Wit. Tu as été exclu de notre communauté !
- Il nous accompagne, répond Georg.
- Encore une fois, dit le chef des guerriers, nous n’avons pas besoin d’aide. Adieu.
- A votre guise. Nous partons.

Ils se retirent.

- Je m’étonne de ton revirement, déclare Julius à son ami une fois qu'ils se sont éloignés. Tu n’es pas homme à renoncer si facilement à mille pièces d’or.
- Nous allons les suivre. Ils dégageront le terrain devant nous.

Ils attendent une heure, le temps que l’expédition s’engage sous le porche, puis ils y vont à leur tour.

L’entrée donne sur un tunnel sombre. Ils allument une lanterne. Au bout de quelques pas, le chemin se scinde en deux. Une partie, de couleur verte, oblique vers la droite, et l’autre, de couleur rouge, oblique vers la gauche.
- Et maintenant, où allons-nous ? demande Julius.
Georg tire une pièce de cuivre.
- Croix ou épée ?
- Croix.
Il la jette en l’air, puis la ramasse.
- C’est croix. On va à gauche.
- Donc, côté épée, c’était à droite ? demande Ach’Ben’Wit.
- Non. J’avais de toute façon choisit d’aller à gauche.
Les deux guerriers se mettent à rire.
- Bon ! Puisque c’est comme ça, moi, je vais à droite! répond l’Astucieux, vexé.
- Comme tu veux.

Ils se séparent donc.

Puis Julius et Georg croisent un guerrier de l’expédition qui revient vers eux.
- Que s’est il passé ?
- Nous avons rencontré un groupe de hobgobelins. Nous les avons défaits. Mais j’ai été trop blessé pour continuer. Mon chef, Saul, m’a dit de me replier.

Effectivement, un peu plus loin, ils découvrent des cadavres dans le tunnel.
- Mon idée était bonne. Saul fait le travail pour nous.
- Espérons que Ach’Ben’Wit aura autant de chance que nous.

A près quelques dizaines de pas, ils s’aperçoivent que le couloir vert rejoint le rouge, et voici qu’apparaît l’Astucieux.
- C’est très bien. Mais il est inutile de nous montrer tes talents d’acrobate en marchant au mur.
- Mais je ne marche pas au mur. C’est vous qui n’avez pas les pieds au sol !
- Allez, viens là !
Il redescend, et rampe péniblement à terre.
- Redresse-toi maintenant !
Il essaie de se relever, mais est aussitôt attiré par une force invisible contre la paroi à quatre-vingt-dix degrés.
- C’est bon, j’y renonce. Reste donc sur ton mur comme une araignée !
Ils continuent donc ainsi. Puis ils aperçoivent une lueur.
- C’est la sortie du tunnel. Nous avons traversé le château !
- Non.

Ils débouchent sur une terrasse. Devant eux s’étend un paysage fantastique.
- Regardez ! L’intérieur du donjon est plus grand que l’extérieur.
- A combien estimes-tu la distance ?
- une demi-lieue peut-être.
- Il y a des terrasses et des maisons sur tous les côtés, devant, à gauche, à droite, et même en haut. Comment cela se peut-il ?
- Sans doute est-ce la même magie qui retient l’Astucieux à la paroi, répond Georg. Descendons cet escalier pour rejoindre Saul.
- Et moi ? demande Ach’Ben’Wit.
- Suis-nous de ton côté, et rendez-vous en bas. C’est à dire sur ta droite.
Ils descendent, et retrouvent leur compagnon au pied de la terrasse. Mais il ne peut toujours pas changer de plan.
- Continuons donc à longer cette paroi. Nous trouverons bien une solution.

- Là ! s’écrie Julius un peu plus loin. Il y a un plan incliné à quarante-cinq degrés.
- Qu’est-ce que c’est ? On dirait un étai pour le mur, mais il n’en a apparemment pas besoin.
- Ca doit certainement avoir une autre fonction. L’Astucieux ! Pose donc un pied dessus !
Ach’Ben’Wit y risque un pied, puis le deuxième. La gravité change doucement de direction pour lui au fur et à mesure qu’il s’y aventure, et une fois avoir emprunté la pente, il peut rejoindre ses amis.
- Voici comment font les gens d’ici pour passer d’un côté à l’autre.
- Regardez, il y a un autre plan incliné là-bas.
- Il doit y en avoir sur toutes les arêtes à intervalle régulier.
- C’est une véritable ville ici. Je doute que nous puissions vaincre tous ses habitants à nous tout seul.
- Eh ! Regardez là-bas ! Un coffre au trésor !
Celui-ci est richement décoré, et déborde de pièces d’or. L’Astucieux s’avance avec convoitise. Mais à peine s’en est il approché qu’un pédoncule en jaillit.
- C’est un piège ! Ecarte-toi sinon il va te manger !
Le coffre se déforme et prend l’allure d’une bouche monstrueuse.
- Impossible de m’en défaire ! Ca colle à mon habit !
- Enlève ta veste et recule-toi !
Ach’Ben’Wit obéit, et, comme la créature était sur la paroi adjacente, elle ne peut le suivre. Elle se contente de mâchouiller le cuir, puis reprend son apparence initiale de coffre aux merveilles. Cette fois-ci ce ne sont plus des pièces d’or, mais des victuailles.
- Tu l’as échappé belle !
- Je crois que oui.
- Sois moins avide désormais.

Soudain ils entendent au loin des clameurs.
- Que se passe-t-il ?
- Ce sont des cris humains.
- Ca doit être Saul et son équipe. Allons-y!

C’est effectivement l’expédition qui à fort à faire avec un monstre. Il a le torse d’un homme et la queue d’un serpent. Il est armé d’une longue pique et est entouré de flammes. Tandis que les guerriers combattent, le grand prêtre entonne un chant pour leur redonner courage. Mais la plupart gisent déjà à terre. La créature est en train d’enserrer de ses anneaux le dernier debout.
- Prends une des flèches que t’a données dame Alvina, et vise l'œil de ce monstre !

Julius bande son arc, mais il n’atteint que la poitrine. La créature relâche sa proie et s’attaque aux nouveaux venus.
- Faites attention ! Ce monstre ne craint pas le fer ! crie Saul, qui n’était qu’assommé, en se relevant.
- Mon épée est ensorcelée, répond Georg. Elle devrait lui faire peur.
En effet la créature est maintenant blessée. Elle rend coup pour coup, mais finalement renonce à la lutte. Une grande fissure de feu apparaît sur le sol, et le monstre s’y enfuit.
- Prêtre ! Vite ! As-tu un sort de protection contre le feu ? demande Georg. Non ? Dommage. Je vais devoir utiliser une potion.
Il sort de son sac une fiole métallique que lui avait donnée dame Alvina, boit le contenu, puis saute dans le trou de flammes.

Il rejoint bientôt l’homme salamandre, sur un chemin de feu entre deux rivières de lave. Sans compter les flammes, la seule chaleur serait suffisante pour cuire le guerrier, mais il est magiquement protégé par la liqueur qu’il a bue.
Il frappe de son épée ensorcelée. La créature lui assène un coup de sa pique, puis lui entoure la taille de sa queue reptilienne. Elle essaie de le précipiter dans l’abîme, mais Georg change son épée de main, et utilise son bras resté libre pour fendre le crâne de son adversaire. Déjà affaibli, celui-ci succombe enfin.

Le guerrier commence à chercher du regard si le monstre ne cachait pas un trésor dans sa tanière, mais il est hélé par ses compagnons.
- Dépêche-toi !
- Le trou se referme !
Il remonte en catastrophe et s’extirpe de justesse du cratère.
- Tu l’as eu ?
- Oui.
- Avez-vous pensé à ramener sa pique ? demande le prêtre.
- Non. Pourquoi ?
- Le métal de la pointe est si résistant à la chaleur qu’il peut servir à fabriquer des anneaux de protection contre le feu.
- Vous auriez dû me prévenir plus tôt. Je n’aurai pas alors risqué ma vie pour rien.
- Ce n’est donc pas pour la seule sécurité de notre groupe que vous avez accompli cet acte héroïque ? dit Saul, ironique.
Georg hausse les épaules, puis ajoute.
- Maintenant que votre équipe est décimée, nous acceptez-vous enfin ?
- C’est d’accord. Vous êtes vainqueur.
- Cet homme n’est pas tout à fait mort, intervient Julius, qui examinait les guerriers à terre.
- Je peux le soigner, dit le prêtre. Mais il ne me restera plus de sorts de soin après.
- Soignons-le, décide Georg. Et tâchons de trouver un coin tranquille pour le reste de la journée. L’Astucieux, montre-toi utile, et va reconnaître le terrain.
- Pourquoi moi ?
- Tu es le seul à ne pas être en armure, et s’il te faut courir devant un danger, tu courras le plus vite.

Ach’Ben’Wit part donc en éclaireur. Il revient après une petite demi-heure.
- La ville est pleine d’activités, mais il y a une petite habitation, un peu à l’écart. Il n’y a qu’une espèce de géant à tête de chien à l’entrée.
- Quelle taille ?
- Je ne sais pas. Peut-être entre sept et dix pieds. Je ne me suis pas approché assez prêt pour l’évaluer.
- Et pourquoi ça ?
- Je ne suis pas fou. Ah! J’allais oublier, il a le cuir vert.
- Vert ? Je connais ce type de créature, révèle Georg. J’en ai déjà combattu un autrefois, lorsque j’étais gladiateur.
- Tu as été gladiateur ? s’étonne Julius.
- Oui, et aussi galérien, bandit de grand chemin, loup-garou et héros. Mais je te narrerai cela un autre jour. Pour l’instant prépare ton arc, et allons-y.

Profitant des arbres qui leur fournissent un couvert, ils s’approchent le plus près possible de la maison. Puis ils surgissent à terrain découvert, et lâchent leurs flèches.

La créature est atteinte, mais a le temps d’alerter ses compagnons avant de tomber. Trois autres monstres sortent de l’habitation, et attaquent.

Le combat est bref. Malgré leurs blessures datant du précédent combat, les aventuriers prennent rapidement le dessus. Mais une des créatures a pu s’enfuir.
- Souhaitons qu’il n’aille pas chercher du renfort, dit Saul.
- Chaque jour suffit sa peine, conclut Georg. En attendant l’aube, nous avons conquis une demeure pour la nuit.
- Si toutefois la nuit tombe ici.

De fait, la lumière surnaturelle qui éclaire tout l’intérieur du château commence à baisser.
- Julius, tu montes la première garde, décide Georg, qui a décidément pris l’ascendant sur l’expédition. Je prendrai le deuxième tiers de veille, puis ce sera le tour de Saul. Laissons le prêtre dormir.

Ils ne défont pas leurs armures pour être prêt à toutes éventualités, et somnolent comme ils peuvent tandis que l’archer monte la garde. Au bout de trois heures, celui-ci réveille son ami.
- Rien de suspect ?
- Si. Des orques et des hobgobelins sont sortis. Mais aucun n’a approché d’ici.
- Ensembles ?
- Non, mais à faibles intervalles de temps.
- C’est curieux. Comment des groupes si dissemblables coexistent-ils ?
- Peut-être ont-ils passé un accord.
Demain nous en aurons le cœur net.

Le lendemain matin, le prêtre prie Aana, et, grâce à ses dévotions, ses pouvoirs de guérison sont renouvelés. Il achève de soigner ses compagnons. Mais peu de temps après :
- Alerte ! crie Julius.
- Que se passe-t-il ?
- Vois ! Des ogres !
De fait, c’est tout un clan des immondes anthropophages qui s’approchent de leur refuge, accompagnés d’une suite d’orques et d’hobgobelins.
- Que faire ? Nous barricader dans la maison ? demande l’archer.
- Avec quoi ?
- Tant qu’à mourir, déclare Saul, je préfère mourir en combattant, plutôt que de périr de faim assiégé.

Il tire son épée et sort.
- Que faisons-nous ?
- Nous le suivons, pardi !
A l’extérieur, les trois guerriers font crânement face aux ogres. Mais, curieusement, ceux-ci ne se précipitent pas contre eux.
- Et maintenant ?
- Attendons. Peut-être veulent-ils parlementer ?
- Qui de vous parle leur langue ?
A cet instant, celui qui semble être le chef de clan fait un signe, et trois des ogres, armés de hallebardes, attaquent.

Nos héros se défendent vaillamment, et ne tardent pas à percer les défenses de leurs adversaires.
- Ne les achevez pas ! s’écrie le prêtre.
Le chef de clan fait un autre signe, et les trois monstres, blessés, se reculent.
- Pourquoi nous avoir dit de ne pas les tuer ?
- Tout le reste du clan pourrait en prendre ombrage. S’ils attaquaient tous ensemble, ce serait notre perte.
Sur un dernier signe du chef, toute la tribu, et leurs vassaux, se retirent.
- Je pense qu’il s’agissait d’un duel initiatique, et que maintenant nous sommes acceptés parmi les habitants de ce château.
- Qui sait pour combien de temps ? Les ogres ne sont pas réputés pour leur fair-play. Ils voudront prendre leur revanche.
- Aussi nous allons profiter de l’occasion, décide Georg. Ach’Ben’Wit, tu resteras auprès de Tim, puisqu’il n’est pas entièrement remis. Nous, nous allons visiter cette cité.

Ils partent.
- Regardez ! Un tunnel identique à celui que nous avons pris pour entrer.
- Sommes-nous revenus sur nos pas ?
- Non. J’ai bien noté la face du cube sur laquelle nous sommes. Ce coin correspond au coin supérieur nord.
- C’est sans doute une sortie vers le toit du château. Voyons cela.

Ils l’empruntent. Arrivés à l’extrémité, ils constatent qu’ils débouchent à même le sol, dans une clairière, mais pas tout à fait la même clairière d’où ils venaient.
- Qu’en pensez-vous ?
- C’est une région qui ressemble à la notre.
- Hormis certains détails, comme le ciel vert émeraude et l’herbe rouge.
- Revenons dans le donjon avant qu’il ne disparaisse, et que nous ne restions perdus à jamais.

- Je parie qu’il y a un couloir identique à celui-ci à chaque coin, déclare Georg une fois qu’ils sont de retour.
- Et que chacun donne sur un monde différent, ajoute le prêtre.
- Mais pourquoi ce château improbable est-il apparu dans la région ? demande Saul.
- Je vous l’ai déjà dit. C’est une malédiction. Mais j’en ignore la cause.
- Cherchons-la, conclut Georg. L’explication doit bien se trouver quelque part.
- Nous pourrions grimper sur l’endroit le plus élevé, propose Julius. Nous aurions une vue d’ensemble, et un détail nous apparaîtra peut-être.
- Sur la face opposée, j’ai vu une pyramide à étage, dont le sommet semble joindre le centre du château, dit Saul.

En traversant les lieux habités, ils croisent des hobgobelins et des humains. Ils ne leur prêtent qu’une faible attention.
- Mon idée était juste, dit le prêtre. Il règne dans ce lieu une sorte de pacte de non-agression.
- Les loups n’attaquent pas les loups, ajoute Georg.

Toutefois un petit groupe les prend à partie. Nos héros ont tôt fait de les mettre en fuite. Une fois leur  position  au sein du château ainsi rétablie, ils se remettent en route. Georg récupère un javelot que leurs assaillants ont laissé là.
- Que comptes-tu donc en faire ? Je ne t’ai jamais vu utiliser cette arme.
- J’ai mon idée là-dessus.

Arrivé à une de ces petits plans coupés qui leur permettent de changer de face, Georg pose son javelot à terre, près du mur. Il emprunte la pente et passe sur l’autre paroi. Puis il revient récupérer son arme. Julius le regarde faire d’un œil interrogateur. Saul hausse les épaules.

Ils traversent cette nouvelle face. Une bande de gnolls leur cherchent querelle. Ils les affrontent. Mais Georg semble embarrassé par son javelot.
- Que fais-tu ? Viens donc nous aider!
- Non, cela ne convient pas, marmonne-t-il en fixant de nouveau l’arme dans son dos par des lanières. J’arrive !
Mais les êtres à tête de chien fuient avant qu’il ne puisse intervenir.

Une fois qu'ils sont parvenus au bord opposé de la face, Georg recommence son curieux manège.
- Tu sembles bien satisfait de toi. Qu’as-tu donc trouvé?
- J’ai ma petite idée. Laisse.

Ils escaladent la pyramide à étages, sans rencontrer d’opposition. Mais, arrivés à proximité du sommet, des ogres leur barrent le chemin.
- Sommes-nous de nouveau considérés en intrus ? demande Saul.
- Je pense plutôt qu’ils nous cachent quelque chose, répond le prêtre.
- Faisons semblant de partir, décide Georg. Puis ce sera à Julius de jouer.

Une fois qu'ils ont redescendu de deux étages, l’archer sort une flèche de son carquois, et l’encoche dans son arc.
- Espérons que la flèche magique que t’a donnée dame Alvina fera son usage. Es-tu certain de la distance ?
- J’ai compté les pas. Je suis sûr de moi.

Il bande son arc et tire sa flèche. Celle-ci s’envole dans les airs, puis retombe en amont.
- Dépêchons-nous maintenant !
Ils remontent les escaliers quatre à quatre. Ils découvrent tous les ogres, étendus par terre, et apparemment endormis.
- Pourquoi ne pas avoir utilisé cette flèche ce matin ? demande Saul.
- Les monstres étaient trop près de nous. Nous aurions été pris dans la zone d’influence de la flèche, et nous nous serions endormis nous aussi.

Ils grimpent vers le sommet, en passant au-dessus des corps inconscients des ogres.
- Je ne vois pas le chef de clan, déclare Julius.
- Il est peut-être en dehors de la zone du sortilège, répond Georg. Avançons prudemment et essayons de le surprendre.
- Attends ! Je cherche ma flèche. Ah ! La voilà!

Il ramasse le trait planté à terre. Soudain voici qu’apparaît le chef de clan en haut du dernier escalier, suivi de ses deux assistants.
- Cette fois-ci ils sont dans la bonne position ! s’écrie Georg en lançant son javelot.
L’arme file droit devant lui, ou plutôt " tombe ". En effet il ne lui a pas fait emprunter le chemin des plans coupés destinés à passer d’une face à l’autre. Le projectile subit donc toujours la gravité de son plan d’origine, et acquiert de la vitesse par son seul poids, devenant ainsi redoutable. Mais le guerrier n’a pas tout à fait estimé la bonne trajectoire, et il rate sa cible d’un pied.
- Dommage ! J’étais persuadé que c’était une bonne idée, soupire-t-il. Je les empêche de descendre ! ajoute-t-il. Servez-vous de vos arcs !

Il affronte l’ogre à mi-hauteur. Celui-ci a une grande épée. Le guerrier lui fait face courageusement, tandis que ses compagnons lâchent une volée de flèches sur les ogres suivants. Mais ceux-ci enjambent le parapet et sautent. C’est l’inévitable corps à corps. Le prêtre entame un chant de guerre, destiné à leur attirer les faveurs d’Aana. Les épées s’entrechoquent. Ils ont affaire à des combattants expérimentés.

Voyant sa tactique inutile. Georg cède du terrain. Il combat maintenant sur la terrasse, et n’est plus défavorisé par la position surélevée de son adversaire. Son épée et sa dague trouvent des failles, l’arme de son adversaire aussi.

Heureusement il porte sa cotte de maille elfique, qui lui assure une bonne protection tout en le laissant presque entièrement libre de ses mouvements. Par un audacieux coup de taille il est finalement vainqueur.

Il n’a pas le temps de savourer sa victoire. Un regard l’avertit que Julius est en fâcheuse posture, et que Saul est fort occupé. Il vole au secours de son ami, avant que l’ogre ne l’achève.

Tandis que le prêtre interrompt son chant pour soigner l’archer, Georg triomphe de nouveau. Il est aussi un peu plus fatigué, et un peu plus blessé. Mais Saul vacille à son tour, et le grand guerrier est contraint à un dernier combat.

C’est recouvert de sang et de sueur qu’il s’en tire. Il a été jusqu’à l’extrême limite de ses forces.

Lui et Julius examinent leur trophée. C’est un superbe fourreau gravé que portait le chef des ogres.
- Il est trop grand pour être porté par un humain.
- Non, ça va. Regarde. Il ne frotte pas par terre et me convient.
- C’est vrai que j’oubliais ta taille. Mais peux-tu y loger ton épée ?
- Avec un peu de rembourrage, ça devrait aller, et... Attention !

Georg a juste le temps de pousser son ami à terre. Voici qu’apparaît un nouveau monstre. Il a des pieds de bouc, deux cornes noires, des petites ailes de chauve-souris et des yeux de crapauds. Il crache par sa gueule une longue flamme en direction de nos héros.

Par leur mouvement, Georg et l’archer peuvent l’éviter, mais Saul, et le prêtre, qui soignait ce dernier, sont pris de plein fouet par le feu. Le prêtre, malgré ses brûlures, tient encore debout. Il brandit le symbole sacré de la déesse Aana.
- Arrière, démon !
- Tu l’auras voulu, vieil homme ! répond la créature.
Elle souffle de nouveau. Cette fois-ci le saint homme s’effondre. Puis le monstre disparaît aussi vite qu’il est apparu.

- Peux-tu faire quelque chose ? demande Julius alors que son ami examine le corps des deux hommes à terre.
- C’est trop tard pour Saul. Son cœur a cessé de battre. Et pour le prêtre aussi. Dommage, j’ignorais son nom.
- Comment as-tu fait pour sentir la présence du démon ?
- J’ai ressenti comme un signal de danger provenant du fourreau, et j’ai tourné la tête au bon moment.
- Si ce fourreau a cette propriété magique, cela expliquerait que nous n’ayons pu surprendre le chef de clan ogre. Quoi qu’il en soit, nous ne sommes plus que deux. Il nous faut abandonner maintenant.
- Les potions de dame Alvina ne peuvent plus rien pour eux, mais elles peuvent encore beaucoup pour nous.
- Même une potion de guérison ne pourrait rien pour moi. J’ai perdu conscience, et j’ai du mal à retrouver mes sens. Seul le repos peut venir à bout de ma fatigue.
- Essaie cette liqueur. J’ai déjà utilisé une potion semblable par le passé. Elle te ferait combattre un troll à mains nues.

L’archer la boit, et effectivement il se sent tout de suite ragaillardi. Il veut même monter tout de suite à l’assaut de la dernière terrasse.
- Où est ton troll que je l’assomme ?
- Ne sois pas trop hardi tout de même, dit Georg en vidant, lui, une fiole de soins. Il reste le démon à combattre, le secret de ce château à percer, et nous n’avons plus de potion magique.
- Comment allons-nous faire pour éviter son haleine de feu ?
- En marchant à bonne distance l’un de l’autre, répond Georg en ramassant le bouclier de Saul, nous éviterons d’être pris tous les deux d’un seul jet. Les dragons et les démons, d’après la légende, ne peuvent souffler que trois fois par jour. Il ne lui reste donc plus qu’une seule possibilité.
- Souhaitons que ce démon connaisse la légende.
- Puis nous l’attaquerons avec nos épées. Prends celle de Saul. Elle est magique, puisqu’il a pu blesser l’homme salamandre avec.
- C’est vrai qu’il est probable que le démon ne puisse être atteint par d’autres armes.

Prudemment, ils montent l’escalier, chacun à son tour. Sur la dernière terrasse ils découvrent un autel. Il y a une jeune femme allongée dessus, et une multitude de joyaux et de pierreries accrochées à un arceau, comme les couleurs d’un arc-en-ciel.

Il y a aussi le démon.

- N’avancez plus ! Ou je vous détruis comme j’ai détruit votre prêtre.
- Qu’en penses-tu, Julius ?
- Je peux l’avoir d’ici, avec les flèches magiques de dame Alvina.

Le démon crache en direction de l’archer. Celui-ci, qui s’y attendait, se jette à terre et évite une partie du souffle. Georg charge.

Au début, le monstre est pris à l’improviste. Il est touché, et ce sont des jets de flammes, plutôt que du sang, qui jaillissent de ses blessures. Georg en est brûlé, mais continue. Julius vient seconder son ami.

 
Puis le combat devient plus incertain. Le grand guerrier essaie de frapper le démon aux pattes. Malgré la masse apparente de celui-ci, ses ridicules petites ailes lui permettent de sauter et il évite le coup. Julius frappe de taille et d’estoc, mais est profondément griffé par les serres acérées.
- Ecarte-toi ! Grâce à mon armure, je résiste mieux que toi au corps à corps. Essaie de lui lancer des flèches.
- Je risque de t’atteindre par maladresse.
- Tant pis !

Georg reste donc seul face à la créature, qui le frappe de ses griffes, de ses cornes, et même de ses sabots. Mais il est trop sûr de sa force, et relève sa garde. D’un coup adroit, le guerrier le fait trébucher, et, d’un deuxième coup, lui décolle la tête du tronc, dans une grande gerbe de sang qui s'enflamme au contact de l'air et retombe en pluie.

Mais que se passe-t-il ?

Tout a disparu !

Le démon, les ogres, la terrasse, les murs, le château, tout...

Il ne reste que Georg et Julius, stupéfaits. Il y a aussi le corps étendu de la jeune fille, et, surprise : Ach’Ben’Wit, à quelques pas de là. Ils se retrouvent dans la clairière.
- L’Astucieux, qu’as-tu fait ? demande l’archer.
- Rien ! Je vous assure ! Comme Tim avait choisi de se retirer, j’ai préféré vous suivre pour vous porter secours en cas de danger, c’est tout.
- Tu ne t’étais guère manifesté jusqu’à présent. Mais que caches-tu derrière ton dos ?
- C’est à dire... J’ai voulu profiter de l’occasion, tandis que vous combattiez, pour soustraire quelques bijoux, avoue-t-il. Mais j’aurais partagé avec vous par la suite ! s’empresse-t-il d’ajouter.
- Et qu’as-tu pris ?
- A peine un petit rubis.
- Je me souviens de ce rubis. Il était gros comme un œuf ! Je l’ai bien remarqué!
- Je crains que cela fît la cause de sa perte, intervient Georg qui examinait la jeune fille. Elle est morte.
- Qui nous dit qu’elle ne l’était pas déjà avant ?
- Son corps est encore chaud. Elle était jolie. Nous ne connaîtrons jamais son histoire. Dommage, conclut le guerrier.
Il réfléchit quelques instants, puis ajoute :
- Il y a décidément beaucoup de " dommage " dans cette aventure... Au fait ! Montre-nous donc ton rubis.

L’Astucieux ouvre la paume. Mais il n’y a plus que les pétales d’une rose fanée.

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