1. La clef.

- Alors, Barras, il dit quoi ce poulet ?
- Patatras, tu veux parler des entrailles du poulet ?
- Abrège !
- Il dit que si nous restons la, nous allons tous mourir !
- Et si nous attaquons maintenant ?
- C'est une nouvelle question, il faudrait sacrifier un nouveau poulet... Quelle est ta question ?
- Je ne sais pas quelle est ma question ! Je cherche à nous sortir de cette situation !
- Si tu demandes l'aide de Fafir, je l'ai déjà demandée pour toi.
- Rappelle-moi la réponse ?
- Le dieu a répondu qu'il avait déjà agit pour nous.
- Mais sous quelle forme ? Va-t-il faire pleuvoir une nuée incandescente sur nos ennemis ? Devons-nous attaquer tout de suite, ou attendre des secours ?
- Ce n'est pas un simple poulet qui peut répondre à cette question.
- Alors emploie les moyens appropriés !
- Je l’ai déjà invoqué. Le rappeler encore pourrait être interprété comme un manque de confiance.
- Mais que décider ?
- C'est à toi de décider. C'est toi notre chef.
- Et toi ? Que déciderais-tu à ma place ?
- Je suggère de finir notre réserve de vin?
- Pfff…

Le duc de Patatras s'écarte de son grand prêtre Barras, puis se dirige vers un groupe de ses hommes.

- Et toi, Georg, que penses-tu de la situation ?
- Ton attaque contre cette garnison des armées australes était audacieuse. Tu ne pouvais pas soupçonner que l'ennemi était si nombreux. Tu as eu raison de fuir et de diviser nos forces. Mais nous sommes coincés au pied de cette falaise à pic de plus de trois cent pieds. Seule la nuit nous protège encore de nos poursuivants.
- Comment ont-ils su que j'étais dans ce groupe ?
- Peut-être ont-ils eux aussi des poulets ?

Les deux hommes rient.

- Et si nous tentions de fuir pendant la nuit ?
- Nous avons peu de chance : nous sommes quand même à un contre dix !
- Perdus pour perdus, autant charger !
- Je suggère de finir notre réserve de vin...
- Pfff…

Soudain ils entendent des cris :

- Qui va là ?
- Aux armes !
- Il vous reste du vin ?
- Je reconnais cette voix : c'est un ami ! s'exclame Georg. Arrive Cordi !

Le duc va à la rencontre des nouveaux venus.

- Comment avez-vous pu passer ? demande Patatras.
- Ma compagne possède un sort d'invisibilité.
- Pouvez-vous rendre invisible toute ma troupe ?
- Hélas non, répond Elinoëe. Mais dans mon sac j'ai de quoi nous sortir de là !
- Qu'est-ce ?
- Suffisamment de cordes pour pouvoir faire escalader ces falaises à toute une armée.
- Dans un si petit sac ?
- Oui, c'est un sac magique, à la contenance illimitée. J'y ai enfoui toutes les cordes elfes que j'ai pu trouver avant de partir de la forêt.
- Nous avons su, par un rêve envoyé par Fafir, que vous auriez besoin de nous ici et en ce moment, précise Cordi.
- Nous allons escalader la paroi, puis vous hisser les uns après les autres.
- Vous devrez abandonner chevaux et armures.
- Mais nous serons alors à la merci de nos ennemis ?
- Nous allons laisser les feux allumés en bas et Cordi et moi ferons suffisamment de bruit pour leur faire croire à votre présence tandis que vous marcherez toute la nuit. Avec un peu de chance, vous pourrez traverser les hauts plateaux et trouver refuge chez une tribu de nain. Ils sont neutres je crois.
- Bon, d'accord ! Maintenant nous pouvons finir le vin ! conclut Patatras.
- Du moins si Barras ne l'a pas déjà fait !
- Pfff…

Un mois plus tard, Patatras et ses hommes sont en train de festoyer à la table du roi Noren.

- Alors, duc, êtes-vous satisfait de vos armures ?
- Tout à fait, votre majesté, et je vous remercie de nous avoir accordé votre crédit.
- J'espère bien que vous aurez l'occasion de nous rembourser le plus tôt possible.
- Je l'espère aussi.
- Trinquons à notre accord !
- Trinquons !

Les servantes apportent d'autres pichets de bière amère, et d'autres victuailles.

- Mais nous pourrions plus rapidement vous rembourser si nous recevions plus d'aide de votre part?
- Qu'est-ce à dire ?
- Vos nains pourraient s'allier avec nous contre l'envahisseur austral.
- Nous préférons rester neutres dans ce conflit.
- Mais, contre la promesse d'une part substantielle des butins à venir ?
- N'insistez pas. Et trinquons de nouveau.

Ils lèvent un toast à la métallurgie naine, puis un autre à la bravoure des hommes du duc, puis un autre à l'amitié des nains et de Fafir.

- Mais votre neutralité, ne vous conduirait-elle pas à aider aussi nos ennemis s'ils vous le demandaient ?
- Honnêtement, le commerce est le commerce… Mais reprenez donc un pichet.
- Votre art de la forge est certes remarquable, mais j'ai ouï dire que vous celiez des armes encore plus redoutables.
- De quoi voulez vous parler ?
- D'une épée dans une salle de cristal…
- Qui vous en a donc parlé ?
- Une demi-elfe du non d'Elinoëe. Elle a parlé d'une lame immatérielle, qu'un grand pouvoir maintient prisonnière.
- Elle aurait mieux fait de se taire ! Cette arme est maléfique, même si nous le pouvions, nous ne vous la donnerions pas ! Et puis, vous possédez déjà une belle épée dont la lame peut s'enflammer, et qui vous a été donnée par Fafir lui-même je crois ?

Patatras se lève et vide sa corne d'un trait.

- Je le savais ! Sous vos beaux discours, vous êtes prêts à donner cette arme à nos ennemis ! dit-il en se levant, passablement éméché.
- Il n'en est pas question ! Je vous l'ai déjà dit !
- Pour la dernière fois, donnez-la-moi ! Je la veux ! ajoute le duc en menaçant le roi de son épée.

A cette vue les gardes nains interviennent et brandissent leurs haches. Il s'en suit une bagarre confuse entre les deux camps. Le roi Noren veut intervenir pour séparer les belligérants, mais il reçoit un méchant coup.

- Arrêtez le combat ! Sa majesté est blessée ! déclare son fils, qui soutient la tête ensanglantée du monarque.
- C'est votre faute ! Qui n'est pas avec nous est contre nous !
- Nous vous avons pourtant aidés. Mais puisque vous le voulez ainsi, nous allons vous conduire à la porte de l'Ailleurs.

Patatras et ses hommes sont donc conduit dans la galerie qui mène à la porte. C'est un passage clôt par un diaphragme végétal. Avec des pieux et des barres à mine, ils le forcent, et se retrouvent bientôt dans une vaste salle, traversée par un gouffre apparemment sans fond.

- D'après la légende, le secret qui permet de libérer l'épée de la salle de cristal et de lui donner corps est ici, déclare le fils du roi Noren. Je vous souhaite de vous y perdre, adieu !

Patatras réclame encore des cordes, que les nains lui amènent avant de s'éloigner rejoindre leur roi.

Georg est à mi-hauteur du câble quand les ombres volantes attaquent. Le combat est des plus confus. Les porteurs de lampes lâchent prises et celles-ci tombent et s'éteignent. Georg lâche prise à son tour.

Heureusement il retombe sur une petite corniche à proximité. Tous n'ont pas eu cette chance. De son épée il tente de repousser les nuées, mais celles-ci sont vraiment très nombreuses. Au loin il aperçoit une lumière. Il s'y dirige.

C'est le bâton lumineux de Barras, tué par les démons, dont le corps gît à terre à l'entrée de ce qui semble être un passage. Georg se saisit du bâton d'une main, et, son arme dans l'autre, il s'engage dans le couloir.

Les ombres semblent provisoirement renoncer à le poursuivre. Cent pas plus loin il découvre le duc, assis et adossé à la paroi, au milieu d'un amas d'ombres mortes.

- Georg ? Tu t'en es sorti toi aussi ? Appelle-moi Barras s'il te plaît?
- Je l'ai croisé tout à l'heure, il n'avait plus de tête !
- Alors c'est la fin pour moi aussi. Mes blessures ne sont pas de celles dont on guérit sans intervention divine. J'aurais aimé une mort plus glorieuse… Mais dis-moi, as-tu toujours une gourde de vin sur toi ?

Georg lui verse à boire.

- Tu prendras mon épée. Elle m'a fidèlement servi. Elle s'appelle Entropie. Après tout, peut-être ai-je lâché la proie pour l'ombre ? Et peut-être n'aurais-je pas du la négliger ?

Patatras expire.

Georg continue, cherchant une sortie. Au lieu de cela il débouche dans une petite pièce circulaire de cinq pas de diamètre. Les murs sont recouverts du sol au plafond d’inscriptions et de symboles magiques. Mais le guerrier ne sait pas lire. Au centre il aperçoit ce qui lui semble être un démon femelle, assise en tailleur. L’être a la peau sombre et des oreilles en pointes. Elle est recouverte d'une grande cape noire.

Le guerrier approche la pointe de son épée du cou de la démone qui semble assoupie. Puis prononce le nom de sa lame :

- Entropie !

A cette évocation celle-ci s'enflamme, et cela réveille l'être endormi.

- Quoi ? Qui ose troubler mon long songe ?
- Donne-moi ton nom, démone, ou je te tranche le col ! dit Georg, qui se souvient qu’on lui a dit qu’un démon pouvait être contrôlé si on connaissait son nom véritable.
- Je crois reconnaître ta voix, et l'épée? Ainsi la boucle est bouclée !
- Donne-moi ton nom !
- Mais si ton épée n'a pris que la forme de feu, cela signifie que tu ne connais pas encore le nom secret de ta lame. L'histoire peut-elle être encore réécrite ?
- Pour la dernière fois, donne-moi ton nom !
- Ki, répond la démone en plissant des yeux.
- Ki ?

A ce mot, l'épée de feu se transforme en lame multicolore, semblable à l'image qui est enfermée dans la salle de cristal des nains. La démone éclate alors de rire !

- Quelle dérision ! Ainsi la clef était mon propre nom, et je l'ignorais !
- Et Patatras possédait déjà ce qu'il recherchait !

Tout à sa surprise, le guerrier a relevé son épée pour l'examiner. Ki en profite pour plonger sa main sous sa cape, et en retire une arbalète de poing.

Mais avant que le trait empoisonné n'atteigne le visage de Georg, celui-ci disparaît miraculeusement !

Seul reste la malchanceuse Ki, qui pleure de dépit et de désespoir.

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