1. Le secret des collines (ter).

Du temps s’est écoulé depuis la dernière bataille. Beaucoup de temps. Carali et Eloa ont eu des enfants, et des petits-enfants. Ils ont organisé plusieurs fois la quête du renouveau. Quand je vous disais que ça faisait beaucoup de temps !

Mais cette fois ci ça n’a pas fonctionné : la reine n’a pas pu bénéficier du rajeunissement de la potion de longévité. Nous la retrouvons sur son lit de mort, son compagnon est à son chevet.

- Ne soit pas triste, dit-elle. Tu as fait ce que tu as pu. Mais on ne peut lutter éternellement contre sa fin. Tu vas devoir régner après moi. Que comptes-tu faire ?
- Je suis également fatigué. Je crois que je vais abdiquer, et me concentrer sur la recherche de nos origines. Jusqu’à présent le poids de nos responsabilités nous avait empêchés de prendre ce risque. Qu’en penses-tu ?

Mais Eloa ne répond plus.

Carali lui ferme les yeux, puis se retire. En passant dans la pièce à coté, il entend une voix lui demander :

- Alors ? Tu vas le faire ?
- Qui est-ce ? Ah ! C’est toi Hector.

Le pseudo dragon familier du magicien apparaît.

- Et comment comptes-tu t’y prendre ?
- Ce n’est pas évident : toutes traces des origines de mes pouvoirs magiques semblent avoir disparue. Et apparemment, pour avoir discuté avec des Errants, il est dangereux de vouloir les rechercher. Il ne me reste que ma dague de mes premières années d’études.

Carali s’assied à sa table d’alchimie, et sors un parchemin d’une étagère.

- Avec Eloa nous avions prévu d’utiliser ce puissant sortilège de connaissance des légendes sur cette arme. D’aussi loin que remontent mes souvenirs, elle a toujours été avec moi. Elle m’a toujours protégé, voire malgré moi. Elle a probablement une intelligence, mais je n’ai jamais réussit à communiquer avec elle. Ses effets ne sont pas toujours très spectaculaires, mais sont toujours efficaces.
- Quels sont les risques si tu lances ce sortilège sur elle ?
- Elle risque peut-être de disparaître, comme tout ce qui pouvait me rapprocher du mystère de mes origines, ou peut-être ne se passera-t-il rien, et j’aurais juste perdu un parchemin précieux, ou peut-être vais-je disparaître moi aussi ?

Le magicien regarde sa dague, puis le parchemin, puis son visage dans un miroir.

- Mais j’ai déjà eu une si longue vie… Je ne pense pas renouveler la quête du renouveau cette fois-ci.

Sa décision est prise. Carali lit le parchemin, puis lui et sa dague disparaissent.

- Adieu mon ami, dit le pseudo-dragon.

Carali se retrouve dans une grotte. A la dernière seconde, il a lancé le sortilège du parchemin sur son reflet au lieu de sa dague, et celle-ci l’a téléporté. Pourquoi, comment ? Autant de questions. Mais pour l’instant Carali est entouré de créatures hostiles. Il a juste le temps de lancer des charmes de protections avant que divers projectiles ne l’atteignent. Il examine ses agresseurs : ce sont des humanoïdes de cinq pieds, minces et élancés, au visage pointu et oreilles effilées, leurs cheveux sont blancs, et leur peau est noire comme le plumage des geais. Il a déjà lu leur description dans un ouvrage de la bibliothèque d’Uhr : ce sont des elfes noirs. Mais ils ont disparus lors de la bataille des quatre mondes.

Puis l’un d’eux s’avance. C'est une elfe noire femelle. Elle lance un sortilège subtil. Carali aurait certainement eu du mal à l’éviter s’il avait eu cinquante ans de moins, et s’il n’avait pas eu sa dague protectrice. Cette elfe noire prononce des paroles dans une langue inconnue, que le magicien comprend et parle après une passe magique.

- Qui êtes-vous, intrus ?
- Un visiteur. Etes-vous la chef ?
- Notre chef est le prince démon Griffon Rouge. Etes-vous envoyés par lui pour nous tester ? Je suis Ki, sa fidèle servante.

A ce nom, Carali sursaute : Ainsi sa dague l’a non seulement téléporté, mais aussi renvoyé dans le passé, à une époque ou le Griffon Rouge sévissait sur terre.

- Nous avons presque percés le secret de l’épée que nous lui destinons. Si vous voulez venir voir ?
- Je vous suis.

Ki l’amène dans une salle aux murs fait de cristal. Plusieurs elfes, assis en tailleurs, maintiennent en lévitation une épée au centre de la pièce. Carali reconnaît la salle de cristal des nains.

- Est-ce vous qui l’avez fabriquée, ou votre prince est-il intervenu ?
- Nous lui cherchions un cadeau pour son ascension aux arcanes suprêmes, et un humain est arrivé, porteur de cette épée. Nous l’avons capturé, mais il ne veut pas nous révéler son secret. Pour l’instant, nous n’avons découvert que son premier mot de commande.
- Qui est ?
- Entropie. Mais il existe une deuxième clef. Nous l’avons placée dans cette salle qui a la propriété d’amplifier nos pouvoirs magiques, et soumise à la sagacité de nos meilleurs devins.
- Et l’humain ne vous l’a pas révélé ? Pourtant vos tortures sont réputées ?
- Voulez-vous le voir ? De peur qu’il ne soit un envoyé caché de notre prince, nous n’avons pas trop osé l’abîmer.

L’homme est attaché par des chaînes fixées aux poignets et à un anneau au plafond. Il est très grand et blond. Son torse nu est strié de marques de fouet et de brûlures. Il est inconscient. Ki désigne la dague de Carali.

- Mais je devine que votre arme est cousine de l’épée du Chaos. Si vous vouliez nous aider, je suis sûr que nous pourrions enfin résoudre cette énigme.
- Je n’y manquerai pas. J’étudierai les sortilèges idoines demain. Mais pour le moment je dois me reposer. Pouvez-vous mettre une chambre à ma disposition ?

Un peu plus tard, après une collation, enduite d’un charme comme il se doit, et que la dague de Carali a déjoué au grand dam de Ki, notre magicien se retrouve seul dans une pièce meublée d’un grand lit. Après une petite heure de sommeil, il se relève, et endort magiquement les gardes à l’entrée.

Puis, de même, il se fraie un chemin jusqu’à la geôle du prisonnier. Il lui fait boire une potion revitalisante.

- Georg ?
- Est-ce encore un de vos tours pour me faire parler ? murmure celui-ci.
- Non, c’est moi, Carali, le prince consort.
- Carali ? Je connais bien un Carali, mais il est beaucoup plus jeune, et n’est pas prince.
- Je vois. Mais pour le moment tu n’as pas le choix, suis-moi !

Le magicien prononce une formule magique, et les serrures des chaînes s’ouvrent. Le corps du prisonnier chute à terre.

Puis ils se dirigent vers la salle de cristal. Cette fois-ci les gardes et les sages elfes noirs résistent à la magie de Carali, mais il y a le pouvoir de sa dague.

- Récupère ton épée, et prononce le mot clef !
- Et si tu me tendais un piège ?
- Tu n’as pas le choix : je les entends qui reviennent !
- Cette fois-ci je ne serais pas pris en traître, répond Georg.
- Espèce de mule !

Le guerrier se saisit de l’épée, et affronte les elfes noirs dans le couloir qui mène à la salle. Le magicien lance sortilège sur sortilège. Finalement Carali aperçoit une lueur bleutée entourer sa dague, et la même lueur sur l’épée de Georg….

Ils se retrouvent alors tous deux transportés dans un autre endroit. Ils sont au centre d’une petite place d’un village de huttes de roseaux. Sont-ils tombés de Charybde en Scylla ? Ils voient des hommes-crapauds, d’abord surpris de leur apparition, s’avancer maintenant vers eux avec des airs menaçants.

Soudain une grande tempête se lève dans un son strident. Tandis qu’elle fait rage, Georg et Carali sont placés au centre d’une bulle protectrice. Elle dure plusieurs heures, et leurs armes respectives s’illuminent de bleu.

Puis la tempête retombe aussi soudainement qu’elle s’était levée. Les hommes-crapauds qui s’étaient retrouvés dans la bulle protectrice contemplent, stupéfaits, le reste de leur village détruit, et leurs compagnons morts.

- Que s’est-il passé ? demande Georg.
- Je crois que nous venons d'assister à la bataille des quatre mondes, qui vient de clore l’histoire de l’ancienne civilisation.
- Qu’allons-nous faire ? Et qu’allons-nous faire d’eux ? dit le grand guerrier en désignant les hommes-crapauds qui sont revenus se prosterner devant eux.
- Ils nous attribuent le mérite de leur survie. Reste ici et devient leur chef, voire plus. Ton épée t’aidera.
- Et toi ?
- Je retourne voir les elfes noirs. Il me reste encore un mystère à résoudre.

Carali prononce un sortilège, et évoque un cheval de brume. Du haut de cette monture magique, il découvre un pays vidé de ses habitants, tel que ne tardera pas à le découvrir Uhr. Il traverse ainsi la région jusqu’aux montagnes. Chemin faisant, il a la surprise de croiser quand même des âmes. Il s’arrête pour interroger l’une d’elles.

- Avez-vous vu la bataille ? Comment avez-vous fait pour survivre ?
- Je ne sais pas. Je suis perdu. Pouvez-vous me conduire chez moi ?
- Nous n’avons qu’à entrer dans n’importe quelle maison. Pourquoi ne pas choisir la plus belle ? Suivez-moi.

Carali et l’inconnu entrent dans la maison. Le magicien lui fait à manger avec ce qu’il trouve. Puis il visite la maison. C’était une maison de magicien, comme l’atteste le laboratoire d’alchimie qu’il y découvre. Il essaie d’interroger son compagnon, mais peine perdue : celui-ci est sans mémoire. Comme il était vêtu d’une robe de mage, cela lui donne une idée. Il ramasse de l’encre, une plume, et quelques parchemins, et se met en tête de lui dispenser l’enseignement de base de la magie.

Ils restent ainsi quelques jours dans le village. D’autres errants viennent les retrouver, eux aussi amnésiques. Contre toute attente, les inconnus apprennent vite, très vite même. Carali leur enseigne donc les rudiments de survie. Mais il doit repartir.

- Merci de votre aide, quand nous reverrons nous ?
- Je ne sais pas. Bientôt viendront d’autres hommes, originaires d’un autre continent. Montrez-vous discrets, et aidez-les du mieux que vous pourrez.
- J’aurais une autre requête…
- Oui ?
- Ne pouvez-vous me donner un nom ? demande l’homme d’un ton angoissé.

Carali réfléchit quelques instants.

- Je te nomme Merlin. Va et fait ce que doit…

L’homme semble soulagé. Le prince consort monte son cheval de brume et s’en va.

Il rejoint la montagne des nains. Mais ceux-ci, conduits par le roi Noren, n’ont pas encore investi les lieux. Il utilise un parchemin pour rechercher son chemin jusqu’à la salle de cristal. Il ne trouve plus aucun habitant, plus aucun elfe noir, hormis… Ki !

Celle-ci est assise dans la salle de cristal, devant un reflet multicolore de l’épée du Chaos. Elle sursaute à l’arrivée du magicien.

- Ah ! C’est vous ! Vous n’êtes pas l’envoyé du prince. Je l’ai compris trop tard. Vous m’avez bien joué !
- Que s’est-il passé ?
- Notre prince a réalisé la dernière prophétie, et il s’est transformé en liche. Il a du pour cela sacrifier ses sujets, c'est-à-dire mon peuple.
- Tu es la seule survivante ?
- Je crois que Belnomë a pu s’enfuir. Avec sa science du polymorphisme et son talent, il n’aura aucun mal à se mêler aux elfes des bois.
- Quelle surprise ! songe Carali. Et ton prince ?
- Les mages humains ont eu vent de sa transformation. Contre toute attente ils ont réussi à s’unir et à bannir le prince démon de ce monde après une grande bataille. Mais ce dernier a lancé une malédiction contre eux. Ils ont tous péri et disparu en un éclair, effacés des mémoires.
- J’ai pourtant croisé des humains en chemin.
- Ce doit être les plus puissants des mages. Ils ont partiellement résisté au sortilège, mais ils sont condamnés à errer sans cesse, sans passé, et donc sans avenir, comme moi.
- Pourquoi toi aussi ?
- Je suis la dernière de ma race. J’ai essayé de recréer la magie de l’épée du Chaos, mais sans la clef, c’est peine perdue. Mon monde a disparu. Je ne suis donc plus qu’une voyageuse d’un autre temps, condamnée à errer moi aussi, tout comme toi.
- Comment as-tu deviné ?
- Tu n’es pas sensible à la malédiction, et tu n’es pas un étranger venu d’un autre continent car tu connais trop bien notre histoire.
- Oui. Je suis comme toi un naufragé du temps désormais. Quel dommage de ne pas avoir su cela plus tôt. Bien des fautes auraient pu être évitées.
- Mais tout n’est peut-être pas perdu ? Si tu me prêtais ta dague, avec son pouvoir et l’image de l’épée du Chaos, je pourrais peut-être te faire revenir chez toi ?
- Ma dague ?
- Oui. Que te reste-t-il à perdre ?

Carali réfléchit : il aurait du donner cette dague à Merlin, mais il n’y a pas pensé. Alors, après tout, pourquoi pas ? Que lui reste-t-il à perdre ? Il accepte.

- Comment comptes-tu t’y prendre ? demande-t-il.
- Comme ceci ! réplique Ki en lui plongeant la dague dans le cœur.

Le magicien a à peine le temps d’un hoquet de surprise, qu’il se retrouve dans son laboratoire.

- Ma dague m’a sauvé encore une fois, et me voici de retour à mon point de départ. Mais cette fois-ci je crois qu’elle a bel et bien disparue. Hector ?

Il entend une voix venant de la pièce d’à côté, mais ce n’est pas le pseudo-dragon qui lui répond.

- Alors ? Tu as fini par essayer le parchemin ?
- Eloa ?

Carali n’en croit pas ses yeux. Non seulement Eloa est de nouveau vivante, mais est aussi plus jeune. La dague a fait mieux que de le ramener à son époque. Il ôte ses lunettes et se regarde dans le miroir : lui aussi a rajeunit.

- Qu’y a-t-il, mon cœur ? On dirait que tu as vu un fantôme.

Carali lui raconte son aventure, du moins il essaye. Il est tellement troublé par la vue de sa compagne de nouveau fraîche et belle qu’il mélange les faits et les dates. Mais elle comprend, merveilleuse Eloa

- Et ainsi voici résolu le mystère de la disparition de l’ancienne civilisation. N’est-ce point stupéfiant ?
- Il y a encore plus extraordinaire : je me souviens de mes années d’études. Du djinn Pukha, et du mage qui nous a enseigné la magie…
- Se pourrait-il que … ?
- Ca ne coûte rien d’essayer.

La magicienne sort une boule de cristal. Presque aussitôt le visage de l’Egyptien apparaît.

- Eloa, Carali, je suis fier de vous. La malédiction de la liche est vaincue. Désormais les Errants peuvent avoir un passé.

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